OUVRAGES DE M. GORJY. Qui se trouvent chez le même Libraire.
Blançay, 2 vol. in- 18. br. fig. 3 l. 12 s.
Le même, rel. veau écaillé. 5 l.
Victorine, 2 vol. in-18. br. fig. 3 l. 12 s.
Le même, rel. veau écaillé. 5 l.
Lidorie, 2 vol. in- 18. br. fig. 3 l. 12 s.
Le même, rel. veau écaillé. 5 l.
Saint-Alme, 2 vol. in-18. br. fig. 3 l. 12 s.
Le même, rel. veau écaillé. 5 l.
Mémoire sur les Dépots de Mendicité, in-8. br. fig. 12 s.
Nouveau Voyage Sentimental, 2 vol. in-18. br. fig. 3 l. 12 s.
Le même, rel. veau écaillé. 5 l.
Tablette Sentimentales, 1 vol. in-18. br. fig. 1 l. 16 s.
Le même rel. 2 l. 10 s.
NOUVEAU VOYAGE SENTIMENTAL, CINQUIÈME ÉDITION, Par M. GORJY. TOME PREMIER. A PARIS,
Chez Guillot, Imprimeur, Libraire de MONSIEUR, rue des Bernardins, vis-à-vis Saint
Nicolas-du-Chardonnet.
1791.
„CE n'est qu'un oubli; “mais Lisette pourrait croire.....
“Il a passé par Bruxelles, et “il ne m'en parle pas! Donc il a “vu la dame de Calais. Donc..... “N'achève pas, Lisette; tu proférerais un
blasphême. Il est bien “vrai que je l'ai vue. Elle m'avait “trouvé un peu idiot à Calais; je “croyais ne plus l'être, parce que “j'avais séjourné
quelque tems en “France.... Tu sens bien, Lisette, “que l'amour-propre me conseillait “de me montrer avec mes avantages; et ce n'est point après
“avoir séjourné en France que l'on “résiste à ses conseils..... Cependant, s'il n'avait eu d'autre motif “que d'effacer l'idée de l'idiotisme
“que j'avais montré à Calais, peut-être ne l'aurais-je guère écouté;
C'était en moi - même que je
--„Mais, Monsieur, nous voilà “tout-à-fait à travers champs. Je “ne vois plus ni maisons, ni chemins; si nous étions égarés!--Eh! mais, mon
cher la Fleur, “tu t'effrayes toujours! Est-ce que “l'on peut s'égarer dans un pays “cultivé, quand il est égal d'aller “ici, ou là, d'y être
aujourd'hui, “ou demain?--Ici, ou là, soit: “mais, si nous ne trouvions gîte “que demain!....... Monsieur, il “y aurait un bien grand intervalle
“entre cette époque-là et le dîner “que nous avons fait aujourd'hui.--“Tu
La Fleur se tut. Était-ce persuasion? Était-ce faute de savoir répondre? Je n'en sais rien. Quand un joueur quitte la partie, il la perd; l'autre retire les enjeux: mais, dans le vrai, il n'a pas gagné. C'est ainsi que l'homme qui parle avec assurance, emporte les mises de bien des parties sur lesquelles il n'a pas plus de droits.
“ Monsieur, Monsieur, “j'entens du bruit. Nous sommes “près de quelque maison....“ En effet, nous apperçumes, à
travers les arbres, un petit toît de chaume...... A la porte étaient des instrumens de l'abourage; et, tout-à-fait sur le seuil, un enfant
très-jeune, se roulant par terre avec un chien trois fois plus gros que lui, Il y avait dans les mouvemens de cet animal, un caractère de
complaisance!.......
Sa mère était une grosse brune d'une tournure appétissante. Elle sortait de l'étable, d'où elle portait un plein seau de lait. La Fleur parut en desirer. Elle nous en offrit sans complimens, mais de bonne grace, de ce ton que l'on a, quand on offre pour être accepté. Je la payai de la même franchise, et nous la suivîmes dans sa chaumière.
C'était une assez grande salle de de niveau avec le champ. On y voyait peu, parce que les fenêtres
“Je suis fâchée, dit-elle, qu'elles “ne soient pas mûres. Vous en “cueilleriez. Je ne peux vous “donner que du pain et du lait; “car la soupe que vous voyez “devant le feu, ne sera faite que “pour l'heure où mon homme “reviendra des champs.“
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nous étions assis, la Fleur et moi, sur un banc contre la porte. Elle nous apporta à chacun
une écuellée de lait, que nous prîmes sur nos genoux, et leva le couvercle de la huche pour nous donner du pain. Au bruit,
Au pied d'un arbre, sur le pré, était un berceau que je n'avais pas apperçu. Des cris d'enfant me firent jeter les yeux de ce côté. Notre hôtesse y courut aussi-tôt, prit le berceau sur ses genoux, dénoua son corset de bure...... Malgré ses précautions, je vis un sein d'une plénitude, d'une blancheur!...... Il faut une ame paisible, pour avoir cette fraîcheur-là.
Quand elle revint à nous, je lui
Il commençait à faire tard. „Messieurs, nous dit-elle, vous êtes “loin de la grande route. Je n'ai “point de lit à vous donner; mais “si vous voulez aller jusqu'au château, l'intendant de Monseigneur “vous y recevra bien. C'est un brave “homme .......“ J'acceptai. Elle appela Thomas.
Thomas quitta quelques chèvres qu'il gardait, et nous servit de guide. C'était un petit brunet, âgé de sept à huit ans, l'œil vif, l'air
décidé. Il avait les jambes nues, une moitié de veste sur les épaules, un bonnet rouge, duquel ses cheveux s'échappaient par grosses
Un ruisseau barra notre passage. Un tronc d'arbre jeté d'un bord à l'autre, servait de pont. Il le traversa presque sans y faire attention. Pour nous . . . . . . . C'est que nos pieds étaient dans des chaussures, au lieu que les siens, libres de faire usage de toutes leurs articulations . . . . . Nous passâmes cependant.
Nous y voilà, dit notre guide, en nous montrant une grande masure. des restes de crénaux, et des débris de bêtes
fauves, cloués sur la porte, nous prouvèrent que c'était le château. Les moyens de destruction caractérisent toujours les puissançes de la terre.
Nous entrâmes. Un petit homme, gibecière au côté, fusil sur l'épaule, s'approcha...... „Vlà des Messieurs “qu'ma mère vous envoie, dit le
Notre hôte était veuf. C'était sa fille qui lui aidait à faire les honneurs de sa maison. Elle avait quatorze ans, et, quoique fille de M.
l'intendant, elle était vêtue en paysanne; mais je crois que c'était par coquetterie. Pour lui, c'était un homme tout rond. Nous étions amis au
dessert, comme si nous nous étions connus depuis dix ans. Il
En vérité, quand Justine (c'est son nom) me conduisit à la chambre qui m'était destinée...... Je te l'avouerai de bonne foi, Lisette, j'enviai le sort de Bastien.
J'avais à peine éteint ma lumière, que j'entendis jouer de la flûte assez passablement. Aussi-tôt s'ouvrit une fenêtre, et je reconnus la voix
de Justine.--Chut, chut. Il
Le lendemain j'abordai Justine, dès que je la vis seule. „Votre “père, lui dis-je, veut que je “passe ici quelques jours. J'accepterai, si on
me loge ailleurs. Je “n'aime pas gêner......“ Ses yeux ce baissèrent. Elle rougit.--„Mon-“sieur,
Je fus fâché cependant de les avoir effrayés. J'aurais eu bien du plaisir à les entendre; bien plus sûrement que je n'en avais eu, une fois, à
entendre un certain Damon et une Lucile..... Ils se croyaient seuls, et il l'auraient bientôt été, si j'avais pu sortir sans me découvrir:
„Ah! vous voilà, Monsieur! Il “est tems!--Eh, quoi! mon “adorable! allez-vous commencer “par me quereller? Si vous saviez “combien j'ai eu de
peine à me “débarrasser de cette présidente. “--Il ne fallait pas vous en débarrasser, Monsieur.--Il y a “une heure que, sans elle, je “serais à
vos genoux........ Ah! la “charmante garniture! C'est sans “doute pour votre robe jonquille? “Vous êtes d'un goût!--Monsieur cherche à faire sa
paix--D'honneur, ce mouchoir est d'une “gaze charmante.--Eh! mais, finissez donc. Vous avez des mains!
Justine, Bastien, vos expressions auraient été bien différentes.
Tout en faisant ces réflexions, j'avais le fusil sur l'épaule; je suivais mon hôte qui gravissait les rochers comme un chamois. La Fleur s'en tirait assez bien, et mo comme je pouvais.
C'était les attentions que Justine avait pour moi, qu'il fallait voir. Les gens qui articulent un remercîment,
. . . . . . . . Une de mes promenades m'avait conduit sur les bords d'un ruisseau qui coulait à travers des
saules. Le bruit des battoirs et la couleur de l'eau m'annoncèrent... En effet, j'apperçus cinq ou six femmes, à la tête desquelles était
Justine.... Justine, à quatorze ans, gouvernant la maison de son père!...... Elle avait, ce jour-là, des sabots qui faisaient paraître sa jambe
encore plus fine; un jupon assez
Nous nous assîmes tous sur l'herbe, autour d'une grande terrine pleine de lait et de pain bis. Chacun puisait à même avec une cuillier de buis . . . . . . . On ne craint rien au village; les haleines y sont pures.
Comme nous commencions, parut un jeune villageois . . . . . L'embarras de Justine le nomma. „Vous “savez, dis-je à Justine, que je “n'aime pas
gêner--Oh! non, “Monsieur . . . . . . Allons, viens un Monsieur .
. . qui attendit inutilement le reste de la phrase dont il paraissait le commencement. . . . . . . . Bastien aurait paru un niais de village aux
yeux de bien des gens, mais je traduisis différemment son embarras. J'y vis la conviction qu'il ne trouverait pas de termes capables d'exprimer
ce qu'il sentait, tandis que, dans plus d'un beau remercîment, j'ai vu l'effort pour cacher la faiblesse du sentiment sous la pompe de
l'expression.
Il se plaça. Le lait me paraissait bien bon; mais à lui! auprès de Justine!..... On a dit que l'appétit était un bon cuisinier; oui, pour les gens gourmands; mais pour les personnes friandes, c'est le plaisir.
Comme nous finissions de goûter, parut une jeune personne de quinze ou seize ans, mais qui, au lieu d'avoir cette gaîté folâtre, apanage
ordinaire de cet âge, portait sur sa physionomie l'empreinte de la douleur. Sa démarche était lente, son air abandonné, ses yeux languissans.....
Justine courut à elle, l'embrassa, en la nommant sa chère Angélique . . . . . Je trouvais que ce nom lui convenait si bien, que je ne voulus pas
savoir celui qu'elle
Elle permit, un soir, que je l'accompagnasse. Son mari était absent...... Elle était devenue confiante...... J'allais prendre un sentier le
long d'une haie. J'avais remarqué que c'était le chemin le plus court..... Elle hésitait...... J'insistai...... „Passons ailleurs, je vous
Jétais là depuis huit jours, lorsque la Fleur m'avertit que ma voiture était racommodée. Je fixai mon départ au
lendemain. On arrangea la cariole du château..... J'embrassai mon hôte, l'aimable Justine...... Je ne pus pas embrasser Angélique; son mari était
de retour. Justine se chargea de mes adieux.
Arrivé à mon auberge, le conducteur de la cariole en sortit une quantité de gibier, pour mettre dans
A la première ville ou j'arrivai, je fis une caisse dans laquelle je mis un équipage de chasseur pour l'intendant, des rubans pour Justine: la provision était double; je jugeai qu'elle dévinerait mon intention, et qu'elle partagerait avec Angélique. La bonne paysanne qui m'avait envoyé au château, eut pour sa part une pièce d'étamine.
Me voilà sur la route de Paris.
IL faisait une chaleur excessive. Un malheureux piéton qui paraissait harassé, cheminait à l'ombre de quelques arbres qui bordaient la route.
Mon postillon, pour ne pas se détourner un peu, força ce malheureux de descendre dans un fossé très-profond et fangeux, où le soleil dardait à
plomb. Je voulus gronder; mais émouvoir un postillon en faveur d'un fantassin!.... L'évènement fit plus que mes discours.
JE remontai en voiture, et J'y réfléchissais au singulier philosophe que je venais de rencontrer, lorsque je vis, à quelques pas de moi, une
femme qui faisait la même route, au pas sûr et égal d'un grison. Elle était assise sur le bât, les deux pieds dans l'un des paniers.... Le
conducteur s'appuyait sur l'autre, pour faire le contre-poids, car on connaît au village, mieux que dans
Je ne parlerai ni de ses cris, ni de son embarras. J'assurerai seulement que ma chaise étant fort haute, et passant fort près, je ne vis que deux jambes très-bien faites, chaussées d'un bas de coton, dont la blancheur était relevée par des souliers de maroquin noir; des jarretières rouges les attachaient. Il n'y eut que mon imagination qui alla au-delà des jarretières rouges.
Je fis arrêter. Je descendis. (Elle était déjà hors d'embarras). Je lui fis le compliment de condoléance le plus ménagé possible, pour qu'il
n'eût pas l'air d'une ironie. J'insistai sur le danger d'une pareille voiture,
IL me semble que j'ai oublié de dire le sujet qui me ramène à Paris....... Mais, lorsqu'à peine je m'en suis rendu compte à moi-même, à quoi bon le dire aux autres? M'y voilà; le pourquoi ne fait rien à l'affaire.
J'ai aussi oublié de vous dire que vous pouvez vous dispenser de lire ce nouveau voyage, vous qui n'avez pas lu le premier; ou qui l'avez lu sans plaisir.
Ne le lisez pas non plus, vous dont la pudeur trop austère, s'effarouche
Ce chapitre est sans titre, parce que c'est à peu près une préface; et on ne peut plus faire lire une préface que par surprise.
„Puisque je suis en train, dis-je en moi-même, de prendre “mon monde par surprise, si je “plaçais ici mon epître dédicatoire?“
Aussi-tôt, prenant la plume, je “jette sur le papier une grande M; c'est bien là le commencement Monseigneur: mais dès que l'M fut
tracée, je réfléchis â la manière dont je tournerais mon épître, pour ne point allarmer la modestie du prince à qui je l'adressais, et je sentis
toute la difficulté de l'entreprise.
Cependant une de mes mains s'était emparée de mon front, comme pour faire, par sa douce chaleur, fermenter les idées. L'autre main tenait la
plume suspendue au-dessus de l'encrier. . . . . . . Il s'écoula douze minutes. . . . . . La treizième allait commencer, lorsque, tout-à-coup,
donnant un grand
„Ce ne sera pas ma faute; „dis-je, si au bas de ce portrait „on met le nom du prince régnant „de Dess.......
„Ma foi, Monsieur, ni la mienne „non plus, me dit celui qui „venait d'entrer chez moi; c'est „très-certainement le portrait du „bon roi Réné.
J'ai eu une peine
Cette fois je ne suis pas en hôtel garni. La Fleur m'a procuré un petit logement dans une maison occupée par des
gens du peuple. Il savait bien que cela ne pouvait pas me faire de peine. En effet, qu'y a-t-il à gagner à être entouré de gens riches? Si vous
l'êtes plus qu'eux, ils vous jalousent. Si vous l'êtes moins; si, par exemple, vous n'avez dans votre portementeau, que six chemises et une
“Viens, mon cher la Fleur, „viens me raconter tes plaisirs „d'hier, ceux que tu te promets „pour aujourd'hui, pour demain; la
Pendant les premiers jours, mes voisines me regardaient beaucoup. “C'est un Anglais, se disaient-elles „tout bas. „ Mais la première semaine
n'était pas finie, qu'elles
J'étais fort indifférent sur mon voisinage; mais ce que la Fleur me dit de cette femme, me tira de mon
indifférence. „Il faut la “connaître, me disait la curiosité. “--Si elle se cache, répondait la “raison, pourquoi vouloir pénétrer “ses
secrets?“--La curiosité se tut un moment; mais, prenant le masque du desir. . . . „On dit “qu'elle est jolie, peut-être. . .“ Fi! répondit la
raison.--Alors,
Ce dialogue entre ma raison et la curiosité, fut interrompu par un domestique du comte de B. . .
Son maitre m'écrivait pour me reprocher de ne pas me souvenir des gens qui me faisaient avoir des passe-ports, et
m'offrait de réparer mes torts, en allant diner chez lui, le lendemain (il était alors à Paris). J'acceptai; et, le lendemain, après avoir choisi
la plus belle de mes six chemises, et bien fait vergéter mon habit, je me rendis chez lui où je trouvai une assemblée assez nombreuse. Après
dîner, le comte me
“Comment! c'est-là le bouffon „du roi de Danemarck!--Rien „n'est plus sûr. C'est moi qui lui „ai fait expédier son passe-port. „--Il faut
votre assertion pour le „croire. Je n'ai rien vu de si triste. „--Tout est relatif, dit une voix Une autre voix de femme. „Il est propable que la „morgue anglaise l'empêche
de se „livrer. Il y a même à croire qu'il „n'aurait jamais avoué qu'il remplit „l'emploi de bouffon à la cour de „Danemarck, sans la nécessité de
„décliner son titre, pour avoir un „passe-port.„-- Une autre voix de femme. „--Dites-moi, l'abbé, „ne serait-il pas
possible que ce „fût un effet du climat? De deux „boutures semblables, l'une donne „ici du fruit de telle saveur, tandis „que l'autre donne,
quelques „lieues plus loin, des fruits d'une „saveur toute différente. La nature Une autre voix de femme. „Nous serions peut-être „plus justes en
n'accusant que nous. „Il y a des fermentations qui ne „peuvent avoir lieu que par l'addition de certains principes aux „constituans; et il se
peut que „votre M. Yorik ne soit resté si „sérieux, que parce que nous „n'avons pas rencontré ce qui peut „exciter sa gaieté„.
M. Yorik rentra, pénét. é d'admiration
Un laquais vint avertir la dame Mesmérienne que ses chevaux étaient mis. C'était l'heure du spectacle. La docte assemblée se dispersa; et,
moi, j'allai passer la soirée au café, comme cela m'arrive souvent. J'y avais fait la connaissance d'un jeune homme dont l'air triste m'avait
intéressé. Comme je suis moi-même
IL aimait une jeune veuve aussi vertueuse que belle. Elle n'était pas noble; mais, si elle eût gagné un procès qu'elle avait contre les parens
de son mari, elle aurait été prodigieusement riche; et ce procès paraissait indubitable. Cependant elle l'avait perdu. Aussi-tôt le père du
chevalier avait exigé qu'il renonçât à elle, et avait voulu le forcer d'épouser une riche héritière. On avait été jusqu'à l'enfermer dans un
-- „ Monsieur,
“Votre silence m'a trompée. “J'ai cru qu'ayant fait des réflexions “sur la différence de nos fortunes, “vous n'étiez plus dans l'intention
“d'associer à votre sort une femme “sans bien. Cette idée m'a déterminée à accepter un parti avantageux pour la position où je me “trouvais. Je
ne cherche point à “m'excuser auprès de vous; ce que “je viens d'apprendre de votre ré-“sistance,
Presqu'aussi-tôt qu'il eut reçu cette lettre, le chevalier avait eu sa liberté. Le premier usage qu'il en avait fait, avait été de courir chez
une femme qu'il savait être l'intime amie de son amante. Quel avait été son étonnement, en apprenant que ce mariage était une imposture
conseillée par l'amour le plus délicat, pour l'engager à renoncer à un attachement qui faisait son malheur! Le sacrifice avait été complet; la
retraite de son amante était ignorée de tout le monde. Il
JE sais que les maux d'autrui ne guérissent pas les nôtres; mais toujours est-il vrai que les nôtres nous paraissent moins aigus, quand nous
savons que nous ne souffrons pas seuls. Cela vient peut-être de la persuasion tacite que nous ne serons plaints autant que nous méritons de
l'être, que par ceux qui souffrent comme nous. Quelle que soit la cause, l'expérience confirme l'effet, et Maria *.
La fille du limonadier nous écoutait. Ses yeux se remplirent de larmes..... „Etre ainsi abandonnée, “dit-elle! il faut qu'elle ait bien “du courage, pour consentir à vivre! Elle sortit aussi-tôt du comptoir.
„Vous ne savez pas tout le “chagrin que vous lui avez causé, “me dit le chevalier. Elle vient “d'apprendre que son amant qui Maria. Je la recommençai. . . . . “ Quel „courage! dit-elle, quand je l'eus „finie, quel courage!„
L'heure à laquelle elle avait coutume de se retirer, arriva. Elle embrassa son père à plusieurs reprises, et s'évanouit. Je rentrai chez moi,
le cœur serré. Les songes les plus affreux vinrent troubler
JE fus toute la journée d'une tristesse inexprimable. La Fleur, qui savait que, depuis plusieurs couriers, j'attendais inutilement des
lettres-de-change, dont cependant j'avais le plus grand besoin, crut que c'était la cause de mon chagrin. Il prit une contenance respectueuse que
je ne lui avais jamais vue; et, m'abordant, en tenant les yeux sur son chapeau qu'il tournait dans ses doigts, il me balbutia quelques mots
Dès le lendemain, il entra chez un frippier de fauxbourg, et moi dans une boutique d'horloger, où je crus voir beaucoup d'ouvrage et peu de
garçons. Elle était tenue par une veuve, qui, après m'avoir beaucoup examiné, me demanda où j'avais travaillé. Sur la réponse que je lui fis que
j'étais étranger,
„ Monsieur, me dit la Fleur, „le dimanche matin, si vous voulez „passer votre soirée en ouvrier du „bon ton, il
faut venir à un bal „de grisettes„. Il ne s'attendait pas que je le prendrais au mot; il se trompa, et en vérité, je ne me suis pas repenti
d'avoir cédé à l'envie qu'il m'a donnée. Je ne résisterai pas davantage à celle de te faire connaître, ma Lisette, cette classe de filles qui
sont bien éloignées de
Les grisettes sont des ouvrières de tous les genres, trop gentilles pour vouloir être peuple, et trop sages pour vouloir sortir à un certain
prix de leur sphère. Chacune a son amant, et vient au bal avec lui; ou, si elle n'en a pas, elle vient pour en trouver un. Elles sont la dessus
de la meilleure foi du monde; mais, une fois leur choix fait, elles s'y tiennent assez ordinairement, ou n'en font un autre qu'après avoir rompu
avec l'homme qui était l'objet du premier; ce qui ne se fait pas si facilement que l'on pourrait le croire. Souvent on ne quitte son ami que
long-tems après s'être apperçu
Une fois l'arrêt de dégagement prononcé, ne plaignez pas celui qui en a été l'objet. S'il est aimable, il a inspiré trop d'intérêt. Chacune de
celles qui sont libres, ou prêtes à l'être, s'offre à ses vœux; le petit sultan n'a qu'à jetter le mouchoir. Au surplus, ce n'est que par son
amabalité personnelle, qu'on peut espérer de leur plaire. Le rang et la fortune n'y font rien. Elles redoutent l'homme riche et au-dessus
d'elles, parce qu'alors elles craindraient que l'on imaginât qu'elles vendent leurs faveurs, et, autant
Ce n'est pas qu'elles ne veuillent rien recevoir de leur ami. Il est même d'usage que c'est lui qui paie tout ce que leur travail ne peut pas
leur procurer; mais on est, là-dessus, d'une discrétion étonnante, et le soin avec lequel on ménage la bourse de son ami, est vraiment édifiant.
Les jours de pluie décidée, on ne sort pas, pour ménager ses ajustemens, ou l'on s'habille en conséquence. Arrive-t-il que le tems change,
lorsque l'on est hors de chez soi? Rien ne paraît si plaisant, et dans le fond, rien n'est
Toutes n'ont pas des principes aussi stricts; mais le nombre de celles à excepter est petit; encore ne se permettent-elles de s'en écarter que très-peu. Elles seraient mal vues par les autres.
D'après ce portrait, on peut juger du ton qui règne dans leurs assemblées. On aurait tort d'y supposer une certaine réserve; mais la liberté
n'y va jamais jusqu'à blesser la décence, et les propos ne vont point au-delà de l'équivoque
Leur mise est simple et jolie. C'est là que l'on peut voir cette espèce de coquetterie que Rousseau dit être naturelle aux femmes. Elle ne
consiste pas dans la quantité de colifichets, qui n'annoncent que la richesse de celle qui les porte, et l'adresse des ouvrières qui les ont
faits. On n'a là que des petites robes, un peu de gaze et quelques bouts de ruban; mais on en tire le plus grand parti, et l'on produit beaucoup
d'effets avec ce peu de
Il y avait près d'un mois que je travaillais à l'établi. J'avais cru remarquer que ma bourgeoise desirerait que je fisse attention à elle.
C'était toujours quelque épingle qui se détachait, un soulier trop serré, une jarretière qui ne l'était pas assez.... „Vous avez, me dit-elle un
jour, l'air sage.... assidu... “Je suis sûre que vous achalen-“deriez non que
je répondis, en changea bientôt l'expression. Elle se mordit les lèvres, me recommanda une montre dont on était très-pressé.... Le samedi, en me
payant, elle me dit qu'il n'y avait plus assez d'ouvrage..... Je crois cependant que j'en laissais beaucoup à faire.
Au surplus, le courier suivant m'apporta des lettres-de-change.
A propos de lettres, voyons ce que contient le porte-feuille que j'ai trouvé, il y a quinze jours. J'avais attendu long-tems à la place où il
était, pour voir si quelqu'un serait venu le chercher. Voyant que personne n'avait paru, je l'avais fait annoncer dans les petites affiches. Il
n'a pas été réclamé. Voyons ce qu'il renferme. Peut-être y trouverai-je quelque indication. J'y trouvai le portrait d'un jeune homme,
L'inventaire du porte-feuille m'avait conduit jusqu'à l'heure d'aller au bal de M. . . . . pour lequel on m'avait
donné un billet. Je savais bien que je ne m'y amuserais pas; mais un mouvement de curiosité m'avait fait desirer de le voir. Ce sont des espèces
d'amphibies tenant des deux classes, mais jalouses de l'une qui les voit avec peine s'élever au-dessus d'elle, et point considérées de l'autre
qui ne croit pas que rien
Lorsque j'arrivai, la cour était pleine de voitures, les avennes même étaient embarrassées. Je quittai mon modeste fiacre à quelques pas, et j'eus l'air, au moins, d'être descendu d'un remise.
Les antichambres regorgeaient de laquais bariolés de toutes les manières possibles, jasant ou ronflant sur les banquettes, ou pestant avec
raison contre les plaisirs de leurs Lanodors, dont
les régards étaient bien faits pour déconcerter un étranger. Enfin je pénétrai dans les salles d'assemblée.
Je me crus un instant transporté parmi des fées et des génies. Je vis bientôt que c'était la richesse des habits et l'élégance des parures qui
avaient surpris mon hommage. Les femmes sur-tout m'étonnèrent à l'examen. Presque toutes celles que je vis là, étaient des poupées qui, dénuées
de ce qu'elles devaient à leur camérière et à leur marchande de modes, ne présentaient plus que des squellettes fanés
par les jouissances. Aussi reconnus-je presque par-tout l'effet de ces ceintures
Au lieu de la fraîcheur, et de ces grâces naïves qui l'accompagnent presque toujours, ces dames avaient un ton décidé, une tournure irritante, et un regard qui, sans être vraiment animé, en avait cependant l'air, grace à sa hardiesse et au rouge tranchant dont les joues étaient couvertes.
Comme j'arrivai, on entrait dans la salle du festin. Le luxe et la gourmandise avaient fait, avec succès, les plus grands efforts pour en
ordonner les apprêts. Tous les
Les hommes se tinrent debout incognito, et ne veut pas qu'on l'annonce.
Le repas fut bruyant. Les fades madrigaux et les mordantes épigrammes firent les frais de la conversation. Ici, on jouait l'abandon, là,
l'étourderie. Par-tout, les femmes
A l'instant où l'on allait sortir de table, le fond de la salle s'ouvrit, et laissa voir un théâtre sur lequel les acteurs des boulevards
jouèrent deux de leurs pièces. On les voit chez eux pour trente sous par personne. on y a de plus cette affluence de gens de toutes sortes
d'états, dont la bigarrure
On retourna danser. L'orchestre était brillant; les pas et les figures étaient exécutés avec grace et précision; et tout cela manquait de son principal caractère. Je l'ai dit, la gaieté n'était pas de la fête.
Aussi tout cela ne m'inspirat-il qu'une froide admiration. O ma Lisette! je me rappellai ta simplicité touchante, et je retrouvai mon cœur. .
. . . . . . . . Je pensai aussi à vous, Justine, à ce goûter que nous fîmes sur l'herbe......
EN arrivant chez moi, je trouvai toute la maison en allarmes. La femme inconnue avait été trois jours sans paraître. Les autres qui étaient
prévenues contre elle, parce qu'elle ne sociait avec personne, s'étaient cependant inquiettées. On venait de la trouver dans son lit avec une
fièvre aigue. Sa chambre était remplie de toutes les voisines. L'une tenait du bouillon, l'autre du vin: chacune offrait quelque chose, et
Cependant j'avais tâté le pouls de la malade, qui était très-faible. Je conseillai du vin d'alicante, en attendant l'arrivée d'un médecin. „Eh
bian! Javotte, est-ce que “tu n'entends pas que Monsieur “d'mande du vin d'alicante? . . . . “Allons donc; tu d'vrais déjà être
“revenue“.--J'observai que le bruit fatiguait la malade.--„C'est “vrai. . . . . Mais voyez donc si ste “bête-là viendra avec son vin“; et elle se
mit à crier.... „Javotte!... “Javotte! . . . Allons donc, lambine. On mourrait bien cent fois... “T'nez, Monsieur, en là. . . . .
Tout le monde s'en alla. Il ne resta que Javotte. Je m'en allais aussi; mais je ne sais quoi me retint.... Attendez, je crois que ce fut la
réflexion que, Javotte étant bien jeune, le sommeil pourrait la prendre, et qu'alors la malade serait sans secours; au lieu que, moi y étant,
non-seulement je ne dormirais pas auprès de Javotte, mais encore, si elle s'endormait, je serais
“Vous ne vous en allez pas „aussi, me dit-elle?--Non, ma „belle enfant, pas encore; je veux „vous tenir compagnie.--Comme „vous voudrez„....
Nous nous assîmes sans parler davantage, jusqu'à ce que la malade nous parût endormie. La petite alla bien doucement s'en assurer... “Oui,
elle dort, dit-elle à voix „basse. . . . Elle se remit sur sa „chaise, et bailla deux ou trois „fois.--Vous auriez bien envie „d'en faire autant,
n'est-ce pas, „Mlle. Javotte?--Oh! non „Mon. . . sieur. . . . c'est que. . . . „voilà l'heure. . . .--Je suis sûr
A la rapidité de son babil, à sa
Cette conversation, tenue fort bas pour ne pas réveiller la malade, devenait longue et fatigante. Il prit à Javotte une toux d'autant plus pénible, qu'elle voulait se retenir.... Quand elle fut passée, je lui proposai de jouer à quelque jeu à la muette. Nous choisîmes le pied de bœuf.
Ce fut d'abord mon tour de prendre, et je pris. Javotte paya l'amende. . . . Son tour vint ensuite. Elle ne prit pas; mais en vérité,
„Jouons à un autre jeu, à telle „ chose vole, par exemple.--Je „ne connais pas ce
jeu-là.--Vous „le saurez bientôt. Il n'est ques-„tion
Elle commença par nommer plusieurs oiseaux, je levais, cela allait au mieux. . . . „ Baiser vole. --Je „levai
encore.--Un gage, me dit-elle; je prétendis que je n'en devais pas, et je le lui prouvai, en lui demandant si M. Duparzel ne lui en envoyait pas
quelquefois, en passant sous sa fenêtre. Elle ne convint de rien; mais elle me tint quitte du gage, et continua le jeu. Elle nomma une foule de
choses qui ne volent pas; mais j'avais le diable au corps pour toujours lever; et chaque fois je donnais un gage.
Le médecin arriva presqu'au même instant, et je retirai mes enjeux sans avoir fait de pénitence.
IL était bien tems d'aller se coucher. J'y allai, et ne me réveillai le lendemain que fort tard, au bruit que fit la Fleur en entrant dans ma chambre. Il avait un papier à la main. . . .
“Qu'est-ce?--Je crois, Monsieur, que c'est cette seconde „feuille que vous avez tant regrettée à notre premier voyage, „et dont j'avais
enveloppé ce bouquet. . . .--Ah! ah! ce bouquet
J'examinai la feuille. Le caractère me parut le même, et j'eus besoin de me donner les mêmes peines pour le déchiffrer; mais ce n'était pas la suite; c'était un autre fragment que voici.
. . . . “Quand souperons-nous pour un instant, leur dit-il, et court vîte à l'auberge. Pendant que l'on attèle les chevaux à sa
chaise, il monte à la chambre des dames.... On sait que ces chambres à plusieurs lits ont déjà été cause de plus d'une aventure. . . . Celle-ci
s'arrangeait toute seule. Il n'était question que de placer les habits roses auprès du lit de la dame Bleue, et les habits bleus auprès du lit
occupé par la dame Rose.
Les deux maris, impatientés de
„Est-il possible, dis-je à la Fleur, „que tu ne m'apportes jamais que „des fragmens qui n'ont ni commencement ni fin„?
“ Parbleu, dit James qui „m'avait écouté, sans que je susses „qu'il était là, l'aventure est finie, „puisqu'on
est au lendemain„.
James venait me proposer de passer la journée avec lui. Il me conduisit d'abord chez son traiteur. Pendant que nous dînions, une femme chanta
quelques ariettes, et son mari l'accompagnait du violon. L'un et l'autre étaient pauvrement habillés, mais elle le
“Beau travail„!
“S'ils n'en savent pas d'autre„!
“Pour nous avoir écorché les „oreilles„!
“Ils ont fait ce qu'ils ont pu. „Le virtuose le mieux payé n'en „fait pas davantage„.
James voulut ajouter quelques observations; mais j'avais en main un argument qui répondait péremptoirement à tout; c'était la tabatière du bon père Laurent.--Brave homme, tu m'as fait un présent bien précieux; il contribue à me rendre meilleur. La cantatrice était près de moi; je lui offris une prise de tabac, et mis quelques pièces d'argent dans son assiette.
La voiture de James nous attendait. Nous partîmes pour aller. . . . Je n'en savais rien, et j'allais le lui demander, lorsqu'il tira le cordon.
“C'est donc ici que nous allons„?
“Non. C'est ici qu'il faut que je „monte. Un instant. Voudrez-vous „bien m'attendre„?
Je restai seul dans la voiture, tenant toujours à la main la tabatière du père Laurent. Et Dieu sait quelles réflexions, quelles sensations! . . .
Je m'y livrais avec délices, quand je m'apperçus qu'à quelques pas de moi, une foule environnait un malheureux qui s'était évanoui contre une
borne. Des crochets sur ses épaules annonçaient son état. Les gens du peuple s'arrêtaient et regardaient; les gens comme il faut regardaient, et
ne s'arrêtaient pas. Personne ne le secourait. Au moment où il fixa mon attention, je vis arriver un vieillard tout-à-fait caduc, couvert d'une
redingotte en lambeaux, portant sous son bras une
“Vous êtes bien bon, Monsieur, „de vous déranger. Ne voyez-vous „pas que c'est un homme saoul„?
“Qu'importe? En souffre-t-il „moins? Vous auriez mieux fait „d'imiter....„
“Oui, un autre ivrogne qui sera, „au premier jour, dans le méme „cas„.
„Eh! bien, il faudra le plaindre „ce jour-là. Aujourd'hui, il faut „l'admirer„.
En attendant, j'avais tâté le pouls. . . . Je ne pus m'empêcher de lancer un regard d'indignation sur le discoureur qui avait voulu
J'ajoutai pour lui et le respectable vieillard. . . .
. . . Dieu! Combien il faut peu de chose! . . . Et ce peu de chose, le riche ne le donne pas!
Cet infortuné était portefaix, il avait une femme malade, des enfans en bas âge, et il y avait deux jours qu'il n'avait été employé. Je lui
donnai mon adresse, et lui dis de venir me trouver, si pareil malheur lui arrivait encore. Il baisa le pan de mon habit, et nous nous séparâmes.
La populace me combla de bénédictions, tandis qu'elle avait vu sans émotion ce vieillard qui méritait bien plus que moi . . . Que
James était dans la voiture. . . .
„Allons, vîte; on aura com-“mencé“.
IL m'apprit qu'il me menaità une académie bourgeoise.
On ne pourrait jamais se persuader à quel point la manie de l'esprit est répandue dans ce pays, et combien sont multipliés les cercles dont la
littérature est le seul objet. Beaucoup se bornent à des charades, à de bouts-rimés, etc. Mais beaucoup aussi portent leurs prétentions plus
haut, et forment vraiment
C'est aussi chez un marchand que se tient, tous les Dimanches. l'assemblée où James me conduisit.
Après la séance, on joua la comédie. C'est encore un goût très-répandu ici. Il l'est même beaucoup davantage que celui des académies, parce
qu'une foule de gens qui passent condamnation pour la composition,
LE spectacle était à peine fini, qu'un des deux jeunes gens que j'avais entendus avec tant de plaisir, se trouva mal. Quelques spiritueux le
firent aisément revenir; mais il resta de la plus grande faiblesse. Comme James avait une voiture, il lui offrit de le reconduire chez lui. Le
jeune homme refusait avec une opiniâtreté incroyable. Cependant nous lui en opposâmes une plus forte encore, et il fut obligé
Nous débutâmes par monter cinq étages. Sur le bruit que nous fîmes à la porte, nous vîmes accourir une jeune personne plus que mesquinement
vêtue, et qui lui sauta au cou avec l'expression de la tendresse la plus vive. L'allarme y succéda, quand elle apperçut sa pâleur. „Et comment
cela pouvait-il ne pas être“, dit-elle, quand
L'infortuné! . . . avec de l'esprit, des mœurs, une figure intéressante, des amis, c'est-à-dire, des connoissances riches. . . . . il n'existait que du produit de quelques broderies que faisait la jeune personne. . . . Ce n'était qu'une grisette; elle n'était pas sa femme; mais combien elle me parut respectable, quand je sçus que, la veille encore, elle avait refusé les offres brillantes d'un Crésus! . . .
James, lui - même, fut attendri jusqu'aux larmes.
„Tenez, ma belle enfant, lui “dit-il, voilà dix louis pour des “avances. Faites, ou faites faire “tant de broderies que vous voudrez; je prendrai tout au prix “que vous y mettrez, en attendant “que j'aie pris des informations “sur votre ami. Si elles confirment “l'opinion que j'ai de lui, son sort “est décidé“.
“Bien, m'écriai-je, en sautant “au cou de James“. La jeune personne l'embrassa aussi avec une expression! . . . . . Le jeune homme prit sa main, et la pressa sur son cœur.
Plus de vingt personnes que James
EN rentrant chez moi, je trouvai à ma porte une voiture de place, et la Fleur qui me dit que cette voiture avait amené une belle dame; que j'étais attendu. . . . . . . „Une “belle dame! m'écriai-je“. . . . . . Et voilà tout de suite l'amour-propre. . . . Il faut qu'il soit toujours-là aux aguets; car, au moindre prétexte, il s'empare de nous aussi promptement que l'éclair frappe la vue.
Je n'avais qu'un étage à monter; je le montai très-vîte, et cependant mon amour-propre trouva le tems de passer en revue toutes les femmes que je connaissais à Paris.
A commencer par Mme. R***.
Sa jolie femme-de-chambre ne fut pas oubliée. . . .
Non plus que la petite. . . . .
Ni Madame L. . . .
A moins que ce ne fût. . . .
Je trouvai aussi le tems de frotter ma culotte de soie noire, d'ajuster mes manchettes. . . . Un abbé aurait pris celui de faire une toilette
complette, parce qu'il aurait été plus coquet qu'impatient. Pour moi, qui, au contraire. . . . mon impatience fut justifiée. La
Tu connois, Lisette, ces beaux dessins de la célebre Angélika Kauffmann; la dame que je trouvai chez moi semblait lui avoir servi de modèle.
Elle se leva dès qu'elle m'apperçut; mais elle était si tremblante, qu'elle fut obligée de se rasseoir. . . . Elle balbutia quelques mots que je
n'entendis pas. Enfin, elle sortit de sa poche un papier qu'elle déplia sur ses genoux. Pour me le donner, il aurait fallu me regarder, et ses
yeux craignaient de se porter sur moi. Les mouvemens de son sein annonçaient la plus grande oppression. . . . . . Je jugeai que, pour ne pas
augmenter
Elle me répondit un oui, Monsieur -- si bas! si bas!
„J'ai jugé, lui dis-je, de toute “l'inquiétude que sa perte a dû “causer“. . . .
„Vous avez donc lu“?
“Il y a bien peu de tems, lui “dis-je, que j'ai commis cette “indiscrétion, et mon motif la “rend excusable. Voyant que personne ne venait
réclamer le porte-feuille, j'ai espéré que les papiers “qu'il contenait me donneraient
L'homme avec lequel cette sécurité aurait été la moins fondée, aurait pu dire les mêmes paroles; mais il ne les aurait pas dites avec ce ton de vérité, de bonhomie qu'heureusement l'art n'imite pas. . . . . . Et puis la simplicité de mon costume.... J'ai toujours remarqué qu'un costume simple inspire la confiance...
La dame parut rassurée. Ses longues paupières se levèrent, et me laissèrent voir deux yeux pleins d'expression. Le sourire le plus gracieux accompagna son regard.
„Je suis bienheureuse, dit-elle, “en recevant le porte-feuille, “qu'il soit tombé entre les mains “d'un homme aussi respectable. “Je ne vous
dirai pas mon nom, “Monsieur; mais, après ce que “vous avez lu, ma délicatesse me “force de vous dire que je suis “mariée en secret avec l'auteur
des “lettres, et que des raisons puissantes me forçant de ménager „mon tuteur. . . ces mêmes raisons „tiennent, dans cet instant, mon „mari
éloigné. Sans cela, ce serait
J'évitai le compliment qu'elle me préparait, en lui baisant la main bien respectueusement. Je sais qu'un baiser sur
la main, qui a toujours été une marque de respect, est devenu une caresse cavalière, grace aux petits-maîtres françois, qui ont l'art d'être
impertinens, même avec les expressions de l'humilité . . . . Mais je crois que je n'eus pas ce tort aux yeux de la dame. Après qu'elle eut
laissé, quelques minutes, sa main dans la mienne, elle se leva. . . Cela s'entendait. . . .
Je la conduisis jusqu'à sa voiture. Pour moi, je ne sais pourquoi je ne rentrai pas pour me coucher. Je sais seulement que deux heures après, minuit sonnérent, que j'étais encore me promenant dans la ville.
Quand je suis occupé de sensations qui me plaisent, que me fait l'heure? Que m'importe qu'il fasse jour ou nuit, que je sois dans une chambre ou dans la rue. . . . . J'ai même remarqué qu'alors il vaut mieux n'être pas enfermé. . . . Quand l'esprit est occupé, le corps n'aime pas le repos. Si on ne marche pas, le sang bouillonne, s'échauffe, devient âcre. . . . Voilà d'où vient la différence entre l'humeur des casaniers et celle des promeneurs.
JE me promenai donc, et je rêvais. . . . Un gare, gare donc, m'avertit qu'un cocher voulait passer du côté où
j'étais. La rue était fort large; mais un pauvre piéton déranget-il les idées d'un gros cocher à moustaches, qui fouette deux
beaux chevaux, et conduit un bel équipage dans lequel est une belle femme, ou au moins
une femme qui paraît belle? Car c'était Artémire, qui compte déjà huit lustres,
Dans le moment où je me serrais contre une borne pour laisser passer son équipage, elle songe à épancher dans le sein de quelqu'un une joie
qui la suffoque. . . . „Eh! c'est mon “cher Yorick“. . . . Elle tire le
“Félicitez-moi, mon cher Yorick, votre aimable compatriote, „le lord Kermouth, dont vous „m'avez entendu parler tant de „fois, dont toutes les femmes se „sont disputé la conquête, qui les „a toutes désespérées par sa constance inouie pour une seule. . . . „Eh, bien! mon cher, il est dans „mes chaînes„.
“Vous le savez, à peine était-il „arrivé, à peine avait-il eu le tems „de se montrer dans les cercles...
Voilà ce que me dit Artémire, ou du moins en voilà le sens; car, pour les mots, ils sont tirés d'une espèce de poëme en prose, qu'un de mes amis a fait sur l'événement qui a suivi la prétendue conquête d'Artémire. Il m'a légué son manuscrit, et, puisque j'ai commencé de le copier, allons jusqu'à la fin.
Mais nous n'avons le portrait de Zeinevill que tracé par une rivale; ce n'est pas la connoître. Muse, viens
conduire mes peinceaux, et me prêter des couleurs plus vraies.
Zeinevill commence, il est vrai, à passer vingt-cinq ans. Elle n'a plus cette première fraîcheur que l'on regrette peu, quand on sait que
Quelle différence dans l'âge de Zeinevill! Un goût éclairé décide le choix, et le choix honore celui qui en a été l'objet. Revenue des erreurs
de l'inconstance, on connait tout le prix d'un attachement solide. On sait qu'il ne suffit pas de faire des conquêtes, qu'il faut encore les
conserver; et l'on s'en est assuré les moyens, non-seulement par mille petits riens, que la beauté, plus jeune, croit inutiles et néglige, mais
encore en acquérant des talens pour remplir les longs intervalles qui
Si je pouvois ajouter à tous ces avantages le portrait de Zeinevill, si je pouvais peindre la majesté de sa démarche, le moëlleux de ses
contours, l'élégance de ses attitudes, sa taille souple et svelte, sa peau préciosité, ni la pesanteur de l'érudition, une douceur!...... Mais ne félicitons pas
Zeinevill de cette dernière qualité; c'est elle qui fait tous ses malheurs,
Cet homme, aux regards tors, à la mine taciturne et renfrognée, est un vieillard usé de débauches, qui, par ses richesses, a décidé les parens de Seinevill à lui sacrifier cette infortunée, lorsqu'elle n'avait encore que dix-huit ans. Aussi caduc qu'un octogénaire, et jaloux au-delà de toute expression, il semble n'avoir pris une compagne que pour la faire souffrir; et la douce Seinevill tremble devant lui comme la colombe entre les serres de l'épervier.
Cependant, grace à un prêtexte
Femme cruelle! que t'a fait Zeinevill, pour vouloir lui enlever son amant? Que t'a fait Kermouth pour vouloir l'arracher au seul être
Mais les Dieux sont justes. L'instant fatal où ton règne doit finir, approche. Ce succès, qui te rend si vaine, n'est qu'une erreur dont tu es
le jouet. Kermouth n'est pas ta conquête. Il ne s'est reporté quelques instans dans le tourbillon, que pour dépayser l'Argus dont tu as fait
éveiller la jalousie. Il n'a cédé à tes agaceries, plutôt qu'à d'autres, que parce qu'il attend de ta coquetterie que sa prétendue défaite aura
une publicité qui seconde ses vues; mais son cœur n'a été effleuré, ni par toi, ni par ces autres femmes qui, avec toi, se le
Cependant Zeinevill, qu'une absence imprévue de son tyran laissait libre, avait envoyé sa fidèle Dariolette chez Kermouth. Que devient-elle
quand elle apprend où il a passé la soirée, sur-tout quand elle sait qu'Artémire y était? Elle connaît son amant; elle doit être sûre de sa
fidélité; mais elle sait aussi combien Artémire est dangereuse; elle a la modestie de se croire moins belle, et les alarmes les plus vives
s'emparent de son ame. Déjà Dariolette est à son
“L'as-tu enfin trouvé? Le verrai-je? Que t'a-t-il dit? Qu'a-t-il “écrit? Ciel! que veut dire cet “embarras, ce silence? Ah! je ne “le vois que trop; tout est perdu! “Ma rivale a triomphé, Kermouth “est infidèle.“
En vain Dariolette veut la rassurer. „Il ne vient pas, il n'a pas
“C'en est fait, c'en est fait, “s'écrie-t-elle! Il n'y a plus de “bonheur pour moi. Ah! Kermouth! “Qui l'eût cru? Toi me tromper! “Toi que j'aime d'un amour si “vrai!.....“
Le retour de l'Argus vint interrompre ses plaintes. Il fallut retenir ses larmes, dévorer sa douleur.... Contrainte affreuse, qui double les tourmens des malheureux.
Ils ne connaîtraient pas la bonne Dariolete, ceux qui pourraient croire
Avec quelle impatience Dariolette attend le lever du soleil? Elle sait qu'il rappellera l'Argus à la campagne, d'où son inquiète jalousie
l'avait seule ramene......... A peine est-il parti, qu'elle accourt, les yeux éteincelant de joie, tenant
Zeinevill a bientôt rompu le cachet, et, dès la première phrase, le calme est rentré dans son ame. „Vous voilà tranquille à présent, “lui dit Dariolette, vous voilà “tranquille; mais il me reste à “vous venger, et j'y cours--Que “veux-tu faire? Il m'aime toujours; “qu'ai-je besoin de vengeance? “--Et mort de ma vie, Madame, “vous êtes d'une bonté qui impatienterait. . . . . . Mais cette “fois-ci, je ne vous écouterai pas, “et vous serez vengée malgré vous-“même“.
Elle dit, et elle est déjà loin.
Les lumières de la philosophie, quelques vives qu'elles soient, n'ont pas encore dissipé tous les nuages de
l'erreur. Les déclamations multipliées contre la créance accordée à la magie, n'empêchent pas qu'il n'y ait encore des gens, des femmes sur-tout,
qui en fassent profession. Il est vrai que leurs manières ont changé avec les mœurs. Ce ne sont plus ces Médées dont
On se tromperait, si l'on croyait que le peuple seul les consulte. Il est telle femme de haut parage, qui joue l'esprit fort, et qui a
Elle est dans son cabinet de bains.
Ce n'est pas un de ces cabinets réguliers, dont un des côtés présente dans son milieu, géométriquement pris, une niche contenant une baignoire
d'un ovale élégant, ni de ces bains orientaux, dont les bassins du plus beau marbre sont renfermés sous des dômes d'une richesse étonnante. Il
représente un bocage formé d'arbres artificiels, imitant la nature comme ces fleurs dont l'industrie italienne enrichit les colifichets des
Françaises. Les espaces qui restent entre les tiges, sont remplis de buissons de roses, au-dessus desquels se balancent des
Tel est l'endroit où, grace aux balsames, aux laitages, aux différentes pâtes onctueuses dont elle augmente les effets de l'eau, Artémire dispute au-tems la durée de ses charmes. Elle n'en sortit que pour s'occuper de sa toilette.
Depuis long-tems elle avait le projet de se coëffer en Erigone; elle crut ne pouvoir l'exécuter dans une occasion plus intéressante. Bien-tôt ses cheveux, mariés avec ceux qu'elle a repris sur sa toilette, tombent sur ses épaules en tresses et en boucles qui paraissent sans ordre. Elle y entrelasse des pampres arrangés comme une couronne déliée, dont le contour incertain suit le désordre de la chevelure, et chacun de ses pendans d'oreilles représente une grappe de raisins.
Déjà la céruse lui a rendu son teint de la veille; le carmin est revenu colorer ses joues et animer ses yeux; le liège brûlé a fait de ses
sourcils deux arcs d'ebène; enfin,
Son abondance, qui en avait augmenté la beauté tant que sa fermeté avait résisté à son poids, n'avait fait, depuis, qu'accélérer et marquer
davantage les ravages du tems et ceux du plaisir. Sa blancheur a disparu, ses contours se sont déformés, et son plus bel ornement a eu le sort de
ces boutons de rose, que leur tige desséchée laisse pencher vers la terre, à laquelle ils montrent une couleur
Hélas! dit Artémire. . . . Et la parole expira sur ses lèvres; et ses yeux se détournèrent de la glace devant laquelle elle était, pour ne
plus s'y reporter que quand son adroite soubrette lui eut attaché sa ceinture. Alors tout fut réparé. L'apparence des formes fut telle,
qu'Artémire eut peu lieu d'en regretter la réalité. Le même pinceau qui a rendu la blancheur à son visage, la prolonge sur son sein; et les
boutons de rose renaissent, avec tout leur éclat, à l'aide d'un vinaigre qui, n'ayant ni la légèreté, ni la même nuance
Une robe couleur de vin paillé, et une ceinture tigrée, à la manière des Bacchantes, ont achevé sa toilette. Il ne lui reste plus qu'à en juger l'effet dans le boudoir où sa vanité lui promet l'accomplissement de son triomphe.
C'est un cabinet octogone infiniment petit, dont le plafond est
L'un représente Salmacis, essayant inutilement de vaincre, par les agaceries les plus irritantes, la désespérante froideur d'Hermaphrodite, que les Dieux punissent en l'unissant à jamais à celle dont il a rebuté les caresses.
L'autre représente Hercule, qui se plaît à voir Omphale badiner avec ses terribles armes.
Sur un autre, l'artiste a peint Echo pleurant la sottise de Narcisse.
Jupiter, enlevant Ganimède, est le sujet du quatrième tableau; et l'on voit sur un coin de la toile, l'Amour furieux briser le trait dont ce dieu a été blessé.
Sur le cinquième, une nymphe se défend contre un Satyre, et le peintre a fait contraster, avec un art infini, les charmes délicats de l'une et les formes effrayantes de l'autre.
Le sujet qui lui répond est une jeune Grecque, offrant une rose au Dieu des jardins.
Enfin, le tableau en face de la fenêtre, qui occupe le huitième
Chacun des angles formés par les huit pans, est garni de vases de porcelaines, contenant dans leur capacité, les odeurs les plus suaves, et portant de grosses touffes de fleurs d'Italie, dans lesquelles sont des bobèches que, le soir, on garnit de bougies. Un canapé circulaire est le seul meuble que contienne ce charmant cabinet: la sangle élastique en forme le fond, qui n'est qu'à quelques pouces de terre; un matelas assez dur le couvre; et nombre de coussins qui ne le sont pas moins, le garnissent.
On ne voit là, ni brocards, ni
Quant à la couleur, c'est la coquetterie qui la choisit. Celle de la jonquille convient à la blonde qui veut intéresser par la langueur
Mais cette derniere précaution n'est qu'un surcroît de prudence. Elle en prend tant d'autres qu'elle
L'assemblée était déjà nombreuse chez le comte de G. . . . . quand Artémire y arriva. Elle entre, et l'on admire; mais de cette admiration
jalouse, qui fait que l'on met tous ses soins à trouver de quoi blâmer. Son premier soin est de chercher Kermouth, et son amour-propre est
humilié de ce qu'il ne l'a pas prévenue. La porte souvre; elle croit que c'est lui; elle se trompe. C'était Zeinevill, au-devant de laquelle tous
les cœurs volèrent avec cet empressement vrai
Quel est l'étonnement d'Artémire, en la voyant? Est-ce pour lui disputer le jeune lord qu'elle est venue? Non, sans doute. Elle ne se présenterait pas dans la lice avec des armes aussi inégales. En effet, une simple robe blanche, attachée avec une ceinture grisdelin, un mouchoir d'une gaze épaisse placé à la Gertrude, un grand bonnet, sous lequel elle a elle-même relevé ses beaux cheveux, parce que Dariolette a passé, à son insu, toute la matinée chez la sorcière; voilà tout ce que Zeinevill opposait à la toilette savante de sa rivale.
Enfin, Kermouth arrive. Son premier regard se porte sur Zeinevill; et combien il fut expressif! Pour Artémire, il lui fait une de ces révérences si respectueuses, qu'elles en sont impertinentes. Elle veut lui faire des reproches de ce qu'il s'est fait attendre. „Personne, “lui répond-il, ne sait mieux “que moi ce que j'ai perdu“. Cette réponse équivoque est accompagnée d'une révérence pareille à la première; et il court auprès de Zeinevill, qu'un mot achève de rassurer.
Artémire, étourdie d'une pareille conduite, commence à ne plus croire son triomphe si certain. Ses craintes augmentent, quand elle
La fureur d'Artémire allait toujours croissant, lorsque Dariolette arriva en costume de bouquetière. La fête du Comte de G. ..., qui se trouvait le lendemain, autorisait cette gentillesse, qui, de sa part, n'étonne point, parce que l'on connaît sa gaieté. On sait aussi que l'humeur joviale du Comte se prête volontiers à de pareils badinages. Zeinevill seule est surprise, et commence à juger, par le mystère que Dariolette lui a fait de cette démarche, qu'elle a pour objet quelque méchanceté. Elle ne sa trompe pas.
Dariolette, après avoir offert l'un de ses bouquets au Comte, distribue les autres aux femmes de la société. Le tour d'Artémire arrive. . . .
On a vu que la sorcière a promis une vengeance sûre; elle a tenu parole; et ce bouquet la contient. Elle a caché parmi les fleurs une de ces
bulles de verre souflé que le moindre choc brise et réduit en poussière, dans laquelle elle a inséré une essence qui a la propriété d'altérer les
fards, et pour laquelle elle sait qu'Artémire à une antipathie si décidée, qu'un long évanouissement en est l'effet infaillible. Dariolette a
soin, en présentant le bouquet, de briser le globule. A l'instant, Artémire
La journée n'était pas finie que le malin vaudeville. . . .
Soit paresse, soit étourderie, l'auteur du poëme est resté au milieu de cette phrase: il faut croire que c'était à-peu-près la dernière.