La Nuit anglaise Louis François Marie Bellin de La Liborlière(1774-1847) data capture Niedersächsische Staars- und Universitätsbibliothek Göttingen encoding 47089 2 Mining and Modeling Text Github 2021 La nuit anglaise ou aventures jadis un peu extraordinaires, mais aujourd’hui toutes simples et très communes de M. Dabaud, marchand de la rue Saint-Honoré, à Paris Louis François Marie Bellin de La Liborlière Hambourg Brunswick P. F. Fauche et Compagnie Paris Pougens, rue St. Thomas du Louvre No. 246. Londres J. de Boffes libraire, GerardStreet N.7, Soho Dulau et Comp. Wardour-Street. Soho Square Leipzig Rabenhorst, lib. Berlin Mettra, lib. Francfort sur le Mein bureau du Journal françois. Manheim Fontaine, lib.. Basle Decker, lib. Breslau G. T. Korn jun. lib. 1799 1799

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LA NUIT ANGLAISE, OU LES AVENTURES DE M. DABAUD.

Se trouve A Hambourg et Brunswick chez P. F. Fauche et Compagnie. A Paris, chez Pougens, rue St. Thomas du Louvre No. 246.

A Londres, chez J. de Boffes libraire, GerardStreet N.7, Soho, et chez Dulau et Comp. Wardour-Street. Soho Square.

A Leipzig. chez Rabenhorst, lib.

A Berlin, chez Mettra, lib.

A Francfort sur le Mein, au bureau du Journal françois.

A Manheim, chez Fontaine, lib.

A Basle, chez Decker, lib.

A Breslau, chez G. T. Korn jun. lib.

LA

NUIT ANGLAISE, OU LES AVENTURES, jadis un peu extraordinaires, mais aujourd'hui toutes simples et très-communes DE M. D'ABAUD, MARCHAND DE LA RUE SAINT-HONORÉ, A PARIS; ROMAN COMME IL Y EN A TROP, traduit de l'arabe en iroquois, de l'iroquois en samoyède, du samoyède en hottentot, du hottentot en lapon, et du lapon en français.

Par le R. P. SPECTRORUINI, MOINE ITALIEN.

Voilà pourtant, voilà comme de rien Un Romancier fait quelque chose!...

Vaudeville des Petits Savoyards.

Aimez-vous les esprits, on en a mis par-tout...

Boileau, Satires.

Les esprits dont on nous fait peur, Sont les meilleures gens du monde...

Zémire et Azor.

TOME PREMIER.

SE TROUVE Dans les ruines de Paluzzi, de Tivoli; dans les caveaux de Ste. Claire; dans les abbayes de Grasville, de Saint-Clair; dans les châteaux d'Udolphe, de Mortymore, de Montnoir, de Lindenberg, en un mot dans tous les endroits où il y a des revenans, des moines, des ruines, des bandits, des souterrains et une tour de l'Ouest.

LE SPECTRE FLAMBOYANT, Ou LES MYSTÈRES DE LA CAVERNE TÉNÉBREUSE.

Tome XIX. Chapitre XVII.

"UN vent frais agitoit les feuilles frémissantes des arbres voisins et leur causoit un bruissement mélancolique; la lune répandoit foiblement les rayons pâles et radoucis de son disque argenté; une cascade éloignée faisoit entendre son murmure plaintif et monotone; d'un côté de l'horizon on croyoit encore voir les détonations graduées de cette nuance de pourpre que laisse sur la voûte du ciel la clarté expirante du soleil couchant, tandis que de l'autre on apercevoit déjà la teinte dorée de l'aurore brillante qui venoit dessiner sur l'azur du firmament les sommets grisâtres et dentelés des Appennins: L'infortunée Angélica. pleine du sentiment de ses malheurs, contemploit d'un oeil indifférent les richesses d'une belle nature étalées devant elle. Négligemment assise sur l'affit délabré d'un des canons rouillés de la terrasse du Nord, elle tenoit encore à la main son luth sur lequel ses doigts savans venoient de déployer la magnifique harmonie de l'hymne de Minuit."

"Tout-à-coup le sommeil Magique où l'univers semble enseveli, est troublé par la vibration sonore des timbres argentins de l'horloge du pavillon de l'Orient: le son retentit longuement dans le vague des airs, et se perd insensiblement parmi les échos fidelles avec un battement cadencé: une orfraie placée dans les débris de la charpente de la chapelle fait entendre un cri déchirant et lugubre; quelques corbeaux retirés sur les sapins de la forét répondent par un croassement sinistre. Angélica frémit et ses regards craintifs se portent sur les fenétres gothiques du salon d'Erable. A travers les vitraux coloriés. elle aperçoit une grande figure couverte d'un linceul sanglant; l'épouvantable fantôme tient encore à la main un poignard rouillé et une lampe à demi éteinte, ses pas lents et mesurés se répètent dans les cavités des voûtes. Effrayée par cette apparition terrible. Angélica sent ses esprits se glacer, et ne trouvant plus la force de fuir, elle s'enveloppe la tête des plis ondoyans de la draperie légère qui ombrage les contours délicieux de sa taille moelleuse: mais c'est en vain qu'elle croit fuir la terreur, la terreur la poursuit par-tout. Elle distingue un soupir étouffé qui est bientôt suivi d'un gémissement prolongé, et le frôlement des feuillages qui l'entourent ne tarde pas à lui annoncer qu'un être souffrant languit dans les détours sinueux et souterrains d'un cachot dont la trappe de fer chargée d'énormes verroux et de cadenats terribles se trouve à l'entrée de la colonnade ruinée qui conduit à la bibliothèque. Les herbes sauvages et les ronces dont elle est environnée la laissent à peine apercevoir. Hélas, s'écrie tristement la malheureuse Angélica, les sombres accens de cette douleur concentrée, sortent sans doute du sein oppressé de quelque déplorable victime de la barbarie des monstres qui me persécutent. Le farouche comte Poignardoni et son digne complice, le père Coquinello, chapelain du château ....."

Lecteur, j'en étois là lorsque l'arrivée subite des fossoyeurs m'interrompit, bien mal à propos sans doute, vous en conviendrez ... Mais, que dis-je? oublié-je que vous ne savez ni qui je suis, ni où j'étois, ni ce que je faisois. Je vais tâcher en trois mots de vous instruire de ces trois choses.

Possédé de l'esprit fantasmagorique qui deviendroit une dixième muse, si on le laissoit faire, j'avois entrepris de composer un roman dans le nouveau genre, et, ainsi que vous avez dû le voir, j'étois déjà arrivé au 17e. chapitre du tome 19e. qui, soit dit en passant, n'auroit pas été le moins intéressant de toute l'histoire. Comme je suis persuadé que, pour bien peindre la nature, il faut, selon l'avis des gens doctes qui m'ont précédé, la prendre sur le fait, j'avois voulu choisir un cabinet de travail analogue au sujet que j'avois à traiter. Hier au soir, sentant les approches de l'accès du sombre délire, je m'armai d'une écritoire, d'un cahier de papier et j'allai m'établir dans le cimetière d'une église, dont la tour gothique et les arcades noircies par le temps m'avoient déjà servi bien des fois de modèle. Arrivé au milieu du théâtre de mes lugubres conceptions, je cherchai la tombe la plus couverte de mousse, je tirai mon écritoire, mon papier, et, ayant alors pour siége une urne et la mort pour témoin, je creusois activement mon esprit et tâchois de trouver le moyen le plus adroit de tirer les morts du tombeau pour effrayer les vivans.

Mon imagination s'enveloppoit déjà de voiles funèbres, mon sang se noircissoit dans mes veines. la terreur alloit couler à grands flots de ma plume, lorsque deux voix rauques me dirent d'un ton grossier: Otez-vous de là ... J'étois tellement plein de mes idées, qu'au premier moment, je crus être moi-même la pauvre Angélica que j'avois à faire parler et que je pris les deux étranges figures qui se présentoient à moi pour le comte Poignardoni et le père Coquinello. L'étonnement fit sur moi l'effet qu'il avoit souvent produit sur mon héroine; je restois la bouche béante et les yeux fixes; je serois peut-être encore dans la même attitude, si un second, ôtez-vous de là, auquel on joignit l'impérieuse conséquence donc, et qui fut prononcé avec un degré de brusquerie de plus, n'eût rappelé mes esprits engourdis. Quittant mes yeux de roman pour y voir comme tout le monde. j'aperçus devant moi deux fossoyeurs portant sur leur épaule tous les instrumens de leur profession. Un autre n'eût vu en eux que de vils manoeuvres, mais je les saluai avec cette considération que me parurent mériter deux artistes dont le talent étoit si utile au mien, et leur demandai le motif de l'invitation laconique qu'ils venoient de me répéter. Ils me répondirent que le jour même on devoit enterrer quelqu'un sous la tombe que j'occupois, et qu'ils vouloient préparer la fosse. Je me levai à la hâte et me crus assez dédommagé du contre-temps qui m'avoit interrompu, par le parti que je me flattai de tirer de ce que j'allois voir.

A peine le tombeau fut-il ouvert que la première chose qui frappa mes yeux fut un rouleau de papier qui paroissoit fort peu endommagé; je m'en saisis avec empressement, espérant bien que le contenu de ce manuscrit alloit me fournir deux tomes au moins pour mon roman, ce qui l'auroit porté justement à 24 volumes. Qu'on se figure, s'il est possible, quelle fut ma surprise, lorsqu'en ouvrant le précieux rouleau je trouvai la traduction que je livre maintenant au public. C'étoit déjà du merveilleux, comment donc appeler ce qui va suivre? A la tête de cette traduction, on avoit attaché une lettre, et cette lettre étoit adressée à l'auteur de Célestine, ou les Epoux sans l'être. Une autre personne auroit pu commettre une indiscrétion en décachetant le mystérieux écrit; quant à moi, par une raison que vous devinerez peut-être, je ne me fis aucun reproche de briser la cire noire qui génoit ma curiosité. Voici ce que je lus:

"En travaillant à cette traduction, je me proposois de l'envoyer à Mistriss Radcliffe; je viens d'apprendre qu'elle étoit morte, et je vous adresse mon ouvrage, comme étant le dernier défricheur de ruines et de souterrains qui me soit tombé sous la main. Vous le ferez imprimer sur-le-champ, ou bien je meurs et je vous apparois chaque nuit, couvert de tout l'attirail dont vous avez habillé vos revenans. Pour vous prouver que je ne suis peut-être pas autant à mépriser que vous pourriez l'imaginer, je me contente de vous dire que vous recevrez mon manuscrit à 4 heures précises de l'après-midi."

Spectroruini, moine italien.

Le croirez-vous, lecteur? au moment où je finissois la dernière syllabe de cette épitre singulière, la maudite horloge commença à sonner le premier coup de l'heure fatale. J'avoue, sans me piquer de force d'esprit, que, quoique familiarisé avec de semblables merveilles, je ne pus m'empécher de pâlir .... Au reste, dis-je avec la réflexion, ce bon moine ne m'impose pas une tâche trop pénible, nous sommes dans un siècle où rien n'est plus aisé que de faire imprimer un roman, et de plus un roman traduit de cinq ou six langues, ce qui vaut encore bien mieux qu'un roman traduit de l'anglais. Que d'obligations le public va m'avoir! ... Hélas, insensé! j'étois bien loin de connoître le poison que je portois dans mon sein; j'étois bien loin de savoir que mes modèles chéris, que les Mystères d'Udolphe, que le Moine, que Célestine même, cet enfant bien-aimé... Ah lecteur! n'exigez pas que la plume paternelle achève!.....

Lisez, lisez le fruit des loisirs du perfide moine, et plaignez-moi du triste sort auquel il me réduit .... Ah si ses menaces n'étoient pas si terribles!... mais je crois déjà le voir me poursuivre avec les chaînes, les torches et les poignards que moi-même ai préparés.... je crois déjà .... Arrête, arrête, fantôme redoutable, tu seras satisfait.

Avis de l'éditeur.

Comme la plupart des romans qui sont cités dans cet ouvrage ont eu plusieurs éditions, pour contenter l'exactitude des personnes qui voudioient se donner la peine de vérifier les citations, nous allons indiquer ici sur quelle édition de chaque roman les notes ont été faites:

L'Abbaye de Grasville, traduction de l'anglais, par B. Ducos; à Paris chez Maradan. An VI. 1798. 3 Vol. grand in-12.

Célestine, ou les Epoux sans l'être, pan. B. de la L.... édition originale, Hambourg et Brunswick chez P. F. Fauche et compagnie 1798. 4 Vol. in. 12.

Eléonore de Rosalba, ou le Confessionnal des Pénitens noirs, traduit de l'anglais d'Anne Radcliffe, par Mary Gay, nouvelle édition, à Lausanne, chez Hignou et compagnie. 1797. 4 Vol. in-12.

La Forêt, ou l'Abbaye de Saint-Clair, par Anne Radcliffe; traduit de l'anglais sur la seconde édition. A Paris, chez Denné et Poisson. 1796. 4 Vol. in-18.

Hubert de Sévrac, ou histoire d'un émigré, roman du dix-huitième siècle; par Marie Robinson, traduit de l'anglais, par M. Cantwell, à Paris, chez Gide, an 5. 1797. 3 Vol. in-12.

Julia ou les Souterrains de Mazzini, par Anne Radcliffe, traduit de l'anglais sur la seconde édition. A Paris, chez Maradan, an VI. 1798. 2 Vol. in-18.

Le Moine, traduit du l'anglais, à Paris chez Maradan, an V. 1797. 4 Vol, in-18.

Les Mystères d'Udolphe, par Anne Radcliffe; traduit de l'anglais sur la troisième édition; à Paris chez Maradan, an V. 1797. 4 Vol. grand in-12,

Le Tombeau, ouvrage posthume d'Anne Radcliffe; traduit sur le manuscrit par Hector Chaussier et Bizet. A Paris chez Barba et André. An VII. 2 Vol. grand in-12.

LA NUIT ANGLAISE, OU AVENTURES DE M. DABAUD. CHAPITRE PREMIER.

AVANT que le génie de la Révolution eût enveloppé sous ses ailes gigantesques toutes les richesses de la France pour les distribuer ensuite en aveugle, M. Dabaud étoit un petit marchand de la rue Saint-Honoré à Paris. Depuis que la capricieuse déesse qui balotte les destinées des hommes dans sa balance incertaine avoit tout confondu, tout jeté dans un chaos duquel les plus adroits ou les plus heureux se retirèrent avec le plus d'avantage, M. Dabaud se trouvoit élevé à la classe nombreuse des nouveaux propriétaires de la République. M. Dabaud n'avoit cependant été ni un terroriste, ni un coupe-tête, ni un buveur de sang, mais M. Dabaud s'étoit vu engagé dans des fournitures pour le Gouvernement. Tandis que les chefs de l'association dont il étoit membre très-obscur jouoient leur tête contre des millions, en se mettant en évidence, M. Dabaud trouvoit beaucoup plus sûr de se laisser paisiblement ramasser cent mille livres de rente en prêtant son nom. Assis auprès de sa caisse dans laquelle se versoient périodiquement les profits, il lisoit froidement cette fable où le bon la Fontaine peint un singe qui regarde sans danger brûler les pattes du chat, tandis que lui-même mange les marrons. On voit que M. Dabaud savoit assez bien choisir ses lectures pour un temps de révolution; mais on n'en sera pas étonné, quand on apprendra combien il avoit de goût pour la littérature.

M. Dabaud avoit trouvé dans quelques livres, que la circulation du numéraire faisoit la force d'un Etat comme la circulation du sang faisoit la force du corps. Il voyoit cette circulation parfaitement établie en France; elle étoit à son avantage, et dès-lors il se croyoit le droit de dire avec Pangloss et mille autres des philosophes qui l'entouroient: Tout est bien, tout est au mieux. N'étendant pas ses regards au delà du petit cercle de ses affaires, persuadé que chacun étoit content parce que lui-même ne se plaignoit pas, il désiroit du meilleur de son coeur que tout le monde fût heureux, pourvu que la masse du bonheur des autres ne renversât pas l'édifice chéri de sa félicité particulière. Sans être méchant par essence, il étoit égoiste; son coeur n'étoit pas foncièrement mauvais, mais sa divinité étoit ce Moi dont notre siècle a élevé le culte sur les débris de tous les autres autels.

Beaucoup d'or, peu de jugement, une forte dose de vanité; quel triple bandeau sur les yeux d'un homme! quel assemblage heureux pour les sangsues qui ne vivent que du sang des dupes! Aussi M. Dabaud ne tardatil pas à être assiégé par ces parasites que la table d'un parvenu attire comme l'aimant attire le fer. Ainsi que tant d'autres, à force d'être riche il cessa d'être maître chez lui, et son revenu servit à payer les plaisirs de ceux qui lui faisoient accroire qu'il s'amusoit. On lui dit qu'il ne pouvoit pas aller à pied: il eut une voiture. On lui persuada que la chasse lui seroit salutaire: il eut des chiens et des chevaux. On lui représenta qu'il étoit décent de passer au moins Messidor et Vendémiaire à la campagne: il acheta la terre d'un guillotiné, comme il en auroit acheté une autre, parce que c'étoit celle qui lui convenoit le mieux. On lui répéta mille fois qu'il avoit de l'esprit: il le crut encore plus facilement que tout le reste; étoit-ce sa faute ou celle des flagorneurs qui lui payoient en flatteries l'intérêt de son dîner?

Sa qualité d'homme d'esprit l'obligeoit par état à avoir une bibliothèque: mais, plus sensé que la plupart des bibliomanes ordinaires, il vouloit au moins que ses livres fussent à sa portée; et, comme les sciences abstraites n'avoient jamais beaucoup occupé ses loisirs, il se bornoit à lire des romans dont un membre de l'Institut, qui dinoit chez lui trois fois par décade, avoit formé la collection.

L'homme s'ennuie de tout, même du bonheur, même du plaisir qu'il prend souvent l'un pour l'autre; par une suite de cette instabilité attachée à notre débile nature, M. Dabaud se fatigua des ouvrages qui d'abord avoient fait ses délices, si bien que le membre de l'Institut le trouva un jour endormi en lisant Clarisse. Il ne put s'empêcher de lui en témoigner sa surprise. Ma foi, citoyen, lui répondit M. Dabaud en bâillant encore, je vous avoue que j'aimerois presque autant parcourir l'almanach de la République que tous vos romans de l'ère vulgaire; je n'y trouve que ce qui se passe autour de moi, que ce que je pourrois voir dans la maison des citoyens mes voisins, si quelque diable vouloit, comme Asmodée, m'en découvrir les toits. Tout le monde parle comme tout le monde; il n'y a des amans que pour se marier, des rivaux que pour contrarier, des pères que pour gronder, pardonner et payer la dot; de manière qu'on sait d'avance, à quelques accessoires près, ce qui doit arriver, et qu'on pourroit écrire un roman en dix volumes avec cette seule phrase que j'ai lue, je crois, dans une vieille histoire qui s'appelle Daphnis et Chloé: Tout se passa à l'ordinaire. Vous m'avouerez, citoyen, que, dans un temps où rien ne se passe à l'ordinaire, c'est au moins être modéré que de faire des aventures à l'ancienne manière. Cette Clarisse, par exemple, qu'on vantoit beaucoup, ditesmoi, je vous prie, ce qu'elle renferme de si surprenant. D'abord, je suis trop bon républicain pour l'aimer, parce qu'elle est remplie de grandes pensées anglaises, et que tout ce qui sort d'Angleterre est contrebande dans la République; mais, cela même oublié, qu'est-ce qu'il y a dans cette histoire? une jolie personne qu'on enlève! Eh! bien, en cherchant avec soin au PalaisEgalité on trouveroit, j'en suis sûr, quelque petite citoyenne aussi intéressante que la ci-devant Miss Harlowe, et qui feroit beaucoup moins de simagrées. Quant au citoyen Lovelace, j'ose vous assurer que le premier venu de nos muscadins, que mon fils même, quoiqu'il ne soit coiffé ni à la Titus ni à la Caracalla, seroit capable de faire autant de prouesses que lui.

Je parierois, ajouta M. Dabaud en se penchant à l'oreille du membre de l'Institut, que la réputation de ce roman étoit encore un des abus de l'ancien régime, et que c'étoit quelque maîtresse de ministre qui la lui avoit fait obtenir. Est-ce que la littérature n'aura donc pas aussi son trente et un Mai? Vous devriez, citoyen, essayer de faire une révolution dans la manière d'écrire, il n'y a point de tribunal criminel, ni de guillotine dans l'empire des Muses, et je suis de la conspiration.

La conversation en étoit là lorsque M. Dabaud vit entrer son fils, qui, comme on le voit, ne pouvoit arriver plus mal à propos. Le membre de l'Institut alloit peut-être se laisser gagner, et les Anglais n'auroient pas enlevé aux Français la gloire de découvrir les souterrains du Parnasse.

Le jeune Roger s'occupoit fort peu de littérature; il ne lisoit pas de romans, mais la nature en avoit mis le germe dans son coeur, mais il en faisoit un fort intéressant pour lui avec une jeune personne charmante; et ce roman-là étoit à la vieille mode, les deux amans s'aimoient avec toute la franchise et l'innocence dont M. Dabaud trouvoit les détails si usés. Ursule étoit aussi bonne, aussi aimable que belle; mais la roue de la révolution, au moins aussi rapide que celle de la fortune, l'avoit précipitée de la plus grande aisance dans la plus excessive détresse. C'étoit là une des ressemblances avec les anciens romans qui déplaisoit le plus à M. Dabaud, dans celui de son fils. Roger disoit souvent à son amante: Tu n'as pas de bien, mais tu as des vertus, et si nous étions unis, ce seroit bien inutilement pour nous qu'on auroit inventé la loi du divorce.

M. Dabaud étoit en train de s'entretenir de romans quand son fils entra; il ne crut pas changer de conversation en lui parlant de ses amours. Citoyen mon fils, lui dit-il d'un ton grave, vous voilà dans l'âge de donner des Républicains à la République, et il est temps que vous songiez à jouir de tous les droits de l'homme. -- Vous savez bien, mon père, que je ne demande pas mieux, s'est donné. -- Mon ami, c'est encore et que depuis long-temps mon coeur une de ces phrases que j'ai lue si souvent que je ne peux plus la supporter; enfin, voyons, qui est-ce qui a reçu ce beau présent? -- Mon père, une jeune personne charmante qui joint à de grands yeux bleus le plus aimable sourire et la ... -- Eh! mon ami, mon ami! voulez -vous me vieillir de vingt ans? Le portrait de votre héroïne!... Comment s'appelle-t -elle? -- Ursule. -- Ursule! passe encore; le nom n'est pas trop commun. De qui est-elle fille? -- Mon père, elle descend d'une de ces familles qui dans les temps les plus reculés de la ci-devant monarchie .... -- Citoyen mon fils, grâce, grâce de sa généalogie! On diroit vraiment que vous savez par coeur les romans qui sont dans ma bibliothèque. De tous ses aïeux, je ne veux connoître que le dernier; c'est quelquefois le plus difficile à nommer, mais enfin voyons. -- Ursule est la fille du président de Germeuil. -- Mille républiques! la fille d'un ci-devant noble, d'un ci-devant parlementaire! vous êtes fou, citoyen Dabaud fils. -- Non, mon père, je ne suis qu'amoureux. -- La fille d'un homme qui a été guillotiné! -- Son crime, s'il fut coupable, ne rejaillit pas sur ses enfans qui sont vertueux. -- Une fille qui n'a rien! -- J'ai du bien pour nous deux. -- Encore! nous voilà retombés dans les vieilles aventures. Faire la fortune de sa maîtresse! non, non, mon ami, c'est passé de mode; chacun ne songe plus qu'à s'enrichir luimême. Choisissez une autre Dulcinée, et revenez à un nouveau premier volume. -- Mon père, je suis fixé pour la vie, rien ne pourra déranger ma constance. Je braverois la mort même pour être à Ursule. -- Mais, mon ami, mon ami!.... Où prenez-vous donc toutes ces phrases? est-ce que vous me voleriez des livres? ... Enfin, puisqu'il faut vous le dire, savez-vous bien que la terre que j'ai achetée se trouve positivement être celle que possédoit le père de votre héroïne! -- Tant mieux; mon mariage avec elle fera rentrer son bien dans sa famille. -- Toujours son maudit roman! le bourreau le poursuivroit jusqu'au dixième tome ..... Citoyen mon fils, je n'ai plus que deux mots à vous dire; si vous ne renoncez à cette petite fille, je ne la fais pas mettre dans un couvent, parce que c'est une ressource que n'ont plus les pères dans un roman; mais je demande qu'elle soit déportée, et je vous envoie aux frontières. En attendant, préparez-vous à me suivre à ma terre où je vais passer quelques décades.

CHAPITRE II.

Le jeune Roger, la mort dans le coeur, alla rendre compte à Ursule de l'entrevue qu'il venoit d'avoir avec son père: ils pleurèrent ensemble; on trouve tant de plaisir à répandre des larmes lorsqu'on a dix-huit ans, et qu'une main chérie vient les essuyer! Ils se jurèrent de s'aimer éternellement; on est si tendre quand on est malheureux! Ils se flattèrent de vaincre enfin la rigueur de M. Dabaud; il est si doux d'espérer, lorsque c'est le bonheur suprême qu'on attend!

Précisément pendant que les deux amans se proposoient de tout employer pour attendrir M. Dabaud, il se promettoit à lui-même de tout employer pour rompre une inclination contre laquelle il étoit cependant bien loin de vouloir prendre les mesures violentes dont il avoit menacé son fils. Roger lui étoit cher, il lui en coûtoit de l'affliger; mais il lui en coûtoit beaucoup aussi de nommer sa bru une jeune personne qui n'avoit rien, et contre la famille de laquelle il conservoit d'ailleurs un ressentiment particulier, dont le lecteur sera instruit quand l'histoire en aura besoin et quand il en sera temps; en attendant nous suivrons M. Dabaud à sa campagne où Roger ne l'accompagna qu'à regret, après avoir, comme on s'en doute de reste, promis à Ursule de lui écrire aussi souvent que possible. On ne dit pas si Ursule promit de répondre; c'est à la première jeune fille amoureuse qui lira ce chapitre à lever un doute si important.

Déjà depuis plusieurs jours M. Dabaud s'ennuyoit en se disant qu'il devoit s'amuser. Ses flatteurs affamés l'avoient bien suivi; mais les uns ne pouvoient pas dîner sans cesse, et l'autre écouter toujours des flagorneries; on n'avoit plus la nouvelle du jour à commenter, la brochure de la veille à juger; l'ennui déployoit ses ailes de pavots, et chaque phrase commençoit par un bâillement qu'on déguisoit sous une exclamation.

Un beau matin arrive un jeune homme à l'instant du déjeûner; il fait toute la sensation que produit un nouveau venu dans un cercle de désoeuvrés; on l'entoure, on le questionne, on l'examine, mais, grâce à l'exactitude minutieuse avec laquelle il suit la mode, on ne l'a pas reconnu au bout de cinq minutes, on n'a pas même vu sa figure. Il rabaisse enfin sa cravate, relève sa perruque, et M. Dabaud reconnoit Dubert l'intime ami de son fils, Dubert avec lequel il parle littérature, Dubert qui lui procure soigneusement toutes les nouveautés que vomissent chaque jour les arcades du Palais-Egalité. -- Que tu viens à propos, lui dit-il, et sur-tout si tu m'apportes des livres! -- Je le crois que je vous en apporte, répond le jeune homme avec un sourire vainqueur, et nous verrons comment vous les trouverez. -- Où sont-ils, que je les ouvre, que je les lise et que je m'endorme; car j'imagine que ce sont encore de ces fadeurs ordinaires. -- Vous endormir! ... Ce ne sera toujours pas la première nuit qui suivra votre lecture ... -- Que dis-tu, je te prie!...

Dubert fronce le sourcil d'un air imposant; M. Dabaud le regarde avec la bouche béante de surprise. On apporte une cassette rose; Dubert tire une clef de sa poche, ouvre la cassette avec un appareil qui commande le silence; vingt ou trente volumes frappent les yeux, dix mains s'élancent pour les saisir; Dubert fait un geste, et tout le monde se retire. Un petit homme frais et vermeil qui s'étoit fait médecin depuis qu'il n'y avoit plus d'abbés dans les sociétés, mais qui n'avoit cependant pas oublié que jadis il étoit chargé de chanter les couplets furtifs de boudoir et de toilette, s'avance avec grâce et demande d'un ton mielleux à lire les titres. Tout fier d'être accepté, il tousse, se mouche, crache, prend haleine deux ou trois fois, et chacun, le menton allongé sur l'épaule de son voisin, attend ce qui va sortir de la bouche de l'oracle.

Le docteur lit: Hubert de Sévrac; Julia, ou les Souterrains de Mazzini; Célestine, ou les Epoux sans l'être; le Tombeau; l'Abbaye de Grasville: les Mystères d'Udolphe; la Forêt, ou l'Abbaye de Saint-Clair; le Confessionnal des Pénitens noirs .... --Tu te moques de nous, s'écrie M. Dabaud presque en colère, en interrompant le lecteur dont la voix flûtée n'étoit accoutumée qu'à dominer mollement au-dessus des bravos radoucis et des applaudissemens ménagés; que veux-tu que nous fassions de tes Mystères, de tes Abbayes, de tes Confessionnaux, et de tes Pénitens? tout cela est oublié à jamais, on ne lit plus de livres de dévotion. -- Des livres de dévotion, reprend Dubert: ce sont les romans qui portent aujourd'hui ces noms-là. -- Des romans! s'écrie M. Dabaud. -- Des romans! répète chacun des auditeurs, et le cercle se retrécit encore. Le médecin reprend d'une voix que la curiosité semble rendre plus claire. Il lit: Le Moine: mais, à peine a-t-il prononcé ces mots, qu'il pâlit; le livre lui tombe des mains, il fait un pas en arrière, et le cercle devint en un clin-d'oeil aussi étendu qu'il étoit resserré d'abord. Chacun, les yeux fixés sur le lecteur, cherche à deviner dans ses traits la cause de son propre effroi. Dubert seul rit, Dubert seul est au fait. Monsieur le docteur a jeté ses regards sur le frontispice, qui représente le diable en personne emportant par le crâne le prieur des Dominicains de Madrid au-dessus de la Sièrra Morèna. Vivement surpris de trouver un pareil tableau à la tête du livre que Dubert annonce comme la lecture favorite des plus jolies femmes, l'Adonis médecin n'a pas été maître d'un mouvement de frayeur.

M. Dabaud est le premier qui, d'un pas intrépide, ose se rapprocher de la cassette. Il saisit l'un après l'autre chaque volume, examine chaque gravure, voit des spectres, des magiciennes, des poignards; il tremble d'émotion, son coeur palpite de plaisir, le délire le transporte, il s'écrie avec enthousiasme: Quoi! ces histoires contiennent tous les sujets que l'on a dessinés ici!... A peine Dubert a le temps de répondre un oui; M. Dabaud l'embrasse avec cet élan que connoît seul l'homme inspiré. Voilà donc que l'on commence à écrire pour moi, répète-t-il dans l'ivresse de sa joie; voilà donc tous mes voeux accomplis! Il se jette sur la cassette, et l'emporte avec cette satisfaction qu'Harpagon seul peut exprimer quand on lui rend son trésor.

Renfermé dans son cabinet toute la journée, M. Dabaud ne reparoît que le soir. En vain dans l'aprèsdîner on va frapper à sa porte. La jolie femme la plus capricieuse qui boude contre son amant n'est pas plus inflexible. Enfin la cloche du souper sonne, M. Dabaud se montre, mais il a les yeux hagards, mais il est pâle, mais sa démarche est tremblante, on croiroit voir Isaure sortant du cabinet où elle a trouvé les têtes de toutes les femmes de Raoul Barbebleue, ou le Cimbre fuyant épouvanté à l'aspect de Marius qu'il étoit venu pour assassiner.... Quelques verres de bon vin rétablissent peu-à-peu le calme dans ses esprits, on ose lui parler, on ose lui demander qui l'a mis dans cet état violent. -- Oui, s'écrietil avec ce feu que peut seul donner le véritable sentiment du sublime, le Moine a dû être écrit avec la plume de fer que le Diable apporta à Ambrosio. Celle même avec laquelle Mahomet traça les caractères de l'alcoran seroit trop foible pour exprimer de pareilles idées, quoiqu'elle sortit de l'aile de l'archange Gabriel. Est-il possible d'inventer des aventures plus variées, plus merveilleuses, et sur-tout de s'affranchir avec une plus orgueilleuse liberté de l'unité d'action, à laquelle on avoit jadis la bêtise de s'astreindre, parce qu'on ne connoissoit pas le plaisir de lire à-la-fois trois histoires au lieu d'une, ce qui ne laisse pas que de contribuer beaucoup à la clarté. Dans tous les enlèvemens qui se sont faits au monde, sans en excepter même celui d'Hélène, est-il jamais arrivé à personne comme à Raymond d'emporter un revenant au lieu de sa maîtresse? Il est vrai qu'il auroit été un peu embarrassé pour s'en défaire, si le Juif-errant ne se fût pas trouvé là tout à propos avec une petite croix de feu au milieu du front pour le délivrer de l'apparition de toutes les nuits, et cela par un moyen bien simple. Il ne s'agissoit que d'aller déterrer les os de la Nonne sanglante dans la caverne de Linden au fond de la Bavière, et de les transporter en Espagne dans son portemanteau. Qui a vu ensuite des changemens plus diversifiés que les métamorphoses de cette Matilde qui se trouve par les gradations les plus heureuses; novice dominicain, femme, magicienne, et enfin diable en sousordre? Non, non, rien ne peut approcher de tout cela. Et la catastrophe, qui osera désormais entreprendre d'en faire une plus frappante. Inventeraton quelque chose de plus étonnant que le Grand Diable venant achever lui-même l'ouvrage qu'un de ses officiers subalternes a si heureusement commencé? Il faut briser toutes les plumes, renverser toutes les écritoires, la posterité n'a plus rien à dire....

Eh! bien, qu'avez-vous lu? dit Dubert le lendemain dès qu'il aperçut M. Dabaud. -- Ce que j'ai lu! Le Confessionnal des Pénitens noirs. Dont le héros, interrompit Dubert, n'est point un pénitent noir, et encore moins un confessionnal; mais n'importe, cela fait un titre bien ronflant, et c'est beaucoup dans un livre. -- Je t'avouerai, reprit M. Dabaud, que j'ai d'abord été effrayé en voyant un jeune homme d'une famille considérable aimer une orpheline, et des parens s'opposer à leur union au premier volume pour y consentir au quatrième; j'ai dit, me voilà encore retombé dans les vieilles aventures; mais j'ai été bientôt rassuré; des moines, des ruines, des poignards, des pélerins, des couvens, des robes ensanglantées, des empoisonnemens sont venus faire disparoitre ma crainte que tout se passât à l'ordinaire. Je suis sorti de tout cela pour entrer dans les prisons de l'Inquisition, et j'ai eu, je te l'avoue, comme Vivaldi, l'inquiétude de n'en sortir jamais. -- Mais, dit Dubert, vous avez dû être émerveillé de la dextérité avec laquelle cet honnête Zampari trouve le moyen d'être par-tout sans que personne le voie; de parler dans une chambre où il n'y a que deux ou trois Inquisiteurs qui ayent le droit de prendre la parole, sans que personne l'entende, excepté celui à qui il s'adresse; tout cela n'est pas trop clair, non plus que beaucoup d'autres choses que l'on n'explique pas, mais je sens bien que le roman n'en est que plus beau. Il est vrai que peut-être l'auteur nous réserve, comme les journalistes, le mot de l'énigme pour le premier ouvrage qu'il donnera. Tiens, Dubert, dit M. Dabaud avec contentement, cela ne seroit peut-être point si mal vu; tu devrois écrire en Angleterre pour proposer cette nouvelle manière de dérouler son intrigue. Il faut cependant que je te confie mon chagrin d'avoir vu paroître quelques personnages auxquels je me suis intéressé, croyant qu'ils alloient servir à de grands événemens, et dont je n'ai pas oui parler dans la suite. -- Mais, répliqua Dubert, ce défaut-là est bien racheté par la manière miraculeuse dont Zampuri est empoisonné par Schédoni qui prédit sa mort avec autant d'audace et de ponctualité que Mahomet annonce cellé de Seïde. Il y a cependant une différence: le spectateur sait quand et comment Omar donne le poison au jeune frère de Palmire, au lieu que personne, pas même l'auteur, n'est instruit de la manière dont Schédoni à pu s'y prendre pour empoisonner son ennemi, ce qui sans doute est bien plus beau. Ce pauvre Zampuri étoit né sous une étoile malheureuse; car il reçoît un coup de pistolet dans les ruines de Paluzzi, lorsqu'il y avoit mille à parier contre un que le jovial Paul n'attraperoit personne; mais aussi, pour s'en venger, le moine courageux, quoique blessé grièvement ne pousse pas un cri, laisse ses habits ensanglantés dans le donjon où il renferme Vivaldi et son domestique, ce qui les effraya beaucoup, ainsi que cela devoit être.... -- Tu as raison, mon cher Dubert, le Confessionnal des Pénitens noirs, quoique un très-beau roman, ne vaut cependant pas le Moine.

Et comment trouvez-vous l'Abbaye de Grasville, demanda Dubert, lorsque M. Dabaud eut achevé de la lire. -- Comment je la trouve! sublime, divine. Rien de plus intéressant que le Père Pierre; rien de plus naturel que la manière dont il opère tous ses prodiges; rien de plus adroitement et de plus naturellement amené que la présence d'esprit avec laquelle d'Ollifont trouve moyen de conduire son bienfaiteur à deux doigts de l'échafaud en tirant de sa poche un faux billet de la banque de Venise, lorsque celui-ci lui présente un pistolet: mais, afin de bien lui prouver qu'il lui a pardonné, c'est lui qu'il choisit pour aller se promener toute les nuits dans la tour de l'Ouest; c'est à lui qu'il confie un secret de la dernière importance pour lui, ainsi que le dit l'auteur. Il est vrai que le Père Pierre répond dignement à cette confiance, en ne manquant pas plus à son serment.... -- Que Philoctète à celui qu'il avoit fait de ne pas découvrir les flèches d'Hercule, dit Dubert qui aimoit autant lire Télémaque que le plus enruiné des romans anglais.

Tu en diras tout ce que tu voudras, reprit M. Dabaud, mais enfin je t'assure que j'ai frissonné pendant tout le second volume. -- Et vous avez bâillé aux deux autres, repartit Dubert en riant. -- Te souviens-tu d'un certain souper, où Alfred boit un peu plus qu'il ne faut? vient ensuite un coup de tonnerre; puis un revenant dans une salle voisine; puis pendant la nuit Matilde aperçoit. ... Lapierre, vous apporterez ce soir votre lit dans ma chambre. .... Tu n'as pas oublié non plus la visite que font les jeunes Masérini dans ces vieux appartemens ruinés où tout est moisi, où tout se remue au moment qu'on y pense le moins.... Est-ce que je ne vois donc pas quelque chose qui s'agite là-bas dans ce coin... Lapierre, la salle n'est pas assez éclairée, je veux avoir plus de lumières que cela.. Au moment où M. Dabaud finissoit ces paroles, on entendit dans l'antichambre un coup terrible qui fut suivi d'un grand cri et du fracas de plusieurs objets sonores qui sembloient se heurter les uns contre les autres. M. Dabaud tressaillit, se leva avec effroi, et courut en se cachant les yeux se jeter dans les bras de Dubert. Mon ami, lui dit-il tout épouvanté, je suis perdu! Il vient!...

Dubert partit d'un grand éclât de rire; M. Dabaud revenu de sa première frayeur eut enfin le courage de regarder autour de lui, et vit un de ses domestiques qui entroit en tenant sur une assiette les débris de deux ou trois bouteilles et d'une douzaine de verres à liqueur qu'il apportoit pour le dessert. -- Qu'y a-t-il donc? demandatil, encore ému et inquiet de l'air effaré qu'il voyoit au domestique. Le pauvre garçon ne répondoit rien, et avançoit timidement son assiette en montrant les verres mis en mille pièces. Etonné de ce silence, M. Dabaud recommençoit à pâlir. -- Qui est-ce qui a frappé ce coup affreux, qui est-ce qui a jeté ce cri? demanda-t-il d'un ton moitié colère, moitié tremblant. -- Hélas! c'est le vent qui a poussé la porte et cassé les verres; et moi.... -- Et vous, vous êtes un faquin de ne pas savoir qu'il faut fermer doucement les portes dans une maison où on lit les romans anglais.

Ah! s'écria le lendemain M. Dabaud avec un transport impossible à rendre, c'est un génie qui a composé l'ouvrage que je viens de lire. Les Mystères d'Udolphe ne peuvent être l'ouvrage d'un homme. -- En effet, vous avez deviné juste, ce n'est pas un homme qui les a écrits. -- Ce n'est pas un homme, reprit M. Dabaud avec le plus grand étonnement. -- Non, ce n'est pas un homme. -- Eh! qui est-ce donc? un ange, une divinité? Beaucoup moins et beaucoup plus que tout cela; une femme, une Anglaise. -- Une femme! -- Oui une femme. Vous êtes surpris de voir le beau sexe quitter les rubans roses pour des idées noires! Nous sommes dans le siècle de Protée. -- Une femme! Ah, mon ami, si jamais le ciel daignoit m'accorder une bru pareille!... Mais non, mon imbécille de fils que voila, aimeroit beaucoup mieux, j'en suis sûr, être l'époux d'une petite sotte qui n'a jamais été ni dans la tour de l'Orient, ni sur le rempart du Nord, ni dans le salon de Cèdre que d'aimer une Emilie qui se promène de châteaux en châteaux pour chercher des aventures, comme jadis les chevaliers errans; pour suivre une planète brillante qui se trouve tantôt sur les tourelles de Blangy tantôt sur l'aile orientales d'Udolphe; pour entendre une musique qui se rencontre par-tout à point nommé; pour voir des lumières, desa ombres; des ruines, des moines, de religieuses, des brigands, des cadavres, des fosses, des poignards, des soldats, des Condottiéri, des précipices, des ponts, des montagnes, des croix de bois sur les chemins, des tempêtes, des levers et des couchers du soleil, des ... -- Eh! reprenez haleine, interrompit Dubert; et songez que votre Emilie est bien bonne de faire tant de choses pour l'amour d'un Valancour qui ne fait rien pour elle, et s'amuse à Paris, tandis que la malheureuse est à Udolphe au milieu des signors Montoni, Verezzi, Orsino etc. qui, vous en conviendrez, ne sont pas trop bonne compagnie; non plus que les dames qu'ils auroient bien pu se dispenser de faire venir au château, d'autant mieux qu'elle n'y servent à rien. Allons, avouez franchement que votre Valancour soutient bien la gloire de son pays, et que son amour ne ressemble pas mal à une gasconnade. -- Qu'appelles-tu gasconnade? et les deux coups de feu qu'il reçoit dans le bras, les comptes-tu pour rien? -- Le roman y perdroit trop, car le coup de pistolet aide beaucoup à nouer l'intrigue, reprit gaiement Dubert; tout ce que je regrette, continuatil, c'est de ne pas savoir si ce fut toujours au même bras que les balles le frappèrent. -- Il y a quelqu'un que je plains dans cette histoire, reprit M. Dabaud, c'est ce pauvre M. Dupont, il joue un rôle malheureux. Après tous les vers qu'il a faits pour Emilie, toutes les chansons qu'il a pris la peine de chanter chaque soir à minuit ..... -- Comment, répliqua Dubert, oubliez-vous donc qu'il a eu le plaisir indicible de la conduire dans les bras de son rival, après lui „avoir montré tous les environs de la ville de Livourne, s'être promené avec elle sur le rivage et sur les quais couverts de peuple.“ Il est encore plus avancé que Montoni qui, selon un vieux proverbe, fait beaucoup de bruit et peu de besogne et finit en quatre lignes par tomber entre les mains d'un sous-lieutenant des troupes de Venise, après avoir soutenu; contre une armée, un siége qui sert à faire faire à Emilie un voyage au fond de la Toscane, pour essuyer un orage, entendre la dispute de deux scélérats, et dessiner des paysages. Cet endroit-là est en contraste avec le reste du roman, car ce sont de grandes causes qui produisent de petits effets. Tenez, parcourez les Souterrains de Mazzini et vous me direz demain de que vous en pensez.

Ce que j'en pense, répondit M. Dabaud après les avoir lus; je pense qu'ils tiendront avec tous les autres une place- distinguée dans ma bibliothèque. Comment! sais-tu bien, qu'outre les portes communes à tout le mondé, il y en a, tant en fer qu'en autres matières, trente-neuf qui ne servent qu'à produire des événemens; et, sur ce nombre-là, j'en ai remarqué trois qui, bien différentes de elles qu'on rencontre dans les autres histoires, sont construites de manière à ce qu'on ne puisse les ouvrir qu'en dehors; si bien que lorsqu'on est entré on se trouve...-- Dans-une souricière, dit Dubert. -- C'est cela même, reprit M. Dabaud d'un ton emphatique. As-tu vu rien de plus ingénieux quand on a besoin de retenir un personnage quelque part. Joins à cela 2 tempêtes, 6 cavernes, 7 fuites, 2 méprises, 13 bruits, 10 lumières, 5 figures, 3 voix, 13 gémissemens, 19 sons de cloche, 2 couvens, 7 escaliers, 2 bandes de voleurs et 17 reconnoissances; tu pourras ensuite te vanter d'en savoir autant que l'auteur et que moi-même. --Vraiment, s'écria Dubert en riant de toutes ses forces, ce ne seroit pas pour rien que les faiseurs d'événement se donneroient tant de peine, si tout le monde lisoit avec autant de de fruit que vous.

CHAPITRE III.

M. Dabaud ne cessoit de parler de ses productions favorites, et vingt fois par jour il témoignoit à Dubert le désir qu'il auroit d'être le héros d'une de ces scènes terribles dont il aimoit tant à lire la description. Vous trembleriez encore plus d'une fois, lui disoit le jeune homme, s'il vous falloit comme Alfred passer une nuit dans la tour de l'Ouest, visiter comme Ferdinand les appartemens méridionaux, ou aller comme Emilie avec la vieille Dorothée dans la chambre où étoit morte la marquise de Villeroi, d'autant mieux que vous n'auriez pas, comme Mlle. de Saint Aubert, la ressource de jouer d'un luth dont les cordes, au bout de vingt ans, rendoient encore un son grave et plein, quoique, à la vérité, elles ne fussent pas d'accord. -- Eh bien je t'assure, répliqua M. Dabaud en prenant un ton martial qui ne contrastoit pas mal avec sa tournure replète, que je passerois une nuit dans la chambre qui termine l'enfilade tout comme le comte de Willefort, pourvu que mon fils, qui n'auroit pas de peine à être aussi brave que Henri, consentît à m'accompagner; et je te jure que le lendemain matin nous ne mettrions pas autant de discrétion à cacher que nous aurions entendu d'étranges lamentations, sans avoir osé éclaircir d'où elles pouvoient sortir.

Cette conversation se renouveloit souvent, et Dubert paroissoit toujours douter de la bravoure de M. Dabaud. La société qui étoit au château partit un jour tout-à-la-fois, et M. Dabaud se trouva seul à souper avec Dubert et son fils. La salle étoit très-grande, et il sembloit qu'on eût fait exprès de l'éclairer fort peu. Il n'y avoit sur la table que deux bougies auxquelles on n'avoit pas fait attention depuis longtemps; les mèches s'étoient alongées, et ne jetoient plus qu'une lueur pâle et terne qui répandoit à fort peu de distance une clarté sinistre. Les coins de l'appartement étoient plongés dans la plus grande obscurité; des glaces placées dans les enfoncemens, réfléchissoient tristement les foibles rayons qui paroissoient expirer en arrivant jusqu'à elles.

Assis encore autour de la table sur laquelle ils avoient soupé, M. Dabaud et Dubert étoient placés vis-à-vis l'un de l'autre et s'entretenoient d'une manière très-animée. Retiré à l'une des extrémités, Roger appuyoit sa tête sur ses mains et sembloit avoir une violente envie de dormir. M. Dabaud prétendoit encore que l'arrivée de la Nonne sanglante même ne pourroit l'effrayer. Tout en affectant beaucoup de hardiesse, il jetoit autour de lui des regards inquiets, et, s'il avoit osé, il auroit demandé davantage de lumières. La vanité qui l'emportoit sur la crainte ne l'empêchoit cependant pas d'appeler souvent Roger et de le gronder de ce qu'il ne prenoit pas de part à la conversation. Quelqu'un t'a-t-il donné un soporifique aussi violent que celui qu'avoit avalé le domestique de d'Orméville chez la marquise della Chièsa, lui disoit-il avec humeur. Je crois que le spectre qui effraya si fort Célestine, avec sa simarre rouge et son réchaud sur la tête, viendroit ici sans réussir à te réveiller. Roger demeuroit quelques momens les yeux ouverts, et bientôt ses paupières s'affaissoient de nouveau.

Dubert sembloit aussi avoir quelquefois des inquiétudes; il tournoit la tête vers les portes du salon, puis il la retournoit avec précipitation et regardoit M. Dabaud d'un air mal assuré. Dans d'autres momens, il s'arrêtoit subitement au milieu d'une phrase, comme s'il eût entendu quelque bruit; puis il ne reprenoit son discours qu'en hésitant et en parlant plus bas qu'auparavant. Je ne serois pas aussi courageux que vous, dit-il tout-à-coup à M. Dabaud, après avoir écouté long-temps ses fanfaronnades. J'avoue que j'aurois de la peine à aller, comme Emilie, soulever le voile noir qui couvroit le tableau, ou, comme Celestine, chercher dans la bibliothèque le livre qui contenoit la représentation de l'ermite. -- Eh bien! moi, je ferois encore plus, dit M. Dabaud; j'irois, comme madame de Sévran, visiter la chapelle de dix pieds carrés dédiée au patron du vieux marquis qui avoit genéralement passé pour très-dévot; j'irois même à la petite maison d'Altièri, dussé-je rencontrer dans les ruines un moine qui me diroit: La mort est dans la maison. -- Bon! vous parlez de la sorte parce que vous êtes bien certain de ne pas vous trouver dans ce cas-là, et, si on vous prenoit d'après vos paroles, vous seriez fort embarrassé. Pour mieux vous prouver ce que je vous dis, je vais faire une supposition. Vous vous souvenez bien du chevalier de Germeuil? -- Oui, reprit M. Dabaud d'un ton sérieux; c'étoit l'oncle de cette petite fille que mon benêt de fils voudroit épouser, et le frère du président dont j'ai acheté la terre, après qu'il a été guillotiné. -- Justement. Vous m'avez dit souvent que son régiment étoit en garnison à Poitiers, où vous faisiez votre droit. -Tout cela est vrai, repondit M. Dabaud dont le ton devenoit de plus en plus incertain. - Vous eutes dispute avec lui dans un cafe? Oui, répliqua foiblement M. Dabaud. -- Vous vous battites ensemble sur le rempart des capucins? -- Sans doute, ajouta M. Dabaud si bas que Dubert ne l'entendit presque pas. -- Vous le tuates? Hélas! oui, dit en soupirant M. Dabaud qui commençoit à deviner où le jeune homme en vouloit venir. -- Si je ne l'ai pas oublié, dix heures sonnoient au moment où vous lui donnates le coup fatal.. -- Précisément, repartit M. Dabaud en jetant un coupd'oeil sombre vers une pendule qui étoit: dans un des coins du salon. -- Eh! bien, je suppose que dix heures sonnassent, que l'ombre du Chevalier vous apparût et vous invitât à la suivre, obéiriez-vous? -- Mais, mon ami, ce que tu me dis là est impossible! .. (Il regardoit fixement Dubert: en ce moment Roger laissa tomber tout-à-fait sa tête sur la table.) -- Je sais bien que c'est impossible, reprit Dubert, et je veux seulement vous donner un exemple qui soit plus à votre portée. Consultez-vous bien; croyez-vous que vous eussiez le courage de marcher sur les pas du spectre? -- Mais... certainement je l'aurois. -- Bien surement, M. Dabaud? -- Très.... très-surement, mon ami.

Comme il achevoit ces paroles, l'horloge du château sonna dix heures: il ne put s'empêcher de tressaillir. Au moment même où le marteau faisoit résonner le timbre pour la dernière fois, M. Dabaud se sentit frapper légérement sur l'épaule, il entendit une voix sépulcrale qui lui adressoit ces mots avec un accent traînant et sourd: Eh bien! je te somme de ta parole, suis-moi. Muet de surprise et d'effroi, il pâlit, il frisonna; mais, comme il vit que Dubert n'éprouvoit aucune altération dans ses traits et conservoit le même air de tranquillité qu'auparavant, il crut que son imagination l'avoit égaré, et que le coup qu'il avoit cru recevoir, que la voix qu'il avoit cru entendre n'étoient qu'un effet du délire de son esprit échauffé par la conversation.Il se hasarda à tourner la tête et aperçut derrière sa chaise une grande figure pale et livide dont le visage décharné portoit l'empreinte lugubre de la mort. Ses yeux ternes paroissoient fixes dans leurs orbites, ses joues décolorées étoient creuses et tirées. Sa bouche éprouvoit un mouvement continuel et convulsif, et ses dents craquoient avec violence. Ce fantôme étoit couvert de la tête aux pieds d'un linceul blanc; à la hauteur du sein la toile étoit déchirée et „parsemée de gouttes de sang, qui couloient d'une large blessure qu'on voyoit à son côté“ gauche: les mains même du spectre étoient ensanglantées.

M. Dabaud fit un cri aussi perçant, aussi déchirant que jamais personne ait pu en faire en pareille occasion. Dubert étonné courut à lui et le saisit dans ses bras en lui demandant ce qui causoit son épouvante. -- Juste ciel! Quoi! tu ne le vois pas? Tiens-là. -- Vous avez beau me parler comme Alfred, je n'y vois pas aussi bien que Léonard. De quoi s'agit-il enfin? -- Celui que tu viens de nommer .... (M. Dabaud s'arrêta.) -- Le chevalier de Germeuil? (M. Dabaud ne répondit que par un signe, et mit ses mains devant ses yeux.) -- Votre tête est aussi égarée que celle d'Emilie lorsqu'elle croit voir à deux fois différentes l'ombre de son père assise devant elle, pendant qu'elle tire du parquet la liasse de papiers qu'elle brûle après avoir cependant lu une phrase de la dernière importance qu'on s'attend en vain à connoître un jour. . Mais nous sommes ici aussi seuls que la malheureuse marquise de Mazzini dans les souterrains des appartemens méridionaux, et nous n'y resterons pas quinze ans comme elle, ainsi, rappelez votre raison. -- Regarde derrière la chaise que je viens de quitter, poursuivit M. Dabaud, et tu verras si j'ai sujet de m'effrayer. (Il prononça ces mots d'une voix tremblante; il vouloit s'enfuir, mais ses jambes plioient sous lui.) -- Tu m'as seul provoqué, reprit le spectre du même ton dont il avoit parlé d'abord, toi seul peux me voir et m'entendre. (Il fit en même temps quelques pas en avant.) -- Tu es donc comme la Nonne sanglante qui n'étoit visible que pour Raymond de las Cisternas, s'écria Dabaud; je n'ai cependant pas voulu enlever comme lui la nièce de Donna Rodolphe .... Dubert! secoursmoi, secours-moi? .. -- Vous m'inquiétez, lui dit le jeune homme; quel délire subit s'est emparé de vous! Réfléchissez, voyez où vous êtes, et ne vous tourmentez pas par des craintes insensées. Roger, Roger, réveille-toi, ajouta Dubert en secouant vivement son ami. -- Tu vas voir qu'il sera tout comme le garçon de l'auberge de Ratisbonne que Raymond avoit fait coucher dans sa chambre, et que cet horrible spectre l'aura endormi, dit M. Dabaud sans ôter ses mains de devant son visage. -- Ne craignez rien, repartit Dubert en continuant de tirer Roger par le bras. Réveille-toi donc, ajouta-t-il, et aide-moi à rassurer ton père qui se croit environné d'esprits.

Des esprits, repartit Roger, en se frottant les yeux! je le crois bien; qui n'en rêveroit pas après les entretiens que vous ne cessez d'avoir ensemble. Mon père, mon père, ajouta-t-il en s'avançant vers lui, ne vous livrez donc pas à des frayeurs ridicules!

A demi persuadé par le ton tranquille de Roger, M. Dabaud souleva un peu les doigts et revit le spectre à la même place. -- Le voilà encore, s'écriatil vivement; Roger! au nom du ciel, va me chercher le Grand Mogol ou le Juif errant, ce qui est la même chose, il n'y a que lui qui puisse me délivrer. -- Il n'est pas besoin de tant de monde, dit lentement le fantôme, et je vais disparoître comme tous les autres: mais „souviens-toi du rempart des capucins de Poitiers. Le fantôme s'abyma en prononcant ces mots et fut enveloppé d'une fumée épaisse qui le déroba aux regards de M. Dabaud.

„Il n'y est plus,“ dit M. Dabaud d'un ton de satisfaction, „il a disparu .... Il disoit vrai; tout s'étoit évanoui.“ Cette certitude lui rendit du courage; il mena les deux jeunes gens à la place où il avoit vu le spectre s'enfoncer dans le parquet: Voilà, leur dit-il d'une voix encore mal assurée, où je l'ai vu comme je vous vois.

Faisant la description exacte du fantôme, il rapporta les paroles qu'il avoit entendues, et répéta l'assurance qu'il lui avoit donnée, qu'il n'étoit visible que pour lui seul. -- Je ne m'étonne plus si nous ne l'avons pas aperçu, dit froidement Dubert, puisqu'il est venu incognito et qu'il vous a parlé aussi discrètement que parle Zampari à Vivaldi dans la salle de l'Inquisition. Sa visite n'étoit que pour vous. Cependant, croyez-moi, asseyez-vous et tâchez de vous occuper d'autre chose. J'aurai soin désormais de mieux choisir nos sujets d'entretien pour l'aprèssouper. En attendant, buvez ceci à la santé de votre belle imagination.

M. Dabaud fut bientôt entièrement remis, et, quoiqu'il demeurât convaincu de la réalité de l'apparition, le calme se répandit tellement dans ses esprits, qu'il ne tarda pas à s'endormir sur sa chaise.

CHAPITRE IV.

Lorsqu'il se réveilla, il appela, les yeux encore à peine ouverts, Dubert et son fils. Sa voix se répéta au loin sous des voûtes dont les échos grossirent le son en se le renvoyant mutuellement. Etonné de ce prodige, il regarda vivement autour de lui. Suis-je réveillé, s'écria-t-il avec frayeur, ou bien vais-je faire comme Adeline dans l'abbaye de Saint-Clair, trois rêves de suite qui m'annoncent l'assassinat de mon père? Au lieu d'occuper encore la place où il s'étoit endormi, il se trouvoit étendu sur un banc de bois noir et luisant, au milieu d'un grand emplacement où il ne se rappeloit pas d'être jamais entré.

Saisi d'un étonnement inexprimable, il promenoit autour de lui des regards inquiets. „Ce vestibule est d'une forme gothique," s'écria-t-il enfin au bout de quelques momens; „il a de la majesté quoique le dessin en soit un peu lourd. Voilà des colonnes de marbre d'Italie dont les chapiteaux tombent en ruine, qui en soutiennent le dôme; et quoique très-élevées, leur diamètre est beaucoup plus grand que ne le comporte cet ordre d'architecture.“ (Il éleva ses yeux vers le dôme.) „Une portion considérable de la coupole offre des restes de peintures à fresque,“ continua-t-il, „elles sont presque entièrement effacées; le haut de la voûte représente un ciel d'azur, et la lumière,“ poursuivit-il en se levant, „vient par quatre immenses croisées qui font face aux quatre points cardinaux du monde.

Dans le bas,“ reprit-il en faisant le tour du vestibule, „des pilastres d'une dimension semblable à celle des colonnes s'élèvent tout à l'entour le long du mur et marquent des intervalles au milieu desquels il y a des niches qui renferment chacune une statue plus grande que nature. Aux deux extrémités, voilà une immense cheminée“, dit-il en s'approchant et en relevant les pans de son habit, comme s'il y avoit eu du feu; „la proportion semble attester qu'autrefois on menoit dans ces murs une vie douce et hospitalière. Le pavé est composé de carrés de marbre noir et blanc d'une grandeur démesurée“, reprit-il au bout de quelques momens en marchant à pas lents; „et dans le fond, voici une grande porte à deux battans, et de chaque côté s'élève un escalier qui conduit indubitablement aux étages supérieurs."

Il résulte de tout ceci, ajouta M. Dabaud d'un ton triste, après avoir fini son examen, que je suis dans le vestibule de l'Abbaye de Grasville, et que me voilà en butte à toutes les entreprises du comte d'Ollifont, d'Ebune et des autres scélérats qui ont empoisonné le vieux marquis de Masérini et assassiné son fils Percival, là-haut dans une de ces chambres où l'on voit encore de nombreuses marques de pas d'homme qui se croisent dans tous les sens. Il n'y a pas de doute que je ne sois dans l'Abbaye de Grasville, répéta-t-il après quelques minutes de réflexion; j'entends déjà le tonnerre qui n'y est pas mal commun ... Cependant, comment se peut-il qu'on m'ait transporté sans que je m'en sois aperçu, du centre du département de la Seine inférieure, dans le Montferrat à peu de distance du Golfe de Génes, à moins que Dubert ne m'ait fait prendre hier au soir un soporifique comme celui que donna au comte de Lussière, l'étranger qui le rencontra dans un village voisin du château de la baronne de Hertzbach? Je n'ai cependant pas de fille dont Rasoni soit amoureux, ainsi ce que je vois est tout simplement la suite de notre conversation d'hier, et l'effet d'un délire que je ne dois pas écouter.

„Ecoutez, dit une voix. Ceci devient extraordinaire, reprit M. Dabaud en prêtant l'oreille. Un gémissement succéda à son discours. --Je ne suis pas superstitieux“, dit encore, M. Dabaud, mais je ne sais comment expliquer tout ce qui m'arrive cette nuit.

„Cette nuit,“ dit la voix. „Voilà d'indécentes plaisanteries“, reprit M. Dabaud moitié en colère moitié tremblant, „et je saurai découvrir quel est celui qui se les permet..... Que j'ai donc peu de mémoire, s'écriatil ensuite. C'est sans doute ce pauvre M. Dupont qui se promène dans „un passage pratiqué dans l'épaisseur des murs et venant aboutir au coin du rempart oriental.“ Le malheureux a grand tort de se morfondre; il devroit bien voir que je ne suis pas Montoni, et que je ne veux ni conter mon histoire à des scélérats ivrognes, ni arracher des contrats à cette petite Emilie que j'aime au contraire de tout mon coeur. Je serois seulement enchanté si quelqu'un venoit me tirer d'ici.

En disant ces paroles, il chercha attentivement une issue, et, outre les deux grands escaliers et la porte à deux battans, il aperçut encore une grille de fer pratiquée sous un portique fort écrasé. On distinguoit à travers les barreaux, et à la lueur d'une lampe suspendue au dôme du vestibule, une colonnade antique qui paroissoit se prolonger bien avant.

M. Dabaud n'avoit aucune envie d'essayer d'ouvrir cette grille et de s'enfoncer dans le passage auquel elle servoit d'entrée. Il s'avança donc vers la grande porte; elle étoit soigneusement barricadée, il se disposoit à l'enfoncer, „mais les beautés qu'il y remarqua retinrent son coup; elle lui parut d'ébène tant son poli étoit noir et son grain serré, mais elle n'étoit que de mélèse, et la Provence dans ce temps étoit citée pour ses forêts de ce bois. “ Oh! dit-il je ne serai pas plus cruel que le comte de Willefort, j'épargneai cette porte en faveur de son prix de la délicatesse de ses sculptures. Ah si j'avois le myrte d'argent d'Ambrosio, qui ouvroit si bien les portes, ajouta-t-il, je m'en servirois non pas pour aller dévorer des yeux les charmes d'Antonia, mais bien pour retourner chez moi. Il s'avança en même temps vers un des escaliers; mais, apercevant sur les marches, des pieds d'une grandeur démesurée imprimés dans la poussière, il frissonna et se rapprocha de l'autre qui ne lui inspira pas moins de frayeur, lorsqu'il remarqua sur les pierres qui le composoient plusieurs taches de sang.

Je ne passerai point par ici, dit-il en s'éloignant, j'aimerois mieux ouvrir cette grille; dût-elle me conduire dans les ruines d'une vaste et superbe chapelle. En effet, il marcha droit à la grille. Il essaya de l'ouvrir; „le froid humide qu'il ressentit, en appuyant ses mains dessus, pénétra jusqu'à son coeur. La porte céda en faisant entendre un cri aigre qui retentit sous les voûtes. La grille entière s'ébranla, et le frémissement qu'elle éprouva occasionna une vibration sourde à plusieurs des barreaux mal assujettis.“

A la foible lueur de la lampe dont les rayons tremblottans se prolongeoient par intervalles sous les portiques, il apercevoit au delà de la grille une longue allée dont la voûte étoit soutenue par de petits piliers placés fort près les uns des autres. A plusieurs fois différentes, il distingua tout-à-fait dans l'éloignement une lumière qui paroissoit et disparoissoit touràtour; elle traversoit quelquefois l'allée sans que personne eût l'air de la porter. Vraiment, s'écria M. Dabaud, voilà la plus singulière lumière que j'aye jamais vue, excepté cependant la flamme bleue qu'Emilie vit se jouer, paroître et s'évanouir par momens sur la terrasse..... Par où sortiraije, grand dieu! répétoit-il tristement, ment, je suis tout aussi bien enfermé qu'Annette qui l'étoit souvent, par parenthèse; encore si Ludovico venoit me chercher! Si je m'enfonce sous ces colonnades, il y a mille à parier contre un que j'arriverai dans une grande chambre voûtée où je serai obligé de passer la nuit, sans même avoir comme Vivaldi un Paul qui me conte le commencement d'une histoire sans m'en dire la fin, et cela pour mieux tenir le lecteur en suspens. D'un autre côté si je monte un de ces escaliers, je suis un homme tout aussi perdu que Percival Masérini; bien heureux encore, si, avant d'être parvenu en haut, il ne m'arrive pas, ce que je ne dirai point encore, mais enfin ce qui arriva à Ferdinand dans la tour méridionale. Il faut pourtant prendre un parti.

Sans doute, dit une voix sombre avec un accent sépulcral, et tu n'en as pas d'autre que de franchir la grille. En ce moment M. Dabaud étonné fixa de nouveau ses yeux sur la colonnade, et, à l'aide de cette lueur qui brilloit dans le lointain, il distingua une grande figure qui erroit entre les arcades et marchoit d'un pas grave et mesuré. La voix souterraine répéta en même temps: Franchis la grille, ou tu vas trouver la mort ici.

On peut assurer avec vérité que jamais héros entouré de ruines, poursuivi de spectres, étourdi de voix mystérieuses, ébloui de lumières miraculeuses, assailli d'orages, ou attaqué par des brigands, des Condottiéri et des faux-monnoyeurs, ne fut agité de plus de sentimens à-la-fois que M. Dabaud dans ce moment terrible.

Hélas, s'écria-t-il douloureusement, il y a sans doute pour sortir d'ici un chemin plus court que cette maudite colonnade où je vois déjà qu'il va m'arriver toutes sortes d'événemens, mais il faut bien que, comme tous les autres, je me prête à ce qu'on exige de moi pour alonger l'histoire. En prononçant ces mots avec toute la résignation imaginable, il s'avança vers la grille dont l'autre battant s'ouvrit de lui-même à son approche, en faisant entendre un grincement aigu; il la franchit, elle se referma sur lui aussi vîte que celle du charnier des brigands se referma sur Hyppolite et Julia, on sent que le verrou alla aussi de „lui-même se replacer dans sa gache. “

Epouvanté par le fracas horrible que firent, selon l'usage, tous ces différens mouvemens, M. Dabaud voulut retourner sur ses pas, „mais la serrure étoit construite de manière qu'elle ne s'ouvroit qu'en dehors.“ Voilà que j'y suis pris aussi moi, s'écria-t-il, et cette grille-ci a été faite par le serrurier des souterrains de Mazzini. Il faut donc bien avancer. A peine avoit-il achevé ces mots que l'on frappa trois coups et une voix et prononça ce mot: Conduisez. Ah! ah! dit M. Dabaud en lui-même, va-t-on me mener „dans un salon magnifique où l'or brille de toutes parts,“ et où je trouverai, comme Sir Charles, un bon souper, une maîtresse, un ami, un père, un beau-père et l'héritier du roi d'Espagne? Je n'aurai pas trop à me plaindre si les choses tournent de cette manière. Voyons, voyons ce qu'il en arrivera. Mais où diable sont donc ceux qui doivent me conduire?... A ces mots M. Dabaud vit paroître cette même lumière qui n'étoit portée par personne et qui se tenoit à une certaine distance de lui comme pour le guider. Il remarqua plusieurs allées qui se prolongeoient à droite et à gauche et qu'il n'avoit pas aperçues d'abord. Je n'irai point par -là, se dit-il avec un certain air de satisfaction, je me souviens trop bien que Julie dit à Celestine, en la conduisant parmi les détours d'un souterrain qui ne ressembloit pas mal à celui-ci, qu'il ne falloit pas s'éloigner des piliers, et ces piliers étoient „ des masses informes destinées à soutenir les terres et à prévenir les éboulemens.“ „Les uns étoient maçonnés, les autres étoient formés par des roches inégales.“

A peine avoit-il fini ce monologue, que la lumière commença à se mouvoir; il la suivit, non sans éprouver toute l'inquiétude qu'on sent dans une pareille situation. „Ce pâle rayon répandoit une lueur tremblante à travers la galerie en grande partie cachée dans l'ombre et montroit les lacunes du pavé, tandis qu'une foule d'objets sans non ne s'apercevoient qu'imparfaitement au milieu de l'obscurité. “ Je ne dois pas avoir peur de tout cela, se disoit-il pour s'encourager; Emilie en a vu au moins autant que moi en allant visiter le tombeau de son père dans le couvent de Sainte-Claire, et personne n'a jamais su ce que c'étoit; il est vrai qu'elle méritoit un peu de rencontrer des esprits, puisqu'elle descendoit dans une sépulture au milieu de la nuit, tandis qu'il ne dépendoit que d'elle d'y aller en plein jour, ou bien de se faire accompagner par la soeur Mariette qui avoit la bonne volonté de la suivre!

Tout en s'occupant de ces réflexions qui, comme on le voit, n'étoient pas hors de propos, il avançoit toujours sous la colonnade qui commençoit à se rétrécir. Elle se terminoit à une porte ouverte. La lumière la franchit, M. Dabaud alloit la suivre lorsque la même figure qui s'étoit montrée d'abord passa très-près de lui. Il entendit le frottement d'une robe rasant la terre, et ne pouvant contenir son impatience, il s'élança en criant: Qui va là? Empressé d'imiter son modèle, I.

fantôme ne répondit pas plus que Zampari dans les ruines de Paluzzi, et M. Dabaud ne put s'empêcher de dire tout-haut: En vérité, quand les spectres ne servent à rien, ils feroient bien mieux de ne pas se montrer.

Il n'avoit pas fait attention que, pendant qu'il s'étoit arrêté, la lumière avoit continué de s'éloigner, et qu'il étoit prêt à la perdre de vue: Je parie, dit-il, que cette lumière va entièrement disparoître, comme celle qui guidoit Ferdinand dans le couloir étroit et tournant. Enfin tâchons de la joindre.

M. Dabaud eut beau s'élancer dans le corridor et se mettre à courir de toute sa force, la lumière disparut subitement, ainsi qu'il l'avoit prévu, et la porte par laquelle il venoit de passer se ferma avec le plus horrible de tous les fracas, ce qui n'est pas peu dire.

CHAPITRE V.

Plongé dans un embarras aussi inexprimable que celui où se soit jamais trouvé quelque héros qu'on puisse imaginer, tourmenté d'une frayeur aussi violente que celle qu'ait jamais éprouvée la plus craintive de toutes les héroïnes, M. Dabaud ne savoit à quoi se résoudre; il lui étoit impossible de retourner sur ses pas, il falloit donc ou avancer, ou rester à sa place, parti que ne prend jamais le premier personnage d'un roman, qui, par état, est toujours obligé, comme l'on sait, de courir au devant des aventures. M. Dabaud ne l'ignoroit pas, et cette réflexion le décida à continuer de marcher; au moins avoit-il une raison bonne ou mauvaise, bien d'autres n'en pourroient peut-être pas dire autant.

Suivant en tâtonnant les sinuosités de ce séjour ténébreux, il entendoit à tout moment le bruit des portes qui se fermoient derrière lui, et croyoit distinguer à ses côtés des gémissemens et des soupirs étouffés. Il s'arrêtoit, écoutoit attentivement: le plus profond silence régnoit, et rien ne troubloit le calme morne dont il étoit environné; s'il recommençoit à marcher, les soupirs et les gémissemens ne tardoient pas à frapper de nouveau ses oreilles. Ces soupireurs et ces gémisseurs sont bien comme tous les autres, s'écria-t-il enfin d'un ton impatient; on les entend quand on désire qu'ils se taisent, et ils se taisent quand on voudroit les entendre.

Jamais réflexion n'a arrêté un héros de roman, quoique souvent elle arrête le lecteur, aussi M. Dabaud continua-t-il d'avancer. Bientôt son attention fut distraite par l'accent traînant et monotone d'une voix sourde et lugubre qui paroissoit psalmodier. Hélas, dit-il tristement après avoir écouté, voilà que je m'en vais faire quelque mauvaise rencontre! Si encore j'allois, comme Emile, tomber au milieu de la fête de la vendange, ou comme Paul et Vivaldi parmi une troupe de Pélerins qui chantent et font bombance, au moins je serois sûr d'avoir un bon souper! mais au contraire je vais arriver chez quelque vilain bandit où je ne trouverai que des aventures, chose dont je me passerois volontiers; enfin pourvu que je m'en tire comme Raymond de las Cisternas chez Baptiste en étouffant mon homme, il n'y aura que demi-mal.

A mesure que M. Dabaud avançoit, il distinguoit mieux la voix qui lui servoit de guide; elle récitoit lentement et gravement des prières, et souvent elle étoit interrompue par un bruit sourd et étouffé qui ne cessoit que lorsque la voix commençoit à psalmodier de nouveau. Vraiment, dit M. Dabaud, je ne sais plus où j'en suis; si j'entendois de la musique, je n'ignorerois pas que ce seroit ou „les dernières hymnes des Pélerins à Notre-Dame du Mont-Carmel,“ ou bien „les moines qui chantent un Requiem“ pour l'ame de M. de Saint-Aubert comme ceux du „couvent de Sainte-Claire qui est situé sur le rivage de la mer,“ ou bien encore Pauline qui s'amuse à chanter des romances dans le souterrain du château de Perkins en attendant que deux heures sonnent, que la machine s'ébranle, que l'armoire s'ouvre et que les marionnettes de cire commencent leur combat; mais ceci m'est absolument inconnu, et, si ce n'est pas le père Pierre qui dit son bréviaire, tandis que sa lampe brûle, que son crucifix, ses livres de piété et son sable sont devant lui, je ne devine pas qui peut parler ainsi tout haut au milieu de la nuit.

En finissant ces mots, M. Dabaud se trouva sur la première marche d'un escalier en limaçon, au bas duquel il aperçut une foible clarté. Fort bien, s'écria-t-il, me voilà tout aussi embarrassé que mille autres; descendrai-je ou ne descendrai-je pas? Si encore j'avois avec moi, comme Emilie, un Bernardin, quoique sa figure épaisse et difforme fit un objet remarquable; mais au moins il avoit une torche, et, dans ce moment-ci, je l'aimerois beaucoup mieux que ses „demi-bottes ou sandales, son sabre qu'il portoit constamment en bandoulière et son bonnet plat de velours noir surmonté d'une courte plume,“ qui en vérité ne font rien à la chose. Si cependant, en arrivant au bas de cet escalier, j'allois me trouver comme Célestine dans „une salle basse qui eût autrefois servi d'église ou de chapelle secrète;“ si j'y rencontrois „des bancs épars, de la poussière jaunâtre, des piliers grossiers et mal taillés, des livres déchirés, des tableaux moisis, des lambeaux d'étoffes noires couverts de croix blanches,“ qui m'avertiroit qu'il faut prendre un trousseau de clefs sous le piédestal d'une statue, m'arrêter au septième pilier à gauche devant une statue de Saint Roch, et une épitaphe de pierre grise? qui me diroit qu'il faut „faire entrer une de mes clefs dans un des yeux d'une tête de mort sculptée au-dessus de l'épitaphe,“ ouvrir une porte, des cendre dans une sépulture, de là dans un souterrain, et arriver ensuite au milieu d'une troupe de faux-monnoyeurs qui me feroient une réception de franc-maçon? Voilà pourtant à quoi l'on s'expose quand on n'a pas avec soi quelqu'un qui vous guide, fût-ce même un coquin comme le Jeronimo qui, en faisant traverser à Eléonore et à Vivaldi „un passage étroit et tournoyant pratiqué dans le roc,“ leur disoit, „d'une voix concentrée,“ pour effrayer le lecteur, qu'il les menoit dans le lieu de leur destination.

Saisissant une corde qui servoit de rampe, M. Dabaud descendit avec précaution; „l'escalier étoit roide et trembloit sous lui en plusieurs endroits. La voûte étoit si basse qu'il étoit obligé de se courber.“ Vraiment, dit-il en lui-même, si Célestine descendoit par cet escalier, il ne tiendroit qu'à elle de se donner encore un coup violent qui la feroit retomber assise sur une des marches.

A peine il achevoit ces mots qu'il compta jusqu'à sept fois le bruit qu'il avoit entendu d'abord, et aussitôt, la voix prononça ce qui suit:

„Souverain arbitre des destinées, mon repentir pourra-t-il jamais effacer mes crimes devant ta justice? me pardonneras-tu la mort de l'innocent et mes larmes désarmeront-elles ta rigueur. Mais, tu de sais, grand dieu, je ne suis pas le seul, coupable, et il existe encore un être qui dépouilla la veuve et l'orphelin. Que tes décrets augustes s'accomplissent! qu'il vienne enfin mettre fin à ma pénitence et à mon supplice, qu'il vienne expier lui-même tous les reproches qu'il a à se faire.“

La voix se tut, et M. Dabaud aperçut une lueur qui passoit foiblement par dessous une porte basse et étroite qui n'étoit qu'entr'ouverte. Voilà, dit M. Dabaud quelque chose qui ressembleroit assez aux lumières que voit Emilie sous les portes du château d'Udolphe, troisième volume, page 187; mais l'air n'est pas plus frais, ainsi je ne suis pas dans le corridor. Après cette réflexion judicieuse que M. Dabaud tiroit, comme on le voit, de celle du signor Verezzi, il poussa la porte „qui, à sa grande surprise, s'ouvrit immédiatement. Il découvrit une personne à genoux devant un crucifix,“ et cette personne étoit „un moine vénérable dont les cheveux blancs, la physionomie pâle et mélancolique le frappa de respect.“ La table sur laquelle il étoit appuyé, étoit couverte d'un tapis déchiré et on y voyoit „une tête de mort, quelques ossemens humains, un grand livre et un sable.“

Juste ciel, je suis perdu! s'écria vivement M. Dabaud; voilà qu'un moine va se mêler de mes affaires: il ne me manque plus que de rencontrer des voleurs. J'admire, lui dit le vieillard „d'un air tranquille, la facilité avec laquelle vous associez les moines aux voleurs." -- Oh, mon père, ce n'est que des moines de roman dont je parle, et vous avouerez qu'il y a terriblement de scélératesse sous les draperies noires et blanches dont on les entoure, pour faire tableau. Mais vous qui parlez, vous ne ressemblez pas mal à ce vieux religieux que rencontrèrent Eléonore et Vivaldi dans le souterrain des Carmélites. Quoiqu'il y ait quelques personnes qui prétendent que vous promettez beaucoup et que vous tenez peu, je vous trouverai, moi, tout aussi utile à mon roman, que votre modèle l'est à celui où on le place, si vous voulez m'ouvrir une porte par laquelle je puisse me sauver, sans m'amuser à regarder, comme Emilie „la lune qui brille sur les montagnes,“ sans faire attention „au vent frais et doux, qui, passant à travers la haute cime des palmiers dont les branches flexibles ombrageoient une plate-forme située devant la porte, murmuroit foiblement parmi les arbrisseaux suspendus au milieu des rochers qui environnoient ce lieu sauvage. O mon père, si vous voulez me sauver, ne perdez pas de temps.“

„Pauvre innocente! dit le moine d'une voix basse et tremblante; dans cette chambre .... dans cette fatale place.“ Pardi, s'écria M. Dabaud presque en colère, lorsqu'il s'agit de me délivrer d'un danger pressant, j'ai bien affaire que vous alliez, m'entretenir d'une idée qui vous passe par la tête et qui ne fait rien à mon histoire. Elle est d'autant plus inutile que vous ne m'expliquerez pas ce que vous voulez dire, ainsi occupons-nous un peu de moi, si vous m'en croyez, et cherchons ensemble les moyens de fuir. Fuir, dit le moine; oh! il faut d'abord, s'il vous plaît, que nous fassions une petite cérémonie préalable sans laquelle deux personnages de roman ne se sont jamais quittés. Je vais vous détailler mes aventures.

En finissant ces mots, il prit M. Dabaud par la main et le fit asseoir près de lui sur une natte de paille à moitié pourrie. Je sais bien, lui dit M. Dabaud, qu'il faut que j'écoute l'histoire que vous allez me raconter, c'est l'usage; mais nous commencerons par faire nos conditions. 1. Vous ne serez pas aussi long dans votre narration que l'étoient dans les leurs Annette, Pierre ou bien le guide de Schédoni qui emploie 28 pages à ce qu'il auroit pu dire dans 12 lignes ; 2. vous m'expliquerez clairement tout ce qu'il faudra que je sache, et il n'y aura point dans votre discours de ces phrases à double sens qui peuvent servir ensuite à justifier tous les événemens possibles; 3. vous ne serez point interrompu par la cloche du dîner comme madame de Menon et Dorothée; ou par celle qui appelle à la bénédiction de l'Abbesse comme la soeur Olivia; ou par celle de vêpres comme Matilde; parce que toutes ces cloches ne font que retarder inutilement le fil de l'histoire, comme les épines et les clous qui entrent toujours dans le pied du cheval du domestique de M. de la Motte; 4. sur-tout, nous ne sortirons pas d'ici au milieu de votre récit pour aller, comme Hutner et Sir Charles, dans une caverne où nous trouvions „des lumières éclatantes qui scintillent des plus brillantes couleurs, des stalactites à surface prismatique, des concrétions, des molécules terreuses, des glaçons alongés, des pierres calcaires, des moffettes, des gaz dangereux à respirer, des larges sillons de pyrites, des roches d'alun, des pierres-ponces,“ et ensuite sortir de là par l'ouverture d'un volcan; tout cela est sans doute très-beau, mais c'est encore plus inutile à l'histoire que les sons de cloche qui roulent sourdement dans le silence de la nuit dont je vous parlois tout-à-l'heure.

Etonné d'une logique aussi péremptoire, le moine regarda M. Dabaud en souriant. Soyez tranquille, lui dit-il, vous ne saurez que ce qu'il est absolument nécessaire que vous sachiez pour que le roman continue: on vous gardera le reste pour la fin.

Nous sommes, continua-t-il, dans le château qui devoit être l'héritage du chevalier de Germeuil. (M. Dabaud frémit.) Je savois bien que je vous ferois trembler, mais ce n'est pas encore tout. Il y a aujourd'hui vingt ans que le Chevalier reçut la mort par vos mains. Le duel est un assassinat toléré par les lois des hommes, mais rien ne peut l'excuser aux yeux du souverain juge, et sa colère contre vous n'est pas désarmée. Vos mains sont encore sanglantes. „Remarquez taches, c'est ici que la vérité est empreinte.“ (M. Dabaud regarda ses mains et ses habits; il étoit tout couvert de sang.) Voyez donc, mon père, s'écria-t-il brusquement, j'ai l'air d'un roman anglais; mais, je veux être déporté si je conçois comment cela s'est fait.

C'est aujourd'hui que l'ombre du Chevalier doit être apaisée, continua le religieux d'un ton solennel. Les dépouilles mortelles du Président et de son frère sont déposées dans la chapelle de ce château, parmi les restes inanimés, de toute leur famille. Ces tristes ombres errent dans les vastes solitudes des appartemens, et à minuit... A minuit! interrompit M. Dabaud; mon père, vous m'effrayez d'avance; c'est à cette heure-là qu'arrivent tous les grands événemens; c'est à minuit que Célestine va à la bibliothèque du château de la baronne de Hertzbach ; c'est à minuit que Matilde va faire ses sortiléges dans les caveaux de Sainte-Claire; c'est à minuit que Dorothée et Emilie vont dans l'appartement de la feue marquise de Villeroi au château de Blangy; c'est à minuit que M. Dupont et la signora Laurentini chantent leurs chansons; c'est à minuit que Sir Charles fait sa promenade nocturne dont les détails sont si intéressans; c'est à minuit que la figure et la lumière se montrent à la fenêtre de la tour de l'Ouest de l'Abbaye de Grasville; c'est à minuit que Julia, Hyppolite et Ferdinand essayent de se sauver du château de Mazzini ; c'est à minuit qu'Adeline va dans la partie délabrée de l'Abbaye, où elle rencontre une chambre pareille à celle qu'elle à vue dans son rêve, ce qui n'est pas malheureux, d'autant mieux qu'elle y trouve un vieux poignard rouillé, comme c'est l'usage, et un petit rouleau de papier lié avec une ficelle et couvert de poussière, qui contient l'histoire de son père assassiné depuis long-temps, comme c'est encore l'usage. C'est à minuit... Oui, oui, dit le moine en l'interrompant, dans les romans anglais, minuit est la plus belle heure du jour.

Mais, continua-t-il en adressant à M. Dabaud un sourire de dédain, tout ce que vous venez de dire là n'est rien auprès de ce qui arrive à minuit dans ce château. Tous les aieux du chevalier de Germeuil sortent de leur tombe et élèvent de concert vers le ciel leur voix plaintive contre vous et contre moi. -- Contre vous, dit M. Dabaud avec surprise; eh! qu'avez-vous de commun avec mon histoire? -- Vous sentez bien que je ne serois pas ici, s'il n'y avoit pas quelques bonnes raisons, répondit le religieux d'un ton capable et discret. Vous serez instruit de tout quand il en sera temps, ajouta-t-il en frappant légérement sur l'épaule de M. Dabaud; en attendant, je suis chargé de vous dire que vous devez aujourd'hui venir avec moi à l'église pour être témoin de cette apparition nocturne, en suite de quoi vous irez passer le reste de la nuit dans la tour du Sud-Ouest. -- Du ...? -- Du Sud-Ouest. Cela vous étonne? -- Je vous l'avoue. Je connoissois bien la tour de l'Ouest de l'Abbaye de Grasville, la tour de l'Est du château de Lindenberg, la tour du Midi du château de Mazzini, la tour de l'Orient du château d'Udolphe, la tour du Nord du château de Blangy, mais la tour du Sud-Ouest, mon père, celle-là est nouvelle. -- Soyez tranquille; vous verrez qu'elle vaut bien toutes les autres ensemble, repartit le moine d'un ton sérieux et important. -- Quoi! il y a des figures qui se montrent à la fenêtre, des lumières, des bruits, des soupirs, des Nonnes sanglantes, des squelettes, des.. -- Plus que tout cela encore. --Mille douzaine de spectres! et il faudra que j'y passe nuit? -- Vous ne serez pas plus malheureux qu'Alfred, Ludovico et tant d'autres. -- Grand dieu, grand dieu! si, en lisant un roman, on avoit encore un peu d'obligation au héros de toute la peine qu'il se donne!

En ce moment l'horloge du château sonna onze heures trois quarts. Il est tems de partir, dit le religieux en saisissant sa lampe. A la bonne heure, dit M. Dabaud, mais avez la bonté de mettre de l'huile dans cette lampe, afin qu'elle ne soit pas comme toutes les autres qui n'éclairent jamais qu'à demi. Vous voudrez bien ensuite prendre garde qu'elle ne s'éteigne pas au moment où on en a le plus de besoin, comme il arrive toujours. -- Diable! dit le religieux en secouant la tête, si tous les héros de roman étoient aussi prévoyans que vous, il n'y auroit pas tant d'aventures.

CHAPITRE VI.

Dabaud et le moine remontèrent l'escalier. Vous avouerez, mon père, dit M. Dabaud, que voilà un escalier pour le moins aussi roide et aussi tournoyant que celui par où Spalatre fit monter Eléonore, en la menant dans cette chambre „vaste et entièrement dégarnie de meubles“ dont „une poussière épaisse couvroit le parquet“ et où „d'épaisses toiles d'araignées flottoient sur les murs?“ Le religieux ne répondit rien et fit entrer M. Dabaud dans une grande salle dont „le plafond courbé en voûte étoit soutenu par des colonnes de marbre noir. Les fenêtres de forme gothique étoient ornées d'un encadrement du même marbre; l'ensemble de cette pièce avoit quelque chose de majestueux, de sauvage et de triste. A l'extrémité, auprès d'un enfoncement étoit une porte.“ M. Dabaud „s'en approcha et en passant regarda dans l'enfoncement; il y aperçut par terre un grand coffre. Il s'approcha pour l'examiner, et soulevant le couvercle, il vit les restes d'un squelette humain. Son coeur fut glacé d'effroi et il retourna sur ses pas involontairement. Après s'être arrêté quelques instans, ses premières émotions s'apaisèrent Cette curiosité palpitante que les objets de terreur excitent souvent dans le coeur de l'homme le poussèrent à jeter encore un regard sur cet horrible spectacle.“ Mon père, dit-il froidement au religieux, faites-moi le plaisir de me dire à quoi sert ce squelette dans ce coffre? Ah! ah! répondit le religieux d'un ton distrait, c'est celui que M. de la Morte trouva dans les appartemens, souterrains de l'Abbaye de Saint-Clair; comme il n'y servoit pas à grand'chose on l'a fait apporter ici où il n'est pas beaucoup plus utile: mais il en faut, c'est l'usage. En finissant ces mots, le moine s'avança vers un des angles et frappa „trois coups sur une porte de fer, avec une baguette qu'il avoit à la main; elle s'ouvrit régulièrement sans que personne parût.“ Mais, lui dit M. Dabaud surpris autant qu'on peut croire, il me semble que vous êtes aussi bien servi que celui qui conduisoit Vivaldi dans les souterrains de l'Inquisition! Il alloit en dire davantage, lorsqu'il fut saisi par „une espèce de brouillard humide et un air glacé qui sortirent par l'ouverture et pensèrent éteindre la lumière.“ Avez-vous du Phosphore, demanda-t-il à son conducteur d'un ton inquiet: nous pourrions en avoir bientôt besoin. --Oui, oui, j'ai tout ce qu'il nous faut, répondit le moine en avançant toujours.

Tout-d'un-coup M. Dabaud s'arrêta. „Entendez-vous quelque chose,“ dit-il à voix basse au religieux. „J'entends“, comme Spalatro, „ le bruit des vagues,“ répondit-il. „Paix! c'est quelque chose de plus,“ dit M. Dabaud: „ne distinguez-vous pas les murmures de plusieurs voix. Ils gardèrent le silence, ensuite le moine ajouta avec un affreux sourire: Ce sont peut-être les voix des spectres dont je vous ai parlé, Monsieur. Le moine continuoit de prêter une oreille attentive, lorsque M. Dabaud saisit fortement son bras; ses yeux égarés sembloient suivre quelque objet fugitif le long du passage: Ne voyez-vous pas quel-que chose demanda -t -il“d'une voix entrecoupée? -- Allons, dit le moine,“ce n'est pas ici le moment de vous livrer à de pareils verties. -- Ce ne sont point des vertiges. „répondit M. Dabaud “ en frémissant; il est venu devant mes yeux et s'est arrêté là, ensuite il a disparu. Je l'ai vu aussi distinctement que je vous vois. -- Imbécille, „s'écria le moine, “ qui as-tu vu? „-- Tout beau, mon père, reprit M. Dabaud d'un ton courroucé, je n'ai jamais été votre intime confident, je n'ai jamais tué personne pour vous, ainsi parlons honnêtement, s'il vous plaît. -- A la bonne heure, répliqua poliment le moine, mais dites-moi ce que vous avez vu. --“ Et puis après, il est revenu, et m'a fait signe d'aller à lui avec ce doigt sanglant et s'est glissé au fond du passage; là, il m'a encore fait signe, ensuite il s'est perdu dans les ténèbres. „-- Qui? demanda de nouveau le moine. --“J'ai vu cette “épouvantable main...je la vois encore en ce moment... c'est là ...c'est là „ -- Vous expliquerez-vous enfin, dit sérieusement le religieux. -- Quand Spalatro se sera expliqué, répondit M. Dabaud, avec le plus grand sang-froid: qu'il dise ce qu'il a vu, et ensuite je parlerai: car j'ai vu absolument la même chose que lui. --Mauvaise raison, repartit le moine. -- Mon père, il n'y a point de mauvaise raison dans un roman anglais, et le lecteur est obligé de se contenter de tout ce qu'on lui dit.

Sentant bien qu'il n'avoit rien à répondre, le moine voulut continuer à marcher, attendez un peu, dit M. Dabaud en s'arrêtant; nous avons bien autant travaillé que Hutner et Sir Charles; “ne vous rappelleriez-vous pas (comme le capitaine) que vos voyages vous ont fait contracter l'habitude de porter toujours avec vous une petite bouteille de Rhum. „ Ce seroit bien le cas d'en boire quelques gouttes. Le religieux se mit à rire, et, sans autre réponse que celle-ci qui est bien commode pour un auteur guand il n'a rien à faire dire à un personnage, il poussa M. Dabaud dans la sacristie. C'étoit un bâtiment octogone, boisé tout autour d'un chêne aussi noir que l'ébène. Tous les pans de cette boiserie étoient arrangés en compartimens et disposés en armoires dont plusieurs étoient encore entr'ouvertes; on en voyoit tomber de vieux lambeaux d'ornemens à demi pourris et rongés par les rats. Des feuilles entières de livres chargés d'écritures gothiques se rencontroient sous les pieds à chaque pas; le vent qui passoit par les vitraux coloriés presque entièrement rompus, les agitoit et les faisoit tournoyer en leur causant une frôlement qui avoit quelque chose de sinistre.

Ce qui frappa sur-tout M. Dabaud, ce fut un grand régistre qui étoit posé sur une table; on voyoit auprès un encrier et quelques plumes collées ensemble par l'encre qui s'étoit changée en liqueur glutineuse. M. Dabaud s'approcha, et, à l'ouverture du régistre, ces mots frappèrent sa vue: Aujourd'hui 23 août 1776, a été enterré dans cette chapelle le corps de Michel-Isidore, chevalier de Germeuil.... Il ne poursuivit pas, sa main trembla, il voulut refermer le régistre. Avant qu'il en eût le temps, l'épée d'une statue de Saint Michel qui étoit au-dessus de la table dans une niche, se détacha de la main du céleste guerrier, et tomba sur la page du livre que M. Dabaud tenoit encore: il remarqua avec horreur que cette épée étoit teinte d'un sang qui paroissoit encore frais et vermeil: C'est comme tous les autres poignards, dit-il en saisissant vivement le bras du religieux et en l'entraînant loin du prodige qui l'épouvantoit.

Le religieux ouvrit une grande porte à deux battans, souleva les rideaux cramoisis d'une sorte de dais qui étoit attaché au-dessus de la porte et ils se trouvèrent dans l'église. „ Une certaine fraîcheur sinistre se fit sentir; la clarté vacillante de la lampe de l'autel parut expirer et se ranimer tout-à-coup. Le plus grand silence régnoit; la décoration de l'autel étoit magnifique. Un grand crucifix d'argent massif enrichi de pierres fines faisoit face à un superbe tableau de Rubens; les murs étoient complétement couverts des chef- d'oeuvres des plus grands maîtres. Particulièrement autour du crucifix brûloient quelques cierges de différentes couleurs mais ils étoient si élevés que leurs rayons affoiblis se perdoient graduellement dans les ténèbres. Quelques lampes funèbres suspendues près des châsses vénérables rangées autour de l'église les éclairoient d'une lumière vacillante et faisoient entrevoir la distance des arches qui soutenoient la voûte de cette majestuese et obscure solitude . Tout frappoit l'imagination d'idées lugubres, et portoit dans l'ame un saint respect, une terreur sacrée: les rayons solitaires des cierges formoient de grandes masses d'ombres et de lumière d'un effet frappant et sublime. M. Dabaud s'arrêta un instant, car il sentoit une impression de sublimité qui alloit jusqu'à l'épouvante. Venez, venez, lui dit le religieux, ce n'est pas ici que nous avons affaire. Ils se remirent en marche et le bruit de leurs pas rouloit en échos dans cette vaste enceinte.

Il le conduisit jusqu'à „une petite chapelle écartée; les murs verds de moisissure, les vitres cassées, les ornemens en lambeaux, annonçoient assez qu'on y venoit rarement . Deux ou trois lampes de cuivre attachées à des chaînes de fer en forme de Rosaire pendoient à la voûte recouverte jadis d'une peinture à fresque. Une large bande noire faisoit le tour des murailles, et sur cette bande étoient peintes de distance en distance les armoiries de la maison de Germeuil.

Vers le milieu de la chapelle „s'élevoit une fenêtre dont les arcades en pointe montroient des fragmens de vitraux rouillés, autrefois l'orgueil de la dévotion monacale. L'autel étoit entièrement tendu en noir, les ornemens qui le décoroient étoient chargés d'ossemens et de têtes de mort représentés avec une vérité qui faisoit horreur. Au milieu du sanctuaire on voyoit encore une espèce de banc recouvert d'un tapis noir parsemé de croix blanches. Quatre chandeliers de hauteur d'homme, entourés de crêpes en lambeaux et surmontés de grosses torches de cire jaune, annonçoient assez, par l'ordre dans lequel ils étoient placés autour du banc, qu'on y avoit jadis déposé un cercueil. A quelques pas de là on reconnoissoit l'entrée d'un caveau dont la trappe à moitié levée laissoit apercevoir, un magnifique tombeau de marbre noir ... Tout-à-coup, une voix imposante qui semble sortir du tombeau se fait entendre et dit: Que pensez-vous, citoyen Dabaud, du mystère qui vous environne? --Rien, répondit-il du même ton que Sir Charles et, si votre tombeau de marbre noir est aussi inutile que celui de Perkins, vous auriez bien pu vous éviter la peine de le faire construire d'autant mieux, qu'il ne sert pas de titre à votre roman. La voix imposante n'avoit apparemment aucune bonne raison à donner, car elle se tut. M. Dabaud s'adressa alors au moine. Faudra-t-il donc, lui dit-il, que j'aille, comme d'Orméville, passer une nuit là-bas dans ce caveau? mon père, savez-vous bien qu'on n'y entend que , la vibration monotone du balancier de l'horloge, et le chant funèbre de l'office des morts. Paix, dit le religieux en entrant dans un banc; au même instant minuit sonna. Le vieillard tomba à genoux: M. Dabaud imita son exemple. En un clind'oeil l'église entière fut illuminée: M. Dabaud vit à-la-fois au pied de chacune des statues qu'il avoit remarquées autour, une lumière briller dans une lanterne de verre couleur de sang, ce qui répandoit dans l'édifice une clarté fausse et effrayante. “L'autel trembla et une voix répéta les mots: souvenez-vous-en. Plusieurs petites cloches commencèrent à sonner d'elles-mêmes et à former un carillon discordant et sinistre. Grand dieu, s'écria M. Dabaud avec l'étonnement de la frayeur; voilà qui est pire que tout ce que j'ai jamais lu. On parle bien quelquefois, et même très-souvent, de la cloche du dîner, de celle de vêpres, de celle de matines; mais au moins quelqu'un les sonne, et ici voilà des cloches qui se meuvent d'elles-mêmes. Mon père, que signifie tout ceci, demandatil en se tournant du côté de son compagnon. Il fut frappé en ce moment de “ la figure vénérable du moine enveloppé de longues draperies blanches, et dont le capuchon rejeté par derrière faisoit ressortir une figure pâle où l'éclat des flambeaux laissoit voir l'affliction adoucie par la pitié, et quelques cheveux blancs échappés aux ravages du temps. „Qu'on juge si sa surprise dut redoubler quand il vit ce peu de cheveux blancs, se dresser entièrement et éprouver une agitation effrayante.

Que signifie tout cela, répéta M. Dabaud; quoique ce bon religieux, n'ait ni “une longue robe de fourrure sur laquelle soient tracés en broderie d'or un grand nombre des caractères étrangers et que retienne au-dessous de son sein une ceinture de pierres précieuses dans laquelle soit fixé un poignard: „quoique son cou, sa gorge et ses bras ne soient pas nus: quoiqu'il ne porte pas en sa main une baguette d'or: „quoiqu'il ne jette pas dans les flammes “ trois doigts humains et un Agnus Dei, „je serois tenté de croire qu'il est tout aussi sorcier, tout aussi diable que Matilde. Mais, si j'ai deviné, il auroit bien dû aussi se montrer à moi en jolie femme et me jouer de la harpe auprès de mon lit, parce que cela distrait. Cependant, pour m'assurer de ce que je veux savoir, j'aurois bien envie de ... En prononçant ces deniers mots, M. Dabaud“ jeta les yeux sur l'inscription d'un confessionnal placé vis-à-vis de lui et sur lequel étoient écrites en lettres noires ces terribles paroles; Dieu t'entend. Il frissonna, cette inscription se grava au fond de son coeur, et il tomba dans une sombre rêverie . „Peu-à-peu le même sentiment qui l'avoit animé d'abord vint encore agiter tellement son esprit, qu'il ne put le maîtriser. Se jetant avec violence au cou du moine, il ouvrit brusquement sa robe. On sent bien que le religieux fut trèssurpris de cette incartade: Voulez-vous donc m'étouffer, comme Ambrosio étouffa Elvire, dit-il en se reculant d'un pas. Non, reprit M. Dabaud avec plus de fermeté qu'on n'auroit dû en attendre de lui en cet instant; je veux seulement voir si, comme le Père Pierre, vous n'auriez pas sur la poitrine un portrait à l'aide duquel, en y joignant une petite histoire, vous puissiez vous trouver tout-d'un-coup grand-père de qui on voudra. Je vous avoue que je me défie toujours de ces moines où de ces nonnes qu'on rencontre comme vous au moment qu'on y pense le moins; ils finissent ensuite par être de la famille. Vous vous souvenez sans doute par quelle heureuse étoile, Julia devint l'amie d'une soeur Cornelia dans laquelle elle découvre, avec autant d'étonnement que le lecteur, la soeur de son amant, qui ne paroît dans le roman que pour conter ses aventures et recevoir l'extrême onction; ce qui amène au reste une très-belle procession de religienses et de moines, au milieu desquels on découvre le Père Angelo amant bien digne de la mourante, car il est tout aussi inutile qu'elle-même. Vous n'aurez pas oublié non plus que la soeur Olivia, non moins prédestinée que la soeur Cornélia, devient, par une reconnoissance, la mère d'Eléonore; d'après cela vous ne devez pas trouver mauvais que je cherche à découvrir sur-le-champ si vous n'êtes pas un de mes cousins, ou peut-être même un de mes parens plus proches.

De plus en plus étonné de la présence d'esprit de M. Dabaud, le moine étoit embarrassé pour lui répondre, lorsque la couverture du tombeau de marbre noir qui étoit à l'entrée du caveau s'agita et se souleva lentement: M. Dabaud en vit sortir un fantôme qui étoit enveloppé de la tête aux pieds d'un long drap blanc; il n'eut pas de peine à le reconnoître pour le même qui lui avoit apparu dans le salon de son château, pour l'ombre dul chevalier de Germeuil. Sa blessureà au côté gauche paroissoit encore, son linceul étoit toujours inondé de sang. Hélas, mon père, s'écria M. Dabaud effrayé en cachant son visage dans la draperie du religieux, on diroit que nous sommes devant la sépulture du château de Wals, comme Célestine! Le fantôme s'avança d'un pas grave jusqu'au pied de l'autel; il se mit à genoux et poussa un gémissement plaintif et prolongé, comme les fantômes n'y manquent jamais. A ce signal plusieurs pierres se soulevèrent dans différens coins de l'église, et des fantômes entourés de suaires, ainsi que le premier, sortirent de terre et comlemencèrent à errer parmi les piliers. Tous se rendirent enfin autour de celui qui les avoit appelés et se mirent regenoux derrière lui, excepté un seul qui se plaça à ses côtés. Le religieuxit à M. Dabaud que c'étoit dl'ombre du Président.

Le carillon cessa aussi brusquement qu'il avoit commencé; après un usilence total de quelques minutes, etous les fantômes élevèrent ensemble veeurs bras vers le ciel et crièrent à trois à fois différentes d'un ton traînant et somnbre: Jusriee! Venerance! A chaque reprise ils avoient levé et baissé leurs bras; à la troisième ils les laissèrent tendus vers le ciel et se mirent à chanter. L'orgue placé dans une tribune “ rendit alors des sons solennels, “et toutes les voix s'élevant ensemble donnèrent plus de force et plus “de majesté au chant religieux ." Cette musique vaut bien toutes celles dont j'ai ouï parler assez souvent dans les romans que j'ai lus, dit M. Dabaud; mais enfin comment appelleton ce morceau-là? Est-ce une chan“son de Gascogne ? „--Quoi, lui dit le religieux un peu fâché par cette question qu'il n'auroit pas prise pour une mauvaise plaisanterie s'il avoit lu les Mystères d'Udolphe, vous ne connoissez pas l'hymne de minuit? -- Je devrois cependant bien le connoître, reprit M. Dabaud honteux de son manque de mémoire, car c'est celui que chante Eléonore „en s'accompagnant du luth avec une délicatesse infinie;“ c'est aussi celui que chante Antonia „ devant une image de Sainte Rosalie sa patronne;“ en un mot c'est celui qu'on chante toutes les fois qu'un faiseur de roman a besoin de musique pendant la nuit.

Lorsque la mélodie fut achevée, les fantômes crièrent de nouveau trois fois: Justice! Vengeance! et „traversant silencieusement des passages étroits et obliques,“ ils retournèrent dans les fosses d'où ils étoient sortis. Les pierres s'abattirent avec grand bruit; „une image de la vierge sur laquelle M. Dabaud avoit les yeux fixés, pencha sa tête, s'agita avec violence, les cierges s'éteignirent, et une voix sépulcrale prononça: “souvenez-vous-en ."

CHAPITRE VII.

Une partie de l'épreuve est finie, dit le moine à M. Dabaud; il ne vous reste plus qu'à passer seul quelques heures dans la tour du Sud-Ouest: c'est là où vous apprendrez beaucoup de choses que vous ignorez encore. -- Hélas, dit tristement M. Dabaud, je m'en doute d'avance; ce qu'on trouve dans ces tours se ressemble toujours beaucoup: mais enfin, conduisez-moi, puisqu'il faut bien que je me résigne.

Le vieillard prit M. Dabaud par la main, et tous deux marchèrent vers la porte du Nord qui s'ouvrit avec un grincement aigu, avec un cri aigre, en un mot avec tout ce que peut faire une porte en pareil cas. Après avoir descendu quelques marches, ils se trouvèrent dans n une cour immense encombrée de ronces, d'épines, de longues herbes de toute espèce, et convertie en pré sauvage;" ils apercurent devant eux "le portail d'une longue galerie de pierre. L'entrée en étoit obstruée par des fragmens de colonnes et par des arbrisseaux qui avoient pris racine au milieu de cet amas de débris; ils parvinrent à se frayer un passage, mais comme la galerie étoit d'une étendue considérable et que la lumière (de la lune) ne pouvoit y pénêtrer seulement que par le portail et par quelques ouvertures étroites pratiquées dans les murs, ils se trouvèrent bientôt dans une obscurité qui rendoit le chemin extrêmement difficile . „Ils arrivèrent cependant à une porte d'une proportion gigantesque; deux fortes tours surmontées de tourelles et bien fortifiées, en défendoient le passage. Au lieu de bannières, on voyoit flotter sur ses pierres désunies encore de longues herbes et des plantes sauvages qui, comme les autres, prenoient racine dans les ruines et qui sembloient croître à regret au milieu de la désolation qui les environnoit. Du haut de la voûte tomboit une pesante herse ".... Après avoir franchi cette première porte, M. Dabaud et le moine se trouvèrent dans "la seconde cour. Encore de hautes herbes la couvroient de toutes parts, et ses hautes murailles étoient tapissées de brioine, de mousse, de lierre, et des tours crénelées s'élevoient encore au-dessus . Un flambeau brilloit au loin à travers une longue suite d'arcades, et ses foibles lueurs tombant tour-à-tour sur les piliers et sur les voûtes, dessinoient fortement leurs ombres alongées sur le pavé et sur les murs . On apercevoit devant soi une masse énorme de bâtimens sans ordre, sans distribution. Elle étoit flanquée sans nulle symétrie de tours inégales en forme comme en hauteur. Une multitude innombrable de petites fenêtres surchargées d'ornemens gothiques attestoient l'antiquité de l'édifice, en même temps que les vitres cassées annonçoient que depuis plusieurs années on en avoit abandonné le séjour aux oiseaux de nuit." Le château "s'élevoit sur une terrasse rustique, ombragée par des arbres très-hauts et très-déployés qui sembloient contemporains du bâtiment et répandoient alentour une ombre romantique . Le ciel étoit serein et la nuit calme. Des "rayons de la lune tomboient à pic sur les tours antiques du château dont ils argentoient les sommets. On n'entendoit que le bruissement des feuilles agitées par le vent frais de la nuit." Parmi la multitude des tours dont le principal corps de logis étoit entouré, on distinguoit aisément à l'une des ailes un pavillon dont le toit terminé en pointe se perdoit dans les nuages. La girouette qui surmontoit le sommet s'agitoit avec violence, et, par ses cris aigres, imitoit le glapissement des hiboux. Audessous étoit placé le timbre de l'horloge qui en ce moment vint à sonner. M. Dabaud "entendit presque aussitôt, dans la partie opposée du bâtiment, un bruit affreux qui ressembloit à un retentissement sonore et aigu de plusieurs armures qui se seroient choquées ensemble et qui se prolongea pendant quelques minutes.... Au même instant une foible lueur brilla à une petite croisée, et bientôt après il aperçut très-distinctement une plus grande clarté qui s'évanouit sur-le-champ... La lumière se montra de nouveau, et il vit alors passer une figure qui portoit une lampe; cette figure disparut aussi vîte que la lumière avoit fait d'abord, et tout rentra dans le silence." Devant quel diable de château m'avez-vous donc amené, s'écria M. Dabaud; il vaut à lui seul tous ceux de Lindenberg, d'Udolphe, de Montnoir et même celui de K*** en Westphalie.

Sans répondre à ce discours, le religieux fixa les regards de son compagnon sur le pavillon où étoit l'horloge, et, prenant le même ton que Montoni lorsqu'il prononce: Voilà Udolphe, il lui dit: Voilà la tour du Sud-Ouest. Vous n'aviez pas besoin de me le dire, reprit M. Dabaud, je m'en étois bien douté. Qui ne la reconnoîtroit pas aux glapissemens des girouettes et au sommet terminé en pointe? Mais, mon père, est- ce que vous ne pourriez donc pas me dispenser d'aller y passer la nuit? -- Sans doute, si nous étions dans tout autre roman, mais, dans un roman-anglais, c'est inévitable. Au reste, tranquillisezvous; vous y entendrez “des tonst plus pleins, plus mélodieux que ceux d'une guitare, et encore plus mélancoliques que ceux d'un luth." Votre oreille y sera aussi charmée par “une voix douce, harmonieuse et tendre, mais dont les sons foiblement articulés ne permettent de rien distinguer qui ressemble à des mots. Quoi! la Signora Laurentini vient se promener jusqu'icl, demanda vivement M. Dabaud. -- Non, les uns ont cru que c'étoit Claude qui jouoit de son chalumeau dont il s'amusoit fort souvent, d'autres ont assuré que c'étoit“ des bergers qui jouoient du flageolet, quoique tout cela ne ressemble ni à un luth ni à une guitare; on a voulu ensuite que ce fût , des concerts d'anges; le Père Denis a préntendu que c'étoit un “avertissement du ciel pour annoncer la mort d'un enfant, " de manière qu'on ne sait plus à quoi s'en tenir, et que tout le monde ignore quel est le musicien. -- Bah! c'est encore ce pauvre M. Dupont qui chante des chansons de Gascogne, dit M. Dabaud. Mais, vousmême, ajouta-t-il par réflexion en se retournant du côté du moine, qui êtesvous, mon père? -- Je suis italien, comme vous avez dû vous en douter. (M. Dabaud fronça le sourcil.) -- Et quel est votre nom? -- Mon nom n'est point Montoni , ni Schédoni, ni Rasoni, mais je m'appelle Falconi. (M. Dabaud secoua la tête.) Mon père, reprit-il gravement au bout de quelques instans, je suis fâché d'être obligé de vous le dire, mais quand on est italien, qu'on qu'on est moine et qu'on a un nom en oui, on est inévitablement un coquin... Aussi ne suis-je pas trop honnête homme, reprit le religieux en souriant, et, quand je serai prêt à mourir, comme Rasoni , comme Vincent, comme Eburne , comme la soeur Agnès , comme Schédoni, comme le lord Chatam , je compte bien vous faire appeler pour vous raconter des choses qui vous surpendront: mais, en attendant, ilfaut, s'il vous plaît, que nous allions à la tour du Sud-Ouest ..... -- Mais, mon père..... -- Mais, si vous réistez encore, je m'en vas prendre les grands moyens, et le tonnerre , .. Le religieux n'avoit pas achevé ces mots, lorsque M. Dabaud vit “les lueurs “bleues d'un éclair qui sillonnoient le “sol entre les touffes des arbres. „ Il frisonna, comme on le pense bien, eta voulut essayer de fléchir le moine. Pointp de prières inutiles, s'écria celui-ei; obéissez, ou je vous détache tous les tonnerres de l'Abbaye de Grasville. Connoissant l'étendue de cette menace. M. Dabaud promit de se résigner; il ne pouvoit cependant s'empêcher de faire encore quelques représentations. Nous perdons du temps,“ lui disoit le religieux, et des conversations ne valent pas des aventures. Avançons, avançons. -- Au moins, dites-moi dans quel château nous sommes. --C'est encore là une question indiscrète; pourvu qu'il y ait des ruines, des spectres et une tour portant le nom d'un des trente-deux points de la rose des vents, voilà tout ce que vous avez droit d'exiger.. -- Je vous avoue pourtant ... -- En voulez-vous savoir davantage, je vais vous contenter. Regardez sur votre droite, vous apercevrez “tout-à-la-fois, le détroit de Mes“sine, la rive de Calabre qui se trouve “en face, et une foule de sites sauva“ges et pittoresques de la Sicile; l'Etna, couronné de ses neiges éternelles “et se perdant dans les nues, la ville de “Palerme et ses brillantes pyramides se font aussi distinguer. „D'un côté vous verrez “la mer, de l'autre le Piémont, dont la perspective se couronne dans le lointain par le sommet majestueux des Alpes." Par ici vous remarquerez “ les plaines “du Languedoc rougies de grappes “purpurines, plantées de mûriers, d'a“marchers ét d'oliviers qui s'étendent “à l'ôrient et au nord: Au sud ta „Méditerranée claire comme un cristal, bleue comme le ciel qu'elle réfléchit et portant une foule de voiles blanches que frappe le soleil “ (quand il paroit) dont le mouve“ment vivifie la scène . „Par là vous apercevrez la charmante perspective des bords du Golfe de Naples, les barques innombrables, les “félouques ainsi que les gros vaisseaux “qui voguent au loin vers l'extrémité de l'horizon. „Vous verrez aussi “le Vésuve et jusqu'au lac Campanella couronné par des montagnes “qui s'élèvent en amphithéâtre et se “perdent parmi les nuages azurés. Vous avez à votre droit en une saillie de cette chaine des Alpes qui “couronne l'amphithéâtre dont Nice est environné; les vertes collines “qui descendent jusqu'au rivage, la ville et son ancien château, et les “vastes eaux de la Méditerranée, “avec les montagnes de Corse, à la “plus grande distance. Sur notre gauche est la campagne d'Italie où les rivieres, les cités, les “bois, toute la prospérité de la culture s'entremêlent dans une riche confusion. L'Adriatique borne l'ho“rizon. Le Pô et la Brenta après “avoir fécondé toute l'étendue du “paysage, y viennent décharger leurs “fertiles eaux . Devant vous est “le grand lac de Constance entouré “de tous côtés de villages, de vignes “et de paysages charmans. La ville “de Lindau s'élevant du milieu des “eaux et vous donnant une foible “image de la superbe dominatrice de “la mer Adriatique, borne agréablement votre vue. Vous apercevez “de loin le Rhin, qui, sortant du milieu des montagnes de l'Appenzel et “du Tyrol .... "

Le moine vouloit encore poursuivre; M. Dabaud impatienté lui mit la main sur la bouche en lui disant avec humeur: Mon père, mon père, vous parlez comme une géographie ou un voyage, et je peux voir beaucoup plus à mon aise tout ce que vous me décrivez là, dans un très-bel optique qui est dans mon château, où j'aimerois mille fois mieux aller passer le reste de la nuit que dans votre chienne de tour, où je n'ai pas d'affaires au reste. -- Mille autres qui n'y en avoient pas plus que vous y sont bien allés, reprit le religieux; allons, allons, citoyen Dabaud, venez vîte, le lecteur attend des aventures.

Le pauvre homme ne marchoit qu'à contre-coeur; cependant il arriva peu-à-peu au bas d'un péristile dont il monta les marches le plus lentement qu'il put. Une grande porte se présentoit, le moine saisit la poignée qui étoit une tête de lion en bronze et un des battans s'ouvrit sans effort. En ce moment l'horloge du château sonna une heure. Hélas, s'écria M. Dabaud, je ne suis pas le seul à plaindre! Voilà ce malheureux Raymond de las Cisternas qui va passer un aussi vilain moment que moi. La Nonne sanglante lui fait maintenant sa visite ordinaire. Oui, mais à deux heures, il en sera quitte pour un serrement de main et un baiser, un peu froid. à la vérité; et qui sait ce qui m'attend, pendant tout le reste de la nuit que je dois finir la-haut?

CHAPITRE VIII.

Qu'on essaye de se figurer quel fut a-l'étonnement de M. Dabaud lorsqu'il se trouva positivement dans le même vestibule où il s'étoit réveillé d'abord.

La grille du fond étoit fermée comme il l'avoit laissée, et cette porte par où il venoit de passer, oette porte que le vieilland avoit ouverte sans difficulté, étoit la même grande porte de bois qu'il avoit secouée avec tant, de violence sans pouvoir, faire céder les calenats et les verroux dont elle étoit chargée.

En vérité, mon père, dit- il au oine, avec un ton dhumeur qui étoit peut-être bien pardonnable, dites-moi done pourquoi, s'il faut absolument que je monte dans cette maudite tour, on a commencé parme faire prendre un chemin qui n'y conduisoit guère: car enfin la promenade que nous avons faite ensemble n'a servi jusqu'à présent qu'à me causer des peurs efroyables dont je me serois bien passé. -- Vous vous plaignez précisément dei ce qu'il ya de plus beau dans votre histoire, répondit le moine, c'est d'avoir un grand nombre d'aventures inutiles qui étonnent celui qui les lit. Le héros n'est plus rien dans un roman, c'est le lecteur qui est tout: pourvu qu'il frisonne et qu'il soit en suspens, les personnages ont beau faire tout ce qu'ils veulent, peu importe. Au surplus, voila l'escalier par où vous devez monter.

Cette phrase fit beaucoup plus d'impression sur l'esprit de M. Dabaud que tout le reste de la harangue; il regarda l'escalier dont on lui parloit, c'étoit positivement celui qui étoit taché de sang. Mon père, avec votre permission, je ne monterai point, s'écriatil en se reculant. Cet escalier est tout aussi sanglant que celui de la tour de l'OrientEmilie alla chercher madame Montoni. -- Eh! bien? -- Eh! bien, moi je n'ai pas de tante là-haut et je n'ai pas besoin d'y aller. -- Insensé! vous ne savez pas ce que vous y trouverez. -- Peut-être “quelque chose qui aura la forme humaiene, mais qui restera sans mouvement; “des habits noirs et longs comme ceux “que Vivaldi souleva avec la pointe de “son épée en prenant la torche;" une partie de l'habillement d'un moine bien ensanglanté! mais je n'ai pas affaire de tout cela. Quand bien même je rencontrerois comme Emilie "un vieil uniforme de soldat sous lequel seroient entassées des armes; à terre dans un coin bien obscur ,„ cela, me seroit encore aussi inutile qu'à elle, ce qui n'est cependant pas peu dire. -- Tout ce que vous me représenterez peut être fort juste, mais ce n'est pas des raisons qu'il nous faut, c'est des événemens, et, pour en avoir, vous allez monter dans la tour du Sud-Ouest. -- Vous y viendrez sans doute avec moi? -- C'est e qui ne m'est pas permis; ce qui fait peur à un seul ne feroit pas peur à deux. -- Vous viendrez au moins jusqu'à “l'extrémité de la galerie qui “se termine par un escalier vaste et “antique duquel on descend dans un “très-spacieux péristile. „Ce fut jusques-la que madame de Menon, Emilie qui étoit une blonde inté“ressante, et Julia sa cadette qui “avoit un caractère plus vif,„ accompagnèrent Ferdinand. -- C'est vrai, mais cependant je ne ferai aucun pas de plus avec vous, et c'est ici que nous devons nous quitter. -- Comment pénétrerai- je dans les appartemens, si personne ne m'ouvre les portes? -- Tout est ouvert, “tout est “resté comme il étoit le jour de l'en“terrement du chevalier de Germeuil. C'est par cet escalier qu'on le transporta tout sanglant dans sa chambre; c'est par cet escalier qu'on descendit son cercueil pour aller le déposer dans le tombeau de ses pères.

M. Dabaud avoit tremblé à chaque phrase du religieux, mais que devint-il lorsqu'il le vit s'approcher lui-même dee l'autre escalier, sur les marches duquel on distinguoit des pas d'hommes empreints dans la poussière. Mon père, mon père, où diable allez-vous donc, lui demanda-t-il d'un ton effrayé. Je vais auprès du gros canon sur le rempart du haut, répondit le moine en montant quelques degrés d'un pas grave et mesuré. M. Dabaud restoit immobile; il regardoit les gouttes de sang, le voit les pieds et les reposoit à terre sans oser les appuyer sur les marches. Après quelques instans de réflexion, il se tourna encore du côté du religieux. Mais si cependant, lui dit-il d'un ton tremblant, il alloit m'arriver-la même chose qu'à Percival Masérini. Il monta, comme moi, tout seul par un grand escalier pour arriver à la tour de l'Ouest, et “depuis on ne le revit jamais .“ Deux ou trois grands vauriens l'attendoient en haut et le firent périr après l'avoir tenu, je ne sais combien de temps edsns un tombeau. Peut-être .... -- Tranquillisez- vous, reprit flegmatiquement le religieux: je vous jure que vous n'avez aucun danger à redouter de la part des hommes, et que demain vous descendrez de la tour sans avoir éprouvé le moindre mal. On a encore besoin de vous pour achever l'histoire. En finissant ces mots, le vieillard l'engagea à monter et continua lui-même d'avancer. M. Dabau “ entendit ses pas pressés. Il en écouta les sons qui s'affoiblissoient à chaque ins“tant, le calme mélancolique de la “nuit cessa enfin d'en être interrompu .

Sa frayeur redoubla quan il se trouva seul il n'osoit se résoudre à suivre les ordres qu'on lui avoit dinnés, il regardoit autour de lui, il appeloit le moine les échos l'effrayoient encore en répondant à ses cris. Il étoit plongé dans ces mortelles indécisions, lorsqu'il entendit cette même voix qui lui avoit déjà parlé dans de vestibule lui adresser ces mots d'un ton encore plus terrible que jamais: Monte, ou prépare-toi à mourir.

Au même moment un coup de tonnerre affreux fit mugir sourdement les voûtes, la grille de fer fut agitée, les vitres éprouvèrent une vibration prolongée. Epouvanté par cette menace et par l'avertissement surnaturel qui l'accompagnoit, M. Dabaud rassembla son courage et commença à monter. Il est singulier, dit-il entre ses dents, que le tonnerre soit toujours si bien d'accord avec tout le monde pour tourmenter les malheureux qui, comme moi, sont obligés de chercher des aventures.

Le tremblant M. Dabaud évitoit d'arrêter ses regards aucun objet; il croyoit trouver à chaque pas de nouveaux sujets d'effroi. Les murailles étoient tapissées de grandes cartes de géographies et d'arbres généalogiques où le nom du chevalier de Germeuil se faisoit distinguer par les lettres rouges avec lesquelles il étoit écrit. Voilà furieusement de sang, disoit M. Dabaud; quand on fit un roman anglais, on se figure être sur un champ de bataille.... Son attention fut distraite par des lampes qu'il remarqua de distance en distance. Elles paroissoient prêtes à s'éteindre et se rallumoient par intervalles. Il faut, s'écria M. Dabaud, que ceux qui sont chargés d'éclairer les vieux châteaux à aventures soient bien fripons ou bien mal payés, car, depuis que je lis des Rattcliffades, je n'ai pas encore vu une lampe qui éclairât comme il faut.

Quoique M. Dabaud s'occupât de ces réflexions, elles ne fixoient pas tellement son esprit qu'il ne pensât aussi à un objet qu'il regardoit comme fort important: Après avoir monté un certain nombre de marches, il s'arrêta tout-à-coup, et si brusquement que quelqu'un qui l'auroit vu auroit deviné sans peine qu'il étoit pénétré de quel-que grande idée. Il jeta un coupd'oeil en arrière, comme s'il eût voulu compter le nombre des marches qu'il avoit parcourues, et, lorsqu'il fut apparemment bien sûr qu'il ne se trompoit pas, il appela de toutes ses forces le religieux. Pendant quelques momens ses cris furent inutiles; mais enfin le bon père reparut encore sur le haut du palier.

Irai-je plus loin? lui dit M. Dabaud, d'un, ton troublé. -- Comment, répondit le moine avec étonnement; je vous croyois déjà dans la tour du Sud-Ouest, pourquoi tardez vous si long-temps? --Mon père.... mon père, „c'est que je suis à la seizième. --Quoi! que voulez-vous dire? --Auriez-vous donc déjà oublié la mésaventure de ce pauvre Ferdinand lorsqu'il parvint à la seizième marche de l'escalier de la tour méridionale?“ Par une suite de “l'ébranlement qu'il venoit de, don“ner aux pierres disjointes, les marches inférieures se rompirent, et il „resta suspendu sur le point où il se trouvoit à dix ou douze pieds de “terre, ayant au-dessous de lui un “monceau de pierres et de décombres, et de plus“ une épée dans “la main droite et dans la gauche une lampe sombres et sépulcrale qui ne manqua pas de tomber et de s'éteindre, comme font toutes les lampes, si bien-que l'infortuné resta pendant plus d'une heure au millieu “d'une nuit profonde et en proie aux “térrers résultantes des apparitions “mystérieuses de lumières, de ces bruits soudains et nocturnes les “pas inconnus répétés par les échos “dont retentissent les voûtes de cette “antique habitation . „Vous voyez bien que si malheureusement. .. --Le sujet de votre frayeur n'est peut-être pas si déraisonnable, mais je vous promets que l'escalier est solide, et je vous engage à ne pas vous arrêter davantage; avancez et ne redoutez plus rien. En achevant son discours, le religieux lui fit de nouveau un petit signe de tête et disparut.

Parvenu au haut de l'escalier, M. Dabaud se trouva dans une espèce d'antichambre spacieuse;“elle “étoit entièrement tapissée de drap “noir et, selon toutes les apparences, “elle avoit servi autrefois pour une “chapelle ardente. On y voyoiten“core dans des lanternes de verre “noir des morceaux de cierges iné“galement brûlés. Au milieu il y “avoit deux tréteaux a côté desquels “étoit une grande plume noire..„ Sur ces tréteaux étoit un lit de parade en velours noir brodé d'argent. Tout autour étoient de grands candélabres sur lesquels il y avoit des torches allumées. Le parquet étoit parsemé de branches de cyprès et d'herbes odoriférantes entièrement desséchées. Quelques lustres entourés de crêpes pendoient à la voûte, et de larges écussons en broderie étoient attachés en divers endroits. Une figure pâle et livide étoit étendue sur le lit, ses mains jointes, entre lesquelles étoit placé un petit crucifix, étoient dressées sur sa poitrine. Le linceul qui la couvroit étoit taché de sang; en un mot c'étoit encore l'ombre du chevalier de Germeuil.

M. Dabaud poussa un eri terrible et s'élança dans l'escalier pour s'enfuir, mais il ne put descendre que deux ou trois marches; une grille de fer, qu'il n'avoit pas aperçue en montant et qui s'étoit fermée sur lui, ne lui laissoit aucun espoir de se sauver. Ill secoua inutilement: Hélas, dit-il en voyant le peu de succès de ses efforts, cette grille- ci est encore construite comme la porte du donjon où Ferdinand étoit renfermé , et me voilà obligé de rester ici. A peine achevoitil ces mots, qu'il entendit le bruit d'une marchepesante accompagnée d'un cliquetis d'armes et d'éclats de voix qui paroissoient s'approcher de lui.“ Voilà sans doute qu'on relève „la garde s'écria-t-il, on bien le “Signor et tous les Signors et bien d'autres qui se battent! parce que Montoni auroit avalé un grand verre de poison, s'il ne se fût pas servi habituellement d'une coupe de "verre de “Venise dont la propriété connu étoit “de se briser en recevant une liqueur “empoisonnée. Les Signors n'ont jamais trop bon ton, et sur-tout quand ils sont ivres et qu'ils se chamaillent, sans qu'eux-mêmes sachent à quoi cela mène, ainsi je crois qu'il est plus prudent de remonter, vu que les spectres, pas même la Nonne sanglante n'ont jamais tué personne; quoique cependant le pauvre Raymond n'ait pas été trop bien traité en voyageant avec elle sur le chemin de Rosenwald à Ratisbonne, car après des vents déchaînés qui mugissoient horriblement, des éclairs „qui brilloient en se croisant, un ton“nerre qui grondoit, et sur -tout “un craquement épouvantable qui vint terminer bien douloureusement ses in“quiétudes, son essieu se rompit, sa “voiture se brisa en mille pièces, et sa “tête en tombant frappa contre une “pierre où il resta étendu sans mouvement et sans aucune apparence de vie." Il est vrai qu'il s'étoit avisé de débiter des douceurs à son aimable revenant, et, quand on conte fleurette à une femme, c'est lui donner beaucoup de droits.

CHAPITRE IX.

Après cette réflexion, qui seroit un peu longue si elle n'étoit pas trèsjudicieuse, comme on le voit, M. Dabaud rentra dans l'antichambre, et ce fut avec toute la surprise qu'on peut imaginer, qu'il remarqua que la figure étendue sur le lit de parade avoit disparu. Parbleu, s'écria-t-il, voilà qui n'est pas mal singulier; cette figure a disparu aussi subitement que celle que virent Alfred, Matilde. Agnès et Léonard, dans cette chambre, où tout annonçoit „qu'un mort avoit été exposé avec “l'appareil funèbre. Encore si celle-ci m'avoit laissé comme l'autre une chaine d'argent à laquelle étoit“ “suspendue une clef d'or tachée de “sang, „j'irois à l'exemple de Matilde visiter les armoires qu'il y aura surement dans toutes ces chambres.

Plus expéditif que beaucoup d'autres héros, M. Dabaud marchoit même en réfléchissant, et il étoit déjà tout près d'une porte qui n'étoit fermée que par un rideau extrêmement bien travaillé. Il le souleva et se vit dans un salon dont l'ameublement formoit un parfait contraste avec celui de l'antichambre qui le précédoit; M. Dabaud “ s'arrêta un moment pour “contempler les restes de magnificence qu'on y voyoit encore: unet “tapisserie somptueuse, de grands sofas de velours avec des carreaux “brodés d'or, un plancher incrusté “de marbres rares et orné au milieu “d'un superbe tapis. Les fenêtres “étoient colorées, et de grands miroirs de Venise réfléchissoient de “tous côtés ce riche appartement. “Ils avoient autrefois réfléchi des fêtes brillantes; du centre du pla“fond représentant une scène de l'Armide du Tasse, descendoit une “lampe d'argent d'une forme étrus.. Des bustes d'Horace, “que.. d'Ovide, d'Anacréon, et de Tibulle, “et de Pétrone ornoient les encoignures. Trois ou quatre tables de jeu placées dans les coins eétoient encore couvertes de fiches et de cartes; on n'avoit même pas dérangé les siéges qui étoient autour.

En face de la porte étoit une niche chargée d'ornemens dorés et de sculptures. Un pavillon d'un travail exquis étoit au-devant; des rideaux de taffetas couleur de rose tomboient avec grâce, et à chaque coin étoient placés des glands en argent destinés àm les relever. Il y avoit déjà quelques minutes que M. Dabaud considéroit les différentes parties de ce salon, lorsque, ne voyant, n'entendait rien qui pût lui inspirer de la terreur, il s'assit surs un des fauteuils magnifiques dont il étoit entouré. Je doute, dit-il en s'y arrangeant avec complaisance, que, de tous les fauteuils que j'ai vus dans les romans, aucun valût celui-ci. Je n'en excepte pas le fauteuil de fer qu'Emilie trouva dans la chambre au-dessus du portail; ni le fauteuil tout doré qu'Henri trouvoit si ressemblant à ceux du Louvre. et au sujet duquel, le Comte son père promet une histoire qu'il ne raconte pas; ni le grand fauteuil dont les bras étoient rompus, qu'Adeline trouva dans les appartemens déserts de l'Abbeye de Saint-Clair; ni même le fauteuil de cuir sur lequel la goutte retenoit le cousin de Bidermann“ cloné les trois “quarts de l'année. Cette dissertation sur les fauteuils alloit peut-être conduire M. Dabaud encore bien loin, lorsque héreusement pour ceux qui n'aiment pas les dissertations, il aperçut près de lui, sur une table de bois de cèdre, quelques livres qui attirèrent son attention. Fort bien, dit-il en lui-même, voilà des livres qui sont un vrai guet-à-pens. Un pauvre malheureux qui est condamné comme moi à passer la nuit pour attendre les spectres et les événemens; croit trouver en lisant, un remède: contre la peur: point du tout, il ne rencontre que des histoires qui servent encore à l'effrayer; telles que, par exemple, le conte provençal que Dorothée avoit prêté à Ludovico quil lut après avoir mouche sa lampe ou bien le volume de romances espagnoles qu'Antonia prit dans la petite bibliothèque d'Elvire, et qu'elle lut aussi après avoir mouché sa bougie. Quant à moi, ajouta-t-il en élevant la voix, je déclare bien formellement que je ne lirai rien, fût-ce même le manuscrit que Célestine alla chercher à minuit dans la bibliothèque, et où elle trouva, ainsi qu'elle auroit dû s'y attendre, une histoire et une représentation qui l'effrayèrent si fort, que,“sans son“ger même à reprendre sa lampe, “elle s'élança vers la porte et par“courut dans les ténèbres plusieurs “appartemens .„

Pour éviter la tentation de lire un des livres desquels il ne se défioit peut-être pas sans sujet, M. Dabaud turna ses regards du côté de la niche; il considéroit avec plaisir l'élégance des ornemens qui la décoroient. Au bas des rideaux qui arrivoient presque jusqu'à terre on voyoit sortir les coins d'un tapis qui paroissoit d'un ouvrage merveilleux. En admirant tous ces détails, M. Dabaud sentoit le plus vif désir de savoir à quel usage pouvoit être destinée cette niche placée dans un salon de compagnie. Si j'étois par-tout ailleurs, dit-il en se levant, je n'hésiterois pas à relever le rideau, je serois bien certain de découvrir des objets agréables à la vue; mais dans la tour du Sud-Ouest il ne peut y avoir derrière un rideau n qu'une figure de cire re“présentant un cadavre rongé des “vers, „ou bien“un cadavre “étendu sur une couchette basse et tout inondée de sanf ainsi que le “plancher „ou bien“ une niche “remplie d'ossemens humains ,„ et tout cela n'est pas fort ragoûtant à voir... Ainsi, le plus prudent est de s'eloigner. Prenant une résolution courageuse, M. Dabaud fit quatre pas vers la porte: au moment de sortir, il ramena encore ses yeux vers la niche. Cependant, dit-il. avec d'air d'une réflexion r profonde,: si je n'y regarde pas, le lecteur ne saura pas ce qu'il y a dedans ... mais, ne seroit-ue pas par hasard encore l'ombre de ce chevalier de Garmeuil qui se trouve par-tout?“ S'il alloit en“core sortir de son tombeau au milieu de cette nuit silencieuse! S'il “s'échappoit encore des liens de la mort et qu'il vint encore présenter à mes Grand “yeux sa figure irritée!. “dieu! qu'est-ce que ceci? „

“Ses yeux fixés sur la niche “avoient vu le rideau s'agiter doucement en avant. en arrière.„ Y auroit-il quelque brigand caché ici, comme dans l'appartement de la marquise au château de Blangy , s'écriatil d'une voix qu'il croyoit fort rassurée et qui n'étoit rien moins que cela. Personne ne répondit.“ Ce “n'étoit que le vent, dit-il en reprenant courage. Il se promena encore en long et en large dans le salon; mals un sentiment involontaire de crainte d'inquiétude et de cu“riosité conduisoit toujours ses regards vers l'alcove. Il s'en approcha “en hésitant . Il se rappela soudain l'horreur qu'Emilie avoit éprouvée en découvrant madame Montoni mourante dans une tour à Udolphe . Il s'arrêta avant de “monter quelques marches qui conduisoient à la niche; “trois fois, il „avança la main pour tirer le rideau; “trois fois il la retira prêt à y toucher . Pauvre lecteur, disoit-il en lui-même, il est sur les épines, il attend bien impatiemment que je lui apprenne ce qu'il y a dans cette nihe; mais .... terreurs absurdes s'écria-t-il tout-à-coup, honteux de sa “foiblesse. Je suis sûr que c'est tout bonnement mademoiselle Flore qui s'est cachée ici pour m'épier comme elle épioit Ambrosio; allons, allons, soyons aussi courageux que le prieur des Dominicains de Madrid, quoique aucun lutin ne se mêle de nos affaires.

„Il monte les marches avec vivacité: Fantôme ou Diable qui, que tu “sois, je te tiens , s'écria-t-il en tirant brusquement un des glands d'argent qui tomboient du baldaquin. Il fit un cri d'horreur, le voile s'échappa de ses mains: Ce n'étoit pas une peinture qu'il avoit vue. Grand dieu! grand dieu, dit-il en s'éloignant tont tremblant d'épouvante, on imagine bien aisément. qu'un si hideux objet ne se regarde pas deux fois; oh le sein d'un ami pour y “reposer ma tête! le cordial de quelques accens pour revivifier mon ame ! Me voilà aussi attrapé qu'Emilie et, quoiqu'il n'y ait pas quatre gros volumes à mon histoire comme à la sienne, le lecteur attendra au moins aussi long-temps pour savoir ce que j'ai vu. Juste ciel, ajoutoit-il en retournant avec effroi ses yeux du côté de la niche; comment est-il possible qu'on place des objets semblables derrière un rideau, sur-tout quand ils ne doivent servir de rien au cours des événemens.

S'élançant par une autre porte que celle par où il étoit entré, il se trouva dans une salle beaucoup plus grande et ornée beaucoup plus simplement que la première: tous les meubles consistoient en bancs de chêne qui en faisoient le tour, une chaire à prêcher “et un grand tableau encadré en “bois représentant l'un des mystères “de la religion catholique . „Ah, ah, dit M. Dabaud, si je ne me trompe, cette salle ressemble à celle du monastère ou le duc de Luovo entra avec tous ses gens en poursuivant Julia. Si encore j'entendois de longs et bruyans éclats de rire, j'ouvrirois la porte du fond, et je trouverois une table couverte de plats exquis, de verres et de bouteilles vides et pleines , le tout pour avoir le plaisir de dire du mal des moines, ce qui n'est pas peu dans un roman anglais.

L'effroi de M. Dabaud n'en avoit pas été moins vif, quoiqu'il n'eût pas duré long-temps, et il savoit bien qu'une fois entré dans les appartemens abandonnés, les surprises et les secousses sont si fréquentes qu'il ne faut pas trop s'arrêter à chaque émotion que l'on éprouve; aussi commençatil à considérer plus attentivement qu'il ne l'avoit fait d'abord l'endroit oùil se trouvoit. Cette salle seroit inutile, dit-il, si elle ne renfermoit pas autre chose que ce que je vois, et il n'y a rien d'inutile dans la tour du Sud-Ouest. Il eut bientôt lieu de sentir combien sa remarque étoit judicieuse, car il aperçut dans un coin “de grands tableaux presque tout “effacés. Un seul avoit un peu plus “résisté aux ravages du temps. C'étoit “un portrait en pied qui représen“toit un homme vêtu à la française, “d'une taille ordinaire et d'une fi“gure agréable. L'accablement de la “douleur se peignoit sur son visage “et dans son attitude: il s'appuyoit “sur un mausolée. „On se doute que c'étoit le chevalier de Germeuil. M. Dabaud fit la grimace et examina “d'autres portraits couverts comme “celui-là de poussière et de toiles “d'araignées. Parmi ces derniers il reconnut celui du Président qui étoit peint en grande robe de palais et plusieurs autres parens du Chevalier sous divers costumes singuliers. Cette vue n'avoit rien de flatteur pour lui et il se seroit éloigné s'il n'eût été retenu par un tableau placé au-dessous des autres. Il représentoit une jeune personne charmante. Des „boucles de cheveux bruns jouoient „négligemment sur son front découvert; son nez étoit presque aquilin. “Ses lèvres sourioient, mais c'étoit avec „mélancolie; ses yeux bleus se levoient au ciel avec une langueur „aimable, et l'espèce de nuage répandu sur toute sa physionomie, sembloit exprimer la plus vive sensibilité . Diable, dit M. Dabaud, qui avoit bonne mémoire, qu'est-ce que peut faire ici le portrait de la marquise de Villeroi? Mais non, ajouta-t-il en l'examinant de plus près, cette jolie personne tient sur son coeur un médaillon qui, autant que j'y puis voir, ne ressemble pas mal à mon pendart de fils. Je voudrois bien savoir qui est-ce qui a pu placer le portrait du citoyen Dabaud fils dans la tour du Sud-Ouest; c'est ce qu'il faut éclaircir sur-le-champ.

Le tableau étoit un peu élevé; en regardant autour de lui, M. Dabaud découvrit dans un coin la seule chaise qui se trouvât dans toute la salle, il courut la chercher pour monter dessus; mais, quelle fut sa surprise, lorsqu'en revenant à la place qu'il avoit occupée d'abord, il retrouva bien la même jeune personne, mais ce n'étoit plus la même peinture. Au lieu de ce visage si frais et si vermeil qui l'avoit séduit, il n'avoit plus sous les yeux qu'une figure pâle et inondée de larmes. Ces beaux cheveux dont il avoit admiré l'élégante distribution retomboient en désordre sur une robe simple et modeste qui remplaçoit la parure recherchée dont il avoit été frappé. L'accent du visage étoit changé; il ne respiroit plus que la tristesse et le malheur, mais il conservoit encore ce caractère inaltérable de douceur et de bonté qui le distinguoit. On ne pouvoit regarder la jeune personne sans être attendri, elle pressoit toujours contre son coeur le même médaillon, et ses beaux yeux baignés de pleurs fixoient le ciel avec une expression angélique.

Pardi, s'écria M. Dabaud avec surprise, celui-là est nouveau; personne ne s'étoit encore avisé de montrer la lanterne magique dans aucune tour ni de l'Est ni de l'Ouest, et ce bon père avoit bien raison, quoiqu'il fût un moine, de me dire que la tour du Sud-Ouest valoit à elle seule toutes les autres. On auroit peut-être droit de penser que M. Dabaud plaisantoit; il étoit au contraire fort ému et trouvoit d'autant plus de charmes à contempler le tableau, qu'il avoit très-distinctement reconnu le portrait de son fils sur le médaillon. “Toutàcoup il crut entendre un profond “soupir poussé tout auprès de lui. “Il étoit debout et déjà il se dispo“soit à prendre le flambeau sur la “table. Ce bruit imaginaire l'arrê“ta: il retira son bras et s'appuya “sur le dos de la chaise. Tremblant “il écoute: il n'entend rien.

“Bon dieu, se dit-il, que pouvoit “être ce bruit? me suis-je trompé, “ou l'ai-je réellement entendu?..... Ses réflexions furent interrompues „par le son d'une voix venant du “côté de la porte, et si foible qu'on “avoit peine à l'entendre; on auroit „éru que quelqu'un parloit tout-bas. “Les alarmes de M. Dabaud augmentèrent..... Bientôt après le loquet „se leva et la porte commençant à “se mouvoir en avant et en arrière “s'ouvrit très-lentement. Sur le seuil M. Dabaud aperçut une grande “figure élancée, enveloppée d'un grand “Schall qui la couvroit de la tête aux „pieds.

“Cette vision enchaina ses jambes. “Il resta comme pétrifié au milieu de “la chambre. La figure, d'un pas, “lent et grave, s'approcha de la table. Lorsqu'elle fut auprès, une “bougie prête à finir jeta une lueur “pâle et bleuâtre . Vis-à-vis étoit „une armoire au-dessus de laquelle “étoit placé un cadran, dont l'aiguille “indiquoit deux heures moins quelques minutes. Dieux s'écria M. Dabaud , l'heure approche et le tapage “va commencer . La figure leva “son bras droit qu'elle dirigea vers le “cadran,....et it quelques pas de “plus vers M. Dabaud. Demain matin, lui dit-elle, demain matin, nous “nous reverrons. M. Dabaud frémit à “ces paroles. Nous nous reverrons! “dit-il enfin en hésitant; où-nous reverrons nous? La figure d'une main “désigne l'armoire qui s'ouvre et laisse apercevoir un grand salon au milieu duquel on voit une table chargée d'un excellent dîner. C'est fort bien, dit M. Dabaud en se frottant les mains, le lieu de votre rendez-vous est beaucoup mieux choisi que celui qu'Elvire indiqua à sa fille Antonia. Mais, finissons la scène: “Qui verrai-je? La figure “de l'autre main leva le schall qui lui “couvroit la tête. Grand dieu! c'est elle-même! M Dabaud "fit un cri et tomba sans mouvement sur le parquet, pour donner le temps à la figure de disparoître.

Elle ne manqua pas d'en profiter, et quand M. Dabaud se releva, il ne trouva plus personne. Parbleu, dit-il avec un mouvement d'humeur contre luimême, j'aurois bien mieux fait de ne pas avoir si grand peur; peut-être sauroisje à présent où est allée cette jeune personne qui est positivement l'original du tableau que j'admirois tout-à-l'heure. Seroit-ce donc aussi un revenant? j'en aurois bien du regret, et j'avoue que je voudrois la rencontrer encore une fois, fût-ce même au milieu d'un bois, après un orage terrible, comme les jeunes Masérini trouvèrent Agnès; ou même dans une caverne de voleurs au mteu de la forêt de Strasbourg; ou même dans une maison située , dans une “bruyère à trois lieues de Paris, comme celle où M. de la Motte arriva si à propos pour être chargé d'Adeline; ou enfin de telle manière que ce pût être, pourvu cependant que notre reconnoissance fût aussi naturelle et aussi bien amenée que celle de tous les héros de romans anglais, qui ne manquent jamais d'arriver à point nommé à l'endroit où l'on seroit tenté de croire qu'ils se sont donné rendez-vous. Cependant, ajouta M. Dabaud par réflexion, quoique j'aye éprouvé une grande frayeur, elle n'étoit cependant pas aussi terrible que celle que m'a causéel'objet renfermé dans la niche du salon.

Il songeoit encore à la jeune femme qu'il avoit aperçue, lorsqu'un fracas horrible se fit entendre dans un des appartemens voisins; il sembloit qu'on renversât à-la-fois un amas considérable de vieilles armures, et qu'on les heurtât avec violence les unes contre leautres. Ah! ah! dit M. Dabaud avec plus de tranquillité qu'on ne pourroit le croire, voilà sans doute le Père Pierre qui s'amuse avec ses attirails de guerre, ses épées, ses boucliers, ses casques, ses cuirasses, ses armes à feu, son tambour, sa trompette et ses autres instrumens belliqueux; je me garderai bien d'aller le troubler.

A peine M. Dabaud achevoit-il ces mots, qu'il entendit“ un cri aigu comme “celui d'une porte qu'on ouvre avec “précaution; à ce bruit succéda ce“lui de pas graves et pesans que les “voûtes des corridors trahissoient par “une répercussion sourde et prolongée. Un frottement de chaînes ne “tarda pas à anoncer l'arrivée d'un “fantôme. „Je suis perdu, s'écria M. Dabaud, voilà Rasoni déguisé en ermite qui va me causer autant d'épouvante qu'à Celestine; encore heureux s'il se conduit envers moi comme envers elle, et s'il se borne à me faire plus de peur que de mal.

M. Dabaud fut interrompu par une voix qui s'écria avec l'accent de la “surprise: Grands dieux! c'est lui! “Il lui sembla reconnoître cette “voix. „Persuadé qu'elle sortoit de quelque com de la chambre, il regarda soigneusement autour de lui, mais ses recherches furent inutiles; il étoit absolument seul. Je serois bien curieux, dit-il tout haut, de savoir qui a parlé. Je ne serois pas étonné quand ce seroit ce Zampari qui se mêle toujours de la conversation de tout le monde. Tes doutes vont être éclaircis, dit une autre voix qui ne surprit pas moins M. Dabaud que la première. Une porte s'ouvrit aussi-tôt et il vit défiler devant lui une “foule de gens vêtus de longues robes noires; leur tête étoit couverte “d'un voile de la même couleur, dont “le tissu leur permettoit de distinguer à travers, mais sans qu'il fût “possible d'entrevoir leur figurer."Ces messieurs, ne me sont pas inconnus, dit M. Dabaud, ils ont l'uniforme de la maison. “Les gens voilés s'écrièrent l'un après l'autre en défilant: Grands dieux! c'est lui. Vraiment, dit M. Dabaud, je me rappelle ce jeu-là! j'y ai joue souvent étant au collège, sinon qu'au lieu de parler, nous passions le long d'un rideau derrière lequel étoit une chandelle.

Il est vraisemblable que, même en trouvant la plaisanterie de M. Dabaud très-mauvaise, les gens voilés ne purent se dissimuler qu'elle étoit assez bien fondée, car ils se retirèrent tous sans dire un seul mot.

Je crois, ajouta M. Dabaud quand il fut seul, que maintenant je puis bien passer dans un autre appartement, car j'ai eu assez d'aventures dans celui-ci. En disant ces mots, il s'avança vers une porte qui étoit ouverte vis-à-vis de lui.

Fin du Tome premier.
CHAPITRE X

Après avoir soulevé la portière, M. Dabaud se trouva dans un appartement “spacieux et fort élevé; les fenêtres gothiques en étoient hautes, et “son air lugubre n'étoit pas propre “à dédommager M. Dabaud de la “position écartée où il se trouvoit . “Il étoit décoré de deux grands por“traits en pied; l'un représentoit “Lancelot du Lac, armé de toutes “pièces, et l'autre la belle Géneviève, “femme d'Artur, roi d'Angleterre, et fondateur de la table ronde.“ La vue de ces tableaux fit naître au moins autant de réflexions à M. Dabaud, qu'elle en avoit inspiré à Sir Charles, mais il se rappela bien vîte que ce n'étoit pas uniquement pour réfléchir qu'il étoit dans la tour du Sud-ouest.

Il jeta d'abord les yeux sur les meubles qui l'entouroient, et, voyant leur magnificence et l'abandon dans lequel il paroissoit qu'on les avoit laissés, il ne put s'empêcher de dire en soupirant: Il est singulier que dans tous les châteaux, on voie tranquillement se gâter des ameublemens qui ont coûté si cher, et cela uniquement pour effrayer les pauvres diables qui, comme moi, sont obligés par quelques circonstances fâcheuses à venir dans les tours, de l'Est, de l'Ouest, du Septentrion, du Midi, du Sud-ouest, du .. M. Dabaud alloit sans doute pousser encore bien loin son énumération, lorsqu'il remarqua tout - d'un- coup n dans “un enfoncement de forme gothique “une armoire très - ancienne et une “toilette ornées de figures dorées, “noircies par l'humidité. De loin on “les auroit prises pour un tombeau “surmonté d'un sarcophage.“ Quand j'essayerois d'ouvrir cette armoire, dit - il, ma peine seroit inutile, il faut d'abord que “le chapiteau co“rinthien d'une des colonnes s'écroule “avec un fracas épouvantable“ et que la clef s'offre à mes yeux dans une main de marbre; le tout précédé d'un “ coup de tonnerre affreux qui “retentisse long - temps dans l'atmosphère“ et suivi d'un n second coup “de tonnerre semblable au premier.“

En attendant ce prodige sur lequel il avoit bien droit de compter, M. Dabaud examinoit soigneusement l'armoire; il fut distrait de cette contemplation par le son d'une trompette qui paroissoit venir de la cour, où plusieurs personnes avoient l'air de se parler d'une manière confuse. Bon! s'écria -t - il; voilà bien autre chose maintenant! On va sans doute faire le siége de ce château comme de celui d'Udolphe. Cette idée fit sur lui une vive impression, en songeant à toutes les scènes qu'il auroit à essuyer. Et si l'on m'envoie en Toscane, disoitil en soupirant, que ferai-je chez Marco, moi qui ne sais pas dessiner! J'aurai cependant le plaisir de faire la description de dix paysages différens et de voir les jeunes filles de ce pays-là qui ont, à ce qu'on prétend, un air arcadien qui s'accorde parfaitement avec leur vêtement qui est “un jupon court “d'un joli vert, bordé d'un ruban blanc; “item des corsets sans manches rattachés aux épaules avec des fleurs ou “des noeuds de ruban; item des cheveux flottant en grosses boucles et parsemés de fleurs; item un petit chapeau de paille derrière la tête, qui, “mis un peu de côté, donne à tout “l'ensemble un air de gaieté et de finesse“ ! Sans contredit, quand on joint à cela le bruit du canon, un orage superbe, l'histoire de quelques assassinats étrangers au reste, la dispute de deux brigands, deux ou trois levers du soleil, autant de clairs de lune, de la musique, des danses et une fête champêtre, il y a bien de quoi faire un voyage de plusieurs jours.

M. Dabaud ne se lassoit point de récapituler les motifs qui devoient l'engager à supporter patiemment son sort, s'il lui en arrivoit autant qu'à Emilie; mais, comme depuis un moment il croyoit entendre un léger froissement qui l'inquiétoit, il se mit à en chercher la cause. Il ne tarda pas à distinguer dans un des coins de l'appartement un homme vêtu d'une courte jaquette “rayée de noir et d'écarlate; il avoit “un grand manteau noir qui l'enveloppoit entièrement: sous ce manteau qui fut rejeté en arrière, M. Dabaud vit plusieurs poignards de “grandeur différente pendus à la cein“ture“ de l'homme qui avoit sur sa tête“ une petite cape italienne ornée de “plumes noires.“ Hélas! s'écriatil douloureusement, que va-t-il encore m'arriver? Voilà un des soldats de Montoni, et cette visite-la n'est pas d'un trop bon augure.

Sans faire attention au discours de M. Dabaud qu'il entendit ou qu'il n'entendit pas, le Condottiéri le regarda d'un air menaçant, tira un pistolet de sa poche, l'arma, fit partir le coup, et M. Dabaud vit une petite clef d'or “tachée de sang“ , qui vint tomber à ses pieds. Lorsque la fumée de la poudre fut dissipée, il chercha en vain l'homme qu'il venoit d'apercevoir; selon la coutume de toutes les figures, il avoit disparu.

Million de gémissemens! s'écria M. Dabaud, si cet honnête brigand n'étoit venu que pour me donner cette petite clef d'or, il auroit beaucoup mieux fait de la laisser à la serrure que de m'effrayer de la sorte. -- Mais le lecteur n'auroit pas été surpris, répondit uhe voix, si on avoit fait ce que vous dites. -- Oh! je me tais, et vous avez raison, repartit M. Dabaud en ramassant la petite clef-d'or et en se tournant du côté d'où la voix avoit paru sortir.

S'avançant vers l'armoire, il posa la petite clef d'or dans la serrure. et, comme il s'y étoit attendu, cette clef entra parfaitement. Il attendit le craquement des ressorts, il les sentit céder, mais il essaya en vain de tirer à lui un des battans. Sa curiosité s'augmentoit encore par ces difficultés; il tournoit autour de l'armoire, et l'examinoit soigneusement. Enfin, en regardant entre le panneau de derrière et la cloison, il crut distinguer une apparence d'ouverture. Encouragé par cette découverte, il dérangea l'armoire et s'aperçut bientôt qu'il ne s'étoit pas trompé, la porte se trouvoit par derrière. Voyez, dit-il d'un ton vainqueur, ce que c'est que d'avoir lu des Rattcliffaides, on dépiste adroitement une ouverture secrète, et je me vante qu'il y en a peu d'aussi bien cachées que celle - ci.

“L'intérieur de l'armoire étoit orné “de figures d'or d'une assez grande pro“portion, costumées à l'antique.“ Le premier tiroir qu'il ouvrit contenoit des poignards tachés de sang, non tachés de sang, rouillés, non rouillés, de toutes les formes et de toutes les tailles. Le second étoit rempli de robes de moine et de voiles de religieuses. Le troisième ne renfermoit qu'une multitude innombrables de petites bouteilles soigneusement étiquetées; c'étoit la collection complète de tous les poisons et les soporifiques imaginables. Dans le quatrième, il y avoit des linceuls, déchirés, tachés de sang, des draps mortuaires, des chaînes, des torches en cire jaune et en résine, des lanternes sourdes, et tout ce qu'il faut pour les apparitions. Le cinquième étoit destiné à conserver une quantité de lampes, en cuivre, à l'antique, faites en urne sépulcrale etc. Chacune de ces lampes avoit une vertu particulière; les unes étoient construites de manière à n'éclairer qu'à demi, à ne répandre que de pâles rayons etc. les autres possédoient un certain charme talismanique qui faisoit qu'au moment où celui qui les portoit en avoit le plus de besoin. elles s'échappoient toujours de sa main et s'éteignoient en tombant. M. Dabaud ne fit qu'entr'ouvrir le sixième tiroir, parce qu'il fut effrayé d'y voir toutes les pièces nécessaires pour former un squelette; ces pièces étoient à vis, et, dans un instant, on pouvoit s'en servir. Dans le septième tiroir, il y avoit la carte de toutes les routes écartées de l'univers, ouvrage indispensable pour les enlèvemens; d'autant mieux qu'on y avoit marqué avec le plus grand soin les petites maisons propres à servir de refuge; on avoit joint à tout cela une provision de mouchoirs pour mettre sur la bouche des patiens, enfin quelques masques et des sommes d'argent considérables destinées à payer des chevaux de poste. Le huitième tiroir contenoit les plans nécessaires pour bâtir un vieux château avec les portes secrètes, les trappes, les escaliers dérobés, les eorridors, les salles, les colonnades, les chapelles, les tours, les remparts, les terrasses, les souterrains qui sont de sa dépendance. On indiquoit par un postscriptum le nom de tous les fripiers d'Europe chez lesquels on pouvoit trouver un assortiment de vieux meubles et de vieux tableaux; on donnoit l'adresse d'un ouvrier fameux par son habileté à faire des figures en cire, et on finissoit par une longue énumération de points de vue propres à être placés autour du château, quand il seroit bâti. Le neuvième tiroir contenoit un livre fait en forme d'almanach militaire: c'étoit la liste de toutes les troupes de brigands, de moines, de contrebandiers, d'inquisiteurs de pélerins, etc. placés chacun selon leur grade et leur emploi. Près de ce livre étoit un cahier de musique ou l'on avoit noté avec le plus grand soin l'hymne de Minuit, l'hymne de vépres, l'hymne des Pélerins, le Requiem, le Chant des morts, etc. ete. Dans le dixième tiroir, M. Dabaud trouva un grand arbre généalogique dont les noms étoient mobiles; de manière qu'avec un léger travail on parvenoit en un clin- d'oeil à rendre proches parens tous les héros d'un roman; ce qui devenoit très - commode, lorsqu'on arrivoit à la fin du dernier volume. Le onzième tiroir étoit plus considérable que les autres, et il renfermoit un manuscrit énorme où étoient scrupuleusement expliquées toutes les meilleures dimensions pour creuser des fosses, construire des cercueils, bâtir des cachots etc. Plusieurs planches placées à la fin donnoient les dessins les plus variés des tombeaux et des sarcophages dont on pouvoit avoir besoin.

Ravi d'une extase sublime à la vue de tant de merveilles M. Dabaud tomba à genoux devant l'armoire et s'écria avec un élan que ne peut ni rendre ni sentir celui qui n'a pas lu les romans anglais: O trésor inestimable! non, toutes les richesses des deux mondes ne suffiroient pas pour vous payer!

Lorsque ce premier mouvement d'enthousiasme fut passé, M. Dabaud, remarquant qu'il avoit encore un tiroir à visiter, se releva avec empressement et se hâta de l'ouvrir. Le premier objet qui frappa ses regards fut une liasse de papiers. C'étoit une longue histoire écrite par un malheureux prêt à mourir, et dont les endroits intéressans étoient tronqués par les ravages du temps, ou par des larmes, ou par toute autre raison bonne ou mauvaise, suffisante néanmoins pour empêcher le lecteur d'être instruit de ce qu'il ne doit pas savoir encore. M. Dabaud qui sentit que cette histoire, loin de rien éclaircir, ne feroit que l'entrainer dans de nouveaux embarras, jeta le manuscrit de côté en disant: Je suis bien sûr que cette relation ne vaut pas celle qu'Adeline trouva dans la partie isolée de l'abbaye de SaintClair, ou eelle que James Kiston avoit écrite sur un très-petit drap du lin le plus fin avec un clou trempé dans le sang qu'il s'étoit tiré du bras. Ce qui me paroît le plus étonnant là - dedans, ajouta M. Dabaud par un de ces mouvemens de réflexion qui l'animoient quelquefois, ce n'est pas l'histoire, quoiqu'elle soit assez extraordinaire, mais c'est l'adresse avec laquelle James Kiston a pu faire tenir un récit de 66 pages sur un très-petit drap, les écrire avec un clou, et trouver dans ses veines assez de sang superflu pour suffire à la composition de son poëme.

Comme M. Dabaud ne se livroit à ses pensées que pour lui seul, il n'étendit pas davantage son discours et continua son examen. Une bourse de velours frappa sa vue; s'apercevant qu'elle contenoit n quelque chose de “plus fort que des pièces de mon“noie, il se mit à l'examiner. Au “fond de la bourse étoit un petit “paquet; il l'ouvrit: c'étoit une petite “boîte d'ivoire au fond de laquelle “étoit le portrait d'une.... dame “Il tressaillit . Il le saisit avec vivacité et en contempla les traits “avec une extrême attention. Il re“présentoit une femme à l'âge de “vingt - deux ans. Sur cette figure “étoient empreintes les traces d'une “profonde mélancolie. La dignité, le “courage et la résignation étoient “exprimés dans ses regards dirigés “vers le ciel. A voir cette tête pleine “de grâce et de sensibilité, on eût “jugé que celle que représentoit le “portrait avoit éprouvé les chagrins “les plus déchirans.“ La même , s'écria M. Dabaud que j'ai vue dans le grand salon.

Tout en disant ces mots, il déployoit un paquet de lettres attachées ensemble par un ruban sur lequel étoient brodés un U. et un G. c'étoit des lettres de femme; M. Dabaud fut d'abord enchanté de l'écrifure et après en avoir parcouru deux ou trois, il fut encore plus charmé du style. Celle qui écrivoit paroissoit être une jeune personne qui se plaignoit à son amant de la rigueur qu'on employoit contre elle. Sur le revers d'une de ces lettres on voyoit ces lignes:“ Qui que “vous soyez, si le vice ou le crime n'ont “point endurci votre ame, si l'infortune a des droits sur votre coeur , cherchez dans le tiroir secret qui “est au - dessous des autres et vous “connoîtrez mon persécuteur.“

Quel est-il ce monstre-là, dit M. Dabaud presque en colère; il doit être plus criminel que Montoni, que Schédoni, que Rasoni, que Mazzini, que d'Ollifont, que Perkins, que Ravillon, que Montalte, que la Motte, tout ensemble; car je donnerois sans balancer Emilie, Celestine, Eléonore, Sabina, Julia, Matilde, Adeline et toutes les autres pour cette malheureuse jeune personne qui m'intéresse tout-à-fait.

Le tiroir étoit déjà ouvert, mais M. Dabaud qui étoit toujours tout entier à ce qu'il faisoit, n'y regarda qu'après avoir fini son discours. Qu'on juge s'il dut être surpris et honteux à- la- fois, en reconnoissant sa propre ressemblance. Je voudrois bien savoir, dit - il d'un ton encore troublé, qui a mis mon portrait dans une armoire secrète de la tour du Sud-ouest? et quant à celle qui se plaint de moi, si je pouvois deviner quels sont les reproches qu'elle me fait.... Il n'eut pas le temps d'achever, une voix douce qui paroissoit ne pas devoir être éloignée lui adressa ces mots: Vous retrouverez votre victime, et alors souvenez - vous de votre promesse.

Curieux de voir celle dont l'organe flatteur produisoit une vive impression sur son ame, il chercha autour de lui et n'aperçut rien du tout. “Vis - à - vis de l'armoire étoit une “grande glace. Il v porta ses regards. “Toute la chambre s'y répétoit, mais “l'obscurité lui permettoit à peine de “distinguer les objets... Il soupira; quelqu'un soupira auprès de lui. Il “frissonna, il s'imagina que ce pouvoit être“ la jeune personne qu'il cherchoit, “et se convainquit bientôt “après qu'il s'étoit trompé. Il enten“dit soupirer de nouveau. -- Certainement, dit-il, ce n'est pas un “songe. Un troisième soupir se fit “entendre.“

Manche de poignard! s'écria M. Dabaud impatienté en se retournant vers l'armoire pour continuer ses recherches, on n'a jamais soupiré trois fois de suite sans rien dire; parlez ou montrez- vous. Au même instant, il aperçut dans la glace“ une figure “humaine pâle et décharnée qui le “contemploit avec un affreux sourire “et qui prononça distinctement d'un “ton lugubre:“ Ne cherchez pas plus loin.

CHAPITRE XI.

M. Dabaud fut épouvanté, mais cependant bien moins qu'il ne l'avoit été après avoir ouvert le rideau de la niche du salon.“Il hasarda d'élever “une seconde fois la vue, l'effrayant “objet avoit disparu. Reprenant un “peu courage“, quand il se vit seul, il osa réfléchir sur l'apparition dont il venoit d'être témoin. Cette figure humaine se moque de moi, dit-il au bout de quelques momens en se rapprochant de l'armoire, on ne m'a pas donné cette petite clef d'or pour rien, et je suis sûr que j'ai encore bien des choses intéressantes à découvrir.

Il remarqua en ce moment un tiroir qui étoit plus caché que les autres, et, en l'ouvrant, il trouva, d'abord un paquet enveloppé dans un sac de velours noir. La couleur de l'enveloppe ne l'encourageoit pas trop à l'ouvrir, il le tâta long-temps avant de se décider, cependant la curiosité l'emporta, et il dénoua, d'une main un peu tremblante à la vérité, les cordons de tresse d'argent qui fermoient le sac.

Il n'y avoit dedans“ qu'un mor“ceau de ruban dont le reste parois“soit avoir été arraché par force“ Au bas pendoit une croix sur laquelle des gouttes de sang se faisoient remarquer. M. Dabaud la reconnoissant pour celle que le Chevalier de Germeuil meuil portoit encore le jour de sa mort, la jeta loin de lui avec horreur.

Il trouva aussi dans le tiroir , un „petit rouleau de parchemin, qui, “bien qu'un peu effacé par le temps „pouvoit encore se lire avec facilité. “Il étoit écrit en français. Quelle fut “la surprise de M. Dabaud lorsqu'il “vit au bas la signature du chevalier. Une foiblesse soudaîne s'em„para de tous ses sens. Il tomba „dans un fauteuil; mais il ne tarda pas à se rappeler que cet écrit n'étoit là que pour être lu, et il commença à le dérouler. Quel dommage, dit - il, qu'au lieu d'une nuit, je ne ois pas obligé de rester quelque temps dans la tour du Sud-ouest. J'aurois avec ce manuscrit, de l'occupation pour quatre nuits, comme Adeline qui mit ce temps-là à lire celui qu'elle avoit trouvé au milieu d'un amas “confus de choses qui sembloient être “de vieux meubles“ . Cette Adeline savoit au moins tenir le lecteur en suspens, et elle étoit bien plus digne de figurer dans une Rattcliffade que cette petite innocente de Matilde qui lit tout d'une haleine le manuscrit qu'elle trouve dans l'armoire ornée de figures dorées noircies par l'humidité. Au reste voyons ce que celui-ci contient:“Dieu....

Au moment où M. Dabaud approchoit le parchemin de ses yeux pour déchiffrer un mot qui étoit un peu raturé, „il crut entendre pousser près „de lui un profond gémissement ... “il tourna la tête et une figure “dont il ne pouvoit distinguer exactement la forme sembla traverser „une partie obseure de la chambre. Ah! ah! dit - il avec étonnement, voilà une figure dont on ne me donnera sans doute pas plus l'explication que de celle que voit Adeen lisant le manuscrit de son père! Comme il finissoit ces mots en souriant, “il aperçut indistinctement “une figure d'homme penchée directement au-dessus de son épaule. La “lampe éclairoit foiblement, et la terreur dont M. Dabaud fut frappé, „le rendit muet et immobile,.. “Tandis qu'il étoit plongé dans cet état de stupeur, il entendit dans “la chambre, un petit mouvement qui fut suivi d'un profond silence: il “leva les yeux, la figure avoit disparu.

Par le visage de cadavre que découvrit le pêcheur Marco Torma dans le sac de l'homme qui logéa dans sa cabane , s'écria M. Dabaud, que veulent done dire toutes ces figures? il y en a toujours quelques-unes qui viennent troubler ainsi ceux qui, comme moi, lisent les vieux manuscrits. Est-ce que je suis destiné à avoir autant d'aventures que Sabina ? Au moins ne suis-je pas disposé à faire commé-elle des voyages sans fin, uniquement pour trouver des événemens! En attendant poursuivons notre lecture:

“Dieu tout-puissant! où est ô mon “dieu ton tonnerre pour écraser ceux “qui dégradent ta céleste image? Mon frère! ma nièce!“je vous vois, je vous “serre dans mes bras. -- Hélas! ce „ne sont que de vains fantômes. Mon “imagination seroit-elle d'accord avec „mes bourreaux pour me persécuter? “Mon frère! puisses-tu jouir plus long-temps que moi d'une exisence dont la faux terrible de la mort vient briser tous les liens pour ton frère malheureux! ... puisses - tu donner des larmes à ma mémoire et venir quelquefois visiter les lieux tristes où je rendis le dernier soupir! ...

M. Dabaud entendit un nouveau mouvement, et il vit une nouvelle figure pâle et décharnée qui traversoit à pas lents le fond de la chambre. Celle-ci n'avoit ni le linceul ensanglanté ni rien du costume ordinaire, mais elle étoit couverte d'une longue robe de palais, et sa tête étoit chargée d'une énorme perruque dont les cheveux noirs comme l'ébène, hérissés et sans poudre donnoient encore à son visage livide et jaune un aspeet plus effrayant. Elle s'avança vers, une “large alcove au fond de laquelle s'élevoit , un lit dont la forme et les “colonnes dorées annonçoient en même „temps la richesse et la vétusté ; elle en souleva les rideaux qu'elle attacha avec des bandelettes de crêpe. M. Dabaud ne douta pas que ce ne fût l'ombre du président; il alloit poser le papier et s'enfuir, lorsque le fantôme lui fit agréablement signe de rester et de continuer: il s'abyma en même temps dans le plancher au pied du lit, “en laissant après lui une „odeur forte et une fumée épaisse.

Presque aussi effrayé par cette apparition que par l'objet qu'il avoit vu dans la niche du salon, M. Dabaud essaya cependant de se remettre et poursuivit sa lecture.

“Ursule! fille d'un frère chéri, tu n'es encore qu'un enfant ... mais l'âge du bonheur viendra aussi pour toi.... puissent tes beaux jours n'être troublés par aucun orage ... puisse une voix bienfaisante te parler quelquefois d'un oncle qui veillera sur son Ursule du séjour où son ame va s'envoler ..., Oui, chère enfant, oui, si le bras terrible de l'infortune s'appesantissoit jamais sur toi, je pardonnerois à mon meurtrier même, si c'étoit lui qui te rendoit ta félicité, si c'étoit lui qui te tendoit une main secourable pour te retirer du précipice ... mais malheur à celui qui te dépouilleroit de ton héritage, malheur à celui qui aggraveroit pour toi les coups du sort, mon ombre vengeresse le poursuivroit jusqu'aux enfers.

M. Dabaud ne put s'empêcher de réfléchir un peu sur ce dernier paragraphe. Comme il étoit plongé dans sa méditation, il entendit encore un dérangement dans la chambre, et, portant ses yeux vers le lit, il apereut une jeune personne qui „ à la blan“cheur d'une peau satinée, joignoit “cette coupe de figure enchanteresse “dont le pinceau de Raphaël a em„belli l'image des créatures célestes, „Ses beaux cheveux bouclés par la “nature, ses yeux bleus où se pei“gnoit la douce sensibilité de son “ame, ses grandes paupières qu'abais“soient timidement la candeur et la modestie, son front découvert qui servoit de trône à la candeur, en“fin son sourire angélique en faisoient “une de ces beautés idéales jusqu'à “ce jour et que les esprits exaltés „ont placées dans les régions imaginaires . Son corsage avoit la lé„géreté aérienne des nymphes. Quand „elle sourioit, elle eût pu servir de “modèle pour peindre la jeune soeur d'Hébé . M. Dabaud, la vit se “lever d'un petit autel où elle venoit „de faire sa prière; la ferveur de la “dévotion étoit peinte dans ses traits “lorsqu'elle leva les yeux et les porta “au ciel avec une expression pathé“tique. Ses beaux cheveux étoient “négligemment serrés dans un réseau “de soie, et plusieurs tresses qui s'é“toient échappées, venoient tomber “sur son cou et autour de son-vi „sage, qu'un voile ne couvroit point “alors; la draperie légère de ses ha„bits, son air, son attitude la ren“doit telle qu'on nous représente les “nymphes de la Grèce.

Reconnoissant la figure du portrait, ne doutant pas que ce ne fût celle dont la voix l'avoit charmé, M. Dabaud se leva et voulut aller vers elle. A peine eut - il fait un pas, qu'il la vit s'enfoncer doucement dans le parquet. A mesure qu'elle disparoissoit une autre figure sortoit de terre, et fait abymée dans l'ouverture, le fanlorsque la jeune femme se fut tout - àtôme se trouva de même tout - à - fait hors du plancher. Vraiment, dit M. Dabaud en riant sous cape, je n'avois pas encore vu de figures jouer à ce jeu-là! .. S'il s'étoit abandonné à la gaieté pour un instant, il ne tarda pas à éprouver un mouvement de frayeur inexprimable, lorsque, pour la quatrième fois, il reconnut qu'il avoit devant lui l'ombre du chevalier de Germeuil. Ce terrible spectre toujours acharné à le persécuter le regarda avec une expression sombre et lui dit avec un sourire amer et sardonique: „Souviens - toi du rempart „des capucins de Poitiers! Ah grand dieu, s'écria M. Dabaud en retombant sur son fauteuil presque sans connoissance, voilà que le chapitre finit!..

CHAPITRE XII.

L'ombre fit trois fois le tour du lit, poussa trois soupirs et trois gémissemens, leva trois fois les mains vers le ciel, se promena trois fois du septentrion au midi, et sortit de la chambre par la porte qui donnoit dans la salle des portraits, en poussant de longues plaintes qui se répétèrent dans tout le château.

En fixant le pan de muraille que le dérangement de l'armoire avoit mis à découvert, M. Dabaud remarqua une petite bibliothèque où il y avoit encore quelques livres épars sur des ayons et si couverts de moisissure “que les titres inscrits sur le dos des “volumes étoient à peine lisibles. Ayant remarqué l'Arioste sur une ta-il blette. Ah! s'écria-t-il, si Emilie étoitd ici, comme elle seroit contente! , Il“voulut enlever ce volume, mais il “étoit tellement collé contre le pan“neau du lambris qu'après quelquesl “efforts, le panneau vint avec le li-d “vre et découvrit une petite porteu “qui sembloit avoir été clouée à des“sein d'en défendre l'ouverture“ Diable, dit M. Dabaud, si pareille aventure n'étoit pas arrivée à Sabina dans le château de Montnoir, je ne saurois qu'en croire; mais au moins je voudrois bien que quelqu'un me dît avec quelle colle ces livres sont si bien attachés qu'ils enlèvent des pans de boiserie plutôt que de céder; tail est vrai qu'il le faut bien pour qu'on oitécouvre la porte qui est cachée derrière.

Tout en disant ces mots, M. Dabaud s'occupoit des moyens d'ouvrir l'armoire, et, se rappelant d'avoir vu li-dans la cheminée de la grande salle une paire de pincettes, il courut la chercher, “ l'enfonça dans une fente „attenante à la fermeture de la porte, „et, au moyen de deux ou trois sac„cades données de toute sa force, „les cloux sautèrent et la petite porte „fut ouverte. Le premier objet qu'il „tira de cette cachette fut une ordonnance des manoeuvres; il voulut en ouvrir les feuillets, mais ils „étoient fortement collés ensemble „par une substance gluineuse dont “la reliûre étoit aussi imprégnée. Le “second article fut une paire de gants “blanes tachés de la même substance; “en troisième lieu, il tira, une épée “dont la lame étoit rouillée, et la “poignée de très - belle agate incrus„tée dans de l'or. Il la considéra un moment, et, autant que sa mémoire put lui en retracer le souvenir, il crut la reconnoître pour celle dont le chevalier de Germeuil s'étoit servi en se défendant contre lui. Il la remit à sa place avec effroi, referma la petite armoire avec précipitation et s'écria tristement: Hélas, si je n'avois pas été trop curieux, je n'aurois pas trouvé cette épée et l'objet horrible qui est dans la niche du salon.

“En se promenant dans la chambre, „ses yeux se fixèrent machinalement „sur le portrait de Lancelot. Une „petite trace verte qu'il vit sur la „bordure dorée qui lui servoit d'encadrement la lui fit observer avec plus “d'attention. Il s'aperçut alors que sa„dans trois endroits de ce adre, se „trouvoit une charnière en cuivre doré „et ouvragé comme la bordure... Après de longues perquisitions, il „trouva enfin une vis au milieu d'une „petite rosace en cuivre; il essaya de „la tourner avec une pièce de mon„noie; elle céda bientôt à ses efforts, la rosace entière se détacha, le ta„bleau roula sur ses gonds et laissa “voir une petite porte fermée par deux “verroux." C'est bon, dit M. Dabaud en refermant le tableau, voilà tout ce que j'en veux savoir; si je m'avisois d'ouvrir ces verroux je trouverois un escalier pratiqué dans l'é-e paisseur de la muraille, puis une porte de fer inutile, puis une porte preille à la précédente, puis un long souterrain encore inutile, malgré sa porte garnie d'énormes barres de fer fixées par trois cadenats, puis encore un souterrain, et pour le coup, celui - là n'est pas inutile, car il renferme une machine dont aucun mécanioien n'a-u voit encore eu l'idée. En quittant cette machine énorme qui est sans contredit fort importante, car elle fait ouvrir une armoire et mouvoir deux fantoccini en cire, je me trouverois encore dans un troisième souterrain; j'y ferois deux ou trois tout qui ne me conduiroient à rien, et je reviendrois auprès de l'escalier; là je dérangerois quelques pierres, je passerois par une excavation étroite au bout de laquelle seroit une grille fermée par deu verroux et j'arriverois dans un petit caveau creusé dans un tuf très-in, dont les parois seroient blanes et recouverts ld'une efflorescence semblable à du salpêtre. J'y trouverois un cadavre desséché qui auroit conservé toures ses formes, il seroit nu, assis et attaché à un rocher par une ceinture et un collier de fer, et, à la fin de l'histoire, il se trouveroit le bisaïeul d'un des personnages. Comme je n'ai pas besoin de son manuscrit sanglant pour grossir mon volume, j'aime beaucoup mieux rester ici et ne pas faire une promenade nocturne qui ne me serviroit pas plus qu'elle ne sert à Sir Charles. En finissant ces mots, M. Dabaud se retourna vers l'intérieur de la chambre et s'avança vers le lit. “Il avoit été autrefois très-riche et très-élégant, mais il tomboit presque en “lambeaux. Le dais pesant et élevé “qui le surmontoit sembloit prêt à “s'abattre à chaque instant sous le “poids des années. La garniture, autant qu'on en pouvoit juger, étoitsi “de velours jadis cramoisi, et les rideaux entièrement élimés, étoient “rongés en plusieurs endroits par les “vers. Ils venoient jusqu'en bas “en façon de tente et ils étoient restés à demi tirés comme on les avoit “laissés sans doute vingt ans auparavant. On avoit jeté sur le lit un “grand drap de velours noir qui le “couvroit tout entier, et tomboit jusqu'à terre“.

On voyoit encore près de là, sur une petite table, un crucifix d'argent qui devoit avoir été présenté au blessé dans ses derniers momens. Aux pieds du crucifix étoit un livre de prières ouvert à l'endroit de la recommandaode l'ame des agonisans. Un coussin de damas vert sur lequel s'étoit agenouillé le ministre qui avoit récité les prières, étoit resté au pied de la table, et on distinguoit encore bien clairement l'empreinte de ses genoux.

Il paroissoit que rien n'avoit été dérangé depuis la mort du Chevalier, et que M. Dabaud étoit le seul être vivant qui eût pénétré dans la solitude de ces appartemens abandonnés.

“Pendant que ses regards erroient “sur la couverture du lit, il crut y “apercevoir un mouvement“. Hélas, dit-il, si Dorothée étoit ici, je lui prendrois bien le bras sans parler comme Emilie, car j'ai aussi grand peur qu'elle... Mais bon!“ c'est le vent “qui souffle, j'ai laissé toutes les portes ouvertes.... A peine eut-il “ahevé ces mots que le manteau “s'agita plus violemment. Honteux de “sa terreur il se rapproche du lit; il “veut s'assurer que le vent seul avoit “causé sa crainte: il regarde entre “les rideaux! la couverture s'agite en-i “core, s'écarte, et laisse voir.....“ Au moment où M. Dabauid alloit distinguer l'objet qui causoit sa frayeur, il sentit sur sa main un froid glacial et une légère pression. Empressé de savoir ce qui lui causoit une surprise si subite, il baissa les yeux et aperçut un bras long, jaune, sec et décharné qui sortoit de dessous la couverture et s'avançoit pour le saisir.... “Il “s'arrêta interdit, épouvanté et resta immobile comme une statue. Sa respiration devint courte et entrecoupée, une sueur froide couloit sur son front, toutes ses facultés sem“bloient suspendues“. Par la statue de Saint Roch et l'épitaphe de pierre grise qui étoit au septième pilier, s'écria-t-il en faisant un saut au milieu de la chambre, c'est encore pire que ce que vit Emilie, et je crois bonnement que j'ai été plus épouvanté qu'après avoir levé le rideau de la niche du salon, quoique cependant l'objet que j'y ai découvert fût terriblement effroyable.

M. Dabaud parloit encore lorsqu'il entendit assez près de lui les sons harmonieux d'une mandoline maniée par une main savante qui en faisoit résonner les cordes avec un accent triste et mélancolique. Après avoir préludé quelques momens. avec un goût “exquis et qui prouvoit un talent consommé“, une voix mélodieuse vint se mêler à l'instrument, et chanta avec une expression touchante et sublime blime un air langoureux qui tira des larmes des yeux de M. Dabaud, quoique cependant ce ne fût pas l'hymne de minuit.

CHAPITRE XIII.

On chanta trois couplets “dont le “dernier fut suivi de la répétition “d'une partie de l'air embelli de toutes les richesses d'une admirable exécution, après quoi succéda le silence . Il est singulier,“ dit M. Dabaud “d'entendre de la musique pendant la nuit dans un château où depuis tant d'années on “n'a rien entendu qui ressemble à de “l'harmonie!“ Mais, ajouta-t-il au bout de quelques momens, si cette chanteuse étoit une diablesse comme cette Matilde qui joue de la harpe dans la cellule du révérend père prieur des Dominicains de Madrid, ou une religieuse qui court les champs, comme la Signora Laurentini, je serois aussi fâché de l'avoir écoutée, que la marquise de Mazzini le fut en entendant le luth et la voix de Julia qui avoient amené à ses pieds Hyppolite, comte de si-Vereza: tandis que “le soleil envidit ronné de nuages d'or se plongeoit dans la mer profonde, dont la sur“face polie répétoit tous les feux de “l'astre du jour qui terminoit sa carrière, et qu'un vaste rideau de pourpre enveloppoit une partie de l'horizon“.

Telles étoient les réflexions de M. Dabaud.“ Elles furent interrompues par “un murmure plaintif qui paroissoit “partir de quelque endroit peu éloi“gné. Il prêta l'oreille et n'entendit “plus rien. Après quelques minutes, “le même murmure recommença. Ce “bruit ressembloit au gémissement “foible et prolongé d'un être souffrant“. Qui êtes-vous? dit M. Dabaud qui n'aimoit pas à rester en suspens. Suis-je auprès de la chambre des tortures, ou bien êtes - vous cette Marianne qui avoit un bras aussi blanc que le plus bel albâtre, et qui venoit pleurer sur les marches de la fontaine de Bologne, tandis que l'horloge de Sainte-Pétronille sonnoit onze heures du soir? Je vous dirai que vous auriez beaucoup mieux fait de rester à pleurer dans votre chambre puisque vous ne veniez là que pour chercher Hubert de Sévrac, et le conduire à une grande aventure où l'on auroit un peu besoin du peloton de fil d'Ariadne. Etes-vous Louisa Bernini, première femme du marquis de Mazzini, qui faisiez entendre distinctement des gémissemens plaintifs et prolongés? Je vous dirai que vous auriez beaucoup mieux fait de vous sauver quinze ans plutôt par cette même caverne où vous vous échappates avec Julia et Hyppolite. puisqu'il étoit si facile au premier venu d'entrer dans votre cachot. Il est vrai que si vous aviez pris ce parti-là, vous n'auriez pas servi à effrayer Ferdinand, ses soeurs, douze ou quinze domestiques et peut-être deux ou trois mille lecteurs.

Quoique M. Dabaud eût l'air de ne pas mettre beaucoup d'intérêt à la découverte de l'objet qui gémissoit de la sorte, il ne cherchoit pas moins avec empressement les moyens de dissiper son incertitude. Déjà depuis quelques momens il promenoit ses regards autour de la salle, lorsque trois accords vigoureusement frappés sur la mandoline, à une petite distance l'un de l'autre, attirèrent son attention. Il lui sembla qu'ils partoient d'un des coins de l'appartement; il s'avança et vit “à la gauche du lit une porte artistement faite et qu'il étoit d'autant plus difficile de remarquer, qu'elle étoit cachée par la tapisserie „. Cette porte étoit entr'ouverte: M. Dabaud avoit bien envie de la pousser tout-à-fait et de savoir ce que contenoit ce nouvel appartement, mais la crainte de rencontrer quelque objet de terreur le retenoit encore. Par la petite tour d'Eléonore qui “s'élevoit de l'un des angles du bâtiment et paroissoit comme suspen“due sur les vastes précipices d'une “montagne de granit“, s'écria-t-il enfin, serois - je donc “ agité par une timidité bien naturelle à mon sexe,“ comme Célestine, Léonora et la Baronne devant le Tombeau de la biche! Non, non, entrons avec le même courage qu'avoit Don Carlos, lorsqu'avec Dupré il vint à bout de mettre en déroute toute la sainte Inquisition de Madrid, ce qui n'est pas mal pour deux hommes, dont un à la vérité, étoit le fils de Philippe Il, roi d'Espagne.

En ce moment on recommença à chanter à demi - voix, mais d'une manière si douce et si foible qu'il falloit être bien près pour distinguer les sons charmans qui agitoient tendrement l'air. Transporté de plaisir, M. Dabaud “écoutoit sans oser faire un mouve“vement, et respiroit à peine dans “la crainte de perdre un son de ce “chant sublime“. Ne pouvant enfin se contenir davantage, oubliant qu'il alloit peut-être chercher lui-même un spectacle aussi effrayant que celui de la niche du salon, il poussa la porte et se trouva dans un petit cabinet entouré de tableaux et de gravures. Auprès d'une des fenêtres, qui étoient fermées par des volets de bois d'ébène, on voyoit un chevalet sur lequel étoit un dessin représentant une danseuse, ah! dit M. Dabaud, ce desin ressemble bien à celui dont la “main d'Eléonore avoit tracé les lignes. C'est une copie d'après des “bas - reliefs trouvés à Herculanum, “et, quoique ce soit une copie, on “y retrouve les traits hardis d'un génie original“ . Cette figure avec ses jolis accessoires, ajouta M. Dabaud est le portrait de la signora Herminie, dame de Venise, dont Emilie, qui dessinoit quand elle n'avoit pas d'aventures à essuyer, fit un dessin agréable. Voilà bien son voile qui “retombe négligemment par derrière, “son luth qu'elle tient avec grâce; voilà bien“ les fleurs et le feuillage “placés dans de grandes caisses pourn “ombrager les jalousies, qui forment “un dôme au-dessus d'elle“. Cetter signora me plaisoit tout - à - fait, et-j'ai vivement regretté qu'elle ne parûtt qu'une seule fois: pour chanter un air dont on auroit pu se passer, sans que, pour cela, le château d'Udolphe cessât d'être isolé, vaste et massif, etle de dominer toute la contrée.

M. Dabaud cherchoit celle qui avoit chanté; mais il remarqua dans un coin un secrétaire dont les pieds étoient sculptés en pieds de griffon. Quelques ornemens de cuivre doré sur lesquels on voyoit des taches de verd de gris, se faisoient distinguer sur le noir mélèse dont ce meuble étoit composé. La table recouverte d'un maroquin noir étoit chargée d'une écritoire faite en vase antique, d'un canif, d'une règle, de quatre plumes et de papiers épars parmi lesquels il y en avoit de tachés d'encre.

Ce n'étoit rien de tout cela qui occupoit M. Dabaud; il examina ceependant encore un petit oratoire dans etlequel une seule personne pouvoit se mettre à genoux. A la rigueur on se itseroit arrangé deux, mais on auroit nété un peu gênés. Vingt-deux images entourées de cadres noirs formoient la chapelle; au bas étoit un appui garni en velours cramoisi attaché avec trente - quatre clous dorés, dont sept avoient la tête cassée. Trois livres de rières de différentes grandeurs étoient ouverts à la page O de l'office des morts. On avoit placé sur le tapis travaillé en fleurs et en personnages un riche coussin de velours vert qui étoit destiné à se mettre à genoux.

Robe de moine! s'écria M. Dabaud tout-à-fait en colère contre lui-même, ne voilà - t-il pas que le mauvais exemple m'emporte! Je viens ici pour y chercher quelque chose qui m'intéresse beaucoup, et je commence, commeil tous les autres, par faire une description qui a l'air d'un inventaire ou d'und procès-verbal.

En disant ces mots il se tourna enfin vers une fenêtre qui étoit en face de la porte par laquelle il étoit entré et il aperçut une femme assise.“Elle tenoit encore son luth, mais n'en tiroit plus de sons et paroissoit insensible à tout ce qui l'entouroit “. Elle étoit vêtue comme celle du portrait, comme celle que M. Dabaud avoit aperçue; seulement un long voile blanc tomboit jusque sur son sein. Oui, dit M. Dabaud en lui - même, voilà bien “sa robe flottante, sa taille svelte; “sa beauté est adoucie, mais non entièrement voilée par l'étoffe transparente qui couvre son visage“ , il ne me reste plus qu'à lui parler. Tout en cherchant à ranimer sa hardiesse, M. Dabaud considéroit le luth de la musicienne; “il étoit espagnol et “d'une grandeur remarquable“. Voilà, dit-il, où j'aurois dû porter d'abord mes regards, sans m'occuper de tant de choses qui m'étoient indifférentes.

Quoique cette remarque fût peut-être très - juste, elle ne servoit en rien à diminuer l'embarras de M. Dabaud, et il ne savoit comment s'y prendre pour aborder la jeune personne qu'il croyoit reconnoître et qui étoit toujours immobile. S'il pouvoit m'arriver tout - d'un - coup, disoit - il, une de ces aventures merveilleuses qui font faire si vîte connoissance, je ne me plaindrois pas de celle - là; fût- ce même ce qui arrive à d'Orméville avec Célestine dans les ruines de Tivoli, ou à Valancour dans les Pyrénées, ou à Sinclair près du château de Montnoir ; tous trois en sont quittes pour une bonne blessure, mais au moins ils entrent dans la maison de leur belle sans avoir la peine de se faire présenter, ce qui est bien plus commode.

Je voudrois au surplus, ajouta-t-il, que quelqu'un me dît de quelle manière il faut parler à ceux que l'on rencontre dans la tour du Sud-ouest. Je ne sais pas quel titre on doit donner à un revenant, et aucun roman anglais ne me fournit de règle à ce sujet..... M. Dabaud tenoit sa main sur son front et paroissoit réfléchir profondément. Si la dame qui étoit devant lui avoit eu les nerfs aussi sensibles que beaucoup des dames qui ne sont pas dans la tour du Sud-ouest, elle auroit été effrayée du mouvement brusque que lui causa la joie d'avoir trouvé ce qu'il cherchoit. Par la petite croix d'or du grand Inquisiteur de Madrid, qui brisa en mille morceaux le miroir d'acier constellé que Matilde avoit donné à Ambrosio,s'écriatil dans son transport; ai-je donc oublié que j'ai mon discours tout fait, et qu'il ne me reste plus qu'à le prononcer.

Pour lors, prenant son chapeau dans sa main, il s'avança vers la dame, et, quand il fut auprès d'elle, il la salua profondément: puis il lui adressa ces paroles d'une voix encore un peu en-tremblante:

„Agnès, Agnès (ou tout autre nom que tu puisses avoir)„tu es à moi; „Je suis à toi pour la vie. “Tant qu'une goutte de sang restera dans mes „veines, „Mon coeur, mon ame, tout mon être est à toi

A peine achevoit-il sa harangue, qu'il entendit un bruit horrible. Le luth tomba sur le parquet et se brisa en mille pièces, les habits de la jeune femme disparurent en lambeaux, son voile s'enleva brusquement, et M. Dabaud aperçut un squelette entièrement décharné qui conservoit cependant encore ses yeux dont“ les deux prunelles fixées obstinément sur lui “étoient creuses et sans couleur.

“Immobile, pâle, presque privé de “sentiment, l'infortuné M. Dabaud “n'avoit même pas la force de fer“mer les yeux pour se dérober au “spectacle qui le tourmentoit. Il res“toit au milieu du cabinet, tous ses “membres couverts d'une sueur froide “étoient agités par un tremblement “qu'il ne pouvoit vaincre. Le ter“rible spectre le regarda pendant “quelques minutes en silence; quel“que chose de pétrifiant étoit dans “son regard“ . A la fin, M. Dabaud entendit une voix sépulcrale prononcer ces mots:

“Dabaud, Dabaud, tu es à moi! „Je suis à toi pour la vie. „Tant qu'une goutte de sang restera dans tes veines, Ton coeur, ton ame, tout ton être est à moi.

Le spectre répétoit les propres expressions de M. Dabaud. Tout-à-coup il se leva de dessus sa chaise et s'élança vers M. Dabaud en lui tendant les bras.“ Toutes les facultés physiques du malheureux avoient été jusqu'à ce moment suspendues, son “ame seule étoit vivante. Les yeux du spectre avoient sans doute la “même vertu que ceux du serpent à sonnettes, car M. Daband s'étoit en vain efforcé d'en détourner ses regards . Cependant, à ce nouveau surcroît de terreur, “son sang recommença à circuler,“ il s'élança hors du cabinet en criant: Non, tu ne “sai“siras pas ma main de tes doigts “glacés, et, de tes lèvres plus glacées “encore, tu ne presseras pas les miennes “. Rayon de lampe! ajouta-t-il quand il se vit seul dans un autrep appartement, je mourois de peur que ce fantôme ne me traitât comme la Nonne sanglante traitoit ce pauvre Raymond: mais cependant, quoiqu'il a fût bien laid, il n'étoit pas encore sia horrible que ce que j'ai vu dans la niche du salon.

CHAPITRE XIV.

Revenu de sa première frayeur, M. Dabaud fut fort étonné de voir que, quoiqu'il eût pris pour sortir la même porte par laquelle il étoit entré, il ne se trouvoit plus dans la chambre du la chevalier de Germeuil; mais au contraire dans un endroit où il n'étoit jamais venu. C'est singulier, dit-il avec étonnement; dans ces vieux châteaux on a si bien l'art de cacher les ouvertures que me voilà arrivé dans un appartement, en passant par la porte qui donnoit dans un autre; car assurément il n'y avoit dans le petit cabinet d'autre issue que celle par où j'y ai pénétré d'abord.

Tout en disant ces mots, il cherchoit à éclaircir un mystère si singulier; qu'on juge si sa surprise redoubla lorsqu'après avoir fait dix fois le tour de la chambre, il s'aperçut qu'il n'y avoit aucune espèce de porte ni de fenêtre.“Il visita tous les coins “examina scrupuleusement les cloisons “et les parquets, rien ne lui donna “lieu de soupçonner qu'il y eût d'ou“verture cachée. La plus grande sim“plicité régnoit par - tout, on avoit “évité de placer dans l'ameublement “la moindre corniche, le moindre or“nement qui pût masquer une issue; “tout étoit absolument uni, tout étoit “d'une blancheur éblouissante, sur la“quelle on auroit pu aisément dis“tinguer la fente la plus légère et la “plus artistement ménagée“.

M. Dabaud ne pouvoit en croire ses yeux. Eh! par où suis - je entré, s'écrioit-il d'une voix qui devenoit plus foible à chaque tour de chambre qu'il faisoit. J'ai beau, comme Ferdinand, “frapper de tous côtés, mais particulièrement dans la partie méridionale,“ je ne rencontre point“ de “surface qui rende un son moins “absorbé que celui d'une muraille“ . S'il y a une porte ici, elle est tout aussi bien cachée que celles qui étoient pratiquées , dans les cellules des prisonniers de l'Inquisition et par lesquelles,, les ministres de mort pouvoient se rendre auprès de leurs victimes sans être aperçus, ainsi que Zampari se rendit auprès de Vivaldi pour lui montrer un poignard sur lequel il y avoit encore des gouttes de sang quoiqu'on ne s'en fût pas servi depuis l'année 1a.

Hélas, ajoutoit-il dolemment, mes voilà donc condamné à mourir de faim, ainsi que ce malheureux James Kiston, quoique je n'aye pas eu comme lui la bêtise de me fier au Lord Chatam, qui étoit sans doute un bien mau-il vais comédien; ou comme cette pauvre Agnès dans les caveaux de d l'abbaye de Sainte-Claire, quoique je n'aye pas mis de lettre d'amour sous le pied de la statue de Saint Dominique, quoique mon fils me soit venu en tout bien et en tout honneur, quoique je ne l'aye pas gardé pendant deux mois mois dans mes bras, mort et enveloppé de linges, enfin devenu une masse informe et dégoutante, ainsi que le dit Agnès elle-même en contant son histoire, selon l'usage.

Comme il continuoit toujours ses lamentations et ses recherches, il entendit une voix qui lui dit d'un ton qui n'avoit rien de sinistre: Ne crains rien, il se trouve toujours des portes quand on en a besoin; souviens-toi plutôt de la trappe que trouve la Motte "dans le cabinet éclairé seulement d'une fenêtre et dans le même état que l'appartement qu'il avoit traversé, excepté qu'il n'y avoit pas même des fragmens de meubles.

Tranquillisé par un exemple qui étoit bien fait pour lui donner de l'assurance, M. Dabaud se souvint aussi que Julia n'avoit jamais manqué de portes toutes les fois qu'elles lui avoient été nécessaires dans les cavernes sou terraines, et, attendant patiemment la nouvelle aventure qui devoit le tirer de là, il s'assit sur un grand fauteuil pour récapituler plus à son aise tous les événemens qui lui étoient arrivés en si peu de temps. Plusieurs lui laissoient encore par le souvenir une forte impression, mais aucun ne le faisoit tressaillir autant que l'image de la découverte horrible qu'il avoit faite dans la niche du salon.

Depuis un instant le calme qui régnoit autour de lui n'étoit troublé par aucun bruit, lorsqu'il entendit un léger frottement qui paroissoit venir du plafond. Il v porta les yeux et aperçut un grand panier qui descendoit à l'aide d'une grosse corde. Bientôt il posa à ou-terre, et deux hommes en sortirent. Ils étoient grands, robustes et bienfaits, les traits durs et le teint hâlé. Leur figure étoit audacieuse; ousleurs cheveux noirs, coupés fort “courts se boucloient sur leur cou; au lieu d'un habit de chasseur, ils “étoient revêtus d'un uniforme militaire usé: leurs sandales étoient „lacées sur des jambes nerveuses, et “de courts hauts de chausse tenolent „à leur ceinture. Ils avoient sur la tête une espèce de bonnet de cuir, par„qui ressembloit beaucoup au casque des Romains; mais leurs sourcils qui se fronçoient au - dessous, eussent „plutôt indiqué deux des Barbares „qui conquirent Rome que deux de “ses généreux soldats. Ils avoient “chacun un baudrier de cuir auquel “étoit suspendu un large coutelas et “une paire de pistolets.

Porte de fer! s'écria M. Dabaud, ceux-ci ne sont pas des, revenans; mais il me semble que les faux-monnoyeurs de Célestine, les brigands du Moine, les deux troupes de bandits des Souterrains de Mazzini, les voleurs de l'Abbaye de Grasville, les contrebandiers des Mystères d'Udolphe réunis tous ensemble ne sont pas si terribles que ces deux coquins-ci. Prenant l'air le plus honnête qu'il lui fut possible, M. Dabaud s'approcha d'eux, leur offrit la main pour sortir du panier et leur dit d'un ton doux: Citoyens, vous avez là une singulière voiture! peut - on vous demander d'où vous venez comme cela? --“De la forêt “de Strasbourg! -- Vous marchez bien “armés,“ reprit M. Dabaud. --“Il “est vrai; mais il est nécessaire de “prendre des précautions pour tra“verser la forêt, elle n'a pas une très“bonne réputation, je vous assure.“

Une nouvelle idée vint occuper M. Dabaud; quoiqu'il ne parlât qu'avec la plus grande timidité aux deux nouvoaux venus qu'il croyoit aussi scélérats que les deux hommes qui poursuivirent si long temps Eléonore et Vivaldi parmi“ les arides et sourcilleuses montagnes de San Nicolo,“ sans qu'on ait jamais su qui ils étoient, sans qu'on en ait entendu parler depuis, il ne put cependant résister à sa curiosité. Nous ne sommes pas ici, dit-il, auprès du gigantes que Velino qui par “les masses saillantes des rochers qui s'élèvent der“rière lui et les noirs précipices dont “il est environné, forme un contraste “avec le Majella couronné de neige “à sa cime:“ Nous ne voyons pas le Monte-Salviano“ couvert de sauge et couronné par une forêt de châtaigniers,“ ni le Monte-Gorno “ qui“ “est une image du scélérat, orgueilleux, “épouvanté, menaçant et horrible “, ainsi j'espère que ces messieurs seront honnêtes.

Citoyens, ajouta-t-il en les regardant fixement, oserois - je vous demander si l'un de vous deux ne seroit point mon fils? -- A propos de quoi nous faites-vous cette question? -- C'est que le Duc de Luovo trouva un jour dans une caverne son fils Ricardo qui s'étoit mis à la tête d'une bande de .... de messieurs comme vous,“après “s'être échappé de la maison paternelle et avoir passé quelques années dans les brillantes et honteuses al“ ternatives du désordre et du liber“tinage, étalant dans toutes les cités de l'Italie et de la Sicile ... “ - Eh bien que veut dire ce verbiage? interrompit un des grands hommes. -- Ce pauvre Duc de Luovo, reprit M. Dabaud, ayant rencontré de la sorte un fils dont on n'avoit jamais parlé auparavant, et dont il n'est plus question dans la suite de l'histoire, j'étois curieux de savoir si quelque heureux hasard ne m'ameneroit point aussi un enfant dont je n'aurois pas soupçonné l'existence jusqu'à présent.

Sans répondre à M. Dabaud, un des grands hommes le prit par la main, le fit asseoir dans le grand fauteuil où il étoit d'abord, et alla se placer derrière avec son compagnon. Que ferons - nous de cet étranger? demanda-t-il. -- Mais, répondit l'autre, si nos camarades n'étoient pas à la caverne, nous le poignarderions. -- Ils ne la quittent jamais avant quatre heures, et il seroit peut-être encore temps de les avertir. -- C'est qu'il pourroit bien y avoir quelques domestiques endormis à deux ou trois portées de fusil d'ici, et, demain matin, que leur répondrions - nous quand ils nous demanderoient leur maître? -- Tu as raison; mais n'as-tu pas la petite bouteille dans ta poche? -- Sans doute. -- A la bonne heure.“Allons le re“trouver de peur qu'une trop longue “absence ne lui fasse naître des soupçons .“

Ces drôles-là, dit M. Dabaud tout bas, sont encore plus impudens ou plus bêtes que Claude et Baptiste qui ne s'étoient mis que sous la fenêtre de Raymond, aussi n'auront - ils pas le droit de se plaindre, si je finis par en étrangler quelqu'un. Si encore c'étoit un clou qui m'eût arrêté par mon habit, comme Blanche, pour me faire entendre leurs complots, il n'y auroit pas trop de leur faute, mais ils ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes de ce qui pourra leur arriver.

Allons, citoyen, dit un des deux brigands en revenant auprès de M. Dabaud, “soyez joyeux comme nous. „Pour vous ranimer ne prendriez-vous “pas avec plaisir un bon verre d'excellent vin qui m'a été laissé par „feu mon père? Donne, donne, ajouta - t - il en parlant à son camarade qui tira de sa poche une bouteille goudronnée en jaune. Ils en versèrent dans un gobelet d'étain et le présen-d tèrent à M. Dabaud. “A l'odeur et à la couleur il vit que c'étoit du „Champagne, mais quelques grains de poussière qui flottoient sur la surface, le convainquirent, comme il en étoit certain déjà, que le vin étoit „altéré.

Citoyens, dit-il en posant le verre sur une table, je ne suis pas aussi nigaud que la baronne de Lindenberg, je ne bois pas avec des gens qui ne boivent pas eux- mêmes du vin qu'ils me présentent. -- Vous avez bien tort reprit l'un des voleurs, car en quelques minutes vos yeux se seroient appesantis, votre tête se seroit renversée sur vos épaules et vous auriez dormi d'un profond sommeil; mais puisque cette proposition ne vous convient pas, je vais vous en faire une autre: voulez-vous venir avec nous? "vous participerez par portions égales aux captures que l'on fera, en partageant comme les autres le danger et en obéissant au chef de la compagnie. -- Quelles offres me faites-vous là, dit M. Dabaude étonné. -- Celles que M. Milverne et Félix acceptèrent; ils nous ont un peu trahis, mais ils s'y sont pris d'une manière si nouvelle que nous leur pardonnons. -- Quoi! vous voudriez que je me fisse voleur! -- Non pas voleur tout-à-fait, mais contrebandier. Nous sommes "des pirates qui depuis plusieurs années cachons notre butin sous les voûtes du château," parce que "ce bâtiment est près de la mer et parfaitement convenable „à nos desseins. Nous avons un magasin considérable de marchanendises anglaises; afin que les agens du Pouvoir-exécutif ne les découvrent lapas, nous faisons croire que le châesteau est fréquenté par des revenans, et, comme nous avons découvert,, le „chemin secret de l'appartement du „Nord, nous venons de temps en temps faire un tour ici pour effrayer ceux qui seroient tentés de s'y promener. -- Mais vous n'avez donc pas peur des esprits, dit M. Dabaud. -- Oh! les esprits font leurs affaires et nous faisons les nôtres. Chacun a les siennes dans un vieux château ruiné. Enin voulez - vous venir avec nous de bonne grâce, ou bien nous allons vous lier les bras, vous mettre unm “bâillon dans la bouche et vous entraîner par le passage, comme Ludovico, de-là nous vous mettrons dans un petit vaisseau, et nous vous me-ai nerons en Roussillon. -- Citoyens, es votre compagnie me seroit fort agréable, répliqua poliment M. Dabaud, mais votre voiture .... -- Oh! qu'à cela ne tienne; nous nous en servons, parce qu'il vaut autant descendre duM plafond dans un panier, que de tomber des nues par la trappe d'un souterrain: mais il y a dans ce château,le comme dans tous les autres, des portes masquées et des escaliers pratiqués dans l'épaisseur des murs. Vous allez voir qu'il ne nous manquera rien.

Le brigand s'avança vers un trumeau.... Oui, dit M. Dabaud d'un ton vainqueur, vous allez, comme Julie, toucher un bouton caché, et.... -- Fi donc, interrompit le voleur d'un air dédaigneux; ce que vous dites là est trop commun; nos moyens sont plus brillans. Il posa en même temps le doigt sur une araignée peinte si artistement sur la muraille qu'elle avoit l'air naturelle. -- J'y suis, reprit M. Dabaud qui étoit un peu honteux de n'avoir pas deviné, la glace va s'enfoncer dans la cloison. Le voleur ne répondit rien, fit un petit sourire de mépris et pressa doucement l'araignée. Le bruit d'un ressort se it entendre, et un pan entier de la boiserie qui disparut laissa voir à-lafois quinze escaliers rapides et étroit pratiqués dans l'épaisseur du mur. M. Dabaud fut atterré par ce spectacle inattendu. Par la barbe du père Ansaldo grand pénitencier du couvent des Pénitens noirs de Santa Maria“ del Pianto, s'écria-t-il, en voilà au moins pour trois romans, quoique à la vérité cinq par chacun soit une“ portion bien médiocre. Mais, ajouta-t-il en se rapprochant d'une des ouvertures, pour descendfe par ce degré en limaçon, il nous faut une lumière. -- Vous êtes bien embarrassé, reprit le second voleur; croyez-vous que nous n'avons pas tous nos meubles? voilà une lanterne sourde. -- Fort bien, dit M. Dabaud, descendons; car il me tarde de m'éloigner de l'objet hideux qui est dans la niche du salon.

“La foible lumière qui les guidoit, leur montra autour d'eux les murailles peintes en noir et chargées d'os“semens et de têtes de mort. Par intervalles de pesantes arcades fermées de grilles étroites, laissoient “circuler l'air, et montroient le château, dont les tourelles entassées faisoient opposition aux tours énor“mes du portail.“ Mais, cependant, disoit en lui-même M. Dabaud auquel ce trajet n'inspiroit pas des idées fort gaies, il faudra donc que vraiment je me fasse voleur, et que je reste dans ce chien de métier, le bon dieu sait combien de temps!... Non, non, ajouta-t-il par réflexion; je ne dois pas avoir d'inquiétude. Je serai bientôt délivré, par quelque trahison, par quelque soporifique, par quelque aventure comme il ne manque jamais d'en arriver à propos. Je parierois même que je finirai par rencontrer quelque part Dubert et mon fils auxquels j'aurai le plaisir de raconter mon histoire, comme cela se pratique toujours.

CHAPITRE XV.

Tout en s'occupant de ces pensées, M. Dabaud trayersoit de longs corridors étroits, où il ne pouvoit passer qu'une seule personne de front. Le bruit de ses pas et de ceux de ses compagnons se répétoit au loin sous les voûtes; leur lumière étoit agitée par le courant d'air humide qui circuloit dans les cavités des souterrains. A tout moment ils rencontroient des portes de fer chargées de verroux et de cadenats; quelquefois ils étoient obligés de se baisser pour traverser certains passages: souvent ils descendoient des escaliers et ne tardoient pas à en remonter d'autres.

Tout cela est fort bien jusqu'à présent, s'écria enfin M. Dabaud qui commençoit à s'ennuyer d'une si longue promenade; mais n'arriverons - nous pas bientôt? Ordinairement on en est quitte pour déut oais degrés, cinq à six corridors, trois ou quatre grandes salles, et voilà plus d'une demi-heure que nous marchons pour rien Faites - moi traverser si vous voulez l'église souterraine par où s'échappèrent Célestine et Julie, mais ne nous amusons pas à examiner les bancs épars et tombés en débris, ni les piliers grossiers et mal taillés, ni les livres déchirés, ni les tableaux moisis, ni les lambeaux d'étoffe noire couverts de croix blanches, parce que tout cela ne serviroit qu'à nous faire perdre du temps. Passons, si cela vous convient,“sous la voûte où “Emilie vit une double grille, et plus loin plusieurs monceaux de terre qui paroissoient entourer un tombeau ouvert“ , quoique cela soit encore inutile, mais sortons d'ici. -- Il n'est pas étonnant que ce château ait de vastes souterrains, répondit un des bandits, parce qu'il fut bâti è-lors d'une ancienne conjuration de Venise. -- De Venise, répéta M. Dacbaud avec l'accent de la surprise. Nous sommes donc en Italie. -- Pouvez - vous le demander, après tout ce que vous avez vu? -- Mais, notre ami, si j'ai bonne mémoire, vous m'avez dit tout-à-l'heure que vous faisiez rela contrebande des marchandises anglaises dans la république française; comment arrangerez - vous tout cela? -- En vérité, citoyen, repartit l'autre brigand d'un ton un peu piqué, vous ne devriez pas ignorer que, quand quelqu'un raconte la fin de ses aventures, on ne doit jamais lui en rappeler le commencement; parce que, si l'histoire est un peu embrouillée, il est quelquefois difficile que tout se trouve parfaitement d'accord.

M. Dabaud se préparoit à lui répondre et à lui faire des excuses, lorsque tout-à-coup en passant au milieu de deux gros piliers, une figure “pâle et livide sortit de derrière l'un “d'eux et souffla avec force sur la “lumière qui s'éteignit. Au même „instant M. Dabaud se sentit entourer par des bras vigoureux qui, malgré ses efforts, le séparèrent de ses compagnons. “Il poussa des cris perçans qui firent retentir le souterrain, on ne lui répondit pas, et on continua à l'entraîner fort vite ." Juste ciel, s'écria-t-il, j'ai passé par la main des esprits, par celle des voleurs, j'ai été dans la tour du Sud-ouest, j'ai ouvert toutes les armoires qui se sont présentées à moi, j'ai examiné soigneusement tous les petits paquets que j'ai trouvés, j'ai lu tous les vieux manuscrits qui me sont tombés sous la main, j'ai levé tous les rideaux que j'ai rencontrés, même celui de la niche du salon, derrière lequel j'ai découvert un objet effroyable: que me reste - t - il donc à connoître encore? --Tu oses dire que tu n'as plus rien à connoître, repartit d'une voix terrible un de ceux qui venoient de s'assurer de lui; as-tu été renfermé dansco un petit cachot, comme Vivaldi, comme Percival Masérini, comme d'Orméville, comme Hubert de Sévrac et toute sa famille, comme Agnès, comme ... -- Ah! oui répondit tristement M. Dabaud, je n'ai rien à dire et je vois bien qu'il faut se soumettre à sa destinée.

On se disposa à lui mettre unu mouchoir sur la bouche. -- Eh! pourquoi me gêner inutilement la respiration, demanda-t-il d'un ton suppliant, pourquoi me brider comme Théodore brida la vieille Cunégonde, dans le pavillon de l'Ouest du château de Linden? Quand je crierois aussi fort qu'elle, qu'elle vous savez bien comme moi que personne ne vient jamais au secours de ceux qui doivent être enlevés. -- Tu veux nous apprendre notre métier, je crois, reprit d'un ton encore plus imposant celui qui avoit parlé d'abord; il y a dix ans que nous sommes enleveurs, et nous savons comment les choses doivent se passer. Demande à Célestine si, chaque fois que les émissaires de Rasoni se sont emparés d'elle, ils n'ont pas commencé par lui mettre un mouchoir sur la bouche, pour lui ôter, la facilité d'exhaler sa douleur par des gémissemens qui auroient pu les trahir . Demande à Eléonore si, en allant la Prendre à sa petite maison d'Altièri, on ne lui n jeta pas un grand voile “sur la tête .“ Informe-toi un peu à Sir Charles: il te dira qu'il “fut enveloppé dans une large dra“perie qu'on lui jeta sur la tête, et “qu'il se sentit déposer dans un “coffre que l'on referma sur lui et “que l'on emporta aussitôt.“ Il est aussi indispensable d'envelopper la tête de ceux qu'on enlève, que de passer par une issue secrète pour les délivrer. -- Hélas, dit en soupirant tout bas M. Dabaud, puisque c'est le costume, il faut bien s'y soumettre.

On le transporta avec beaucoup de vîtesse par des chemins souterrains. Comme il se plaignoit, un de ses conducteurs lui dit avec un sourire ironique: Comment oses - tu être mécontent puisqu'on te fait grâce de la petite barque et de la voiture dont nous ne manquons jamais de nous servir dans les enlèvemens. -- Et c'est précisement ce qui me déplaît, repartit M. Dabaud, je me faisois un plaisir de passer comme Eléonore dans la forêt “qui s'étend sur les flancs es“carpés du Garganus,“ et d'entrer à Rome, comme Vivaldi, par la porte del Popolo; delà nous passerions devant“le théâtre de Campranica,“ tandis que “la lune sortant du sein des nuages dont elle étoit obscurcie .“éclaireroit par intervalle quelques-uns de ces hardis monumens de Rome, ces ruines sacrées, ces “squelettes gigantesques qui avoient “renfermé jadis l'ame énergique “dont l'univers entier avoit reçu la “loi.“

Sans écouter ce discours, qui étoit cependant beau, les conducteurs de M. Dabaud doublèrent encore de vîtesse.„Après avoir traversé préci“pitamment un grand nombre d'é“pouvantables couloirs ou les sou“pirs et les gémissemens se faisoient “fréquemment entendre, les échos “retentirent du bruit de plusieurs “serrures, un guichet s'ouvrit avec “peine, il sembloit qu'on soulevât la “pierre d'un tombeau. Ils des“cendirent ensuite plusieurs marches “au pied desquelles ils trouvèrent une autre poite de fer qui les conduisit dans une espèce de vestibule. “M. Dabaud aperçut dans la pers„pective une personne vêtue de noir „et portant un flambeau, elle s'avançoit en silence. Il parvint enfin dans un appartement sombre semblable au premier qu'il avoit déjà traversé, “mais beaucoup plus vaste; la voûte “étoit supportée par des arches, quel„ques lampes funèbres, dont la lueur “pâle et tremblante se perdoit à l'extrémité des arcades rendoient encore „plus sensible la sombre horreur qui “régnoit dans ce lieu.“ Bientôt M. Dabaud aperçut une statue de „Sainte Claire devant laquelle brûloit “une lampe:il frémit en prévoyant ce qui alloit lui arriver. Un de ses conducteurs monta sur le piédestal et toucha un petit bouton de fer ca“ché entre les doigts de la sainte. „A l'instant même on entendit dans “l'intérieur de la statue un bruit “sourd, pareil à celui que feroit une „chaîne fortement tendue, qui, relâ“chée tout - à - coup, se rouleroit sur „son axe. On dérangea la statue: le „piédestal étoit creux, et son ouver“ture étoit fermée par une grosse “grille de fer. On leva cette grille, et ,alors s'ouvrit un abyme profonde “dont l'oeil cherchoit en vain à pé“nétrer l'épaisse obscurité.... On “ne distinguoit rien, excepté les pre“mières marches d'un escalier de gros“ses pierres qui descendoit dans ce “souterrain, et qui bientôt se per„doit dans les ténèbres. M. Dabaud, s'aperçut qu'on lui faisoit descendre cet escalier et fut saisi subitement par un air frais et humide. „Un fracas terrible et sourd se faisoit entendre dans le lointain, quelquefois la terre éprouvoit une sorte de commotion.„Ah! ah! dit-il, voilà les faux monoyeurs qui se divertissent. Ses conducteurs s'arrêtèrent enfin; son oreille fut frappée de nouveau d'un bruit de clefs et “de verroux, on ouvrit une porte, et il se trouva dans un cachot.

“Il sentit son sang se glacer, le “froid le saisit. L'humidité des murs, le lit de paille qui lui étoit destiné et sur-tout la vue des reptiles de “toute espèce, tels que le froid lé“zard et le crapaud hideux gonflé de „noirs venins, le pénétrèrent de terteur. Il se jeta aux pieds de ses ravisseurs, il implora leur clémence, tout fut inutile, ils le laissèrent dans le caveau. Transporté par cet excès d'inhumanité, il tomba évanoui. Lorsqu'il reprit connoissance,,tout étoit „dans le silence, mais tout étoit hor„rible .... La lueur sombre d'une “lampe lui laissoit apercevoir en en„tier sa nouvelle demeure. Un cru“cifix de plomb étoit en face de son „lit: à côté de lui il vit un fouet, “un chapelet, un cilice; à quelque “distance un pot rempli d'eau, un „panier contenant un pain noir, et une bouteille d'huile pour la lampe.

Hélas, s'écria-t-il tristement, me voilà tout aussi bien dans mes meubles que la pauvre Agnès dans les caveaux de Sainte - Claire. Ah! si quel-que bonne ame, comme la mère Sainte-Ursule, ne fait pas troubler une procession magnifique, écraser ou déchirer dix ou douze personnes et brûler tout un couvent, je suis un homme perdu!

Aussi impatient que pouvoit l'être Sir Charles, “ il frappa violemment à „la porte de sa prison, et le bruit “des verroux qui frémissoient pendant l'ébranlement, répondit seul à ses coups. Voyant que tout ce fracas ne le menoit à rien, il commença à se promener tranquillement dans son cachot; tout - à - coup il lui vint une idée qui le frappa agréablement. J'ai encore une ressource, s'écriatil avec joie. Je m'en vais chanter toutes les chansons gasconnes dont je me souviendrai, et peut - être il se trouvera au - dessus de ma tête quel-que belle dame qui, aussi bonne qu'Emilie, me prendra pour son Valancour et me fera monter dans sa chambre.

Après cette réflexion qui ne lui servit pas beaucoup plus que le bruit qu'il avoit fait d'abord, il se coucha sur la paille et, s'endormit un moment de ce sommeil péniefte la nature souffrante semble s'arracher „elle - même. Il fut réveillé par un “léger bruit et se sentit pénétré d'une “humidité qui paralysoit tous ses mem“bres. Ses habits étoient entièrement “humectés d'une eau glutineuse qui couloit le long des murailles: ses che„veux imbibés comme ses habits étoient “collés ensemble et s'attachoient à son „visage; ses bras et ses jambes étoient “engourdis ." Million de coups de tonnerre, s'écria-t-il. me voilà aussi bien arrangé que d'Orméville. Il n'eut pas le temps de poursuivre, la pâle clarté d'une lanterne sourde vint frapper ses yeux, une main étrangère saisit “la sienne." Par “la grande plume noire qui étoit au pied des tréteaux “dans la chambre de parade qui avoit “autrefois été tendue de noir pour “recevoir le corps du Comte Roland , s'écria-t-il, éloignez-vous d'ici Zampari; je ne suis pas Vivaldi et je n'ai pas rêvé à vous, ni à votre capuchon, ni au poignord caché dans les plis de votre robe.

„Pour toute réponse, l'inconnu lui “fait signe de garder le silence; M. Dabaud , veut faire une nouvelle „question; on lui appuye un pistolet “sur la poitrine. Vous êtes, dit-il avec étonnement, bien moins civil que le cousin de Julie, car il ne fit que “mettre le doigt sur la bouche de d'Orméville. L'étranger “ sans relever son voile, se jette au cou de M. Dabaud, l'embrasse avec transport, le presse contre son coeur et laisse échapper un soupir.

Je suis très-reconnoissant de ces marques d'amitié, dit M. Dabaud en lui serrant la main, mais aprenez-moi un peu qui vous êtes. Sans lui répondre, cet homme étrange tire de „dessous sa robe un vêtement semblable au sien, lui fait signe de s'en couvrir, et de garder le silence. Lorsqu'il a mis la robe, l'inconnu „lui jette un voile sur la tête, l'em„brasse encore en lui renouvelant le „signe du silence et la menace de la “mort. Ensuite il le prend par la main et le fait sortir. .... Après “avoir descendu trente marches en“viron, il voit son guide se baisser “pour poser sa lampe; aussitôt il s'élance sur lui pour lui arracher ses “armes; mais l'inconnu se relève soudain, et, sans rien dire, lui présente le bout de son pistolet ... “puis il se jette à ses pieds et semble lui demander excuse de la violence qu'il exerce envers lui. Surpris de cette étrange conduite. M. Dabaud lui tend la main pour le relever; l'inconnu la saisit, la presse “sur son coeur, lui fait signe de descendre et de garder le silence. Moins de caresses et plus de paroles, dit brusquement M. Dabaud, pourquoi tous ces baisers et ce pistolet? qui êtes - vous? -- Si je vous le disois, répondit l'inconnu bien bas, vous me reconnoîtriez, et le lecteur ne seroit plus dans l'embarras. -- A la bonne heure, repartit doucement M. Dabaud, quand on me donne une bonne raison, je n'ai plus rien à répondre; mais, au moins, où me conduisezvous? Est - ce dans un appartement spacieux où il y a seulement deux personnes dont l'une porte, sur la „tête une espèce de capuchon et dont, l'autre a la tête découverte et les bras nus jusqu'au coude? y a-t-il devant elles , un livre et quelques “instrumens d'une forme singulière? voit-on vers l'extrémité supérieure de l'appartement un crucifix gigantesque qui s'élève jusqu'à la voûte, “et en face un rideau noir suspendu “à une arche? A propos de rideau, je vous dirai que je m'en défie beaucoup depuis que j'ai vu ce qui est derrière celui de la niche du salon.

“L'inconnu lui met un doigt sur „la bouche et lui appuie son pistolet “sur la poitrine. Que le diable l'emporte, comme Ambrosio, dit M. Dabaud en lui-même, lui et son pistolet qui, j'espère, ne partira pas plus que celui que tira Rasoni sur d'Orméville dans les ruines de Tivoli, ou que les deux que lâcha d'Orméville lui - même sur le spectre qui lui apparut au chateau de la marquise della Chièsa. Cet embrasseur perpétuel va sans doute me mener, comme il mena jadis Sir Charles, auprès d'une femme qui pleure devant un cadran d'horloge. A peine il achevoit ces mots qu'il aperçoit, une “immense mécanique dont il ne peut concevoir l'usage.

Voyez, lui dit son conducteur: Entre deux cilindres d'airain creux et “d'environ trois pieds de diamètre, est une énorme roue de fer armée sur sa circonférence de branches “brisées dans le milieu par une charnière et portant à leurs extrémités „une boule d'airain.Et cétéra, et cétéra, s'écria M. Dabaud impatienté, n'allez - vous pas me parler aussi du pignon à lanterne, des leviers, des rouages, et du mouvement oscillatoire du balancier? Mon ami, envoyez la description de votre machine à l'encyclopédie; elle y figurera beaucoup mieux qu'ici. Au surplus, qu'allez-vous faire de moi?

“Son gardien lui baisse son voile, “et lui mettant une main sur la bou“che, l'entraîne précipitamment. Par“venu dans l'escalier, il reprend sa „lampe, ramène le captif dans son “cachot, et s'arrêtant à la porte, l'em“brasse une dernière fois. Quelle fureur! dit M. Dabaud; vous embrassez comme les autres parlent: mais, puis que la promenade que vous m'avez fait faire ne devoit aboutir qu'à me ramener ici, sans être plus avancé qu'auparavant, vous auriez tout aussi bien fait de me laisser tranquille; il ne vous manqueroit plus que de me souhaiter ironiquement le bon soir, comme le geolier de madame de Sévrac.

CHAPITRE XVI.

Lorsque M. Dabaud se vit tout seul, il commença à se promener avec beaucoup de vîtesse. Il heurta du bout du pied“ quelque chose qui résonna „sur le pavé de la voûte; il alla saisir la lampe, “la baissa et aperçut „avec horreur l'épée qu'il avoit découverte dans la petite armoire de la chambre du chevalier de Oermeuil.

“La terreur le rendit immobile, il „se mit à genoux, posa sa lampe à „terre et considéra de nouveau l'hor“rible épée, trop facile à distinguer “pour qu'il pût s'y méprendre . Il entendit en ce moment un léger bruit qui se faisoit autour de lui, et crut que c'étoit un nouvel ennemi qui venoit lui faire courir quelques nouveaux dangers, ou lui donner quelques nouveaux baisers.

“Les extrêmes se touchent, dit-on; l'excès de la terreur inspira à M. Da“baud une sorte de témérité. Il résolut de s'armer de l'épée et de s'en servir courageusement pour sa défense.Oh! dit-il tout haut, je serai aussi brave que Sabina, quoique je n'aye pas dans ma poche , un “petit crucifix d'ébène ou les mots: „souvenez-vous-en sont gravés sur le revers, et quoique je ne sois Pas venu pour me confesser à l'Abbé Palerme qui est un scélérat, comme tous les moines de roman. Cependant, au moment où il ramassoit l'épée, une idée l'arrêta: il regarda avec attention tout autour du cachot. C'est bon, dit-il, il n'y a point ici d'image de la vierge qui puisse pencher la téte, s'agiter, et pousser un long gémissement, ainsi je puis sans crainte me saisir de cette arme.

Il la prit en effet et fixa ses yeux du côté d'où venoit le bruit. Il aperçut bientôt une pierre de la muraille qui se dérangeoit, et il vit sortir par l'ouverture “ une grande figure maigre “de frère lai, vêtu d'une robe noire „et la tête enveloppée d'un bonnet „de nuit. Monsieur, dit-il d'une voix douce à M. Dabaud en le nommant par son nom, je viens vous sauver. L'intrépide M. Dabaud ne lui épondit qu'en lui portant un coup d'épée terrible, qui cependant ne perça que son capuchon. Mais, lui dit le moine d'un ton un peu fâché, vous êtes tout aussi brutal et tout aussi ingrat que M. de Saint Aubert! Comment, lorsqu'à l'exemple de Valancour, je viens pour vous rendre service, vous reconnoissez mon empressement, non par un coup de pistolet qui me casse le bras, mais par un coup d'épée qui perce mon capuchon! ... Votre furie est d'autant plus inutile que vous n'avez pas de fille dont je sois amoureux, et qu'il n'est pas nécessaire de faire naître un prétexte pour que vous soyez obligé de me garder auprès de vous. M. Dabaud! je m'attendais à un autre procédé de votre part, sur-tout lorsque vous m'avez mille obligations.

Eh! bien voyons, dit M. Dabaud un peu honteux de son premier mouvement, êtes-vous le cousin de Julie, ou bien Jeannette qui tirèrent chacun d'Orméville d'un souterrain; ou bien Justin Latour, ou bien le jeune prêtre qui sauva Sabina, ou bien Nicolo qui fit échapper Julia; ou bien Olivia qui conduisit Eléonore à la porte du jardin de l'abbaye della Piéta, ou bien le voleur Uloff qui aida aida à faire sauver M. Milverne et Félix; ou bien la sentinelle qui quitta son poste pour aller boire du vin de Toscane, ou plutôt pour laisser à Emilie, Annette et Dupont la facilité de sortir du château d'Udolphe? Non répondit le moine, je ne suis aucun de tous ces gens-là. -- Quelles obligations vous ai-je donc? -- D'abord je contreviens. pour vous être utile, à une règle générale, puisqu'en ma qualité de moine je ne devois paroître que pour faire quelque mauvaise action; et certainement, si les faiseurs de romans anglais étoient instruits de ma conduite, ils ne me la pardonneroient pas. De plus, je viens vous offrir un moyen de sortir de ce souterrain, et ce moyen est très -simple, comme vous allez en juger.

Voilà une petite bouteille qui renferme“une liqueur extraite de certaines herbes peu connues, dont “l'effet est dem ettre ceux qui la boivent dans un état qui ressemble “absolument à la mort. Vous allez “en avaler quelques gorgées: votre “sang cessera par degrés de circuler et votre coeur de battre. Une pâleur mortelle se répandra sur tous vos traits, vous serez à tous les “yeux comme un vrai cadavre. Ceux “qui vous gardent vous croirout mort, “et quarante - huit heures après qui “vous aurez bu la drogue, vous renaîtrez à la vie.“

Quelle merveilleuse propriété, s'écria M. Dabaud en considérant la bouteille. -- C'est, reprit le moine, la même liqueur dont on s'est servi pour Agnès, pour Antonia, pour M. Milverne, pour Sir Charles, pour Milady Kelly; c'est celle qu'on emploie toutes les fois qu'on veut faire paroître un personnage de dessus la scène, pour le retrouver ensuite au besoin. -- Fort bien répliqua M. Dabaud; mais si vous vous étiez trompé et si vous alliez me donner tout bonnement du poison. -- Vous ne devez avoir aucune crainte à ce sujet. Vous oyez bien que cette eau est verdâtre, et je vous certifie qu'elle a été prise dans le laboratoire de l'Abbaye de „Sainte-Claire, sur le troisième rayon “à gauche .“ Vous savez que c'est là le bon endroit.

Tout cela peut être, dit M. Dabaud; mais j'aimerois beaucoup mieux m'échapper par un passage long et obscur, dussiez-vous même me cacher sous votre manteau, comme le jeune prêtre y cacha Sabina . Elle étoit peut-être de quelque chose plus mince que moi, mais les geoliers en seront quittes pour fermer les yeux un peu davantage. Aimez - vous mieux me déguiser en moine? Si Percival Masérini, Sisara et Clémentine sont parvenus à passer, sous ce costume, au milieu de tout un couvent à dix heures du soir en tenant seulement un mouchoir devant leur figure, nous avons bien droit d'espérer que nous réussirons aussi heureusement qu'eux. Votre petite bouteille est une très - bonne ressource, je le sais; mais si ces voleursci n'avoient pas, comme ceux de l'Abbaye de Grasville, un caveau exprès pour leur sépulture dont l'entrée fût cachée dans un piédestal; si, pour effrayer une Matilde qui est cachée derrière un buisson, et intriguer le lecteur, ils ne faisoient pas, en me portant à ce caveau, une procession qui, au fait, ne pouvoit servir qu'à les faire découvrir, quoique “ l'un d'eux vêtu “en prêtre exerçât les fonctions sacerdotales,“ s'ils me mettoient six pieds de terre sur le corps, vous avouerez que j'aurois de la peine à sortir de là; ainsi je crois qu'il vaut beaucoup mieux prendre un chemin souterrain. Cherchez dans votre mémoire, je suis persuadé que vous en connoissez quelqu'un. Si cela vous est égal cependant, ne passons point par une grande salle“ dont toute l'étendue soit parsemée de tombes, et au milieu de laquelle il y ait“un “autel de pierre sur lequel étoient “rangés quelques ossemens;“ évitons aussi“ la chambre taillée dans le “roc“ avec “le banc, le lit de montc “de la religieuse et la lampe qui “éclairoit à peine ce lieu funeste,“ parce que tout cela ne serviroit qu'à m'effrayer inutilement. Mais sur-tout, je vous en prie, ne me conduisez pas dans une vieille chambre où il y ait “un fauteuil de fer, des barres et “des anneaux pour entraver les pieds “et les ains,“ et ce qui est encore plus terrible que tout pela très “sombre rideau qui descende du haut “en bas“ derrière lequel se trouve “étendu urne couchette basse et tout inondée de sang, un cadavre “dont les traits hideux, déformée par la mort, soient hideux et effrayans .“Ce n'est pas que, comme Emilie, je le prisse pour madame Montoni; mais c'est que je n'aime pas les rideaux, depuis que j'ai découvert derrière celui de la niche du salon un objet encore plus terrible que la figure de cire du château d'Udolphe, quoiqu'elle représentât un cadavre rongé par les vers. -- Toutes ces dissertations seroient excellentes dans un autre temps, dit le moine qui commenqoit à s'impatienter, mais maintenant il-s'agit de fuir.

Au même instant, “une trappe s'ouvrit à leurs pieds“ et ils en vibent sortir de grands hommes dont “la figure n'annonçoit rien que de féroce. Ce n'est pas encore le mo“ment de fuir, cria l'un d'eux d'une “voix terrible, c'est le moment de “combattre et de mourir.“ Adressezvous au Père que voilà, dit en tremblant M. Dabaud; quant à moi, je ne combats que les ennemis de la république. D'ailleurs, comment voulez-vous que je me défende; je n'ai pas le vieux sabre dont d'Orméville s'étoit servi pour enfoncer la porte. Sans écouter ses prières et ses supplications, les nouveaux venus se jetèrent sur lui; il tendit la main au moine obligeant et lui dit d'un ton dolent et affectueux: Adieu, mon père, je n'ai connu de moines honnêtes géns que vous et le Père Evangelista; mais aussi“ mauvaise robe qui couvroit son corps étique annonçoit-elle que “la libéralité de l'abbé ne s'étendoit “pas jusqu'à lui et qu'il ne partageoit “poit ses orgies.“ Quant à vous, jé vous conseille de casser votre bouteille, parce que le secret en est devenu trop commun, et il ne sera pas mal que désormais on prenne un autre moyen quand on voudra faire passer les gens pour morts.

En ce moment ses persécuteurs le pressèpent de nouveau; il se retourna de leur côté, et remarqua qu'ils étoient masqués: Helas, messieurs, leur dit-il avec résignation, vous êtes bien les maîtres de faire de moi ce que vous voudrez; mais, en vérité, il n'y avoit pas la de quoi vous masquer, fût-ce même; comme Smith avec “une légère pellicule adroitement “collée sur la peau , "ce qui, je dois en convenir, est une manière aussi ingénieuse que nouvelle, de déguiser.

CHAPITRE XVII.

Les hommes masqués attachèrent M Dabaud à un pilier avec une grosse chaîne de fer et le laissèreut seull Gémissant sur sa destinée, il s'écrioit d'un ton qui auroit attendri les coeurs les plus insensibles: Messieurs, messieurs, prevenez; je jurerai sur la tête de mort sur , sur tout ce que vous voudrez “ de ne jamais “faire même soupçonner l'existence “de ce sonterrain;“ vous me tiendrez, si vous voulez, pendant ce temps-là sur le sein le bout du pistolet et la pointe du poignard, mais laissez-moi aller ... Personne ne me réponds ajoutoit-il un moment après; à moins qu'on n'en vienne à révéler deux ou trois confessions comme on le fit pour sauver Vivaldi, il y a à parier que je périrai de faim ici.

Tout-à-coup il fut interrompu par le bruit confus de plusieurs voix qui perçoient au travers de la muraille, il écouta attentivement et il entendit qu'on parloit de lui. Bientôt il reconnut avec effroi, qu'il n'étoit question de rien moins que de le tuer; on disputoit seulement sur le genre de mort qu'on lui feroit subir et sur l'heure à“ laquelle on lui feroit rendre le dernier soupir. Justes dieux, s'écria - t - il avec l'excès de l'abattement et du désespoir; à quelle extrémité suis-je réduit...

Il entendit en ce moment qu'on décidoit qu'il seroit brûlé vif, et que l'exécution se feroit à cinq heures du matin. L'horloge sonna en même temps quatre heures et demie. Allons, je n'ai plus qu'une demi-heure à vivre, dit-il, et je serai brûlé comme Ambrosio ... Je dois me trouver encore fort heureux, ajouta-t-il un instant après, de n'avoir pas eu, comme lui, les os applatis avec des coins de fer; car, quoique deux ou trois jours après avoir eu“les membres disloqués, les ongles “des pieds et des mains arrachés, et “les doigts brisés par la pression des “étaux, il marchât à grands pas dans “son cachot,“ il vaut encore mieux n'avoir pas, été le héros de pareille fête.

M. Dabaud se tut pendant un moment. Hélas, dit - il en se relevant, si j'avois le livre que Matilde laissa à son prieur de Dominicains dans les prisons de l'Inquisition, peut-être en ferois-je usage: pourvu cependant que l'esprit se montrât à moi comme il parut la première fois dans les caveaux de Sainte-Claire, après que Matilde eut fait ses sortiléges. Je voudrois qu'il vint avec “son étoile au front ses “ailes cramoisies, son bandeau cou“leur de feu, ses cercles de diamans “autour. des bras et des doigts, ses “rayons et ses nuages couleur de rose, son délicieux parfum;“ car, quand on fait tant que de voir le diable, au moins faut - il le voir en petit uniforme et point dans sa grande tenue, qui n'est pas du tout engageante.... Oui, en vérité, répécoit -il, je crois que, si j'avois le petit livre, j'essayerois de lire les quatre premières lignes la septième page.

A peine M. Dabaud achevoit-il ces mots, u'il vit tomber de la voûte un tourbillon, de flamme bleuâtre, qui s'éteignit à ses pieds. Il fut étrangement surpris, en apercevant un petit livre; cependant, à la vue de l'objet qu'il avoit désiré, il songea à ce qui lui étoit préparé, et, trouvant devant lui le moyen de s'en affranchir, il ramassa le livre avec la vivacité du léespoir;, il alloit l'ouvrit, mais il la, jeta loin de lui en frémissant? Prenons garde à ce que nous allons faire, dit il; ceci demande réflexion; plusieurs autres ont eu, comme moi, commerce avec des esprits et n'en sont pas morts: il n'y a qu'Ambrosio qui ait eu recours au diable, et il a été emporté “sur le bord du précipice le plus es“carpé de la Sierra Morèna;“ puis il a été enlevé en l'air par le crane, puis laché“ sur la pointe alongée d'un ro“cher, puis brisé, froissé, mutile, “brûlé par les rayons du solèil, devoré par dés millions d'inséctes, déchiré par des aigles et entraîné dans l'Océan“ par une averse... Non non, je ne lirai point la quatrième ligné de la septième page.

En ce moment l'horloge sonna quatre heures trois quarts. Encore un quart d'heure, dit au travers de la muraille une des voix qui avoit déjà parlé. M. Dabaud frémit: Hélas, oui! encore un quart d'heure, ajouta-t-il en jetant un coup-d'oeil sur le livre .... et un quart d'heure, ce u'est que quinze minutes!...

Fixant de nouveau les yeux sur l'endroit où le livre étoit tombé, il avança la main pour le prendre une conde fois. Si cependant le diable vouloit être homme de parole, dit-il en le saisissant....“Il resta quelque temps incertain et tremblant, désirant d'essayer le charme et en “redoutant les effets. Il ouvrit le livre, mais son trouble étoit si grand “qu'il chercha d'abord inutilement la “page indiquée. Etonné de sa foiblesse, il rappela son courage, tourna “la septième page et commença à lire “haut, mais ses yeux se détournoient “souvent du livre en errant autour“ “de lui pour y chercher l'esprit qu'il “désiroit et qu'il craignoit de voir. “Il persista pourtant dans son des“sein. D'une voix chancelante et sou“vent interrompue, il vint à bout de “lire les quatre premières lignes de “la page.“

“Elles étoient écrites dans un langage qui lui étoit absolument inconnu.A peine avoit-il prononcé les derniers mots, que l'effet du “charme se fit sentir.... Il vit descendre de la voûte un ange de ténèbres dont les membres brûlés portoient encore les marques de la foudre. Un brun basané s'étendoit “sur tous ses traits: de longues griffes armolent ses mains et ses pieds. Ses yeux étinceloient d'un feu sombre qui auroit glacé d'effroi le coqur le plus ferme. A ses énormes épaules étoient attachées deux grandes “ailes noires; et sur sa tête au lien de cheveux étoient des serpens .... D'une main il tenoit un rouleau de parchemin et de liautre une plume de fer.“

Pourquoi suis-je appelé, demandatil d'une voix rauque et sourde.“

Sans lui répondre, M. Dabaud épouvanté se mit les mains sur les yeux et dit à demi-voix: Ciel je suis perdu! c'est absolument le même qui a emporté Ambrosio; il lui manque cependant une queue et des cornes, pour être le diable dont ma nourrice m'a toujours parlé.

Détrompe-toi, reprit l'esprit; ne crois pas qu'un mince individu comme toi soit traité comme un prieur de Dominicains, comme l'homme le plus révéré de Madrid. Mon maître ne se dérange pas pour si peu de chose; je ne suis qu'un des minces officiers de la suite de celui qu'a vu Ambrosio. Tu dois bien remarquer que je n'ai autour de moi ni tourbillons de vapeurs sulfureuses, ni tonnerre, ni éclairs: mais, quoique je ne sois qu'un diable subalterne, je puis cependant te rendre service; que veux-tu?

“Je suis condamné à mourir, dit “M. Dabaud d'une voix foible, sentant “son sang se glacer dans ses veines “toutes les fois qu'il regardoit le ter“rible étranger. Sauvez-moi, emportez-moi d'ici.

“Serai-je payé de ma peine? Renoncez -vous à lire des Rattcliffadedes répondez seulement oui, et je ussuis à vos ordres.“

“Ne sauriez-vous vous contentez “d'un moindre prix?... Esprit, vous demandez trop. Cependant, tirez-moi “de ce dachot, servez - moi pendant une heure“ et je ne lirai pas de Ratteliffades pendant un an. Cela ne suffit-il?

Non, il faut que vous n'en lisiez jamais, absolument jamais.

“Insatiable démon. Je ne veux pas me condamner à une privavation “ éternelle. Je ne veux pas renoncer à l'espoir“ de voir quelque chose de plus surprenant encore que les Mystères d'Udolphe, l'Abbaye de Grasville et sur-tout le Moine

“Sur quelle chimère reposent donc “vos espérmées? Misérable insensé!“ Que voulez-vous de plus fort que ces ouvrages-là? Attendez-vous qu'après avoir mis les moines, les esprits et les diables dans des romans, on aille y mettre Dieu, les anges et les saints? non, non; il est des bornes que le mauvais goût et la folie de l'imagination déréglée ne sauroient franchir; ils ont déjà été trop loin, ils ont déja abusé assez long-temps du sommeil du hon goût et de la raison qui doivent enfin se réveiller et nous ramener à Clarice et à Tom-Jones. Signez ce parchemin, je vous emporterai hors d'ici et vous pourrez passer le reste de vos jours dans une bonne bibliothèque où l'on ne placera que des peintures de moeurs véritables et bien dessinées au lieu des rêveries et des exagérations dont on s'est occupé un moment.

M. Dabaud se taisoit, il ne savoit que répondre,“ l'esprit malin vit qu'il étoit ébranlé. Il renouvela ses ins“tances et profita si bien de son désespoir et de ses craintes, qu'il le décida à prendre le parchemin. De sa plume de fer il le piqua à ne veine de la main gaucheet en tira assez de sang pour écrire. Il lui “remit la plume. Le malheureux plaça le parchemin sur la table qui étoit „devant lui et se prépara à signer.

“Puis soudain il retira sa main, se leva brusquement et jeta la plume sur la table. “Que fais-je! s'écria-t-il se tournant ensuite vers l'esprit avec l'air “du désespoir. Laisse - moi; va“ten.... je ne signerai pas ce par“chemin.“

"Insolent, s'écria le démon mécontent en lui lançant des regards pro“pres à le pénétrer d'horreur, c'est “ainsi que tu me joues! Eh bien, soit! va mourir dans les supplices. Mais “si tu me fais revenir une seconde “fois pour rien, je te force à lire de suite quatre chapitres des Chevaliers du Cygne, avec les épigraphes en anglais, en italien et en français. ,Parle, “veux- tu signer le parchemin?

“Non, laisse-moi, va-t-en."

En cet instant l'horloge sonna cinq lieures. "En entendant le premier coup, “M. Dabaud sentit tout son sang s'arrêter. La mort et la douleur sembloient résonner dans chacun des quatre autres coups, il crut voir arriver les “voleurs pour le conduire au bûcher; „bientôt il entendit leurs pas, le bruit „le décida.

Eh bien veux-tu signer le parchemin, lui demanda de nouveau l'esprit.

“Il le faut hen, j'y suis forcé. J'accepte vos conditions; mais que porte cet écrit?

Il vous oblige à ne toucher de votre vie aucun roman anglais, excepté ceux de Richardson, de Fielding, de Miss Bennet et des autres auteurs qui voudront les imiter.

“Que dois-je recevoir en échange?“

“Ma protection et l'évasion du ca“ohot; signez et je vous enlève.“

“M. Dabaud prit la plume et la „mit sur le parchemin. Le courage lui manqua encore. Il sentit son “coeur glacé d'une terreur secrète et “jeta encore une fois la plume sur “la table.

“Homme lâche et stupide, s'écria “le diable furieux, finissez ces sotti“ses. Signez l'écrit à l'instant,ou je m'en vais chercher l'ouvrage dont je vous ai parlé.

“Dans ce moment, on tira les verroux de la porte extérieure; le prisonnier distingua le bruit des chatnes, il entendit tomber la lourde “barre; les voleurs étoient sur le point “d'entrer. Poussé jusqu'à la frénésie, “frémissant de l'approche de la mort, “épouvanté par les menaces du démon, ne voyant point d'autre moyen “d'échapper à sa perte, le misérable “céda. Il signa le contrat fatal et “le remit entre les mains du mauvais esprit dont les yeux en le recevant étincelèrent d'une maligne „joie.

„Tenez, dit le malheureux, à présent sauvez-moi, emmenez-moi d'ici.

“Un moment. Renoncez-vous librement et absolument aux Mystères d'Udolphe, au Moine, à l'Abbaye de Grasville, à Hubert de Sévrac, à Célestine, aux Souterrains de Mazzini au Tombeau, à la Forét, au Confessionnal des Pénitens noirs, en un mot à tous les romans passés, présens et futurs où il y aura des spectres, des ruines, des vieux châteaux, des bandits, de petites portes cachées, des poignards tachés de sang, des armoires secrètes et, sur-tout une tour portant le nom du quel que ce puisse être des quatre points cardinaux?

“Oui, j'y renonce.

“Pour toujours?

“Pour toujours.

“Sans réserve et sans subterfuge?

“La dernière chaîne tomba de la “porte du cachot, on entendit la clef “entrer dans la serrure.

Je ferai tout ce que vous voudrez; je lirai même les cent trente et je ne sais combien de volumes du nouveau Scudéri français, si vous l'exigez, s'écria M. Dabaud , égaré par la frayeur. “Les voilà qui entrent: sauvez-moi “donc, emportez - moi. Mais cependant, nous mettrons dans notre marché que vous ne m'enfoncerez pas vos griffes terez pas au-dessus de la Sierra Modans la tête, et que vous ne m'emporrèna; mais dans ma terre, dont je voudrois bien n'être jamais sorti. Songesque je ne suis pas si criminel qu'Ambrosio, que je n'ai pas été prieur des Dominicains de Madrid, que je n'ai pas étranglé ma mère, violé ma soeur dans un caveau au milieu de deux tombeaux, que je ne l'ai pas tuée, et que sur-tout je n'ai pas été l'amant de Matilde, qui est devenue successivement, novice dominicain, femme, magicienne et enfin diable tout comme vous.

L'esprit ne put s'empêcher de sourire; il saisit M. Dabaud au travers du corps, et tous deux furent enlevés au travers de la voûte.

CHAPITRE XVIII.

En se sentant enlever, M. Dabaud mit ses mains sur ses yeux et les tint si exactement fermés qu'il ne voyoit rien du tout. Au bout de peu de momens le diable le lâcha, le posa sur ses pieds et lui dit: Regarde autour de toi.

Il eut quelque peine à s'y résoudre; cependant il ouvre les yeux peu-à-peu, et qu'on juge s'il est étonné en se trouvant au milieu "d'un salon magnifique où l'or brille de toutes parts. Des colonnes de marbre blanc supportent une voûte elliptique enrichie des plus belles sculptures, et dans leur couronnement on a pratiqué une galerie pour y placer des musiciens. Vingt-quatre lustres de crystal de roche, suspendus entre les colonnes, sont garnis d'une quantité innombrable de bougies qui répandent dans ce palais une lumière éblouissante." Par le stylet que Schédoni donna à son guide en lui disant "qu'il lui seroit plus utile qu'une douzaine de fusils ," s'écria M. Dabaud, je suis chez une fée, ou chez le pécheur Don Carlos, fils de Phippe II roi d'Espagne.

Autour de la salle étoient cinquante jeunes gens de différentes tailles et de différens âges, entre lesquels M. Dabaud reconnut Dubert et Roger. Il ne pouvoit en croire le rapport de ses sens, il considéroit tout d'un oeil égare. Quoi, s'écria-t-il enfin, est-ce que mon fils seroit en enfer? -- Oui sans doute, répondit Dubert d'un air très-sérieux; voilà le diable qui est spécialement chargé de le tourmenter, ajouta-t-il en montrant une jeune personne charmante que Roger tenoit par la main. M. Dabaud reconnut avec une surprise mêlée de plaisir celle qu'il avoit vue dans "la tour du Sud-ouest. Je doute, s'écria-t-il, que Matilde fut plus jolie que cela, malgré "ses proportions exquises dans les traits, sa profusion de cheveux dorés, ses yeux célestes et ses lèvres de rose." Et, quoiqu'elle chantât fort bien et jouât parfaitement de la harpe, la citoyenne que voilà a sans doute encore une plus belle voix et joue mieux de la mandoline. Mais, parmi tous ces diables, je ne retrouve pas celui qui m'a emporté. -- Il est, répondit en riant Dubert, avec les esprits et les autres choses surprenantes que vous avez vues, et il ne vous manque plus qu'une explication pour être le héros d'un roman anglais, où les spectres, les apparitions et tous les autres grands moyens à la mode n'ont pas été épargnés.

Quoi, s'écria M. Dabaud avec un élan de joie, tout cela étoit préparé exprès pour moi! Ah! vous m'avez fait grand'peur, mais vous me faites maintenant encore plus de plaisir. Hâte-toi, mon cher Dubert, de me dérouler tout cela.

Volontiers, reprit le jeune homme, d'autant mieux que nous avons peut-être eu le tort de pousser avec vous la plaisanterie un peu trop loin.

Comment, dit M. Dabaud, trop loin! est-ce qu'on va jamais trop loin dans un roman anglais! il y manque même quelque chose, c'est que toi qui vas dévoiler les mystères, tu devrois être prêt à mourir ou du moins te trouver bien mal, comme Vincent, comme le marquis de Mazzini, comme Mylord Chatam, comme la Signora Laurentini, comme Eburne, comme Rasoni, comme Julie, comme Schédoni, comme....

Oh! vous me dispenserez de cette exactitude, interrompit Dubert, et vous me permettrez de me bien porter. Ecoutez-moi donc; voilà que le dernier chapitre de notre histoire commence.

CHAPITRE XIX

Lorsque j'arrivai chez vous à la camtant que prend le personnage qui rapagne, poursuivit Dubert du ton imporconte l'histoire qui doit découvrir tous les ressorts d'un roman, l'avidité avec laquelle vous lutes les productions que je vous apportai, me fit naître un projet qui, en vous traitant d'après votre goût favori, devoit être avantageux à ce pauvre Roger, dont votre rigueur empoisonnoit les jours. Je lui fis part de mon dessein, j'eus beaucoup de peine à le lui faire approuver, et il ne fallut rien moins que la certitude d'obtenir la main de sa chère Ursule pour le décider à me seconder.

Imbécille, dit M. Dabaud avec un peu d'humeur en s'adressant à Roger, étois-tu donc fâché de voir le nom de ton père figurer désormais auprès de ceux de Montoni, d'Alfred, d'Hubert de Sévrac et compagnie? Tu ne sens donc pas que me voilà célèbre, actuellement que j'ai passé une nuit vu des brigands, des spectres, des moidans la tour du Sud -ouest, que j'ai nes, etc. etc. etc.

Je bâtis le plan de mon roman, continua Dubert, et une aventure que vous aviez eue dans votre jeunesse m'en fournit le premier fondement, qui est, comme vous savez, une personne tuée ou morte depuis longtemps. Ce point essentiel une fois établi, les scènes que j'avois combinées et j'avois besoin d'un théâtre pour jouer d'acteurs pour les exécuter. Je me rappelai qu'à un quart de lieue de votre terre, il y avoit une abbaye qu'on avoit commencé à démolir, et qui pourroit nous servir avec succès de vieux château ruiné; j'y fis préparer à la hâte ce qu'il y manquoit encore pour soutenir dignement ce titre, et j'invitai tous ces messieurs, qui sont les jeunes citoyens de l'école normale vouloir bien venir seconder mes vues. Je dois les louer ici de l'adresse et de l'ensemble qu'ils ont mis à remplir chacun les rôles qui leur avoient été confiés.

Lorsque tout fut en mesure nous ne songeames plus qu'à mettre la main à l'oeuvre. Le soir qui fut fixé pour l'exécution, je commençai par disposer votre esprit en vous nourrissant d'idées noires; il avoit été convenu que Roger, qui n'a voulu se mêler de rien, feroit semblant de dormir. Une pendule placée vis-à-vis de moi, et qui alloit exactement avec l'horloge du château, m'annonça le moment où dix heures alloient sonner; je fis alors le signal convenu, et l'ombre du chevalier de Germeuil, ou le jeune citoyen que voilà, sortit d'une grande armoire qui étoit derrière vous, avec le visage couvert de farine et un drap de lit tout taché d'encre rouge, car nous avons fait un grand usage de ces deux ingrédiens. L'esprit ne fut visible que pour vous, et il s'abyma par une trappe faite exactement d'après celles de l'Abbaye de Grasville et de Célestine.

Citoyen, permettez que je vous embrasse, dit M. Dabaud au jeune vous vous êtes, en honneur, tire de homme que Dubert lui avoit désigné; votre personnage aussi bien qu'un véritable esprit.

Il y avoit dans le vin que je vous donqai à boire, continua Dubert, une drogue assoupissante qui nous permit de vous transporter, sans que vous vous en aperçussiez, dans le vestibule de l'abbaye, où nous avions mis toutes les décorations ordinaires.

C'est moi qui étois la voix souterraine que vous avez entendue, dit un des jeunes gens à M. Dabaud; je faisois ma grosse voix dans un cornet de papier; est-ce que je ne vous ai pas bien fait peur?

Vous avez joué votre rôle au moins aussi bien que M. Dupont auroit pu le faire, répondit M. Dabaud transporté de plaisir. Et c'est moi qui étois la lumière qui couroit dans le cloître, dit un petit espiègle; j'avois une lanterne attachée sur le dos, je gambadois parmi les piliers, et, quand je tournois mon visage de votre côté, vous ne voyiez plus rien.

Voilà, reprit Dubert, plusieurs de ces messieurs, qui étoient chargés de faire les ombres, les gémissemens, les soupirs, d'ouvrir et de fermer les portes au besoin, en restant cachés derrière.

Vous arrivates à la cellule du moine. Le citoyen que vous voyez, qui jouoit ce rôle, récitoit toujours la même prière, afin que vous ne manquassiez pas d'entendre des paroles qui devoient servir encore à vous enflammer l'imagination. Lorsqu'il avoit fini, il frappoit de grands coups de poing sur un outre rempli de vent, qui étoit caché sous l'autel.

Et moi, dit M. Dabaud, qui avois la bonté de le plaindre et de croire que le vertueux solitaire s'enfonçoit la poitrine à chaque fois. Mais, par exemple, comment avez-vous fait pour me faire trouver tout - d'un - coup des mains et mes habits pleins de sang?

Cela n'est pas difficile à éclaircir.

Vous vous souvenez sans doute du corridor que vous traversates dans l'obscurité en tâtonnant le long de la muraille: eh bien, cette muraille étoit entièrement garnie d'encre rouge, et la lumière ne disparut que pour vous obliger à remplir nos vues.

Après vous avoir fait son histoire notre hermite vous fit sortir pour vous conduire à la chapelle. Tout y étoit préparé pour vous recevoir, et les chandeliers pourris, les livres, les ornemens déchirés étoient comme ces ruines qu'on se donne bien de la peine à placer dans un jardin anglais; nous nous étions efforcés de donner à des choses toutes neuves un air de vétusté. L'épée de Saint Michel ne tomba ur le livre que vous regardiez, que parce que votre compagnon tira, sans que vous le vissiez, une petite corde qui y étoit attachée.

Vous entrates dans l'église; les cloches qui frappèrent vos oreilles étoient tout bonnement un carillon électrique, et c'étoit moi qui tournois la roue placée dans une chapelle obscure. Les cheveux blancs du religieux se hérissèrent parce qu'il étoit lui-même isolé et qu'il tenoit à la main un conducteur. L'illumination subite se fit par lem moyen de petits citoyens cachés der-so rière les statues devant lesquelles lesa lanternes étoient posées; au signalt donné, ils enlevèrent tous à - la - foisp de grands cornets de fer blanc quin enveloppoient les lanternes et les empêchoient de jeter leur éclat; ils les remirent de même quand il en fut temps. Quant aux autels qui tremblèrent, aux images qui gémirent et baissèrent la tête, l'abbé Palerme a nous avoit envoyé son secret.

Les revenans n'étoient autre chose que les fermeurs de portes, les gémisseurs, les soupireurs qui avoient changé de costume. L'organiste étoit notre charmante Ursule, qui ne joue pas moins bien du clavecin que de la mandoline. Notre solitaire vous fit sortir de l'église pour vous mener sau bâtiment où les grandes scènes étoient préparées. Il eut bien de la peine à vous décider, et, sans le tonnerre qui vint fort à propos....

-- Mais ce tonnerre, c'étoit tout de bon qu'il grondoit et ....

-- Aussi n'avons-nous eu d'autre mérite que d'en tirer parti; le ciel a bien voulu être d'accord avec nous, comme avec le Père Pierre.

Il vous en coûta beaucoup pour vous résoudre à monter l'escalier arrosé du sang d'un jeune citoyen qui s'étoit un peu coupé le doigt; enfin vous arrivates dans l'antichambre tendue de noir, et, comme on prévit que vous chercheriez à fuir, on ferma derrière vous une grille, pour vous en ôter la facilité. Pendant le peu de temps que vous futes absent, la figure qui étoit sur le lit de parade eut la facilité de passer dans une autre chambre par une porte cachée sous la tapisserie. Vous pénétrates dans le salon et...

-- Ah! dis-moi, comment vous avez fait pour préparer ce que j'ai vu derrière le rideau de la niche? J'ai encore peine à comprendre comment ce n'étoit pas une réalité.

-- N'allons pas si vîte, c'est là précisément ce qui doit être la dernière partie de notre explication; il faut agir d'après les règles.

Les portraits qui étoient dans la grande salle avoient été trouvés dans un grenier de votre château, et celui d'Ursule, en faveur de qui nous voulions vous attendrir, a été peint par elle - même. L'échange se fit pendant que vous alliez chercher la chaise qu'on n'avoit placée aussi loin que pour avoir le temps de faire remonter devant l'autre le second portrait qui étoit à coulisse dans la cloison.

Ce fut madame qui se montra à vous et qui disparut dans la chambre voisine, pendant que, fidelle à l'usage, vous vous étiez évanoui. Le fracas des armures que vous entendites n'étoit autre chose qu'une batterie de cuisine complète qu'on renversa par terre. Ce furent encore les figurans et les doublures qui vinrent passer devant vous en criant: Grands dieux! c'est lui; cette procession-là vous avoit trop amusé en lisant le Tombeau pour que nous ne vous en donnassions pas la copie.

Le jeune citoyen que voilà vous tira dans un pistolet la clef de la petite armoire; nous n'avions pas trouvé de moyen moins usé et plus extraordinaire que celui-là pour vous la faire parvenir. Les lettres que vous avez lues sont d'Ursule: c'est elle-même qui vous parla de nouveau et qui parut auprès du lit, après que monsieur, qui a fait le Président, en eut relevé les rideaux.

La figure que vous avez vue dans la glace n'étoit autre chose qu'un jeune citoyen renfermé dans une caisse vitrée; il leva un rideau pour se montrertrer et le referma quand son rôle fut joué. Mais tout cela est bien simple, dit M. Dabaud. -- Plus simple encore que dans aucun roman anglais; c'est ce qui vous prouve qu'il est bien plus aisé de costumer un revenant que de dessiner un caractère.

Le chevalier de Germeuil et Ursule étoient placés sur deux trappes, dont l'une descendoit tandis que l'autre montoit, et cela sans plus de mécanique ni d'efforts qu'il n'y en a à un puits dont la corde est double; ils se servoient mutuellement de contre-poids. Le papier que vous lisiez étoit de costume ainsi que beaucoup d'autres choses que je ne veux pas me donner la peine de vous rappeler et qui s'expliquent d'elles-mêmes.

Quant aux couvertures qui se sont agitées, la cause en est bien naturelle; c'est qu'il y avoit quelqu'un caché dessous, et la main qui a saisi la vôtre appartenoit au citoyen que voici qui, ayant le malheur d'être attaqué de la jaunisse, devenoit plus propre que tout autre à remplir mon objet.

C'est notre Ursule qui a chanté et joué de la mandoline, comme vous devez vous en douter; elle étoit placée dans un petit cabinet qui n'étoit séparé de celui ou vous êtes entré que par une légère cloison. Pour le squelette, la mandoline qu'il avoit sur les genoux étoit déjà décollée, ses vêtemens étoient déjà en lambeaux à chacun desquels étoit attachée une petite corde; de manière qu'en les tirant toutes à-la-fois, il est resté nu; d'autres cordes attachées dans les bras et tirées adroitement par quelqu'un qui étoit caché sous la chaise, le faisoient s'agiter comme un pantin. Pendant que vous étiez dans ce cabinet, on a fermé derrière vous la porte par où vous étiez entré; elle étoit, comme toutes les portes de cette espèce, si artistement faite qu'on n'en voyoit pas la jointure; on en a ouvert une autre, qui donnoit dans un nouvel appartement, et, aussitôt que vous avez été passé, on a refermé le pan entier de la boiserie qui se mouvoit par ressorts; tout cela étoit si bien fait, à la manière ordinaire, qu'il étoit impossible d'entendre le plus petit froissement et de s'apercevoir de rien.

Nous vous avons détaché des contrebandiers, parce qu'il en faut bien dans un roman anglais; ce qui s'est passé entre eux et vous n'a pas dû vous étonner: ils avoient appris leur rôle dans le Moine et dans les Mystères d'Udolphe.

Toute l'histoire du souterrain n'a pas besoin d'explication; vous sentez bien que l'inconnu si prodigue de baisers étoit encore un de ces messieurs, et il vous a mené voir une machine que nous n'avons pas eu de peine à faire construire d'après la description exacte qu'on en trouve dans le Tombeau. Vous n'avez vu ensuite dans le souterrain que ce que l'on rencontre aujourd'hui dans tous les vieux châteaux, excepté cependant un moine employé à faire une bonne action, ce qui n'est pas ordinaire, ainsi qu'il vous l'a observé lui-même.

Il falloit trouver une catastrophe à notre roman, et, comme vous aviez été émerveillé de celle du Moine, nous avons calqué la nôtre dessus, excepté que, n'ayant à nos ordres qu'un diable postiche, nous n'avons pu lui donner ni tonnerre, ni éclairs, ni souffre, et orner son apparition de tout son spectacle. C'est le citoyen que j'ai l'honneur de vous présenter qui a rempli ce personnage avec toute la force que sa constitution robuste lui a fournie pour vous enlever jusqu'ici, moyennant, bien entendu, qu'il étoit lui-même hissé par une corde attachée sous ses bras. Je n'ai pas besoin de vous dire que le petit livre qu'on vous a jeté par un trou de la voûte étoit légérement imbibé d'esprit de vin auquel on avoit mis le feu. Mais, comme vous avez fait un pacte avec le diable, il est juste que vous voyiez ce que vous avez signé. Lisez votre engagement.

M. Dabaud prit le parchemin que Dubert lui présentoit; c'étoit le contrat de mariage d'Ursule et de Roger. Les deux jeunes gens se jetèrent à ses genoux, il les releva, les embrassa et consentit à tout en leur disant: Vous sentez bien, mes amis, que je ne peux pas m'opposer à ce que vous soyez époux: vous étiez amans en commençant notre histoire, puisqu'on ne vous tue pas, il faut bien qu'on vous marie.

Vous nous excuserez, reprit Dubert, si nous ne vous avons pas donné d'orages, de tempêtes, de forêts ornées de bruissemens de feuilles, de frolemens de branches; tout cela n'est pas si commode à arranger qu'à décrire d'un trait de plume; s'il n'avoit fallu que des descriptions, le citoyen que voilà nous auroit prêté volontiers un voyage des Pyrénées orné de deux cent cinquante-sept levers et couchers du soleil, où sont dépeintes avec grâce toutes les bandes de pourpre qui peuvent s'élever à l'horizon, et tout ce qui s'ensuit. Si jamais on transmettoit votre histoire à la postérité, on pourroit y joindre ce voyage, où du reste on trouve des cascades, des rochers des descriptions d'arbres et d'oiseaux êtraugers etc. etc.; tout cela bien fondu ensemble pourroit fournir un volume, ce qui mérite assurément bien d'être considéré: parce que, plus il y a d'espace entre le commencement des prodiges et leur explication, plus l'histoire a de valeur.Nous vous demandons mille pardons aussi de ce qu'il n'y a qu'une cinquantaine de personnages dans notre roman; mais un bataillon de volontaires que nous avions demandé, n'a pas pu venir, parce qu'il devoit ce matin faire l'exercice. Nous ne vous avons pas non plus fait parcourir deux cent lieues de terrain, uniquement pour chercher des aventures, parce que, plus gênés que les autres romanciers, nous n'avions qu'une nuit pour commencer, embrouiller, achever et développer notre histoire.

Nous ne voulions pas faire de tragédie, ainsi nous ne nous sommes pas servis de poignards, quoique de règle il auroit dû mourir au moins deux ou trois personnes; mais, comme il est impossible qu'un roman soit parfait, même en ayant des spectres, des voleurs et des ruines, ce sera là le défaut du nôtre.

Nous aurions bien pu vous faire coucher avec quelque revonant, avec quelque cadavre ensanglanté; mais nous avons senti qu'il n'y avoit que la Nonne sanglante avec sa lampe et son poignard qui fût digne d'entrer en comparaison avec les petits talons de Célanire.

Tout cela est bel et bien, s'écria M. Dabaud, mais, mon ami, tu n'en finirois pas si tu voulois m'énumérer ainsi tout ce qu'il vous auroit été possible de me faire; laissons cette nomenclature et explique -moi ce que signifie l'objet que j'ai trouvé dans la niche du premier salon.

Vous auriez droit de nous en vouloir, reprit Dubert, si nous vous enlevions le plaisir de l'éclaircir vous même. Venez, nous allons vous conduire, et vous nous direz comment il est possible de s'effrayer pour un objet semblable.

M. Dabaud eut de la peine à se laisser entraîner encore au salon; cependant l'idée que ce qui avoit causé son effroi n'étoit qu'une chose aussi simple que toutes celles qu'on venoit de lui dévoiler, et, de plus, la nombreuse compagnie qui se préparoit a l'accompagner, vainquirent sa répugnance; il retourna au salon, leva, non sans hésiter, le rideau de la mystérieuse niche, et qu'on se figure quel fut son étonnement, lorsqu'il aperçut un repas splendide servi avec toute la magnificence et la recherche possible.

Tout le monde partit à-la-fois d'un éclat de rire en voyant sa surprise.

Il y a de la tricherie, dit-il à Dubert, et ce n'est pas là ce que j'ai vu: il faut que tu m'expliques tout le mystère.

Permettez que je n'en fasse rien, répondit Dubert, il en seroit peut-être de cette explication-ci comme de beaucoup d'autres dont on n'est pas content après les avoir entendues; vous secoueriez la tête, vous diriez: ce n'est que cela!... Il vaut beaucoup mieux vous mettre à table et réparer vos forces affoiblies par les fatigues que vous avez éprouvées.

Tu as ma foi raison, dit M. Dabaud; c'est le parti le plus sage, et il ne manque plus ici, pour que le roman soit fini, que M. de Bonnac et la Soeur Olivia qui viennent si à propos, l'un pour achever les Mystères d'Udolphe et l'autre le Confessionnal des Pénitens noirs. Au reste, dès demain matin j'écrirai en Angleterre pour qu'on fasse mettre mon aventure dans toutes les gazcttes de Londres, et qu'on signifie en même temps à tous les faiseurs de romans de me compter désormais parmi leurs héros, dont aucun, soit dit sans me vanter, n'a autant vu de choses que moi dans une seule nuit.

Fin du second et dernier volume.
(1) Matilde en dit autant dans Le Moine Ill. 159; mais c'étoit vraiment bien autre chose. Elle parloit du diable, et ici il ne s'agit que de ce qu'on va voir tout-à-l'heure. (1) Mystères d'Udolphe. III. 249 (1) Abbaye de Grasville, II. 497. (2) Souterrains de Mazzini, I. 21 et suiv. (1) Mystères d'Udolphe, IV. 34 et suiv. (2) Id. IV. 38. 3) Id. IV. 127. (1) Mystères d'Udolphe IV. 235. (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être. I. 96. (2) Id.l. 66. (1) Mystères d'Udolphe. II. 16o. (2) Célestine ou les Epoux sans l'être. Ill. 147. (1) Hubert de Sevrac. l. 34-37. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. l. 124. (1) Le Moine, II. 106. (2) L'Abbaye de Grasville, II. 124. (1) Mystères d'Udolphe, I. 195. (2) Souterrains de Mazzini, II. 136. (1) Le Moine, II. 140. (1) Le Moine, II. 160. (1) Le Moine, II. 170. (2) Le fantôme de Célestine dit: Souviens-toi des ruines de Tivoli; mais il est aisé de voir combien celui-ci à pillé l'autre. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être, I. 86. (2) L'Abbaye de Grasville, II. 124. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, IV. 212 et suiv. (1) La Forêt, II. 27. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 45. (1) L'Abbaye de Grasville, I. 115. (2) id. II. 41. (3) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 188. (1) Mystères d'Udolphe, II. 249. (2) Id. II. 250. (3) Id. III. 112. (1) Mystères d'Udolphe, II. 114. (2) Id. II. 240. (3) id. II. 88-110. (1) Mystères d'Udolphe, IV. 90. (2) id. IV. 90. (3) Le Moine, II. 201. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 47. (2) Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 34. (1) Mystères d'Udolphe, II. 47. (1) Mystères d'Udolphe. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 189. (3) L'Abbaye de Grasville, I. 113 (1) Souterrains de Mazzini, I. 87 et suiv. (2) Comme il y a de ces figures-là dans tous les romans, ou laisse au lecteur à rapporter celle-ci où bon lui semblera. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 244. (2) Souterrains de Mazzini. Il. 118. (3) Le Moine, II. 199 (4) Souterrains de Mazzini, II. 119. (1) Le Tombeau, II. 25. (2) id. Il. 3. 133. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être, IV. 40. (2) Le Tombeau, I. 152. (1) La Forêt, I. 43. (1) Mystères d'Udolphe, I. 174. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 63. (2) Souterrains de Mazzini, I. 85. (1) Mystères d'Udolphe, I. 121 et suiv. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 275. (1) Le Moine, II. 64. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 56. (2) Mystères d'Udolphe, I. 175 (3) Le Tombeau, I. 155. (4) L'Abbaye de Grasville, II. 259 (1) Mystères d'Udolphe III. 11. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être, IV. 32 et suiv. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être, IV. 32 et (2) Confessionnal des Penitens noirs. II. 52 (1) La Forêt, I. 123 (2) Célestine ou les Epoux sans l'être, IV. 30. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 67. (2) L'Abbaye de Grasville, II. 14. (1) Confessionnal des pénitens noirs, I. 138 (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 76.(2) id. II. 72. (2) id. II. 72. (1) Mystères d'Udolphe, II. 129 et suiv. (2) La Forêt, I. 61. (3) Confessionnal des Pénitens noirs, III. 173 et suiv. (1) Souterrains de Mazzini, I. 62. (2) Mystères d'Udolphe, III. 316. (3) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 258 (4) Le Moine, I. 82. (5) La Forêt, I. 66. 113. (1) Le Tombeau I. 43 et suiv. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 239 (1) Confessionnal des Pénitens noirs, IV 100. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. III. 147 (2) Le Moine, III. 149. (3) Mystères d'Udolphe, IV. 34. (4) Id. I. 133. II. 311. III. 95 etc, etc, etc (5) Le Tombeau, I. 149 et suiv. (6) L'Abbaye de Grasville, II. 149. (1) Souterrains de Mazzini, I. 148 et suiv. ((2) La Forêt, II. 50 et suiv. (1) L'Abbaye de Grasville (2) Le Moine. (3) Souterrains de Mazzini (4) Mystères d'Udolphe. (5) Id. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. Ill. se. (1) Souterrains de Mazzini, I. 100. (1) La Forêt, I. 25. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 5 (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. . (a) id. IV. zot. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 50. (1) Le Tombeau, .ss. (1) Célestine, ou les époux sans l'être. ll. 16o. (2) Hubert de Sévrac. l. aé. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 50. (2) Souterrains de Mazzini, II. 68. (3) La Forêt, I. 56. (1) La Forêt, I. 37. (2) Célestine, II. 169. (3) Id. III. 123. (1) La Forêt, I. 56. (1) Le Tombeau, I. 63. (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être, II. 171. (1) Hubert de Sévrac, I. 46. (1) Mystères d'Udolphe, III. 6. (1) Le Moine, II. 15. 5. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, II. 18o (2) Le Moine, II. 207. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 54. IIIaas (1) Souterrains de Mazzini, II. 60. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, IV. ai8 et suiv souterrains de Mazzini, II. 9. (2) Mystères d'Udolphe, II. . (1) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 8. (2) Le Moine, II. 111. (3) Souterrains de Mazzini, II. 61. (1) Hubert de Sévrac, I. 4. (1) hubert de Sévrac, I. 49. (1) Confessionnal des Pénitens noirs, III. (2) Mystères d'Udolhe II. 113. (1) Mystères d'Udolphe, II. 1. (2) id. ibid (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être, II. 118. (2) La Forêt, I. 55. (1) Le Moine, II. 1. (1) L'Abbaye de Grasville, I. 54. (2) Le Moine. (3) Mysteres d'Udolphe. (4) Hubert de sévrac (5) Célestine, ou les Epoux sans l'être. (1) Mystères d'Udolphe, I. 1sa. (2) l. ibid. (1) Mystères d'Udolphe. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. célestine, ou les Epoux sans l'être. célestine; ou les Epoux sans l'êtrel IV. 1. Souterrains de Mazzini. l. e1. (3) L'Abbave de Grasville, II. 187 (4) Mystères d'Udolphe, V eaz et suiv. Confessionnal des Pénitens noirs, I. 45 et suiv Le Tombeau, II. 97. (1) Mystères d'Udolphe. Ill. 145 (1) Souterrains de Mazzini, I. (1) L'Abbaye de Grasville, II. AI (2) Mystères d'Udolphe, II. as6. Confessionnal des Pénitens noirs, IV. La forêt, IV 22 (1) Mystères d'Udolphe, I. 109. (2) Celestine, ou les Epoux sans l'être. IV. so. (1) Le Moine, II. s. (1) Mystères d'Udolphe II. 299. (2) Confessionnal des Pénitens noirs, I. 19s. (1) Mystères d'Udolphe II. 500. (1) souterrains de Mazzini, I. 64. (2) Id. 1 7 (3) Mystères d'Udolphe, IV. 42. (1) Mystères d'Udolphe, II. 6o-o1. ) L'Abbaye de Grasville, I. 113. (1) Mystères d'Udolphe. I. 300. 1 Souterrains de Mazzini, I. 37. l L'Abbaye de Grasville, II. 89. (1) Souterains de Mazzini;-III. S7 (1) Mystères d'Udolphe, II. 289 285 et suiv. (1) Le Moine, II. 148. (2) id II. 146. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 225. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 238. (1) Mystères d'Udolphe, I. 64. (2) La Forêt, II. 137. (1) Mystères d'Udolphe III. 15 (2) Id. IV. 63 et suiv. (3) La Forêt, II. 44. (4) Célestine, ou les Epoux sans l'être. III. 12. (1) Mystères d'Udolphe, IV. 73. (1) Le Moine, IV. 18. (2) Célestine, ou les Epoux sans l'être, III. 149. (1) Mystères d'Udolphe, IV. 283. (1) Mystère d'Udolphe, III. 17. (2) Hubert de Sevrac, I. 233. (1) Le Moine IV. 68. 69. (2) Mystères d'Udolphe, IV. 46. 233. (1) Le Moine, IV. 69. (2) Mystères d'Udolphe, IV. 39. (3) Le Moine, IV. 70. (4) id. ibid. (1) Le Moine, IV. 70. (2) Mystères d'Udolphe, II. 160. (1) Mystères d'Udolphe, IV. 283. (2) La Forêt, II. 83. (1) Souterrains de Mazzini, I. 202. (2) Id. II. 203. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 81. (2) Mystères d'Udolphe, II. 224. (1) Mystères d'Udolphe, I. 197. (1) Le Moine, IV. 23 et suiv. (2) Le Tombeau, I. 221. (3) Le Moine, IV. 25 et suiv. (1) Le Moine, IV. 26. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 36 (2) Le Moine, II. 30. (3) La Forêt, I. 8. (1) L'Abbaye de Grasville, II. 101. (2) Célestine, ou les Epoux sans l'être. III. 151. (1) Le Tombeau, I. 196. (2) Confessionnal des Péuitens noirs, IV. 112 et suiv. (1) Le Tombeau, I. 205. 133. (2) Id. l 205. (1) Mystères d'Udolphe. III. 270. (1) Le Tombeau. I. 135. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 81. (2) idem II. 228. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 228. (1) Mystères d'Udolphe. III. 164. (1) Mystères d'Udolphe. II. 266. (2) L'Abbaye de Grasville. II. 228. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 263. (1) Le Tombeau. I. 165. II. 123. (1) Mystères d'Udolphe. I. 196. (1) Souterrains de Mazzini. I. 52. (2) Mystères d'Udolphe. I. 196. (1) Le Tombeau. I. 167. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 191. (2) Hubert de Sévrac. I. 39. 38. (1) Hubert de Sévrac. I. 39. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 239. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 239. (1) La Forêt. II. 44. (2) L'Abbaye de Grasville II. 81. (1) La Foret. II. 65. (1) Hubert de Sévrac. I. 150. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. III. 251. (3) Hubert de Sévrac. (1) L'Abbaye de Grasville II. 239. (1) Le Tombeau. I. 135. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. I. 67. (1) Le Tombeau. I. 5. (1) La Forêt. I. 69. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 39. (1) Il paroît que cette mauvaise plaisanterie de M. Dabaud a rapport à CÉLESTINE. (1) Hubert de Sévrac. I. 35. (2) idem I. 36. (1) Hubert de Sévrac. I. 38. (1) Le Tombeau. I. 149. (1) Le Tombeau. I. 151 et suiv. (1) L'Abbaye de Grasville. II. 81. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 39. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 45. (2) idem IV. 46. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. III. 93. (2) Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 36. (1) Le Moine. I. 145. (1) Souterrains de Mazzini. I. 43. (2) Mystères d'Udolphe. II. 312. (1) Le Moine. I. 145. (2) Mystères d'Udolphe. IV. 180. (3) Souterrains de Mazzini. I. 93. (1) Le Moine. III. 153. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. IV. 46. (1) Hubert de Sévrac. I. 161. 159. (2) Souterrains de Mazzini. I. 101. (1) L'Abbaye de Grasville. III. 171. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 236. (3) Célestine ou les Epoux sans l'être III. 162. (1) Le Tombeau. II. 135. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 58. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 72. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 42. 43. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 39. (2) idem II. 27. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 43. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. I. 8. (2) Mystères d'Udolphe. I. 69. (3) Hubert de Sévrac. I. 54. et suiv. (1) Le Moine. IV. 229. (1) Le Moine. II. 146. (1) Le Moine. II. 155. (2) Célestine ou les Epoux sans l'être. III. 129. (3) Le Moine. II. 156. (1) Le Moine. II. 156. (2) idem II. 156. (1) Le Moine. II. 157. (1) Célestiue ou les Epoux sans l'ête. IV. 25. (1) Souterrains de Mazzini. I. 81. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. IV. 272. (1) Le Tombeau. (1) Le Moine. IV. 211. (2) La Forêt. I. 57. (1) Sotterrains de Mazzini. II. 132. et suiv. (1) Le Moine. II. 34. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 183. 184. (2) Le Moine. II. 34. (1) Le Moine. II. 35. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. II. 92 et suiv. (2) idem II. 129-130. (1) Souterrains de Mazzini. I. 197. (1) Le Moine. II. 46. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 185. (2) La Moine. II. 53. (1) Le Moine. II. 54. (2) idem II. 57. (1) L'Abbaye de Grasville. III. 21. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 229. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 228 et suiv. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 29. a) idem IV. 29. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 189. IV. 94. Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 3o. (2) Mystères d'Udolphe. III. 11. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 33. (1) Mystères d'Udolphe. IV. 9. (1) Célestine ou les Epoux sais l'être. IV. 41. (1) Le Moine. II. 134-137. (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 15. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 165. (2) Le Tombeau. I. 113. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. II. 235, 237, 238. (2) Hubert de Sévrac. I. 76. (3) Célestine, ou les Epoux sans l'être. III. 211. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. I. 241, 242, 243. (1) Le Moine. IV. 134. (2) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 13. (3) idem IV. 14. (1) Le Moine. IV. 206. (1) Le Moine. IV. 208. (2) idem, IV. 220. et suiv. (1) Le Tombeau. I. 121. (2) Mystères d'Udolphe. III. 236. (1) Célestine ou tes Epoux sans l'être. IV. 54. (2) idem. IV. 55. (1) L'Abbaye de Grasville. III. 172. (2) Confessionn des Penitent noirs. IV. 84. 85. (3) Le Tombeau. I. 215. (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 55. (2) Le Tombeau. I. 116. (1) Le Tombeau. I. 216. 219. (1) Confessionnal des Pénitens noirs. II. 256. (2) Le Tombeau. I. 220. 221. (3) Célestine, ou les Epoux sans l'être. I. 7. 85. (1) Le Tombeau. I. 153. (1) Le Tombeau. I. 223. (1) Hubert de Sévrac. I. 76. (1) Hubert de Sevrac. I. 231. (1) Hubert de Sévrac.I. 23. (1) Hubert de Sévrac. I. 225 et suiv. (2) idem. l. 232. (3) Souterrains de Mazzini. I. 201. (1) Mystères d'Udolphe. I. 69. (1) Celestine oules Epoux sans l'être. IV. 55. I. 184. (2) Hubert de Sévrac. I. 95. (3) Souterrains de Mazzini. II. 23. (4) Conffesionnal des Penitens noirs. II. 42. (1) L'Abbaye de Grasville. III. 41. et suiv. (2) Mystères d'Udolphe. III. 225. et suiv. (1) Le Moine. IV. 50. (1) Le Moine. IV. 303. (2) idem. IV. 57. et suiv. (3) L'Abbeye de Grasville. III. 41. (4) Le Tombeau. I. 226. (5) idem II. 253. (1) Le Moine. IV. 53. (2) Hlubert de Sevrac. I. 95. (1) L'Abbaye de Grasville. I. 36. (2) idem III. 44. (1) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 39. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. II. 63. (1) Mystères d'Udolphe. III. 16. 17. (1) Célestine ou les Epoux sans l'être. IV. 63. (1) Célestine, on les Epoux sans l'être. IV. 59. (2) Hubert de Sévrac. I. 235. (1) Le Tombeau. II. 238. (1) Celestine, ou les Epux sans l'être. IV. 16. (1) Confesionnl des Pénitens noirs. IV. 139 et suiv. (1) Le Moine. IV. 235. 237. L'auteur n'a pas cru apparemment pouvoir imaginer une catastrophe plus frappante, plus visant à l'effet que celle de ce roman, car c'est le seul qui a suivi dans tout ce chapitre. D'aprés cela, il seroit inutile de mettre des notes à chaque endroit où M. Dabaud imite si bien AMBROSIO. (1) Le Tombeau. Il. 26. (2) Confessionnal des Pénitens noirs. III. 25. (3) Le Tombeau. II. 19. 133. (1) Le Moine. I.155. (1) souterrains de Mazzini. I. 21. II. 165. (2) Le Tombeau. II. 198. (2) Mystères d'Udolphe. IV. 247. et suiv. (4) L'Abbaye de Grasville. III. 195. (5) Célestine, ou les Epoux sans l'être. IV. 140. 197. (6) Confessionnal des Pénitens noirs. IV. 248 et suiv. (1) Hubert de Sévrac. (1) L'Abbaye de Grasville.