Les Aphrodites: MiMoText edition Robert-André Andréa de Nerciat(1738-1800) data capture double keying by "Jiangsu", China encoding Julia Dudar editor Julia Röttgermann 101746 Mining and Modeling Text Github 2020 Les Aphrodites ou Fragmens thali-priapiques, pour servir à l'histoire du plaisir Robert-André Andréa de Nerciat 1793 1764

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LES APHRODITES OU FRAGMENS THALI-PRIAPIQUES. LES APHRODITES OU FRAGMENS THALI-PRIAPIQUES, POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU PLAISIR.

... Priape, soutiens mon haleine... Piron, Od.

N°. 1. A LAMPSAQUE. 1793.

FRAGMENS.

I. C'EST TOI? --- C'EST MOI.Page 5

II. TANT PIS: --- TANT MIEUX.17

III. A BON CHAT: --- BON RAT.40

IV. VIVE LE VIN: --- VIVE L'AMOUR.61

PRÉAMBULE NÉCESSAIRE.

L'Ordre ou la Fraternité des Aphrodites, aussi nommés Morosophes (*), se forma dès la Régence du fameux Philippe d'Orléans, tout ensemble homme d'Etat & homme de plaisir; au surplus bien différent de son arrière-petit fils, qui s'est aussi fait une réputation dans l'une & l'autre carrière.

Soit qu'un inviolable secret eût constamment garanti les anciens Aphrodites de l'animadversion de l'autorité-publique ( si sévère comme on sait, contre le libertinage porté à certains excès ) ; soit que dans le nombre de ces fidèles Associés, il y en eût plusieurs d'assez puissans pour rendre vaine la rigueur des Loix qui auraient pu les disperser & les punir, jamais, avant la Révolution, leur Société n'avait souffert d'échec de quelque conséquence ; mais ce récent événement a frappé plus des trois quarts des Freres & Sœurs ; les plus solides colonnes de l'Ordre ont été brisées; le local même, qui était dans Paris, a été abandonné.

Des débris de l'ancienne Institution, s'est formée celle dont ces feuilles donneront une idée. On y verra se développer progressivement le lubrique systême & les capricieuses habitudes des Aphrodites, gens fort répréhensibles peut-être, mais qui du moins ne sont pas dangereux ; & qui, fort contens de leur Constitution, ne songent nullement à constituer l'Univers.

Ci-devant il n'y avait pas eu d'exemple qu'un seul statut, un seul usage des Aphrodites eût été divulgué ; mais quand un nouvel ordre de choses existe ; quand mille petites récréations ( criminelles du tems de l'ancien régime ) comme la calomnie, les délations, les exécutions impromptu & c. sont sinon encour agées, du moins tolérées, qu'ont à craindre de se livrer sans beaucoup de mystère aux leurs, des citoyens infiniment actifs, qui, d'accord avec la Nation, reconnaissent la Liberté, l' Egalité pour bases de leur bonheur; qui, comme elle, méprisent toute distinction de naissance, de rang & de fortune; qui savent tirer la vraie quintesscence des droits de l'homme, si heur eusement dévoilés de nos jours ; & ne font rien, en un mot, qui n'ait pour but la paix, l' union, la concorde, suivies ( surtout pour eux ) du calme & de la tranquillité?

C'est au peu d'intérêt qu'ont les Aphrodites modernes à cacher ce qui se passe dans leur Sanctuaire, que nous devons les Scènes fidèles dont sera composé ce joyeux Recueil.

NOTE DE L'ÉDITEUR.

-- Au trait, au coloris de ces Tableaux, & sur-tout à certains mots neufs (tels nommément que Boutejoye ), on a cru reconnaître l'Auteur des Aphrodites pour le même à qui l'on doit le Doctorat Impromptu, la Matinée Libertine, le Diableau corps, & d'autres folies du même genre.--Du moins, si ces Fragmens sont d'un Imitateur, on peut assurer qu'il a parfaitement saisi la manière du Modèle.

LES APHRODITES. C'EST TOI ? -- C'EST MOI. PREMIER FRAGMENT.

Le Chevalier ( a ) à peu de distance de Paris, à cheval & seul, reconnaît un local à portée duquel il se trouve, pour celui que lui désigne une adresse qu'il vient de relire.--Alors, il met pied à terre, laisse son cheval au domestique, se détourne & (suivant un sentier ainsi que le tout lui est prescrit) vient contre une Maison de peu d'apparence, des deux côtés de laqu-elle s'étendent de longues murailles qui annoncent un vaste emplacement.--Il frappe: un Portier aveugle vient lui répondre.

Le Portier, en dedans, & porte close.

A qui en voulez-vous?

Le Chevalier ( en dehors ).

A Madame Durut.

Le Portier.

C'est ici.--Etes-vous seul? à pied? à cheval? en voiture?

Le Chevalier.

Je suis seul. Mes chevaux m'attendent plus loin; je suis à pied.

Le Portier, ouvrant.

C'est bon. -- Entrez. -- ( Le Chevalier entre: la porte se referme aussitôt. Une grille borne le passage du côté de la Cour. )--On va vous ouvrir la grille. Il est inutile de parler à l'autre Portier: sourd, il ne vous entendrait pas; muet, il ne pourrait vous répondre. Vous irez à droite, le long du portique, jusqu'à l'angle de la cour.--( Le Sourd, qui a vu le Chevalier, vient ouvrir la grille. Dês qu'il a passé, cet homme referme. Tandis que le Chevalier va du côté qu'on lui a indiqué (a), on entend un coup de sifflet très bruyant.

Mad. Durut. (b)

(Avertie par le sifflet, déjà sur sa porte, & ouvrant les bras avec une surprise mêlée de plaisir. ) -- Jour de Dieu! Qui s'y serait attendue! Te voilà donc de retour, mon beau bijou? Est-ce bien toi, mon fils? -- ( Ils se sont joints & s'embrassent avec la plus vive amitié. )

Le Chevalier.

Oui, Maman, arrivé d'hier soir, & bien pressé de vous revoir.

Mad. Durut.

Ah! point de vous; je t'en prie.--Comme le voilà grand & beau, ce cher enfant! ( le prenant par la main ) Viens, viens, mon Toutou. ( elle lui fait traverser la cour & le conduit à un pavillon du meilleur style. ) Sais-tu bien qu'il y a quatre mortelles années que je n'ai vu mon cher Alfonse, ni reçu de lui la moindre nouvelle?

Le Chevalier.

Tout autant, je l'avoue: mais il n'y a pas eu de ma faute, je te le jure...--( Il s'est interrompu, frappé de l'élégance & du bon goût d'un appartement qu'on lui fait traverser pour l'amener enfin à un délicieux boudoir. )--Mais, dis-moi, ma Bonne, as-tu fait fortune depuis mon départ? Ce séjour diffère étrangement du modeste hôtel-garni que tu tenais il y a quatre ans!

Mad. Durut, souriant.

Il s'est fait quelque heureux changement dans mes petites affaires: nous aurons tout le tems d'en causer ensemble.-- (lui sautant au cou. ) Mais comme il a tourné ce polissonlà! --Eh bien? N'avais-je pas raison de dire à ton imbécille de Pere... Oh, mais, ce n'est pas ce grand dadais-là qui t'a fait: je l'ai toujours soutenu à ta Maman.

Le Chevalier.

Ne va pas m'apprendre qu'elle ait pu en convenir. ( il l'embrasse )

Mad. Durut.

Je leur soutenais donc quand ils se plaignaient de ta figure, longtems équivoque, que tu serais un jour le plus joli Cavalier de Paris...--C'est pourtant moi, Fanfan, qui ai la gloire de t'avoir mis dans le monde? Ce fut moi qui t'appris.... Hein? tu souris, fripon!

Le Chevalier, la caressant.

Cette gloire est bien peu de chose pour toi, ma chère Durut: c'est à moi de m'en orgueillir d'avoir eu, en fait de galanterie, le plus admirable Précepteur.

Mad. Durut, le prenant dans ses bras. )

-- Ce cher enfant! Qui ne l'aimerait à la folie!

Le Chevalier.

Je suis venu tout exprès, Maman, pour me faire redire que tu m'aimes toujours un peu.

Mad. Durut.

Un peu, petit ingrat! Que ne peut-on.... sans se donner un complet ridicule, te prouver à quel point on t'aimerait encore!--Mais parlons d'autres choses.

Le Chevalier, avec feu.

Non, non, chère Agathe.

Mad. Durut, lui serrant la main.

Bon cela: tu viens de me rajeunir de dix ans en me donnant mon nom de fille. -- ( elle soupire ) Ah, le bon tems, mon cœur!

Le Chevalier. (a)

Je vais te le rappeller encore mieux. ( Il la renverse en même tems sur un meuble propice & la trousse, mettant lui-même en évidence le plus séduisant Boutejoie.

Mad. Durut, à la vue de cet objet.

--Bonté divine! Que vois-je là! Mais, mais, mon bel Ange! voilà de quoi.... Un moment: laisse-moi le contempler à mon aise.... Je ne puis en croire mes yeux!.... Quoi! c'est là ce ci-devant Joujou-de-poupée... qui pourtant me donnait tant de plaisir!... La voilà, cette petite Broquette, dont j'ai fait l'éducation! Ceci tient du miracle! ( Le Chevalier, par modestie, veut couper court à cet éloge, & occuper plus agréablement encore la bonne Durut. ) --Attends, attends, mon Fils, que je me prosterne, que je l'adore.--( Elle tombe à genoux avec une risible ferveur, & couvrant de baisers le brûlant objet de son eulte ; elle continue :) -- Modèle & Roi des V...s ( a ), puissé-je faire ta fortune comme tu fis, & vas faire encore ma félicité.--( Elle se releve & se poste savamment. Le Chevalier l' init avec toute l'ardeur & la grace imaginables.--Après un court silence, Mad. Durut sentant les approches du suprême bonheur, se livre au transport &, s'agitant à l'avenant, s'écrie = F......! c'est trop de plaisir, il f... comme un Dieu. ( b )

= Elle baise, elle mord. Le Chevalier est tout-à-fait à son unisson. Quelques instans ont sursi à cette brusque jouissance. La voluptueuse Durut frissonnant, les yeux égarés, les dents serrées, tombe dans une espece de léthargie.--Bientôt le Chevalier, alarmé de cet état, se dispose à chercher autour de lui de quoi la secourir; au premier mouvement qu'il fait pour se dégager, il se sent arrêté par les revers de son frac, & de la sorte averti que son extatique championne n'a pas tout-à-fait perdu connaissance. Pourlors, il devine qu'un Service de plus ne pourra manquer de très-bien faire. Il recommence donc à se mouvoir, d'abord insensiblement, peu-à-peu d'un meilleur train, auquel l'intelligente Durut se conforme à merveille. L'action va toujours se précipit ant par degrés jusqu'à la dernière vivacité.--Près de la sublime crise, ils paraissent hors d'eux. Mad. Durut devient presque furieuse, & faisant d'étonnants haut-le-corps, dit de ces folies que le récit ne peut que réfroidir: on les supprime pour passer à la suite de leur entretien.

Le Chevalier, se rajustant.

On est bien aimable, ma chère Agathe, quand on sent & jouit comme toi! sais-tu qu'on irait au bout du monde pour trouver des femmes aussi bien inspirées, aussi connaisseuses en voluptés, aussi habiles à goûter & à faire goûter le plaisir!

Mad. Durut.

J'ai pourtant, comme tu vois, mes petits trente-six ans bien comptés, dont, graces à Dieu, vingt campagnes.

Le Chevalier.

Tu peux citer avec orgueil & ton âge & tes prouesses.

Mad. Durut.

Tout de bon, les hommes me gâtent un peu. La plupart de ceux qui viennent ici, voudraient m' avoir, si j'en avais le tems, & me soutiennent que nombre de nos fringantes voudraient bien valoir à vingt ans ce que je vaux encore.--Ma gorge, par exemple! (Elle la découvre :) tu n'as pas eu le loifir d'y faire attention. Nous venons de nous harponner si brusquement! Une reconnaissance a quelque chose de si vif! mais, tiens, examine maintenant.--( elle montre en entier ses Tetons. ) Vois-tu? Ces Messieurs-là ne sont-ils pas toujours à la même place où tu les vis, il a bien cinq ans pour la premiere fois?

Le Chevalier, les baisant.

Toujours divins.

Mad. Durut.

Sont-ils étayés? ont-ils fait la paix?

Le Chevalier, les maniant.

C'est toujours la plus belle contenance & la plus opiniâtre bouderie...

Mad. Durut, changeant de posture.

Et ce cu superbe, que tu trouvais tant de plaisir à caresser... ( Elle le met en évidence. ) Le premier cu, je crois, que tu aies vu de ta vie?

Le Chevalier, le caressant.

Et le plus attrayant que j'aie jamais rencontré.

Mad. Durut.

Eh bien! touche, manie.--A-t-il rien perdu de ses belles formes? de son poli? de son élasticité?

Le Chevalier.

Adorable.--Mais ne me le fais pas admirer trop. Songe que je reviens d'Italie & que....

Mad. Durut, sans se déranger.

Ah parbleu tu me la donnes belle! Eh, quand tu ne serais pas sorti de Paris! serais-je étonnée de te voir un caprice pour ces Princesses-là. Va, va, mon cher, elles en ont affriandé bien d'autres....

Le Chevalier.

Et je n'en aurais pas l'étrenne sans doute?

Mad. Durut.

Que tu es enfant avec ta question! --Quand le cœur t'en dira, mon Fils: mais, pour aujourd'hui, c'est assez. J'ai sur toi des vues qui me prescrivent de te ménager.--( On entend trois coups de sifflets très-vifs )--Pour le coup il faut que je te quitte.

Le Chevalier.

Que vais-je devenir?

Mad. Durut, sonne & ouvre une porte déguisée.

Passe-là dedans. -- Tu trouveras du chocolat ( a ), & quelqu'un dont tu as besoin: on aura soin de toi. Nous dînons ensemble? Songe que tu es mon prisonnier pour tout le jour. Sans adieu.--( Elle sort. )

= Tout en parlant, avant de se retirer, Mad. Durut a rajusté les coussins de l'ottomane, & réparé son propre désordre.--Passant dans le Cabinet indiqué, le Chevalier y trouve une Négrillonne de 14 à 15 ans qui, l'aiguière à la main, se présente sans façons pour le purifier. Elle le lave, & l'essuye avec un linge de coton des Indes. Aussitôt que cette toilette (qui ne laisse pas de raviver le Chevalier) est achevée, un Adolescent de la plus jolie figure, habillé en Joquey, paraît avec du chocolat, ce qui sauve la Petite d'une attaque que l'ardent Chevalier méditait déjà de lui faire; car en même tems elle a disparu, souriant avec espièglerie.--Il se console de cette petite disgrace en prenant une tasse de ce chocolat parfumé qu'on ne peut nommer de santé dans l'acception ordinaire.--Ensuite il sort avec le Joquey, qui lui dit avoir ordre de Mad. Durut de lui faire voir les jardins de cette habitation singulière.

TANT PIS: -- TANT MIEUX. SECOND FRAGMENT. La Scène est au pavillon des Bains. LA DUCHESSE ( a ), MADAME DURUT. La Duchesse, ( Dans le déshabillé le plus négligé, mais le plus coquet, & avec beaucoup d'agitation. )

-- Je vous avoue, ma chère Durut, que vous m'étonnez à l'excès en m'apprenant que le Comte n'est point encore arrivé!

Mad. Durut.

D'après son billet d'hier, Mad. la Duchesse, il devrait être ici depuis une heure.

La Duchesse.

Et...., au défaut de sa présence, pas un mot aujourd'hui! je ne suis pas une femme ridicule; je conçois qu'on peut être retardé, tout-à-fait empêché même par quelque fâcheux contretems, mais, du moins, on a des égards, on fait faire un message, & l'on n'expose pas une femme de ma sorte à se trouver au dépourvu pendant peut-être tout un jour.

Mad. Durut.

Ici, Madame, vous ne devez pas avoir cette crainte.

La Duchesse.

A la bonne heure; mais je pouvais consacrer cette journée à des.... occupations qui, certes, m'auraient bien valu ce qu'à le mettre au plus haut prix, M. le Comte pourra me procurer d'agrément.

Mad. Durut.

Que voulez-vous que je vous dise, Madame!--Il est galant-homme, & je lui connais pour vous des sentimens....

La Duchesse, avec feu.

Oh, je suis bien la très-humble servante de ses sentimens; on ne me paye point avec cette monnoie. Je veux du plus solide.--Il y a quelque chose là-dessous, ma bonne, ceci m'a tout l'air d'un ton, & je le trouverais très-mauvais, je vous jure. ( Elle a changé dix fois de place pendant cette conversation : elle secoue sa badine avec plus que de l'humeur ). Vite, un de vos gens à cheval; qu'on coure chez le Comte; qu'on y prenne langue; si l'on ne peut me le trouver sur le champ, qu'il soit lancé tout le jour de place en place, autant qu'on pourra se mettre au fait de sa marche, & qu'enfin on me l'amene mort ou vif.

Mad. Durut.

Charmante vivacité! Qu'il est heureux, ce cher Comte, d'exciter une aussi flatteuse inquiétude!

La Duchesse, brusquement.

Treve aux flatteries: je ne suis pas de la meilleure humeur... &...

Mad. Durut, interrompant.

Là là, Mad. la Duchesse, épargnez-moi. Il est agréable de vous louer, mais on peut, sans effort, vous ob ir, quand vous exigez qu'on ménage votre modestie.

La Duchesse, allant & venant.

M. le Comte, M. le Comte!... ( à Mad. Durut ) Mais, vous m'avez entendue, & vous êtes encore là! allez donc, ordonnez donc: on veut me faire devenir folle aujourd'hui! En vérité, Mad. Durut, vous faites très-mal, je dis très-mal le devoir du poste que vous occupez ici.

= Mad. Durut qui, par malice, ne s'était point pressée, va enfin servir l'impatience de cette femme altiere, mais en s'éloignant, elle fait une mine d'irrévérence & presque de mépris, que par bonheur la Duchesse, occupée de se regarder dans une glace, ne peut appercevoir.

La Duchesse,

( Seule, toujours agitée, s'assied, se lève, frédonne un air, soupire avec oppression, & tire enfin avec vivacité le cordon d'une sonnette.--Un Joquey paraît. )

Le Joquey. ( a )

Qu'y a-t-il pour le service de Madame?

La Duchesse, avec colère.

Ce qu'il y a pour mon service!--Un bain. & une autre que toi pour m'y servir.--La Durut.--Qu'elle rentre, & me parle à l'instant.--( Seule ) Oh! tout ceci va mal; l'établissement dégénere à faire pitié.

Mad. Durut, accourant.

Me voici.--On va partir. Votre Comte se retrouvera sans doute;--Mais, pour Dieu, Mad. la Duchesse, un peu de sang-froid? Et ne tourmentez pas à propos de rien des gens qui vous sont dévoués de toute leur ame.--Voilà mon pauvre Loulou ( a ) que vous avez rudoyé, je gage, & qui s'en va le cœur gros, versant des larmes.

La Duchesse.

Ah, c'est que j'ai sur le cœur aussi sa bêtise de l'autre jour.

Mad. Durut.

Qu'a-t-il donc fait?

La Duchesse.

L'animal me sert aux bains, tremble comme si j'étais apparemment un tigre, un crocodile? Je daigne lui faire nombre de questions; il ne sait y répondre. J'ai un caprice, il ne sait le deviner; je le lui explique aux trois quarts, il ne comprend rien! Et mon butor me quitte après mes avances humiliantes! mais vous ne savez pas, Mad. Durut, mettre à la porte des balourds de cette espèce!

Mad. Durut.

C'est un bon petit diable: il a craint de vous offenser!

La Duchesse.

Eh morbleu! que n'avez-vous plutôt des insolents qu'on puisse souffletter pour ce qu'ils oseraient de trop, que ces timid e s inutiles qui vous servent ric-à-ric avec un sot respect! ( Elle hausse les épaules ) Mon bain est-il commandé?

Mad. Durut.

Oui sûrement.

La Duchesse.

Je mangerai un morceau: des drogues, ce qui se trouvera; &, comme me voilà désorientée à crever de dépit, j'attendrai ici l'heure de la seconde pièce des Italiens....--

( Le Joquey reparait pour avertir que le bain est prêt.--Comme la Duchesse marche du côté de la porte...

Mad. Durut,

( Avec un peu de mystère l'arrête & lui dit à basse voix ).--Si Madame voulait permettre, je lui offrirais, pour aujourd'hui, le service d'un nouveau venu...

La Duchesse.

De quelque sot encore?

Mad. Durut, saluant.

C'est mon neveu.--Il est fort neuf à la vérité; peu au fait du service des bains; j'ose cependant me flatter qu'il contenterait Madame.

La Duchesse.

Cela a-t-il un peu de figure? de tournure?

Mad. Durut, souriant.

Il n'est pas mal.--Au reste, il arrive de Province ce matin, & la fatigue du voyage fait un peu de tort à ses agrémens naturels... mais...

La Duchesse, avec impatience.

En voilà dix fois trop. ( avec ironie ) Les agrémens naturels du Neveu de Mad. Durut! voilà de l'intéressant au moins! Pauvre petit enfant gâté! M. votre Neveu, délicat personnage, a fait une longue route? il est fatigué? Eh bien, Mad. Durut, qu'il se délasse, & recouvre à loisir ses agrémens naturels.

Mad. Durut.

Fort bien! je n'avais garde d'interrompre cette tirade d'orgueil & d'humeur d'une Dame de cour à qui l'on manque de parole... La Duchesse, interrompant avec courroux.

Si l'on me manque de parole, songez à ne pas me manquer de respect.

Mad. Durut.

Ma foi, Madame la Duchesse, si nous voulions, le Décret du 19 Juin nous dispenserait de bien de formes ( a ).--Mais, à Dieu ne plaise que j'oublie mon devoir. D'ailleurs, vous connaissez le faible que j'eus toujours pour vous. Je veux la paix: &, pour cela, j'insiste pour que vous daigniez voir mon Alfonse.

La Duchesse, avec aigreur.

Ah! c'est mon Alfonse! Ces gens-là ont la fureur de se donner des noms...! Eh, Mad. Durut! pourquoi votre neveu ne se nommet-il pas tout uniment Nicolas, Claude, François? Voilà ce qui convient tout-à-fait à gens de votre étoffe.

Mad. Durut, un peu piquée.

Vous verrez que je ferai débaptiser mon Neveu pour enroturer ses Patrons au gré de votre vanité! Quoi qu'il en soit, voyez-le. Qu'il se nomme Alfonse, ou Nicolas, c'est un charmant garçon; je n'en rabattrais pas une épingle.--Souffrez que j'aie l'honneur de vous servir au déshabiller, & qu'ensuite...... = (La Duchesse, sans dire oui ni non, va du côté de son bain. Mad. Durut suit & la déshabille.--Tout cela se passe en silence. )

La Duchesse.

Quelque livre...

Mad. Durut.

De quel genre, Madame?

La Duchesse, avec humeur.

Autre bêtise!--Du genre que j'aime, apparemment.

Mad. Durut.

Ah j'entends. ( Elle disparait un instant, & revient, deux volumes à la main ). Voici Ma Conversion, du célèbre Mirabeau, & le Petit-Fils d'Hercule.

La Duchesse.

Quant au premier ouvrage, je l'aimais assez avant cette exécrable Révolution, à laqu-elle l'auteur a tant de part. Mais un rénégat destructeur de la noblesse & des titres, ne mérite plus que ses victimes daignent sourire à ses gaîtés.--Donnez-moi le Petit-Fils d'Hercule.

Mad. Durut.

Le voilà.--Par exemple, ce serait le cas... Mon neveu lit comme un ange.

La Duchesse.

Elle a le diable au corps avec son Neveu! J'aurai bien plutôt fait de céder à cette persécution que de chercher à m'y soustraire. Allons: voyons donc M. Alfonse: que j'aie le rare avantage de faire connaissance avec M. Alfonse Durut.

Dès que la Duchesse a eu cette velléité de consentir, Mad. Durut s'est mise à écrire sur une carte ce qui suit:

„Viens, mon cher Alfonse, mettre à fin „une délicieuse aventure: c'est avec une Duchesse, que je te donnerai pour une actrice de Province. Toi, je te fais mon Neveu. C'est une fantaisie que j'ai; il faut en „passer par-là.--Point de bottes, le ruban „noir en poche: un peu de niaiserie: accours ( a ).„

= Mad. Durut sonne, parle bas au Joquey, qui disparait avec la carte. En même tems,

La Duchesse

Qui a parcouru les estampes du Petit-Fils d'Hercule, continue: -- Gravures détestables! les Artistes qui se mêlent de décorer ces sortes d'ouvrages, ne devraient-ils pas avoir autant d'esprit & d'usage que les Auteurs eux-mêmes!... Je veux dire que ceux qui en ont, comme celui-ci, qui parait terriblement bien connaître & nos goûts & nos caprices. Voyez, Durut. ( Elle lui montre la planche d'une Duchesse sollicitant à genoux les complaisances du Héros). Ici, par exemple, on a voulu représenter une de nous. Ce n'est pas la posture, ni l'intention que je blâme, nous sommes bien capables de tout cela: mais, comme ce belître de dessinateur a pensé le grand habit! Cette femme n'a-t-elle pas plutôt l'air d'une Reine de Saba que d'une Dame de Palais?... C'est à faire pitié.--( Elle jette le livre au loin avec mépris.--En même tems le Chevalier vient montrer sa jolie mine à travers la porte qu'il entr'ouvre avec une feinte timidité. )

Le Chevalier, à Mad. Durut.

On dit, ma Tante, que vous me demandez?

La Duchesse, avec étonnement.

Quoi! c'est là votre Neveu!

Mad. Durut.

Lui-même. -- ( Souriant ) Peut-il entrer?

La Duchesse.

Assurément. -- ( Au Chevalier, d'un ton amical ). Entrez, Monsieur. -- ( Le Chevalier entre ). -- ( Bas à Mad. Durut ). On n'a pas une plus charmante figure.

Mad. Durut, au Chevalier.

Fais tes remercimens à Madame, à qui je viens de parler de ta vocation pour le Théâtre, & qui veut bien s'intéresser en ta faveur auprès du Directeur d'une troupe, dont elle est la première actrice.--( La Duchesse, agréablement surprise du tour qu'a choisi Mad. Durut, sourit & lui serre la main en signe d'approbation ).

Le Chevalier, saluant la Duchesse.

Ah Madame! que de bonté!

La Duchesse.

Je n'aurai pas grand mérite à seconder vos vues, Monsieur. Je prétends, au contraire, me faire, de ma négociation, un droit à la reconnaissance de celui de qui votre adoption va dépendre.--( Elle attire à elle Mad. Durut, pour lui parler à l'oreille ). Voilà bien la plus adorable créature! mais c'est un Ange que ce Neveu-là! ( le Chevalier s'est écarté pour feindre de la discrétion ).

Mad. Durut, bas.

Je ne voulais pas vous en faire tout de suite un grand éloge.

La Duchesse, bas.

J'étais bien devant mon jour, je l'avoue, quand je me défendais de le voir. Je suis femme à rafoller de lui. -- ( Haut )--M. Alfonse? ayez la complaisance de relever ce livre & de me l'apporter....

= Il obéit;--pour recevoir le livre de ses mains, la Duchesse a la coquetterie d'écarter si bien la toile dont sa baignoire est enveloppée, que rien n'empêche le Chevalier d'y voir complettement cette Belle en état de pure nature. Aussi ne manque-t-il pas de plonger un regard furtif sur tant d'appas. En même tems la Duchesse fixe avec méditation sur lui des regards, qui, par degrés, s'animent de tous les feux du desir: leurs yeux venant enfin à se rencontrer, ils rougissent l'un & l'autre. =

La Duchesse, continue.

Vous me trouvez un peu curieuse? = C'est que j'ai pour principe qu'on peut saisir, à certain point, dans une physionomie, les indices du caractere: je cherchais donc à démêler, dans la vôtre, à quel emploi, pour la Comédie, vous pouviez être le plus propre. Il me semble que celui de jeune premier est le seul qui vous convienne.

Mad. Durut, au Chevalier.

C'est celui qu'on nomme dans le monde les Amoureux. -- ( à la Duchesse. )--Il n'est pas au fait. Il faut lui expliquer les choses. -- ( Au Chevalier ) Te sens-tu des dispositions? Là. Franchement?

Le Chevalier, vivement.

Oh oui, ma Tante, d'infinies... ( baissant les yeux ) sutout, puisqu'il s'agit d'entrer dans une troupe où Madame...

La Duchesse, interrompant.

Je crois vous entendre. -- ( à Mad. Durut. ) Il n'est pas sans esprit.

Mad. Durut, un peu bas.

Je m'en suis toujours doutée; & je suis sûre que, si vous aviez la bonté de lui communiquer un peu du vôtre, il ferait en peu de tems des progrès admirables.

La Duchesse, moins bas.

Soyez assurée, ma chère Durut, qu'il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour votre Neveu... Il rougit! il est divin.--( Cette rougeur, très vraie, provient de l'impression plus que douce que fait sur le très-inflammable jeune homme, la fréquente digression de ses yeux sur une infinité de charmes.--On siffle pour Mad. Durut. )

Mad. Durut, souriant.

Excusez-moi, mes enfans. ( Elle s'évade. )

La Duchesse, ( à Madame Durut, comme pour la rappeller. )

Eh bien, eh bien? -- ( au Chevalier. ) Votre Tante est la meilleure femme de l'univers, mais, entre nous, elle perd l'esprit! Y a-t-il du bon sens à s'en aller sans me laisser personne qui puisse m'aider à sortir du bain?

Le Chevalier.

Je croyais, Madame, que vous y étiez depuis bien peu de tems? Mais, quand il vous plaira d'en sortir, j'aurai soin de vous procurer tout ce qui pourra vous être nécessaire.

La Duchesse.

C'est parler raisonnablement. Mais votre Tante est vraiment folle, comme je vous le disais: N'imaginait-elle pas que j'allais me servir de vous-même.

Le Chevalier.

Permettez, Madame, que je sois neutre dans cette occasion. Si, de peur de vous déplaire, je n'oserais vous contredire, il n'en est pas moins vrai que ma Tante pensant à me procurer tant de bonheur, je ne puis aussi la blâmer.

La Duchesse, gaîment.

Cela est clair, je suis condamnée?

Le Chevalier.

Il serait heureux pour moi que de vous-même, vous voulussiez bien avoir tort.

La Duchesse, finement.

M. Alfonse? vous n'êtes pas tout-à-fait aussi neuf qu'on a voulu me le persuader... Eh bien! Je souscris à votre arrêt; & vous allez être chargé seul de tous les petits soins d'usage.--L'effet que j'espérais de ce bain est absolument manqué... Je ne sais... au lieu de me rafraichir, il m'a mise dans une agitation.... ( Elle se met debout dans sa baignoire. )--Je n'y peux plus tenir.

= Faisant face au Chevalier, elle expose ainsi, dans tout leur avantage, ses plus attrayans appas.--M. Alfonse, malgré son inexpérience, fait tout ce qui convient avec une adresse infinie: ses larcins même, quoique plus volontaires que nécessités, ont une grace qui donne de lui la plus favorable opinion. Les détails de cette toilette vont jusqu'à une espece de pillage-galant, pour lequel au surplus la Duchesse, sûre de son triomphe, affecte de donner les plus engageantes facilités. =

Le Chevalier

( Tortillant en ce moment dans ses doigts les mêches de la toison, comme pour leur rendre leur ondulation naturelle. --Si j'étais assez mal-adroit pour vous faire quelque mal?.....

La Duchesse.

Je vous crois bien sûr du contraire.--Il faut avouer, mon cher Alfonse, que vous êtes le plus intelligent baigneur.... ( dans ce moment il a l'attention de détourner de l'orifice même les pointes qui pourraient s'y être engagées. On se doute de l'effet agréable que peut produire un aussi scrupuleux détail.--La Duchesse ajoute: )--Non, vous n'êtes point un nouveau-venu. Durut m'a trompée? Vous avez passé votre vie à rendre de pareils soins?

Le Chevalier.

Je vous jure, Madame, que j'ai le bonheur de les rendre pour la premiere fois de ma vie.--( Il a fini, la Duchesse prend, pour tout vêtement, un ample & long peignoir de mousseline. ) -- Un instant de silence & d'inaction.

La Duchesse. Avec l'air d'hésiter & d'être combattue.

Eh bien..... il y a de la bizarrerie à ce que je vais vous proposer.... Mais c'est une folie qui me passe par la tête.... Auriez-vous la complaisance de vous y prêter?

Le Chevalier.

Vos volontés sont des ordres pour moi.

La Duchesse.

Je voudrais.... Non, non, je ne veux plus. C'est aussi par trop extravagant.

Le Chevalier, à genoux.

Parlez, de grace.

La Duchesse, se hâtant de le relever.

Y pensez-vous!--J'imaginais de vous inviter à vous mettre dans ce bain, si vous ne répugniez pas à m'y succéder. Et j'aurais, à mon tour, essayé s'il est aussi naturel que vous le dites de s'acquitter bien.....

Le Chevalier, interrompant.

Vous, Madame, daigner....

La Duchesse, extrêmement agitée.

Eh, pourquoi pas!

Le Chevalier.

Si vous ne vous amusiez pas à m'éprouver.....

La Duchesse, très-émue.

Quelle idée! -- ( Elle lui serre involontairement la main. )

Le Chevalier

Tout de bon? Vous souffririez qu'à vos yeux.....

La Duchesse, vivement, & avec un peu d'embarras.

--N'achevez pas: ce que vous ajouteriez serait la satyre de ma propre impudeur.

Le Chevalier.

Vous l'ordonnez.....

= Il se déshabille à la hâte. Quand il n'a plus qu'une chemise & un caleçon, il hésite. La Duchesse en silence, détache les boutons des manches & du col. Le Chevalier se voit forcé de quitter sa chemise; la Duchesse en feu, le cœur palpitant, se repaît des formes délicieuses de ce corps, dont on peut se faire une idée, si l'on connait le groupe de Castor & Pollux des jardins de Versailles.--Reste le caleçon.

La Duchesse, les yeux fixés sur la ceinture.

-- Eh bien?

Le Chevalier, les doigts sur les boutons.

-- Eh bien. -- ( Il observe avec une attention profonde les mouvemens de la Duchesse, qui ne lève cependant pas les yeux & parait attendre obstinément.) Eh bien donc! -- ( Le caleçon tombe & met en liberté le plus fougueux prisonnier; celui-ci, par une heureuse direction, a l'air de défier... cet adversaire que récele le peignoir.

La Duchesse, presque hors d'elle-même.

C'est.... c'est assez. -- ( Le Chevalier va s'élancer dans la baignoire, elle le retient. )--Non, non, r'habillez-vous, bel Alfonse. Je ne soutiendrais pas jusqu'au bout l'épreuve dangereuse que j'ai eu la témérité de tenter... Je suis une insensée: quittons-nous.

= Le Chevalier est à ses pieds, la serrant à crud contre lui, car le fripon a su profiter d'un moment où le peignoir s'est entreouvert, & ses bras brûlants enlacent les plus belles fesses de la Cour. Sa bouche est à hauteur du nombril; d'un mouvement respectueux en apparence, il l'abaisse sur la brune tapisserie du sallon des plaisirs.... =

Ah! que je mérite bien ce qui m'arrive! ( s'écrie la Duchesse. )

= Le Chevalier qui, depuis longtems a vu ouverte la porte d'une piece contiguë, dans laqu-elle est un lit, souleve légerement la Duchesse & la porte sur cet autel. Elle se défend, avec un courage opiniâtre, du sacrifice qu'il s'agit de lui arracher. Cette résistance parait au Chevalier, d'un ridicule qu'il ne se croit point fait pour respecter. En vain la Duchesse, qui s'est saisie du trait dont elle semble redouter l'atteinte décisive, essayet-elle, par un jeu d'une vivacité proportionnée à l'extrémité de la circonstance, de tromper les vues du Chevalier; il sait se dérober à la main experte qui s'abaisse à le travailler, il se rend maître de tout ce qui peut s'opposer à la vraie consommation de l'holocauste... Bref: la Duchesse est... violée.--La loi d'une guerre-de-Siege est que le vainqueur ne fasse aucun quartier quand la place succombe à l'assaut; ainsi, notre adorable Conquérant fait des siennes à toute outrance & darde sa rosée de vie, sans le moindre ménagement. Le peu de part que semble prendre l'Assiégée à la joie de ce triomphe, ne veut pas dire qu'elle y soit tout-à-fait insensible. Elle a goûté (peut-être en dépit d'elle-même) le plus vif des plaisirs: mais, à peine cet orage de bonheur a-t-il fini pour elle, qu'elle laisse échapper les désobligeantes expressions du repentir & du ressentiment. N'en rapportons que ce qui est indispensablement nécessaire à la solution de l'énigme: = Monstre! ( dit-elle dans un délire de fureur ) tu te crois heureux? Eh bien, si je suis grosse de ta façon, vil petit bourgeois, tu m'auras assassinée, car je me brûlerai la cervelle. =

= Sans doute le Lecteur ne s'attendait pas à ce dénouement, qui n'est du tout analogue à l' imbroglio de la Scene? Il faut le mettre au fait: la Duchesse, par un de ces travers dont rien ne peut rendre compte, a conservé de son origine allemande & de l'éducation qu'elle a reçue, le préjugé de croire qu' une femme de haut-rang se doit de ne mettre au monde que de vrais gentilshommes. En conséquence, mariée depuis trois ans, il lui est assez égal que les enfans qu'elle pourra donner à son époux soient de lui, ou du plus fécond des aides-maris qu'elle favorise: le point essentiel est qu'aucun levain-roturier ne puisse fermenter dans ses nobles entrailles; elle a donc fait & tenu jusqu'alors le serment de ne se livrer, selon la nature, qu'à des nobles.. --Or, elle est persuadée, dans cette occurrence, que le bel Alfonse est le neveu d'une femme dont la naissance & l'état sont non-seulement obscurs, mais abjects.--Elle a du caractère, nous l'avons dit en traçant son portrait. Ainsi, quelque charmante qu'ait été pour elle la naissance de sa tentation, elle est au désespoir d'avoir été entrainée. Elle avait tout un autre projet: D'abord celui de satisfaire un desir curieux: la vue d'un corps, qu'elle soupçonnait devoir être admirable, lui promettait un grand plaisir. Pourquoi ne pas le goûter en entier? Pourquoi se priver, par un peu de fausse honte, de savoir si ce qui fait l'homme répondait chez Alfonse au reste de ses perfections!--De là le caprice de proposer le bain, d'aider à déshabiller, d'exiger la chûte du caleçon &c...--D'ailleurs elle supposait Alfonse novice, docile & capable de s'arrêter où elle le lui prescrirait. Ensuite: la Duchesse, par exemple, aime à la fureur qu'une langue complaisante & vive l'électrise & lui fasse oublier son être. C'était à ce seul badinage qu'elle se proposait d'employer son beau protégé.--Mais point du tout! le voilà qui a pris le morsauxdents... & le reste! Quel bonheur pour cette femme bisarre quand elle sera détrompée! Quelle bonne Scene de ridicule pour le Chevalier, qui sent tout l'embarras que se donne la Duchesse, sortant soudain de son rôle de femme de théâtre pour outrer la hauteur d'une femme de cour!--Oublions-les pendant quelques momens, & voyons un peu ce qui se passe ailleurs.

A BON CHAT: -- BON RAT. TROISIEME FRAGMENT.

= A peine la Duchesse était-elle au bain, que le Comte (rencontré tout près de l'hospice par l'émissaire), est arrivé. C'est à son occasion qu'on avait sifflé pour Mad. Durut, quand elle a si brusquement laissé seuls la Duchesse & le neveu supposé.--Mad. Durut introduit le Comte dans le même pavillon où elle avait d'abord conduit le Chevalier. =

Le Comte. ( a )

.... C'est qu'aussi la chère Duchesse extravague.--Exiger de moi, dans ma position ( a ), des entrevues de jour! C'est manquer totalement de bon sens.

Mad. Durut.

Vous savez que, la nuit, elle ne peut ni sortir, ni vous recevoir chez elle.

Le Comte.

Jetter ensuite feu & flammes, parce que je ne suis pas à la minute, où elle n'a rien de mieux à faire que de se trouver, même avant l'heure! C'est me tyranniser.

Mad. Durut, ironiquement.

Je vous conseille de vous plaindre!

Le Comte.

Où est-elle, enfin?

Mad. Durut.

Au bain.

Le Comte.

Je vole auprès d'elle....

Mad. Durut.

Non pas, s'il vous plait.--( On devine la véritable raison de Mad. Durut? Voici celle qu'elle donne. ) L'objet du bain est de calmer le sang: or, nécessairement, l'explication que vous auriez ensemble, agiterait cette belle Dame; vous aurez donc la complaisance d'attendre que j'aie pris ses ordres à votre sujet, & rapporté sa réponse.

Le Comte.

Vous avez raison, ma chere Durut: du caractere que nous lui connaissons, elle ne manquerait pas de faire une scene: il faut l'éviter.--Mais, je meurs de besoin. Cloué, dès huit heures du matin, sur les bancs de ce maudit Manege, d'où je me suis échappé, comme un voleur, sans attendre la fin de la plus intéressante discussion...

= Quoique le Comte n'ait dit tout cela qu'en vue de faire l'important, Mad. Durut sachant très-bien qu'il est absolument nul à l'assemblée, & se plaisant à faire des épigrammes à sa maniere, coupe cette tirade: =

Mad. Durut.

Que prendrez-vous, M. le Comte?

Le Comte.

Une croûte grillée avec un peu de vin d'Espagne.

Mad. Durut.

On va vous servir à l'instant: ( Elle disparait. )

= Un moment après, le déjeûner du Comte est apporté par Célestine ( a ), une charmante fille qui passe, dans la maison, pour être Sœur de Mère de Mad. Durut.

LE COMTE, CELESTINE. Le Comte, allant au devant.

Quoi! c'est vous-même, belle Célestine, qui prenez la peine...

Celestine.

Pourquoi pas, M. le Comte!--On a toujours du plaisir à servir quelqu'un d'aimable.

Le Comte, avec un mouvement modeste.

Ah!--Ce joli compliment met le comble à vos attentions. ( Il la débarrasse du plateau. ) Si vous vouliez, charmante Célestine, que ce déjeûner devînt délicieux pour moi, vous mouilleriez ce verre de vos levres de rose, &, buvant après vous, je croirais recevoir un baiser.

Celestine.

Voilà qui est d'une galanterie bien quintessenciée! Pourquoi demander, de ma part, un baiser par ricochet, quand je puis vous en donner plutôt deux qu'un directement!

Le Comte, les prenant avec transport.

Est-on aimable!--En vérité, Célestine, vous surpassez tout ce qui vient ici...

Celestine, interrompant gaîment.

Chut, chut: songez que nous avons quelque part certaine Duchesse &....

Le Comte.

Bon! -- Elle est au bain, si loin, si loin de nous....

Celestine, avec finesse.

Mais si près, si près de votre cœur?--( Il ne laisse pas d'entraîner Célestine jusques vers un fauteuil, où il se jette la tenant entre ses jambes. )--Allons, M. le Comte, de la bonne foi dans les traités; vous n'êtes point ici pour moi.

Le Comte.

Laissons, mon cœur, ces subtilités de délicatesse. Il y aurait moyen de bien mieux employer les instans. ( Il chiffonne le fichu. ) Si vous m'aimiez un peu...

Celestine, défendant faiblement sa gorge.

Nous ne nous connaissons point, pourquoi vous aimerais-je!--Vous êtes joli Cavalier, pourquoi ne vous aimerais-je pas?

Le Comte, s'animant.

Elle est divine!--Il y a un siecle, belle enfant, que tu me trotes en cervelle; mais tu as précisément une de ces sorcières de mines qu'il faut chasser de son imagination comme la peste, si l'on ne veut pas s'enfievrer.

Celestine.

Pourquoi, s'il vous plait, me chasser si fort! Sachez que j'aime beaucoup, moi, qu'on se passionne un peu pour mon petit mérite... Mais voyez donc comme il m'accommode! ( Les tetons sont au pillage. )

Le Comte.

Un baiser? petite Reine.

Celestine.

A la bonne heure. -- ( Elle le donne. )

Le Comte, en admiration.

--Quelle blancheur! quelle finesse de peau! Tu permets bien aussi que je baise....

Celestine, se laissant faire.

Voilà comme sont tous ces hommes! Ils demandent moins que rien; on leur accorde quelque chose; tout de suite ils veulent davantage! -- ( En effet tout en baisant les fraises du sein de Célestine, le Comte a glissé sa main le long de deux cuisses d'albâtre )--Ne le disais-je pas!--Finissez pour le coup. Votre Duchesse... ma sœur... & tout est ouvert!

Le Comte.

Tu as raison: -- ( Il va promptement fermer la porte. )

Celestine, feignant de s'y opposer.

Non, non: ce n'est pas pour ce que vous pensez au moins?... ( Le Comte vient se rasseoir, entraîne Célestine & la tient, jambe deçà, jambe delà ; en face de lui. ) -- Quelle folie! = On m'attend... chut. -- ( Pendant la pause qu'exige cette situation, le Comte s'est rendu maître du plus délicieux bijou. Célestine feint d'avoir l'oreille au guet & de ne pas consentir tout-à-fait au larcin de l'agresseur. Celuici agace un petit point très sensible chez les Dames, & que, chez Célestine surtout, on n'excita jamais impunément. )--Oh mais!... mon cher Comte? Soyez donc en scène avec moi. Je voulais me fâcher un peu,... je le devrais sans doute, mais si vous me faites de si jolies choses, il n'y aura pas moyen...

= De ce moment, il est décidé que le Comte peut pousser à bout l'aventure. Déjà l'humide paupière de Célestine palpite & s'abbat sur l'œil languissant; ses roses s'animent; son sein s'agite... elle tombe en avant, la bouche sur celle du Comte. Celui-ci, à la faveur des juppons retroussés sur son bras, a mis furtivement en campagne le grandmaître des cérémonies, qui déjà faisant sentir sa douce chaleur aux levres du bijou doré, y remplace le doigt précurseur. Célestine est si éloignée de prendre en mauvaise part cette ruse de guerre, que soudain, d'une main aguerrie, elle s'empare du trait menaçant, &, s'en frottant vivement le corail extérieur, elle acheve ainsi de se faire pâmer d'aise. Ses baisers deviennent furieux; elle abandonne le poids de son corps sur le Comte, & se plonge en même tems l'ardent boute-joye, sans se faire grace d'une ligne... =

Le Comte, avec transport.

L'adorable créature!

= Pour jouir plus voluptueusement de cette plénitude de possession, il demeure inactif, & s'amusant de la plus belle mappemonde imaginable, il attend la fin de l'heureux anéantissement de Célestine.--Elle respire enfin: alors il la souleve & la laisse retomber périodiquement, donnant ainsi l'impulsion de cette manœuvre électrique qu'exige le mécanisme de la jouissance. Presqu'aussitôt la lubrique Célestine est de moitié de ce voluptueux travail. Plus elle le presse, plus le Comte le ralentit, voulant se filer un moment de superlatives délices. Célestine, sentant approcher les vives annonces de la consommation, ne fait plus que s'agiter circulairement sur le Comte avec l'air de le moudre. Ils atteignent ainsi le faîte du bonheur. Leurs ames confondues dans les postes inférieurs, se retrouvent encore, & se mêlent dans les plus ravissants baisers. =

Celestine, après un long silence.

Ah, mon cœur. Quelle aubaine! Si ta fière Duchesse savait cela!... -- ( Elle se dégage. )

Le Comte, debout.

Elle n'aurait, à la vérité, pas lieu d'en être fort satisfaite, car, (ce que je vais te dire, n'est point un vain compliment, Célestine) ce début de bonheur avec toi me désenchante absolument sur le compte de l'orageuse Duchesse: tu vaux infiniment mieux, & je songe très sérieusement à donner beaucoup de suite à cette heureuse passade.

Celestine, gaîment.

Quant à moi, sans plus y songer que tout à l'heure, je me sens fort capable de tolérer dans l'occasion tes cheres impertinences.--( Elle s'apperçoit, à certaine restitution, que le Comte a fait de grand fraix dans leur impromptu. )--Comme tu m'en as donné! c'est un déluge! si je pouvais être jalouse de ta superbe amie, j'aurais du plaisir à penser que tu n'as pas réservé grand'chose pour elle.--( En disant cela elle est appuyée d'une main contre le dossier d'un fauteuil, & de l'autre, elle s'essuye provisoirement ce qu'on sait, le corps un peu penché. )

Le Comte.

Ah! c'est m'insulter. -- Voyez d'abord: ( Il se fait voir en effet encore sous les armes, & gardant une très ferme contenance. --Maintenant je vais vous réfuter plus victorieusement encore...

= La posture de Célestine, indiquant pour lors un autre plan d'attaque, il la trousse jusques par dessus les reins & met au plus grand jour les beautés occidentales.--Frappé de leur rare perfection, il ne peut se défendre de différer, en leur faveur, l'exécution de sa seconde entreprise. Il tombe à genoux; les sœurs rebondies sont à l'instant vivement caressées & couvertes de mille baisers.--Peut-être n'est-ce que la coquetterie de recevoir complettement cet hommage qui suggere à Célestine de demeurer postée, faisant semblant de renouer ses jarretieres; peut-être aussi, le plus bisarre de tous les goûts (pour une femme) & dont cette Célestine sera bientôt connue pour être dominée, fait-il qu'elle ne prend aucune précaution contre la botte florentine qui pourrait la menacer. Déjà le Comte, dans un moment de délire assaisonné des exclamations les plus passionnées, est allé jusqu'à déposer un baiser fixe & mouillant sur cette bouche impure de laqu-elle, en pareil cas, il serait disgracieux d'obtenir un soupir... Célestine ne peut s'empêcher de rire. Dès que le ridicule s'en mêle, tout desir disparait. Elle se déplace donc, laissant le Comte un peu confus d'avoir trop affiché certaine prédilection dont, un moment plus tard, il allait donner des preuves encore plus décisives. Que ne se doute-t-il que peut-être la capricieuse Célestine lui en aurait su gré! =

Celestine, gaîment.

Avouez, cher Comte, que vous êtes terriblement de là ? Qui vous laisserait faire...

Le Comte.

Il faudrait que Célestine eût moins de charmes, on serait moins extravagant. -- ( Il tire de son porte-feuille un assignat de 300 livres, & le lui donne. ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ( On supprime ici d'inutiles lambeaux de dialogue ).

Celestine, Acceptant l'assignat après quelques façons.

Ne croyez pas cependant que je veuille employer ce chiffon à réparer votre sottise. On dit qu'avant peu, ce beau papier de votre fabrique ne sera plus bon qu'à cet usage: mais en attendant je vais bel & bien le convertir en écus.

Le Comte.

Tu me bats avec mes armes, friponne! cela n'est pas généreux...

= Pour l'appaiser, Célestine se jettant à son cou, lui donne un de ces baisers qu'elle a le talent de rendre si doux, & s'échappe à l'instant.--Il est bon d'avertir le Lecteur que cette si complaisante Célestine avait été députée au Comte par Mad. Durut, afin qu'il fût occupé tout le tems qu'il faudrait à la Duchesse pour s'arranger avec le charmant Alfonse. On voit que Célestine ne pouvait s'acquitter mieux de son agréable commission. Le Comte se purifie, aidé, comme l'a été le Chevalier, par la jolie Négrillonne. Ensuite, il dejeûne & attend, en lisant quelques feuilles du jour, qu'on vienne enfin lui donner des nouvelles de sa Duchesse.

Encore au Pavillon des Bains.

= Mad. Durut y était, comme on sait, revenue, pour annoncer à la Duchesse (dans ce moment aux prises avec le conquérant Alfonse) que le Comte venait d'arriver. --On se figure aisément que la maligne Durut n'a pas trouvé, sans goûter un certain plaisir, la Duchesse au désespoir d'avoir reçu tout à travers les choux, la bordée d'un prétendu roturier? Comme après s'être un moment amusée du mal-entendu, rien n'était plus facile que d'y mettre fin, voici comme elle s'y prend:

Mad. Durut.

Malgré tout le respect que je vous dois, Mad. la Duchesse, vous me permettrez de vous dire que vous êtes terriblement bégueule!--( La Duchesse fronce le sourcil. ) Eh mon Dieu! vos gros yeux ne me font pas peur:--Eh bien! quand cet adorable enfant ne serait par aventure qu'un petit bourgeois, où serait, s'il vous plait, le grand malheur?--voyons?--( Déjà la physionomie de la Duchesse s'éclaircit.--Elle réfléchit un moment. )

La Duchesse.

Expliquez-vous plus clairement, ma chère Durut. Si je ne m'abuse point... Il me semble que vous venez de me donner quelqu'espoir que peut-être Alfonse... ( Elle promene de l'un à l'autre des regards très attentifs. )

Mad. Durut, s'animant.

Eh foutre! ( a ) vos bêtises me feraient sortir de toutes les bornes. Et vous mériteriez bien que je vous laissasse dans l'erreur. M. Alfonse, qui n'est point mon neveu, vaut pour la naissance mille de vos fouteurs. Il n'est pas plus bourgeois que vous, il enfilera bien d'autres belles Dames, & fût-il coëffeur ou laquais, d'aussi huppées que vous se l'appliqueront sur l'estomac sans lui demander ses preuves.--Ne serait-ce pas une grande tragédie vraiment, quand un honnête particulier, qui n'aurait point de parchemins, aurait fait un enfant à une Duchesse! comme si elle-même ne pouvait pas être, sans s'en douter, la fille de quelque valet!...

= Pendant cette tirade, débitée avec humeur & rapidité, la Duchesse infiniment soulagée, n'a fait que caresser follement le Chevalier, l'enlaçant de ses bras & de ses cuisses, le balotant, se roulant sur lui, donnant, en un mot, les plus extravagantes marques d'un contentement sans bornes. =

La Duchesse.

Il est noble!... Il est gentilhomme! Ah! fripon? que ne le disais-tu!--( A Mad. Durut.) Vous venez pourtant d'abuser de la conjoncture, Mad. Durut, & de tenir de très mauvais propos. Heureusement pour vous, ce moment m'est si doux que je ne puis me fâcher de rien.--( Plus gaîment ) Démons! pourquoi m'avoir joué ce tour sanglant?--( à Mad. Durut. ) A quoi bon cette feinte? ( au Chevalier. ) Pourquoi t'y être prêté? ( Le Chevalier ne répond que par des caresses passionnées. )

Mad. Durut.

C'est moi, c'est moi, Madame, qui avais imaginé ce stratagême pour me venger de vos travers, dont par fois vous m'excédez; pour vous punir de votre morgue maudite, & (s'il était possible) pour vous en corriger.--N'est-il pas honteux, dites-moi que, fausilant depuis trois ans avec les Aphrodites, vous n'ayiez jamais pu être reçue Professe, faute de vous être soumise à l' égalité sans bornes & au parfait abandon, sans lesquels on ne peut réunir les suffrages! Eh morbleu! Mesdames de Vadouze, de Polymone, de Pompamour, de Chaudpertuis, & tant d'autres, qui vous valent bien sans doute, n'ont-elles pas subi toutes les épreuves? prononcé tous les sermens?--Aussi, sont-elles fêtées, courues, réverées... tandis que vous, en dépit de vos charmes... ( Elle hausse les épaules. ) Faut-il tout vous dire sans détour?--Il a été plus d'une fois question de vous réformer net, & même, de vous interdire, sans appel, jusqu'à l'entrée de cet hospice?

La Duchesse, alarmée.

Ciel! Que dis-tu là! Quoi! tout de bon, Durut? tu n'exagères point?

Mad. Durut.

Non, je vous jure.

La Duchesse.

Me réformer! les ingrats!--Mais ce n'est pas à cause d'eux; c'est pour moi, pour le cher intérêt de mes plaisirs, que... je veux devenir tout ce qu'on peut être ici.--C'en est fait, Durut. Ta confidence m'arrache le bandeau; j'avais tort, je me résigne à tout... Oui, j'abjure de tout mon cœur le plus sot des préjugés.--Quoi? pour un peu de vanité, bien mal entendue, n'ai-je pas tout-à-l'heure en partie perdu la jouissance d'un de mes plus beaux momens? Pouvant être au comble de l'humaine félicité par la possession de cet ange... ( Elle lui jette à la hâte quelques baisers ) n'ai-je pas eu la gaucherie de combattre contre ma fortune & de chasser en quelque sorte le plaisir! C'en est fait, te dis-je. Oui, Durut: je deviens raisonnable, &, qui que ce soit au monde qui pourra me plaire & me désirer... qu'il se présente...--Je veux faire afficher ma conversion à la porte du sanctuaire & demander pardon, la face contre terre, le jour de la plus prochaine assemblée...

Mad. Durut.

Ce sera vendredi ( a ) de l'autre semaine.

La Duchesse.

Ah! tant mieux: j'y veux faire amendehonorable; me soumettre à tout, & me donner toute entiere, si j'y suis condamnée, au plus abject des frères...

Mad. Durut, interrompant.

Et vous voilà toujours!---Oublierez-vous donc éternellement (Duchesse que vous êtes) que toute distinction entre les frères disparait dès qu'ils mettent ici le pied?...

La Duchesse, occupée d'Alfonse.

Cher enfant! moi t'avoir outragé! --- ( Elle le caresse. )

Le Chevalier, répondant à ses bontés.

Quel outrage! vos combats, votre fureur elle-même, tout cela n'avait-il pas de quoi décorer mon bonheur!

La Duchesse, le montrant à Mad. Durut.

Mais ne devais-je pas, à ces traits enchanteurs, à cette angélique physionomie, reconnaître quelqu'un de bien-né.--( Au Chevalier. ) Qu'es-tu donc enfin dans ce monde? N'y as-tu d'autre destination que celle d'ensorceler sans doute toutes les femmes?

Le Chevalier.

Je suis à Malthe & à la suite des Dragons, en attendant l'exercice d'une charge, aujourd'hui suspendue, mais que, peut-être, on n'abolira pas...

La Duchesse, avec feu.

Ah! du moins, auras-tu celle de mon premierfouteur (a) aussi longtems que cela pourra te plaire. Viens: qu'à l'instant je t'en mette en possession.--( Elle enjambe Alphonse & écarte en même tems avec une sorte de fureur tout ce qui pouvait les couvrir. ) Toi, Durut, contemple la rare perfection de cet être-là.

Mad. Durut, finement.

Nous en avons aussi quelqu'idée.

La Duchesse, s'exaltant.

Est-ce un homme? est-ce un Dieu? ( Elle saisit avec transport le fier boute-joye. ) Vois: admire. Quelle vigueur! quel tour! quelle grace! ( Elle se le plante avec délire. ) -- ( En ce moment, le Comte impatienté d'attendre, vient & voit tout. )

= En vain Mad. Durut s'est jettée précipitamment vers la porte, voulant la fermer au nez du Comte; il résiste, repousse, & s'élance dans la chambre. =

La Duchesse,

( Doublement transportée de desir & d'indignation.--Au Chevalier. )--Va, va toujours, mon Roi, tant pis pour les sots-curieux.

= La Duchesse s'agite avec passion sur le bel Alfonse; il en coûte d'abord quelque chose à celui-ci d'avoir pour témoin de son triomphe un homme contre lequel il n'a pas le moindre grief; mais bientôt sa position l'entraine, il a du plaisir, il en donne, intérêt cent fois plus flatteur.--Cependant le Comte, stupéfait, indigné, demeure, comme ébêté, dans les bras de Mad. Durut, qui croit devoir le retenir, de peur qu'il ne se porte peut-être à quelque violence. =

Mad. Durut, au Comte.

Hélas, mon cher, la pilulle est amere, mais il faut l'avaler.--Pourquoi diable aussi, vous qui ne pesez pas un zeste dans votre fichue assemblée, demeurer en retard, par air, & sans autre vue que celle de jouer le capable?

Le Comte, brutalement & la repoussant.

Eh! sacrebleu, laisse-moi. -- ( La Durut séparée de lui, s'approche des autres qui vont toujours leur train. )

La Durut, au Comte.

Tu deviens fou, mon cher petit Comte! un autre à ta place ne perdrait pas ainsi la tête. Est-ce bien toi! Ce même homme si fameux chez nous pour ses Villetiques prouesses! ( a ) Est-ce lui qui peut bouder à la vue de ce superbe cû, posté, comme exprès, pour offrir une indemnité!--Eh, viens donc, lâche fouteur? Viens arracher à ton rival heureux du moins la moitié de sa conquête.--Tiens, vois-tu?--( Elle promene une main caressante sur les belles fesses de l'enfilée ; filée ; &, d'un doigt tant soit peu pénétrant, elle marque certain but. ) C'est là... là que devrait s'éteindre ta colere & s'effacer ton affront.

Le Comte.

La coquine a plus de bon sens que moi...

= Il marche vers le lit, mais c'est tout juste le moment où la Duchesse & le Chevalier tombent en crise. Leurs agitations, leurs accens, leurs mots caressants, passionnés, sont de nature à ce que le Comte soit plus humilié qu'enflammé. Il n'a fait ainsi quelques pas que pour être, de plus près, témoin des transports brûlants, du bonheur sublime, de l'extatique oubli des êtres qui l'outragent. Il se jette sur un siege, confus, pensif, embarrassé de sa contenance, l'œil sombre, la tête baissée & soupirant avec douleur.--Un peu plus tard, un signe que fait la Duchesse à Mad. Durut, demande qu'on rejette les couvertures sur elle & le Chevalier, qu'elle garde à ses côtés.--Reste à savoir comment se terminera cette scene étrange.--C'est à quoi vont penser les quatre acteurs pendant plusieurs minutes qui se passent dans le silence & l'immobilité.

VIVE LE VIN: -- VIVE L'AMOUR. QUATRIEME FRAGMENT. Le Comte, au Chevalier, se levant brusquement.

--Je connais trop la façon de penser de Mad. la Duchesse pour pouvoir douter que vous soyez un homme comme il faut: ainsi, Monsieur, nous n'aurons probablement ensemble qu'une explication très décente sur le hasard qui vous fait recueillir le fruit d'un rendez-vous donné pour moi.--Cependant, si, par malheur, je me trouvais encore plus lésé que je ne suppose l'être...

Le Chevalier, avec fierté.

Qu'en serait-il, Monsieur?

Le Comte, fièrement à son tour.

C'est ce que je vous ferais savoir, Monsieur.

Le Chevalier, se soulevant.

Je n'aime pas à différer ces sortes d'éclaircissemens... ( Il s'échappe du lit, & suit nud, le Comte, qui vient de passer dans la salle du bain, où sont aussi les habits du Chevalier. )

Mad. Durut, leur courant après.

Holà, mes beaux champions: ce lieu n'est du tout celui des scènes tragiques.

La Duchesse, accourant aussi.

-- ( à Durut. ) Arrêtez-les, ma bonne amie.--Si j'ai quelqu'empire sur vous, Messieurs....

= En même tems, Mad. Durut a fermé la piece à la clef.--Le Chevalier s'habille en grande hâte: Mad. Durut sert la Duchesse qui en fait autant, marquant par des mouvemens presque convulsifs, qu'elle éprouve quelque chose de bien pénible. =

Le Comte.

Quel est ce jeune homme, Mad. Durut?

La Duchesse, vivement.

Son neveu. ( a )

Le Comte,

( Feignant de se calmer, & d'un ton ironique. ) Digne choix, en vérité!--Je n'ai plus rien à dire.--( à Mad Durut. ) -- Ouvrez-moi.

Le Chevalier.

On vous trompe, Monsieur. Dans un moment je retourne à Paris, si vous n'avez rien de mieux à faire que de m'y suivre, nous pourrons causer en chemin & déterminer à quel point chacun de nous offense son rival.

Le Comte.

Je suis à vos ordres.

Mad. Durut.

Cela vous plait à dire: vous êtes tous deux aux miens.--Mais, voyez-moi donc un peu ces mutins?--Sachez, mes beaux Messieurs, que, toute taquinerie cessante, vous ne sortirez pas d'ici que je ne le veuille bien.--Oh! vous êtes, en dépit de vos bouillans courages, tout-à-fait en mon pouvoir...--

= La Duchesse ne sort des mains de Mad. Durut que pour aller tomber pesamment dans une bergere où elle joue assez bien la défaillance. =

La Duchesse, avec les mines convenables.

--Je me sens mal... Durut?... De l'eau de Cologne?.... des sels?.... de l'éther?.... je n'en puis plus.... j'étouffe.... je me meurs....

= Elle est pour lors immobile, dans l'attitude la plus théâtrale; l'œil fermé; mais sans que les roses des joues & des levres ayent pâli de la moindre nuance. =

Le Chevalier, aux pieds de la Duchesse.

Oh ciel! quel malheur!

Mad. Durut, assez calme & donnant du secours.

--Là, là: ne vous désespérez point: cela n'aura pas de suites...

= En effet, à peine a-t-on mis du sel d'angleterre sous le nez de la Duchesse, qu'un long soupir annonce la clôture de son évanouissement. =

Mad. Durut, au Comte.

Voilà pourtant, vilain homme, la belle besogne que vous êtes venu faire ici.--Que je déteste ces vaniteux!--Tout irait si bien, si l'on voulait ne mettre que de la folie à ce qui est uniquement affaire de plaisir.

Le Comte.

Vous verrez maintenant que c'est moi qui ai tort!

Mad. Durut.

Assurément: & en tout point.--Vous vous êtes conduit en homme qui n'a pas le sens-commun.--Vous arrivez trop tard; premier tort, d'autant plus inexcusable, qu'il est absolument volontaire; vous vous montrez ici avec l'assurance & la brusquerie dont on blâmerait... même un mari; second tort: vous nous rompez à tous en visière, plus grand tort, qui vous donne en même tems beaucoup de ridicule: la preuve en est à ce qu'il vous a été forcé de voir & d'endurer. Répondez à tout cela?--Eh morbleu, puisque vous aviez assez joliment passé votre tems là bas, que n'y restiez-vous! Célestine aurait bien eu la complaisance de vous y faire plus longtems compagnie.

La Duchesse, avec intérêt.

Célestine!... Ils ont été ensemble?

Mad. Durut.

Assurément: & de la meilleure intelligence encore...

LES MÊMES, Celestine, en dehors & frappant.

--J'entends qu'on parle de moi, veut-on bien m'ouvrir?...

= Mad. Durut ouvre, & lui conte rapidement la querelle de ces Messieurs. =

Celestine, gaîment.

Fort bien: -- ( Au Comte. )--Voilà donc, petit perfide, comment je puis me fier à vos belles protestations!--( Avec une menace badine. ) --Si j'étais babillarde, comme vous seriez grondé!--Allons: la paix, mes bons amis.-- (Au Comte, en lui montrant le Chevalier. ) -- Voyez donc comme il est joli! Vous auriez la barbarie de l'embrocher en face!

= Les esprits sont déjà considérablement appaisés, la Duchesse & Mad. Durut sourient à l'épigrammatique plaisanterie de Célestine. =

La Duchesse, ou Comte, d'un ton piqué.

--Il paraît, Monsieur, que nous ne sommes pas en reste l'un avec l'autre?...--( D'un ton moins sec. ) Que tout ceci finisse donc convenablement. -- ( Elle lui tend la main. )--Je vous pardonne l'aimable Célestine; faites-vous de même une raison au sujet du charmant Chevalier?--Touchez là.

Le Comte, obéissant.

--Vous avez tant d'ascendant sur moi... qu'il faut bien en passer par ce que vous voulez:--Allons, Madame:... qu'il n'en soit plus parlé.

Celestine, avec espièglerie.

Oui dà!--Cela est fort aisé à dire. Je ne prends pas, moi, la chose aussi indifféremment. J'avais fait une conquête; on m'avait juré les plus belles choses du monde: il faut que mon compte se trouve à tout ceci.--Je déclare donc que je m'empare de Monsieur... ( du Chevalier ) sauf à le restituer à qui il appartiendra, lorsque je croirai m'être suffisamment vengée.

Mad. Durut.

La matoise! tout en riant elle le fera comme elle dit; ou le diable m'emporte.--Oh! je la connais.--Mais, pensons enfin au solide: il faut dîner: qu'en pensez-vous, mes enfans?

La Duchesse.

Je meurs d'appétit.

Mad. Durut.

Eh bien, allons. --- Nos jeunes braves vuideront leur querelle à table, & se battront à l'aise le verre à la main. --- ( Elle prend, au Comte, une main. --- A Alfonse. )---La vôtre? approchez.---( Le Chevalier approche. ) ( Elle réunit leurs mains. )---La paix? au nom du plaisir?

Le Comte.

De tout mon cœur. --- ( Ils s'embrassent. )

Mad. Durut.

Je ne demande pas à Mad. la Duchesse, si elle trouve bon que nous ne nous séparions point? si sa conversion est sincere...

La Duchesse, interrompant.

Très-sincere, je te jure, ma chere Durut. Il faut que Célestine & toi soyez des nôtres; je l'aurais exigé, si tu ne m'avais pas prévenue...

Mad. Durut.

C'est parler cela. Allons: je commence à espérer qu'enfin on pourra faire quelque chose de vous.--( Mad. Durut s'en va. ).

= Peu d'instans après un des Joqueys, qu'on connait déjà, vient annoncer qu' on a servi, & conduit les convives à une piece délicieuse.--Elle représente un bosquet dont le feuillage, peint de main de maître, se recourbe en coupole jusques vers une ouverture ménagée en haut, & d'où vient le jour; à travers une toile légérement azurée qui complette l'illusion. On voit, sur ce fond transparent, l'extrémité des feuilles & quelques jets élancés se découper avec une vérité frappante. Tout autour de la piece, aux troncs des arbres, réguliérement espacés, on voit attachée une draperie blanche bordée de crepines d'or, qui est censée cacher tous les intervalles au-dessous du feuillage. Le bas est une balustrade du meilleur style, peinte en marbre blanc, & qui paraît se détacher. Le tapis est un gazon factice, parfaitement imité.--A peine s'est-on réuni dans cet agréable lieu qu'il y survient le dîner le plus sensuel. =

LA DUCHESSE, LE COMTE, LE CHEVALIER, CELESTINE ET MADAME DURUT sont à table & mangent.

Mad. Durut.

Vous ne paraissez pas penser à me remercier! cependant vous avez l'étrenne de cette jolie salle, qui n'est achevée que depuis quelques jours, & où je n'ai permis à qui que ce fût d'entrer tandis qu'on y travaillait.

Le Chevalier.

On ne pouvait rien penser de plus agréable; & l'exécution est parfaite.

Le Comte.

L'Architecte a un peu écouté aux portes. Je connais la pareille salle, je dis absolument pareille, chez la Marquise de... ( a )

Mad. Durut, interrompant.

Je connais, je connais! Assurément vous pouvez connaître.--Une chose n'a-t-elle donc de prix qu'autant qu'elle est unique? A boire?--Je passe ma vie à entendre d'insoutenables gens comparer, épiloguer, au lieu de jouir...

Celestine, interrompant.

Et ma bouillante sœur se fâche au lieu de manger! cela ne revient-il pas au même?

La Duchesse.

Célestine a raison, & je suis enchantée, Durut, qu'elle vous ai prise sur le fait.--Savez-vous que vous devenez d'une humeur....

Mad. Durut, avec surprise.

Et vous aussi! -- A votre tour, Messieurs? Grondez-moi. -- J'ai donc de l'humeur? Eh bien, il faut la noyer dans le bourgogne. ( Elle s'en fait donner une bouteille & se verse razade. ) A vos santés..

Le Comte.

J'aime mieux cela que de la morale. ( On boit à la ronde. )

= Ils mangent tous du meilleur appétit & boivent à proportion.--Avec le second service on a apporté des vins délicieux. Les entremets sont ingrédientés de manière à ne pas permettre que de tels convives conservent longtems leur sang-froid & demeurent à table sans s'agacer.--Quoique le Chevalier ait fait passablement des siennes, il se sent déjà des velléïtés pour cette friponne de Célestine, dont il est voisin, & qui joue avec lui de la prunelle à faire sauter le bouchon.--La vue de plus de moitié de ses merveilleux tetons, (qu'elle découvre, sous prétexte d'y pourchasser un peu de pain qui la blesse) acheve de mettre en rut l'inflammable jouvenceau.--Cependant il s'observe assez bien pour ne pas se mettre dans le cas d'offenser la Duchesse qui le guète du coin de l'œil.--De son côté, le Comte croit de son honneur qu'avant qu'on se quitte, la Duchesse ait fait aussi quelque chose pour lui.--Durut, qui ne perd rien de tout ce manège, rit sous cappe, & déjà se doute de tout ce qui suivra.--A dessert, les gens renvoyés, la conversation s'anime par dégrés & devient des plus polissonnes: En voici un léger échantillon. =

Mad. Durut.

A propos, Mad. la Duchesse? Il y a long-tems que vous n'êtes venue par ici avec ce grand levrier.... cet étranger si blond, si pomponé!...

La Duchesse.

Elle me divertit avec son levrier.--C'est justement un Danois.--L'opéra me l'a enlevé...

Celestine.

L'opéra ne vous a pas enlevé grand'chose. Cet homme est bien le plus glacial bandeàl'aise! -- ( gaîment ) Nous sommes tous garçons ici?

La Duchesse, souriant.

Il a donc l'avantage de vous connaître?

Celestine.

Ah! ne m'en parlez pas. J'eus un jour ( je ne sais par quel caprice d' avoir quelqu'un d'encore plus blond que moi ) le malheur de m'aventurer avec ce beau Monsieur: cela fut d'un nul! --Il est vrai qu'il resta sur le champ de bataille un diamant: les diamants sont fort intéressants; mais vivent les gens qui savent les faire gagner.

La Duchesse, sentant une atteinte.

Comte? J'ai des cors, je vous en avertis. ( Elle sourit. )

Mad. Durut.

Oh! je le reconnais au langage des pieds. Chez moi, certain soir qu'il s'agissait d'enivrer un Provincial & de lui souffler sa jolie femme, ne voilà-t-il pas mon mal-adroit qui, à table, en face du couple, se trompe &, croyant faire une gentillesse à Madame, vous appuye amoureusement un pied sur l'orteil goûteux du pauvre mari! Celui-ci de jetter le cri de quelqu'un qu'on mettrait à la broche & de retirer les jambes si promptement, si fort & si haut, qu'il soulève la table & renverse tout ce qui la couvrait!--Figurez-vous le baccanal, le tracas; la consternation d'une femme peu faite alors à de pareils événemens!... Il est vrai que, depuis, nous en avons fait une rude lame. --Comte? vous pouvez certifier ce que j'en dis.

Le Comte, froidement.

Qu'en faites-vous?

Mad. Durut.

C'est du verreux maintenant.--Elle vient encore de tems en tems dans ma maison de Paris, pour les moines.

La Duchesse.

Fi!

Le Comte.

Quant à moi, je l'ai totalement perdue de vue, il y a bien six mois, depuis qu'elle m'a débauché mon valet-de-chambre.

Celestine.

Ce fut sans doute pour vous un grand crevecœur, que de perdre ainsi deux maîtresses à la fois?

Mad. Durut.

Pourquoi ne pas dire trois! car la Dame ne se faisait pas beaucoup prier pour faire le thème en deux façons?

Le Comte.

De la méchanceté!--Il est assez plaisant qu'on fronde ici ces sortes de caprices, tandis qu'on veut bien les laisser en paix dans la société!--Vous voilà trois femmes: laqu-elle de vous osera jurer de n'avoir jamais varié la manière de faire des heureux?

Celestine.

M. le Comte voudrait nous confesser apparemment? Quant à moi, je ne suis pas pressée de m'accuser de péchés, dont il est très possible que je n'aye aucun repentir. ( avec espièglerie) Pends-toi, brave Crillon... (a)

Mad. Durut.

Pour moi, je pose en fait qu'il n'y a que les sots qui se privent d'user de tous leurs moyens. Je dis, hommes & femmes.--Avis à l'auditeur, beau Chevalier, qui semblez être à mille lieues de nous; si j'étais un aussi joli-garçon que vous, je ne me contenterais pas de tourner la tête aux femmes, je voudrais m'amuser encore à me faire lancer par tous les Villettes du Royaume.--Il en vient ici à qui ce chien de museau là ferait faire, ma foi, de belles extravagances!--Notre fortune serait faite à tous deux.

La Duchesse.

Taisez-vous, Durut. Voyez comme vous embarrassez ce pauvre enfant!

Mad. Durut.

Lui!--pas tant que vous l'imaginez, Madame. Priez-le de vous conter ses petites facéties d'écolier... Il y a passé, je vous jure.

Le Chevalier, avec grace.

Voilà qui est très mal de ta part, ma chère Durut: & tu justifies le proverbe qui dit, qu' on n'est jamais trahi que par ses proches.

Celestine.

Comment? on te l'a mis, mon cher petit Chevalier! si j'avais l'honneur d'être garçon, je donnerais beaucoup pour avoir la même joie.

Le Chevalier, l'embrasse & lui dit à l'oreille.

Si des hommes pouvaient ressembler à la magique Célestine, je voudrais être la catin de tous les B...... de l'univers.-- Elle lui rend son baiser avec transport, & risque à la faveur de la table, de lui faire, plus bas, une visite d'amitié. -- En même tems, la Duchesse sent une main du Comte qui se faufile à travers l'ouverture des poches..

La Duchesse.

Mais, mon cher Comte! Que voulez-vous donc me voler?--Les mains sur la table, s'il vous plait?

Mad. Durut, avec malice.

Eh bien?... Célestine? Chevalier? l'ordre est pour tout le monde. A quoi diable vous amusez-vous donc là?

Celestine, riant.

Voyez, quelle tracasserie! on ne peut donc, sans scandale, manier un peu les breloques du monde!

Mad. Durut,

( Se levant brusquement & détournant la nappe. ) -- Sacrebleu! quelles breloques! c'est bien aussi la montre, ma foi.

Celestine,

( ainsi prise sur le fait, & donnant au charmant Boute-joye un petit coup badin. ) -- Au revoir donc. -- ( à la société. )--Puisqu'il faut reprendre le fil de la conversation, où en est-on?--( Moment de silence. )--Vous voyez, ma sœur, qu'on ne dit mot? c'était bien la peine de nous déranger!...

La Duchesse.

J'aime Célestine à la folie. Si j'étais là, je l'embrasserrais à cause de sa sincérité.

Celestine, accourant.

Ah! je viendrais de bien plus loin pour recueillir une faveur si douce.--( Elles s'embrassent vivement : le Chevalier a suivi sans trop savoir pourquoi. ) --

La Duchesse.

Eh bien? vous voilà?

Le Chevalier.

C'était pour observer de plus près la chose du monde la plus intéressante, & que j'aime le mieux voir: deux jolies femmes se faisant des caresses.

La Duchesse, sans humeur.

Petit Roué! tu venais tout bonnement à la piste de Célestine. Va: tu ne vaux pas les bons sentimens qu'on pourrait avoir la folie de prendre pour toi...--Il me prend aussi fantaisie maintenant de consoler ce pauvre Comte, avec qui j'ai bien quelque petit tort.

Mad. Durut.

Quant à moi, j'aurais tort de ne pas vuider cette bouteille: elle est digne de la bouche des Dieux!--( Elle boit ).....

= Ce qu'a dit la Duchesse n'avait pour but que de piquer un peu le Chevalier: mais le Comte l'a pris au pied de la lettre.--En conséquence, profitant de ce que la Duchesse s'est levée pour embrasser Célestine, il s'est glissé à la place de la première, &, méditant de la recevoir sur lui quand elle voudrait se rasseoir, il dispose tout si bien qu'en effet il se trouve qu'elle retombe à crud sur quelque chose qui surprend toujours agréablement les Dames. Pour peu qu'un homme soit adroit en pareil cas, il est au but avant qu'on ait eu le tems de soupçonner son dessein... Bref: la Duchesse est enfilée, à cheval sur le Comte & lui tournant le dos.--Au même instant, cette coquette de Célestine qui se proposait de faire au Comte en passant quelqu'amitié, s'incline pour lui donner un baiser, qu'il reçoit en se penchant un peu sur la gauche derrière la Duchesse.--L'égrillard de Chevalier profite de la posture de Célestine pour lui jetter ses jupons par dessus les hanches, &, sans dire gare, il lui plante vigoureusement ce dont tout-à-l'heure elle venait de s'amuser.--La formation de cet assemblage est telle que les célestes figures de la Duchesse & du Chevalier se trouvent fort à portée l'une de l'autre.--En dépit de la double infidélité, l'aimant du plaisir les attire; leurs bouches s'unissent; leurs langues s'enlacent; ils se baisent & se sucent avec fureur. Ainsi, chacun des quatre acteurs se partage presqu'également: la volupté circule; le plaisir que la Duchesse doit au Comte, elle le communique au Chevalier, qui le rend à Célestine, qui le ramene enfin à sa première source.--Mad. Durut est enchantée: elle boit un grand coup à la santé de la quadruple alliance ; puis elle vient, le plus près qu'elle peut, examiner en tout sens cet intéressant impromptu. Elle s'assied enfin tout contre le Chevalier, dont elle caresse, d'une main, les dépendances, tandis que, de l'autre, elle se donne une électrique & très active commotion.--Bientôt on n'entend plus que soupirs, sanglots, petits mots charmants qui perdent tout à être répétés; gros mots de Mad. Durut possédée d'une double ivresse, & qui ne se pique pas, comme on sait, de rafinement.--

On se décompose enfin: on reprend des forces dans les flacons, on babille avec ce délire d'heureuse folie qu'aucun récit ne peut fixer.--Un excellent caffé, suivi des liqueurs les plus consommées termine ce voluptueux dîner.--

Le Comte très pressé (ou qui feint de l'être) d'assister à l'auguste Pétaudière, part tout de suite dans son rapide cabriolet. La Duchesse reste: l'adroite & complaisante Célestine prête son ministere pour la mettre en état de paraître au spectacle. Le Chevalier, dont on a renvoyé les chevaux, & qui n'a rien de mieux à faire que de se reposer, suit aux Italiens son équivoque conquête, qui l'enleve dans un vis-à-vis d'une élégance achevée, attelé de deux anglais sans prix pour la vîtesse & la beauté. =

Fin du premier Numero.

ERRATA.

Page 12. ligne 3. ont sursi, lisez, suffi.

Page 21. ligne 1. & une autre, lisez un.

Page 27. ligne 15. de Palais, lisez du.

Page 59. premiere ligne de la note, après équivoque, supprimez du.

LES APHRODITES. L'OEIL DU MAITRE. PREMIER FRAGMENT. MADAME DURUT, CELESTINE.

= Elles sont dans le logement de la premiere, & occupées de comptes.--Chacune a sous les yeux un livre de dépense, dont elles vérifient les articles.

Mad. Durut.

J'ai fait.

Celestine.

Et moi aussi, bien juste en même tems que toi.

Mad. Durut.

A combien, d'après ton addition, se monte la dépense du mois?

Celestine.

A neuf mille, six cents, quatrevingtquatre livres, douze sous.

Mad. Durut.

Barème ne serait pas plus correct que nous. J'ai le même total, à six deniers près.

Celestine.

Tu as raison: six deniers: je les oubliais à cette colonne.

Mad. Durut.

La recette?

Celestine.

Dix mille, huit cents, quatre-vingt-seize livres, dix-huit sous... sans deniers, pour le coup.

Mad. Durut.

On ne peut mieux.--Eh bien, Célestine? Quel est le métier, le commerce soi-disant honnête qui produiroit par mois, à raison de nos fonds, un bénéfice net de douze cents, douze livres, cinq sous, six deniers, tous fraix faits, & bien des petites fantaisies satisfaites, dont le prix se trouve inglobé dans la masse des dépenses?

Celestine.

L'observation est juste. Encore, ce moisci n'a-t-il pas beaucoup donné.

Mad. Durut.

Sans compter que j'ai réduit de près de mille écus les mémoires des bâtimens depuis l'approbation des comptes.

Celestine.

Tout doux, s'il vous plait, ma chere sœur. J'ai réduit est bientôt dit. Oubliez-vous que ce rabais, c'est à moi qu'on en a l'obligation, puisque j'ai fait ce qu'il fallait pour que M. Dubossage y souscrivît?

Mad. Durut.

Tu cries, Mademoiselle, avant qu'on ne t'écorche! regarde: lis: -- ( Elle produit un livret particulier. )--„Trois cents livres de „gratification à Mlle Célestine, pour le „dixieme d'une épargne de trois mille livres qu'elle a procurée à l'établissement.„ Et cela, sans préjudice de la part d'associée?

Celestine.

C'est parler cela: & j'aurais maintenant d'autant plus mauvaise grace à me faire trop valoir, que ce petit pince-sans-rire d'Artiste se donna les airs de me le mettre ( a ) sept fois pendant la nuit qui fut le pot-de-vin de votre arrangement.

Mad. Durut.

Sept fois, mon cœur! Oh, sur ce pied, ce sera moi, ne t'en déplaise, qui lui compterai, le 30, les mille livres qu'il doit recevoir. Je ne me prévaudrai nullement des dix jours de grace, & j'espere bien qu'en faveur de mon exactitude à payer, il daignera me faire tâter de son louable savoir-faire?

Celestine.

Rien de plus assuré, car il m'a dit plus de trois fois, à travers les beaux transports qu'il me témoignait, que tu devais être une excellente jouissance...

Mad. Durut, interrompant.

Je m'en pique...

Celestine, interrompant.

Mais, que tu lui en imposais.

Mad. Durut.

Le pauvre garçon! il est bien trop bon d'avoir peur de moi! Qu'il vienne: je lui ferai connaître qu'on m'approvise assez facilement, & que les gens qui parlent par sept ont le plus grand droit de tout oser avec leur très humble servante.--Mais poursuivons notre besogne; combien d'abonnemens restet-il encore à faire payer?

Celestine.

D'abord... celui du Commandeur de Palaigu.

Mad. Durut.

Qui? ce grand Jeudi (a) qu'on dit malade d'un satyriasis incurable?

Celestine.

Et qui depuis un mois à peine qu'il vient céans, a déjà fourbi tous les cus de la maison; il est homme à n'avoir pas épargné même celui de la vieille Pétronille.

Mad. Durut.

Je réponds du moins du mien. Mais quelle rage! Quant à Célestine: il est clair qu'elle y a passé?

Celestine.

Eh, mais sans doute, tout comme un autre.--Un jour il m'en contait. La fantaisie me prend de voir en quoi pouvait consister sa recommandable maladie. Ce caprice me met en connaissance avec un engin d'espece tout-à-fait nouvelle pour moi. Figure-toi la dureté du fer, neuf ou dix pouces de fûst, mais si peu, si peu de diamètre! une maniere de cerise, fort étranglée dans son rétif prépuce, couronne ce bel objet...

Mad. Durut.

Je croyais que pour continuer ta description en termes de l'art, tu allais après fust & diamètre nommer le gland chapiteau, & compter les pouces par modules. Depuis que nous sommes jusqu'au cou dans l'architecture, on nous excede de ces mots techniques.

Celestine.

Laisse-moi poursuivre.--Bref: j'ai dans la main le plus ridicule petit monstre de vit (celui-ci pour le coup est technique?) que la nature ait jamais eu le caprice de produire: je veux pourtant savoir s'il y a là de quoi faire passer agréablement le tems à une femme: j'essaye...

Mad. Durut.

Eh bien?

Celestine.

Je suis complettement attrapée. Peu d'adresse; nul aimant; un limage sec, méthodique, dont chaque tems-poussé me fait un petit mal. Le cher Commandeur s'apperçoit aussitôt que le jeu ne me plait guère. D'ailleurs il me paraît un peu faisandé : la menace de ses baisers me fait détourner la tête. Il prend donc son parti galamment, déconne, & me roulant sur le lit un demi-tour, vient tout uniment attaquer l'autre poste. Grace à la manie que j'ai de goûter beaucoup ce genre d'hommage, cela prend; je fais même à mon homme le plus beau jeu du monde. Là, pour le coup; il est délicieux: on n'encule pas avec plus de prétention, de ménagement & d'accessoires agréables. Depuis ce tems, je distingue fort M. le Commandeur, & me sers même volontiers de lui, quand je suis assez en gaîté pour faire la chouette.

Mad. Durut.

Sacrebleu, ma chere cadette! Il eût été bien dommage que tu ne fusses pas coquine! tu me dégotes, où le diable m'emporte, & j'en suis jalouse quelquefois.--Mais nous perdons du tems à babiller. A l'article suivant.

Celestine, d'après le régistre.

L'abbé Suçonnet est en retard de trois semaines.

Mad. Durut.

Peste! ne nous endormons pas. Il faut se dépêcher de le faire payer.--Bientôt ces malheureux Calotins n'auront plus que les yeux pour pleurer. Je crains que la dette de celui-ci ne soit fort aventurée.

Celestine.

Je réponds de le soutenir dans le monde avec une certaine aisance, s'il veut s'aboucher avec quatre ou cinq femmes de ma connaissance, très amateurs d'un service infiniment doux dont il sait parfaitement s'acquitter.--Ne t'a-t-il jamais gamahuchée ?

Mad. Durut.

Jamais: ces Messieurs ne me voyent guères qu'à la volée à travers le tracas que je me donne pour leurs plaisirs. La plupart du tems on ne songe pas à me proposer la moindre chose.

Celestine.

C'est ce qui fait que par fois tu proposes toi-même, n'est-ce pas?

Mad. Durut.

Mais, Dame! quand le loup a faim, il sort du bois.

Celestine.

Eh bien, demande à l'abbé Suçonnet un quart d'heure de glottinade.

Mad. Durut.

Qu'est-ce que cela?

Celestine.

C'est le nom qu'il lui a plu de donner à sa manœuvre favorite. M. Suçonnet, qui est un docteur, prétend que rien n'est plus significatif, & qu'il convient absolument d'emprunter du grec le nom d'une volupté dont les Grecs nous ont transmis l'usage.

Mad. Durut.

Que le mot nouveau soit grec ou parisien, tant y a que la gamahucherie (en vieux style) est terriblement bonne. Ces Grecs ont eu bien de l'esprit d'avoir inventé cela!

Celestine.

Et sûrement l'abbé les surpasse à le pratiquer. Fais-toi glottiner par lui, ma chère Agathe. Tu m'en diras des nouvelles.

Mad. Durut.

Tope, ma chère Célestine. ( Gaîment, en mettant un peu de papier dans sa tabatière. ) Voilà pour ne pas oublier d'être glottinée par l'abbé Suçonnet.--Après? ( on reprend le travail. )

Celestine.

Ici viennent quelques articles verreux.--Plusieurs Aristocrates-émigrans avaient écrit pour que leur abonnement continuât: ils en doivent le montant, & ils sont notés pour leur part des dépenses casuelles. Sans doute ils se flattaient de n'être pas aussi longtems absents: mais, n'ayant point assisté, peut-être refuseront-ils d'entrer en compte?

Mad. Durut.

Fi donc: quel ignoble soupçon! Ils payeront, Célestine. C'est de l'or en barre. Oh! s'il s'agissait de quelque dette d'un autre genre, comme pour habits, voitures, fournitures domestiques, il y aurait peut-être à batailler pour le payement. Mais, quand il est question pour ces Messieurs de demeurer Aphrodites, de n'être point rayés avec ignominie de la plus heureuse liste, crois qu'ils y regarderont de plus près. ( a )

Celestine.

Peut-être.

Mad. Durut.

Je te dis que leur dette envers l'établissement est sacrée, & qu'ils sont trop bien avisés pour manquer d'y faire honneur.

Celestine.

Soit: j'admire en effet comment, tandis que tout le monde a l'air de mourir de faim, nous voyons venir ici nos habitués les poches pleines.

Mad. Durut.

Tu seras bien plus surprise encore de voir les joueurs quand nous aurons une partie: ils regorgent d'or. Ce n'est pas que les espèces manquent, mais on n'ose en laisser voir, & plus on se refuse, par hypocrisie, pour de vrais besoins, ou pour un luxe extérieur que maintenant il est dangereux d'afficher, plus, en revanche, on est en état de faire des sacrifices pour de secrets plaisirs.--Après.

Celestine.

Rien de plus en souffrance quant aux abonnemens. Mais voici quelques non-valeurs d'un autre genre. = „Prêté, à Mad. de Braiseval, quinze louis. „--Elle devait les rembourser au bout de huit jours, le mois est près de finir.

Mad. Durut.

Passons: le lendemain du prêt je me suis fait rendre ces quinze louis par un vieil oncle de Mad. de Braiseval, assez sot pour être amoureux, gratis, de sa bannale niece. Si le pauvre diable savait à quel usage elle avait employé cet argent, il se repentirait bien, ma foi, d'en avoir fait le sacrifice. C'était pour récompenser le solide service d'un sauteur de chez Nicolet qu'elle venait de distinguer ; mais non pas comme Mlle Célestine distingue M. le Commandeur.

Celestine.

Si l'on jette des pierres dans mon jardin, gare la revanche.--Au fait:--Quand Mad. de Braiseval parlera de payer, il faudra lui donner quittance?

Mad. Durut.

Etourdie! que dis-tu! -- Il faudra recevoir. ( a )

Celestine.

Et si l'oncle a par hasard avec elle un éclaircissement?

Mad. Durut.

Il l'aura probablement. Où sont les hommes assez généreux pour obliger incognitò. Mais, pour lors, tu n'auras pas sçu... j'aurai négligé d'enrégistrer cette recette, & ne t'aurai prévenue de rien. Tu me renverras la Dame, que je menacerai, auprès de son mari, de quelques confidences de ma part qui n'iraient à rien moins qu'à la faire coffrer pour le reste de sa vie.. ( avec un air de mystère. ) N'ai-je pas fourni à cette Messaline jusqu'à trois Cent-Suisses en un jour! Elle ne défout pas.

Celestine, soupirant.

Grand bien lui fasse. -- „Avancé à la Vicomtesse de Chatouilly neuf cents soixante „livres en différens articles.„

Mad. Durut.

Cela sera bien payé.--En attendant cet argent n'est pas sorti de la maison. Il s'est répandu en petits salaires sur toute la marmaille mâle & femelle que je puis enrôler. Mad. la Vicomtesse a le talent d'occuper ici cette espèce pendant des matinées entières à se faire dorlotter, maniotter, tripotter, baisotter, suçotter, branlotter, à six francs par heure pour chaque individu.

Celestine.

Voilà par exemple une bisarre fantaisie!

Mad. Durut.

D'autant plus bisarre que si, par malheur, quelqu'un de ces petits êtres avait l'ombre d'un poil follet où tu sais, la Dame, furieuse, le mettrait brutalement à la porte, & me laverait la tête d'importance. Mais est-on bien ras, bien scrupuleusement imberbe? ce sont, de sa part, des transports! un délire!--Après cela, c'est son tour de fêter tous ces petits engins, toutes ces petites moniches..... c'est à mourir de rire, en vérité.

Celestine.

Et c'est là tout ce qu'elle fait?

Mad. Durut,

Le plus souvent il faut bien qu'elle s'y borne: quelquefois pourtant, un marmot précoce se trouve, à douze ou treize ans, déjà bon à quelque chose...

Celestine.

Je le crois parbleu bien. A neuf ans le petit cousin Georges bandait à merveille, & moi, qui n'en avais que huit, je m'amusais fort bien de sa petite broquette, que je ne suis pas même trop sûre de ne m'être pas mise une ou deux fois. Nous faisions du moins de bon courage tout ce qu'il fallait pour cela. Mais, la Vicomtesse? elle se donne le marmot.

Mad. Durut.

Elle en fait ce qu'elle peut. Cela ne fait que la mettre en train. Alors elle congédie la marionnette & fait entrer le premier-venu de ses gens, (qui sont tous des colosses) ou ce que je puis lui fournir ici de nouveau dans le même genre. Pour lors un braquemart du plus fort calibre la finit & la venge cinq à six fois de l'insuffisante pinette qui vient de l'émoustiller.

Celestine.

Cela n'est pas si sot au moins.--A ce grand genre, je parierais que cette femme est du plus haut vol?

Mad. Durut.

Ah, je t'en réponds.

Celestine.

Cela parle de soi-même. Qu'une petite bourgeoise se détraque, je la vois se permettre tout platement de faire cocu son imbécille d'époux avec un, deux ou six voisins de sa sorte, à travers des peurs & des périls inexprimables, & puis c'est toujours à recommencer. Mais vive la Qualité. C'est dans cet ordre que les belles imaginations déployent toutes leurs ressources. Que j'aime ces ambitieux tempéramens qui savent tout accaparer, tout s'approprier; qui font contribuer à servir leur insatiable desir, tous les âges, toutes les conditions! Que j'aime ces femmes brûlantes qui....

Mad. Durut, lui riant au nez.

Que le diable t'emporte avec ta bouffée d'éloquence. Veux tu te donner ici les airs d'une motionnaire du Palais-royal; ou te crois-tu à la tribune d'un bordel?--Allons, Mademoiselle; à nos comptes, & tâchons d'en finir. Car il est onze heures, & ton estomac doit t'avertir, comme le mien, que nous n'avons pas déjeûné. =

= Elles reprennent leurs calculs sans plus s'occuper d'autre chose. Cette tâche achevée, Mad. Durut sonne pour avoir du caffé.--On la fait longtems attendre.--Comme cette lenteur est quelque chose d'extraordinaire dans une maison où elle a établi la plus ponctuelle exactitude à servir, elle s'impatiente, se leve brusquement & va s'éclaircir des causes de ce retard.

MADAME DURUT, CELESTINE, ZOÉ (a), LOULOU. ( Même lieu. )

On entend d'abord Mad. Durut tempêter, voici les premières paroles qu'on distingue.

Mad. Durut, encore dehors.

Ah! je vous apprendrai, sacrée graine de couilles, à foutrailler ainsi dans ma maison, au lieu de faire votre service.--( Elle entre, amenant avec violence Loulou débraillé, & Zoé décolettée. Elle les rudoie & les secoue, furieuse.

Celestine, à Mad. Durut

Te voilà terriblement en colère! il s'est donc passé quelque chose de bien grave par là-bas?

Mad. Durut.

Je t'en fais juge.--Tandis que nous croquions ici le marmot à attendre notre déjeûné, ce petit scélérat qui devait l'apporter, ne s'amusait il pas à exploiter Mademoiselle sur le coin de la table à manger. Pendant ce tems, le caffé posé sur le marbre du buffet réfroidissait à son aise.--Comment donc! Si je n'étais pas survenue, ils en avaient encore pour je ne sais combien de tems: à peine ma présence a-t-elle pu leur faire lâcher prise.

Celestine.

Je le conçois: quand on y est, il y fait si bon!--Il faut convenir pourtant que l'endroit & surtout le moment étaient mal choisis. Voilà ce que je vois de plus criminel dans leur affaire.

Mad. Durut, courroucée.

Tu te fiches de moi, je pense! j'y vois bien d'autres crimes ma foi, & les impudens vont être corrigés en conséquence.

Loulou, à part, plus en colère qu'affligé.

Nous verrons ça. --

= Ce n'est pas sans quelque peine qu'il vient à bout de renfermer dans un étroit pantalon son petit engin encore tout en train de bien faire.--Zoé demeurerait la gorge découverte, si Célestine n'avait la curieuse complaisance de lui rajuster son fichu, après avoir, chemin faisant, un peu visité les séditieux monceaux qui décorent cette poitrine satinée. =

Mad. Durut, à Zoé.

De quel droit, petite effrontée, au lieu de vous tenir là bas où vous attache votre devoir, avez-vous osé venir de ce côté, où il vous est absolument défendu de paraître quand on n'a pas sonné pour vous?--Parleras-tu, coquine?--( Elle lui donne un soufflet. )

Zoé, sanglottant.

Mon Dieu, maîtresse! Loulou m'avait appellée, j'ai cru que c'était de votre part.

Mad. Durut, à Loulou.

Ah! c'est donc toi, petit fripon, qui...

Loulou, coupant.

Eh bien oui, c'est moi. Quoi! ne semblet-il pas que votre pavillon soit une église! Encore, entre-t-on bien à l'église sans tant de complimens.

Mad. Durut.

Attends-moi, petit malheureux, je vais t'apprendre à parler.--( Elle lève le bras comme pour le frapper, mais elle n'en a pas le courage, & certain regard, qui demande presqu'excuse, est bien peu d'accord avec le geste menaçant. )--Pourquoi avoir appellé cette petite gueuse?

Loulou, avec humeur.

Vous l'avez bien vu peut-être. Dame! si j'nous sommes joints, c'est qu'apparemment ça nous faisait plaisir, & que j'avions nos raisons.

Mad. Durut, redoublant de fureur.

Vos raisons! vos raisons! ah, petit coupejarrêt, tu fais le mutin, je pense! tu vas voir. ( Elle fait semblant de chercher un bâton, mais n'a garde de paraître remarquer ce qui serait sous sa main de propre à exécuter son projet de vengeance. )

Loulou, avec arrogance.

N'y venez pas au moins. Il n'y a ce que vous savez bien (a) qui tienne. Sans tant de barguignage, si vous n'êtes pas contente, metteznous tous deux à la porte. J'nous passerons bien de vous.

Mad. Durut, avec embarras.

Mais voyez un peu ce petit maroufle! ( se tournant contre Zoé. ) C'est pourtant cette gaupelà qui cause ici tout ce désordre.--( Elle lui court sus pour la frapper: Célestine se met devant & la sauve. )

Loulou, en fureur.

Jarnidié, Madame, ne vous avisez pas de frapper. Les maîtres n'ont plus droit de ça, je vous le soutiens ( il jette son chapeau avec colère. ) Il faut que tout ce chien de train-là finisse. J'aime Mademoiselle. Je m'en pique & je vous le dis. Là!--Elle me fait l'honneur de m'aimer aussi, & fichtre vous le savez bien, puisque vous avez vu ça...

Celestine, avec modération.

Finis, petit morveux, tu manques à ta maîtresse.

Loulou.

Qu'est-ce que ça me fait! J'ne voulons plus de son fichu service. Eh bien! n'est-on pas libre donc! J'sortons & j'allons nous marier.

Zoé, à Mad. Durut, d'un ton doux.

Oh mon Dieu oui, maîtresse. C'est pour cela...

Mad. Durut, plus furieuse.

Et toi aussi, vipère! c'est à qui sera le plus insolent! Je vais, je vais faire entrer le sourd ( a ), & leur en faire donner... -- ( Elle veut tirer le cordon d'une sonnette ; mais Célestine l'en empêche.... )

Loulou.

Qu'il s'y frotte. -- ( Il tire de sa poche, en menaçant, un petit couteau de six sous à prix fixe.--Mad. Durut a des convulsions de rage. )

Celestine, à Mad. Durut.

Un moment: ne t'emporte pas, & ne fais rien dans la colere. ( Elle ouvre la porte d'un cabinet. )--Passez là dedans, vauriens que vous êtes, on vous parlera tout-à-l'heure. ( Elle leur fait à part une mine d'amitié qui les décide à lui obéir. -- Elle les enferme. )

Mad. Durut.

Mais tu n'y penses pas! tu les mets ensemble! ils vont encore...

Celestine, avec humeur.

Il s'agit bien, ma foi, d'avoir ce souci! Appaisetoi, & m'écoute.--( Elle baisse un peu la voix. ) Imagines-tu donc qu'une fille née dans un climat brûlant & qui, depuis deux ans, ne cesse d'éponger, manier, caresser tous les engins qui viennent s'ébattre céans, va demeurer insensible comme un terme, & n'aura jamais envie de se le faire mettre?

Mad. Durut.

Fichu raisonnement!--Ne dirait-on pas que la coquine chome! Se passe-t-il une semaine sans qu'elle soit plus ou moins enfilée?

Celestine.

Oui, par des capricieux qui, le plus souvent, ne lui plaisent guères, ou qui lui en imposent, ou qui étant d'un âge trop disproportionné, ne lui donnent pas l'ombre du plaisir. Mais avec un Loulou joli, frais, son égal, & qu'elle peut dominer, c'est autre chose. Cette fortune est délicieuse pour elle.--Ce n'est pas tout d'avoir l'autorité, ma sœur, il faut être juste.

Mad. Durut.

Tout cela est bel & bon.--Mais est-il juste aussi que cette petite saloppe ait appris à ce polisson une chose... sur laqu-elle je voulais qu'il demeurât quelque tems encore tout-à-fait ignorant...

Celestine, interrompant.

Parce que tu te réservais de la lui apprendre toi-même. Crois-moi, dans ce genre, c'est duperie d'instruire à demi. Dès qu'un écolier, une fois, a connaissance du con, le diable a bientôt fait de lui révéler tout ce qu'on en peut faire. Il fallait tout d'un tems passer maître ton blanc-bec, & si Zoé te l'a soufflé, tu n'as, en vérité, que ce que tu mérites.--Mais, laisse-moi là ce petit balourd. Il n'y a pas un de ses camarades qui ne le vaille, ou mieux; pour ce que tu faisais de lui. Léger, Lavigne branlent & gamahuchent comme des Anges: tu peux t'en rapporter à moi.--Je veux que tu renvoyes Loulou, dont la Duchesse se plaignait encore l'autre jour, & qui me parait avoir un mauvais caractere... Mais, où vas-tu donc?--( Pendant toute cette tirade Mad. Durut a paru distraite & rêveuse. Elle vient de se mettre à genoux pour regarder par le trou de la serrure du cabinet où sont renfermés les coupables. Elle les surprend recommençant à commettre la faute pour laqu-elle ils sont punis. )

Mad. Durut, avec bruit.

Tiens, tiens, Célestine, ne l'avais-je pas bien dit! ils n'en font pas à deux fois... il se laisse faire! c'est elle qui le fout ! la chienne!

Celestine, déplaçant sa sœur.

Il faut voir cela... ( Elle regarde. )--Ma foi, ce sont de bons enfans. Ils nous entendent fort bien, & n'en vont pas moins leur petit train. Voilà de la vocation. ( Elle se leve. ) A leur place j'en aurais fait autant. Rien ne console comme un petit coup à la dérobée...

Mad. Durut,

(Qui a pris la place à l'instant où Célestine l'a quittée. )--C'est pour me braver. Non, non, je ne souffrirai pas.

Celestine, la prenant par le bras.

Leve-toi!... arrache-toi, te dis-je, de cette maudite serrure... ( Elle chante ) Ne dérangeons pas le monde ; laissons chacun comme il est...

Mad. Durut, ne se dérange point encore.

-- Après une petite pause. -- Oui, oui, déchargez, chiens maudits, vous allez maintenant trouver à qui parler. La clef, Célestine? ( Elle tremble de fureur. )

Celestine, donnant la clef.

La voilà; mais je gage qu'ils se seront mis sous la sauve-garde des verroux & ils auront fait à merveille.

--En effet la clef tournée, la porte ne s'ouvre point. En vain Mad. Durut s'agite avec violence, s'estropie à force de frapper des pieds & des poings, l'heureux couple demeure tranquille.--Pour lors Durut, partant comme un trait, va chercher assistance, mais avant son retour, Célestine secrete protectrice de tout intérêt libertin, a fait évader les bons enfans, leur conseillant d'aller se cacher séparément jusqu'à ce que cette importante affaire se soit un peu civilisée. A peine sont-ils en sûreté que Mad. Durut rentre, suivie d'un aide-jardinier muni d'une hache.

Mad. Durut, de loin encore & toujours en fureur.

Qu'on me jette cette porte en dedans, tout de suite.

Celestine, gaîment.

Ce n'est pas la peine. Les moineaux ont déniché.--( Au jardinier ) Gervais? retirez-vous. -- ( Il obéit.) --Que de bruit, ma sœur! De la vilaine jalousie à l'occasion d'un morveux de domestique! tu perds l'esprit.

Mad. Durut.

Que sont-ils devenus?

Celestine.

Qu'importe!

Mad. Durut.

Ils n'échapperont pas à ma vengeance.

Celestine.

A bon compte, ils n'en ont pas eu le démenti. Sous ton nez ils ont fait leur affaire.. Il n'y avait qu'à rire de toutes ces espiègleries.--Voilà pourtant une insurrection du plus dangereux exemple pour cet ordre de serviteurs, & qui rend indispensable de chasser Monsieur Loulou; oui chasser sans pitié pour ton fichu caprice; j'entends que tu ne gardes le petit drôle sous aucun prétexte.

Mad. Durut, un peu à contrecœur.

Soit. Il fera bien de ne pas se montrer devant moi, je lui arracherais les yeux.

Celestine.

Non: tu le caresserais. -- Quant à Zoé...

Mad. Durut, avec feu.

Chassée, sans miséricorde.

Celestine.

Cela te plait à dire.--Il faut songer qu'elle nous tient lieu de cent cinquante louis dont cet escogriffe de Créole nous faisait banqueroute sans l'accommodem ent qui te fit agréer cette petite créature.--Si elle veut nous rembourser (& peut-être le pourrait-elle) à la bonne heure: sinon, elle restera. Tu sais qu'elle nous est fort nécessaire; & comment la remplacer?

Mad. Durut.

Oh! gâtes-la donc tant que tu voudras. Je te jure, moi, qu'à sa première fredaine, puisqu'elle à tant de goût pour se faire mâtiner, je lui fais passer impitoyablement sur le corps une vingtaine de Forts de la Halle, & qu'elle en aura jusqu'à ce qu'elle creve sur la place.

Celestine.

Si j'étais condamnée à mourir, je ne voudrais pas d'un autre supplice.--Mais remettons le jugement de ce grand procès à un moment plus calme, & d'abord déjeûnons... ( Elle sonne. ) Je ne perds pas la tête, moi, pour qui Mons Loulou n'est de rien:--Respirons, & nous songerons ensuite à mille petits soins qu'exige la négociation singulière pour laqu-elle on doit se rendre céans à cinq heures précises.

OU EN SOMMES-NOUS. SECOND FRAGMENT.

= La conversation qu'on va lire, se passe dans le logement de Mad. Durut, où l'usage est d'introduire d'emblée toutes les personnes connues qui ont à lui parler.

(a) LA MARQUISE, MADAME DURUT. La Marquise, gaîment.

Me voici.

Mad. Durut.

Soyez la bien-venue, Mad. la Marquise: vous arrivez la première, mais la personne que vous attendez sera probablement bien-tôt ici.

La Marquise.

Je n'aime pas cette négligence; elle ne présage rien de bon.

Mad. Durut.

Permettez; vos ordres étaient pour cinq heures; ( Elle regarde à samontre ) il n'est que quatre heures vingt-six minutes.

La Marquise.

Avais-je dit cinq heures! j'aurais donc pu rester quelques momens avec ce pauvre Vicomte, que j'ai impitoyablement jetté à la porte de sa petite maison de la barrière, sans me laisser fléchir par les instances qu'il me faisait de m'y reposer. Je le connais: il m'aurait amusée; j'ai craint d'arriver trop tard à mon rendez-vous. Quand il s'agit d'affaires...

Mad. Durut.

Sans doute: & d'aussi importantes encore que celle qui vous conduit ici, je conçois que l'on doit se piquer d'exactitude.

La Marquise.

Voilà pourtant une demi-heure que je vais regretter.

Mad. Durut.

Vous savez, Madame la Marquise, qu'ici on ne manque pas de moyens de tuer le tems. Madame voudrait-elle... un livre?

La Marquise.

Je ne lis jamais.

Mad. Durut.

Madame ferait peut-être plus volontiers un tour de jardin.

La Marquise.

Il fait trop de vent.

Mad. Durut.

Je puis procurer à Madame, un peu de société.

La Marquise, avec indifférence.

Comme quoi?

Mad. Durut.

J'ai là haut un Baron allemand... Il n'est éveillé que depuis une heure. C'est dommage qu'il ne soit pas encore ivre, autrement...

La Marquise.

Quel amphigouri faites-vous là?

Mad. Durut.

Je dis des choses fort raisonnables.

La Marquise.

Vous me proposez un Allemand? un ivrogne?

Mad. Durut.

A la bonne heure. Mais vous allez un peu vîte, & vous ne m'avez pas laissé le tems de vous expliquer que mon Baron n'est pas un homme ordinaire.--D'abord, il est porteur d'un goupillon de huit à neuf pouces...

La Marquise, avec dédain.

Je ne vois que cela.

Mad. Durut.

Que le ciel vous conserve la vue, Madame.

La Marquise.

Après?

Mad. Durut.

Et puis, lorsqu'il s'y met, il n'est pas chiche d'eau bénite, & ce n'est, ventre bleu, pas de l' eau bénite de cour.

La Marquise.

C'est quelque chose. -- La figure?

Mad. Durut.

D'un gros réjoui.

La Marquise.

L'âge?

Mad. Durut.

Vingt-quatre ans tout au plus.

La Marquise.

La couleur?

Mad. Durut.

Il est blond.

La Marquise.

Fade?

Mad. Durut.

Au contraire. Une nuance de plus il serait relevé.

La Marquise.

Cela parle-t-il?

Mad. Durut.

Allemand, oui: & il commence à jurer passablement en français.

La Marquise, ironiquement.

Comment donc! vous me parlez là d'un petit seigneur bien aimable?

Mad. Durut, avec finesse.

Il faut le voir quand il est monté ?

La Marquise.

Vous êtes folle, ma chère Durut. -- Que voudriez-vous que je fisse d'un ivrogne, moi qui les déteste?

Mad. Durut.

Oh mais: celui-ci ne boit pas par défaut, c'est par régime, par nécessité...

La Marquise.

La soif est donc chez cet homme une maladie?

Mad. Durut.

Non pas, mais au contraire un principe de santé. Il faut que M. de Widebrock ait bu pour qu'il se souvienne qu'il est au monde... Autrement, on le croirait en léthargie. Vers la troisieme bouteille, son ame, qui s'est cachée, on ne sait où, pendant les heures d'inaction, recommence à vivifier la matérielle enveloppe. Alors les bras, les jambes, les yeux & le reste, tout cela commence à se mouvoir, & peut aller par dégrés un train de diable, à mesure que les flacons sont mis à sec. Il a soupé tête-à-tête hier avec une Chanoinesse de Maubeuge, qui ne sable aussi pas mal. Elle a confessé ce matin sept crises: & je sais qu'elle ne compte ordinairement que de la troisime opération, qui est la première qui lui fait plaisir, car elle est aussi, comme le Baron, dans un autre genre, un peu difficile à émouvoir. Ils ont bu quatorze bouteilles...

La Marquise.

Voilà bien de l'étalage pour sept misérables services. J'ai cela en deux heures toutes les fois que je veux bien veiller avec Foutenville, qui ne soupe qu'avec une compote & deux verres d'eau! Cependant je voudrais peut-être voir ce Baron, comme une curiosité. Mais, du secret? on me honnirait parmi mon monde, si l'on savait que pareil caprice pût m'être passé par l'esprit... On se gâte au moins en fréquentant cet hospice.

Mad. Durut.

J'avais cependant oui dire qu'avant que nous n'eussions l'honneur de coucher Mad. la Marquise sur notre régistre, elle avait bien voulu s'humaniser par fois avec ses laquais?

La Marquise, sans humeur.

Eh bien: qu'est-ce que cela prouve! vous aviseriez-vous de mettre en parallèle nos gens, élégans, jolis garçons, stilés la plupart du tems par nous-mêmes, avec des étrangers, des automates ? c'est le mot.

Mad. Durut.

J'avoue n'avoir pas d'abord saisi cet objet par le beau côté.

La Marquise.

La main à la conscience, ma chere Durut: avouez que, même en France, il n'y a, pour le boudoir, que le militaire & la haute-livrée? Tout le reste est à faire pitié... Quelquefois encore les talens se font distinguer. Mais tous ces illustres sont si capricieux, si gâtés, & d'ailleurs si peu propres à la chose! Le chanteur craint d'affaiblir sa poitrine : le danseur ménage ses jambes & craint de ne pouvoir s' enlever. Un Bel-esprit! ne m'en parlez pas. Dans les bras d'une femme, il chantourne un hémistiche; & si quelque rime longtems implerée lui survient, il quitte son travail pour courir la mettre en écrit... mais laissons cette discussion, & parlons enfin de l'objet pour lequel je suis ici.--L'homme que tu m'as choisi, remplira, comme tu me l'as mandé, toutes mes vues?

Mad. Durut.

Je crois pouvoir en répondre.

La Marquise.

Il est bien fait? ni trop, ni trop peu remarquable?

Mad. Durut.

Absolument tel que je vous l'ai dépeint.

La Marquise.

On pourra le montrer partout?

Mad. Durut.

C'est un homme très comme il faut! il a servi quelque tems: mais pauvre & sentant qu'il ne sortirait jamais des grades subalternes, il quitta. Au surplus, il est bon gentilhomme...

La Marquise.

C'est son affaire. Les preuves que je lui demanderai ne sont assurément pas de la compétence de Chérin. D'ailleurs, où je veux le mener, il se trouve, en maniere de gentils-hommes, des gens... au niveau desquels il n'est pas difficile de se mettre... Ah! quel mélange j'ai vu tout par-là, dans mon premier voyage! quelle dose de foi ne me fallait-il pas avoir pour attacher l'idée de Chevaliers français à des Matamores enmoustachés, costumés à la diable, & se donnant comme exprès, une tournure de mangeurs de petits enfans! J'avoue que j'ai vu par contre la plus agréable jeunesse & des individus qui seraient délicieux ailleurs. Mais, dans ces foyers, où, du matin au soir, on les travaille dans le sens de leur destination, les plus aimables ont, sur l'article des femmes, un air de désintéressement... qui m'a réduite, en un mot, à revenir exprès à Paris chercher un être à ma fantaisie, & que je puisse à mon tour travailler selon mes projets.--Je ne veux pas d'un compagnon de voyage efféminé, suspect d'aucun genre de mollesse...

Mad. Durut.

Celui que vous verrez, est brave comme son épée. Quoi qu'il ait un grand air de douceur, il n'en a pas moins couché déjà sur le carreau deux Fendants, dont l'un était le meilleur écolier de mon cousin. ( a )

La Marquise.

Ce n'est pas non plus un tapageur qu'il me faut.

Mad. Durut.

Vous serez contente, vous dit-on.

La Marquise.

Tu l'as prévenu que, s'il était agréé, rien ne lui manquerait?

Mad. Durut.

Ce n'est pas ce qui a paru l'intéresser le plus. Il a beaucoup demandé si vous étiez aimable? Je vous ai définie sans vous flatter; il a paru transporté de plaisir. Comme j'ai scrupuleusement évité de parler de vos agrémens, il doit supposer que vous en êtes peu pourvue. Il a eu la délicatesse de ne pas marquer, à cet égard, la moindre curiosité.

La Marquise, avec demi-soupir.

Voyons: tu aurais eu la main bien heureuse! du tems qui court, les hommes délicats sont des phœnix: puisses-tu ne t'être point abusée... ( elle baille. ) Bon Dieu! que cette demi-heure est longue!

Mad. Durut.

Il y a tout juste six minutes que vous l'endurez.

La Marquise.

Pourrait-on avoir un de ces petits amuseurs?

Mad. Durut.

A votre service.--Il y a une place vacante: si Mad. la Marquise protégeait quelqu'un?

La Marquise, froidement.

Non: mon Médor est trop mûr. La barbe lui pousse, & il trousse déjà toutes les filles du quartier. Je vais le réleguer à l'écurie.

Mad. Durut.

Je voudrais une place de ce genre pour mon Loulou que je réforme... ( elle s'attendrit ) & ce n'est pas sans bien du regret.

La Marquise.

Vous êtes folle, durut. Tout le monde se plaignait de ce petit malotru. L'Enginiere m'en parlait encore il y a deux jours. Qu'a-t-il donc fait pour perdre votre extrême faveur, qui seule le soutenait envers & contre tous?

Mad. Durut.

Il s'est permis une rebellion abominable. C'est, j'en jurerais, un fichu Jacobin ( a ) déguisé qui le voit ici deux ou trois fois par semaine, & qui l'aura dégoûté de mon service pour l'attirer chez lui.

La Marquise, avec effroi.

Vous venez de me glacer! prenez-y garde au moins, ma chere Durut: ici des Jacobins! Si la peste se déclare une fois dans cet asyle du plaisir, personne n'y mettra plus le pied. Vous êtes ruinée, & nous tous au désespoir.

Mad. Durut, sonnant.

J'y regarderai de près, je vous jure. ( On frappe deux petits coups en dehors pour marquer qu'on est à portée de recevoir le commandement. Mad. la Marquise veut-elle Léger? la Vigne? Criquet?

La marquise.

Le petit brunet de l'autre jour, il a tout plein d'intelligence....

Mad. Durut.

Je le crois: c'est Célestine elle-même qui l'a dressé. -- ( plus haut ) Belamour? ( On frappe trois petits coups pour marquer que l'on a entendu, & que la commission va être faite. )

La Marquise.

Le met-il?

Mad. Durut.

Si l'on voulait. Mais cela n'irait nullement à Mad. la Marquise.

La Marquise.

C'était pour savoir seulement; car je ne donne pas dans les marmots. ( On siffle pour annoncer quelqu'un d'attendu. )

Mad. Durut.

Voici pour le coup votre homme... ( En même tems Belamour parait. ) -- ( à Belamour ) Conduisez Madame au No. 8. & servez (a)

= La Marquise passe fort gaîment avec Belamour à l'endroit qui lui est destiné.--Mad. Durut ferme après eux & se dispose à recevoir la personne que le sifflet vient d'annoncer. --C'est en effet le Cavalier attendu pour l'objet de Madame de Fièremotte.--Celle-ci, tandis que Mad. Durut va préparer encore mieux le nouveau-venu, se fait rendre par Belamour un petit service fort agréable, dont elle attend l'effet en lisant un des plus chauds passages de la Matinée libertine qui se trouve avec d'autres brochures du même genre sur une chiffonnière, conformément à l'usage établi dans cet hospice de prévenir en tout genre les desirs des habitués.

(a) LIMECOEUR, MADAME DURUT. Mad. Durut.

Vous arrivez à propos, Monsieur de Limecœur. La belle Dame est ici depuis quelque tems: elle commençait à perdre patience.

Limecœur.

Je crois cependant n'être pas en retard... ( La pendule sonne cinq heures. ) Voilà ma justification. Au surplus, ma chère Madame Durut, comme je ne viens que pour me dédire...

Mad. Durut, étonnée.

Comment?

Limecœur.

J'ai réfléchi sérieusement sur le parti que j'étais sur le point de prendre avec trop de légéreté. J'ai senti qu'un homme de mon état, ayant mes sentimens, s'exposerait beaucoup...

Mad. Durut, avec embarras.

Parlez bas, je vous prie... ( Elle va examiner si personne n'est à portée d'entendre. ) Où avez-vous dîné?... Etes-vous ivre?

Limecœur.

Laissez-moi vous déduire mes raisons. Quel rôle, s'il vous plait, jouerais-je là bas, jetté parmi l'essaim de nos héros, que je verrais ne respirer que pour le salut de l'Etat & du Roi, tandis que j'y serais honteusement, moi, le greluchon d'une femme? Non, ma chere Durut, la chaine du plaisir, le bonheur de sortir du labyrinthe des embarras par la plus agréable porte ne me tentent point assez pour me faire oublier ma naissance, un état que je regrette; en un mot, ce que je dois à ma famille, au public, à moi même...

Mad. Durut.

Vous êtes fou, mon cher Monsieur: mais ce qu'il y a de malheureux, c'est que vous l'êtes froidement & d'une maniere bien maussade. Il faudrait toute une harangue pour réfuter les mille & une bêtises que, ne vous en déplaise, vous venez de distiller dans votre court exposé. Au surplus, j'ose espérer de votre honnêteté que vous vous prêterez du moins à ce qui convient pour que je n'essuye point, à votre occasion, une scene fort désagréable.

Limecœur.

Vous pouvez tout exiger.

Mad. Durut.

Il ne s'agit que de garder in petto, jusqu'à nouvel ordre, vos étranges scrupules, & de vous comporter aujourd'hui, comme si tout de bon vous aviez envie de nous tenir parole.

Limecœur.

Quel bien en résultera-t-il?

Mad. Durut.

D'abord, que je ne serai point compromise. Ensuite, que peut-être tout naturellement la Dame en question vous ouvrira quelque porte par où vous pourrez décemment échapper. Car enfin, vous n'êtes encore ni visité, ni essayé. Toutes les apparences sont en votre faveur, je l'avoue, mais nous avons sous la main tant de gens qui conviennent admirablement pour notre objet!...

Limecœur.

Il y aurait moyen, ce me semble, de donner à l'arrangement projetté, des formes moins humiliantes pour un homme de mon état...

Mad. Durut.

Oh! nous baisons bien les mains à votre état, mais, c'est de quoi nous nous foutons (a), entre nous...

Limecœur.

Ne serait-il pas bien plus naturel, (au lieu de ces tournures qui assimilent un galant-homme à un cheval marchandé à la foire) que cette Dame m'accordât une heure de franc tête-à-tête? Si nous nous convenions bien fort... alors...

Mad. Durut,

( Portant avec tranquillité les mains à la culotte de Limecœur & le déshabillant. )--Je vais d'abord juger d'une partie des convenances. ( Elle met à l'air un Boutejoye roide & d'une louable dimension. )--Ceci, premierement, ne fera pas nullité.

Limecœur.

Heureusement on ne me prend jamais sans verd!

Mad. Durut,

( Sans mot dire, examine en connaisseuse tous les détails principaux & accessoires. ) Et combien.... mais de la bonne foi? combien cela peut-il, l'un dans l'autre, fournir dans le courant du mois?...

Limecœur.

Je ne me suis point occupé de cette expérience. Mais je puis, sans gasconade, garantir pour un certain tems, deux ou trois services par jour.

Mad. Durut, ironiquement.

Deux ou trois! sans craindre la pleurésie; vous êtes économe à ce que je vois!--Je ne vous demande pas si vous vous entendez à tout l'accessoire? Il serait d'autant plus nécessaire que vous ne vous obligez pas à des merveilles, quant au capital.

Limecœur.

Franchement, ma chere Durut, cette conversation ajoute beaucoup à mes répugnances. Forgez quelqu'excuse polie qui me fasse pardonner ma retraite. ( Il plie boutique. ) Je pars.

Mad. Durut.

Et vous ferez une sottise insigne. Cependant, demeurez un moment: je vais essayer, (sans savoir encore comment m'y prendre) de rompre la partie quant à l'émigration. Peut-être accrocherai-je pour vous la faveur d'une séance; vous ne la méritez guères, n'importe: il suffit que j'aye pris intérêt à vous pour que je ne vous abandonne pas absolument. Attendez ici: d'ailleurs, sans mon signal, on ne vous ouvrirait nulle part.

Elle est sortie d'assez mau vaise humeur pour aller raconter de point en point à la Marquise tout ce qu'on vient de lire. Celle-ci, fort émoustillée par le service de Belamour, & la tête montée par la lecture du livre en question, se trouve singulièrement contrariée.--Après un moment de réflexion:

La Marquise.

Il est clair que cet homme est un sot: mais il est estimable, & c'est peut-être ce dont nous devions le moins nous flatter. Va lui dire, Durut, qu'il n'y a rien de fait, mais qu'avant de rompre toute négociation, je veux causer un moment avec lui.

Mad. Durut.

Vous allez le mettre au comble de la joie.

La marquise.

Allez: & informez-vous de ce que fait le Baron Allemand. Qu'il se monte, entendez-vous? J'aurai peut-être besoin de cette distraction pour effacer le sérieux de tout ceci.--Emmenez cet enfant: je vous le recommande. Il sert comme un petit Ange: ( à Belamour, en lui donnant un louis. ) Va, mon bel ami. ( Belamour baise respectueusement la main de sa bien-faitrice, & se dispose à suivre Mad. Durut.

Mad. Durut.

Ainsi donc, je puis introduire notre Philosophe?

La Marquise.

Oui: s'il consent au masque-aveugle (a)... Qu'on prépare quelques glaces...--Attendez... apporte-moi à tout hasard... un masque de vieille... Non... un demi-masque à la Vénitienne...--Allez.

Mad. Durut se retire emmenant Belamour.

--Limecœur est bien content de l'audience dont on vient lui annoncer la faveur: cependant la cérémonie du masque ne laisse pas de lui déplaire: si ce n'est pas une mystification qu'on lui destine, du moins sa mascarade va lui faire perdre une partie des douceurs de sa bonne fortune: telle est sa secrete pensée, dont il n'ose toutefois faire part à Mad. Durut qui lui a déjà montré quelque humeur. Il se résigne donc & prend courage, en brave Chevalier français.--On lui fait quitter tous ses habits pour ne revêtir qu'un pantalon de soie blanche très-juste à la peau, des pantoufles à la turque, & un gilet de satin blanc parfaitement à sa taille, sur lequel se renverse la large collerette d'une chemise de la plus belle toile d'Hollande, garnie, ainsi que les manches, d'un point de prix. Cette toilette s'exécute, sous les yeux de Mad. Durut, par les mains de Zoé qui n'y néglige rien de ce que peut exiger la plus coquette propreté... Tout ce qui est nécessaire à celle de la bouche se trouve sous la main de Limecœur. Le ressort de son masque est adroitement niché dans ses cheveux auxquels l'habile Zoé, du bout de ses jolis doigts, donne une tournure pittoresque & piquante. C'est dans cet état que Limecœur est conduit au boudoir où la Marquise l'attend. ( a )

COLIN-MAILLARD. TROISIEME FRAGMENT. LA MARQUISE, LIMECŒUR masqué, MADAME DURUT. La Marquise, ( Voyant que Limecœur hésite en entrant. ) Approchez, Monsieur.

Limecœur, bas, à Mad. Durut.

Le délicieux son de voix?

Mad. Durut, sans répondre, conduit Licœur à portée de la Duchesse assise sur une... (il faut bien trancher le mot) sur une fouteuse (a). Dès qu'une main de la Marquise a pris celle de Limecœur, Mad. Durut, laissant la clef du masque, se retire & enferme les acteurs.

La Marquise,

( Avec douceur, tenant dans ses mains celle de Limecœur. )--Prenez place à côté de moi. Je ne vous gronde pas de vos scrupules. Un galant-homme peut les avoir. Mais ( lui pressant un peu la main ) pourquoi soupçonner, au péril d'être injuste, une femme qu'on ne connait point, du projet de déshonorer celui dont elle attend sa sûreté & ses plaisirs! Cruel Limecœur! vous avez voulu mettre une barriere entre nous; je la respecterai. Mais je suis offensée. Il me faut une vengeance. ( Avec tendresse. ) Méchant! elle sera de te donner des regrets. -- ( Elle lui donne un baiser, dont on ne doit pas oublier que la conformation des masques laisse à tous deux l'entière liberté. )

Limecœur, avec feu.

Ah Madame! n'ajoutez pas à ceux ( les regrets ) que font naître d'avance la justesse & la bonté de vos expressions.

La Marquise.

Non, mon ami. La vengeance est le plaisir des femmes & des Dieux... Je veux qu'en te séparant de moi, tu détestes ton aveugle injustice. ( un baiser ) Je veux que ton repentir aille jusqu'au remords. ( Un baiser plus vif accompagné de l'application, comme involontaire d'une main sur l'exaussement que cause la fière contenance du Boutejoye sous les mailles élastiques du pantalon. )

Limecœur, avec transport.

O Magicienne! Intelligence céleste! Divinité!.. ou qu'êtes-vous? Quoi! lorsque votre ordre cruel a condamné la voie qui peut conduire en un clin d'œil jusqu'au cœur le feu subtil de l'amour, vous savez encore y atteindre, l'embraser par la mélodie de vos sens, par la magie de vos levres! déjà vous m'inspirez! déjà mon erreur est maudite!--

Pendant cette tirade sentimentale dont la Marquise, quoiqu'enchantée, ne fait que sourire, Limecœur jouant des mains, d'abord avec circonspection, est étonné de cette taille si fine, de cette gorge si séparée, si ferme, qu'on lui laisse parcourir. Limecœur qui ne sent rien à demi s'enflamme à l'excès: il souleve avec timidité des jupes d'une légéreté non moins indicative que commode. Comme on fait en même tems chez lui des progrès à proportion des siens, il se permet de palper amoureusement les cuisses & le reste... La perfection qu'il y trouve, n'ajoute pas moins à sa paision qu'à son étonnement. Le bijou brûle encore à la suite du vif exercice que vient de lui donner le petit préludeur. Limecœur croyant ne pouvoir faire trop humblement amende honorable devant des charmes provisoirement outragés par ses doutes; assez peu présomptueux d'ailleurs pour ne pas abuser si vîte du droit de triompher, se précipite, & colant sa bouche sur l'adorable sillon, lui donne en maître cette magnétique friction que bien des Dames préferent aux plus solides services. La Marquise éprouve bien vivement qu'un Cavalier mûr & qui intéresse, donne beaucoup plus de plaisir qu'un marmot dont un livre lascif doit seconder les tiedes fonctions. La Marquise renversée, une cuisse jettée pardessus l'épaule du délicat Limecœur, endure jusqu'au dénouement (qui n'est pas éloigné) cet hommage sublime. A peine son effet ravissant commence t-il à se tempérer que, se soulevant & saisissant en silence le savant gamahucheur (a), elle l'attire sur elle, l'entraine sur son sein, le dévore de baisers, affranchit de toutes ses entraves le Boutejoye bouillant d'impatience & d'ardeur, & d'une main palpitante de lubrique fureur se le plante... non brusquement; il n'y aurait pas moyen, à moins d'en être déchirée, mais avec toutes les tournures qui peuvent hâter le bonheur d'héberger un visiteur aussi recommandable. Il n'est pas encore totalement intronisé, que déjà des flots de vie ont frappé les voûtes du sanctuaire des voluptés, mais ce n'est qu'un à compte fortuit de tout ce que cette union va faire naître de délices. Un second sacrifice succede sans nuance au premier, & tout de suite un troisieme, plus doux, plus savouré des deux parts, créant de nouveaux plaisirs, fait tomber enfin ces dignes athletes dans une délirante agonie. Que de soupirs échangés qui frappent jusqu'au fond de la poitrine! Que de mots enchanteurs! Que de palpitations, d'étreintes, de bonds, dont chacun exprime ce qu'aucun art ne saurait décrire, mais ce qu'imagineront sans peine les lecteurs assez heureux pour être eux-mêmes susceptibles de sensations aussi sublimées!

La Marquise.

Tel eût été, mon cœur, le régime de notre voyage.

Limecœur.

Tel eût été! Tel sera, céleste créature... ou tu auras juré ma mort. Crois que je ne puis plus t'abandonner... que je m'attache à toi pour la vie... que je suivrai tes pas... fût-ce au centre de la terre.

La Marquise, gaîment.

Quelle folie! voilà bien toute la conduite d'un écervelé! gendarmé contre mes propositions avant de m'avoir vue! Converti subitement pour une misere, & jetté tout aussi ridiculement que de l'autre façon dans un délire de tendresse... attends donc que tu saches si j'en suis assez digne.

Limecœur, s'écriant.

Toi! digne assez de mon amour! Ah! que ne suis-je un Dieu moi-même pour être digne de t'aimer.

La Marquise.

Il est fou, ce cher Limecœur: mais il faut lui pardonner, il est bien aimable...

Elle lui prend la tête avec un emportement badin, le baise & lui porte ses charmans tetons à la bouche; il en dévore amoureusement les fraises durcies par le desir. En même tems elle se délecte à promener une main électrique le long du rable le plus moëlleusement profilé.

La Marquise.

Comme il est fait ce démon-là! ( Passant ailleurs, elle le trouve dans le plus bel état possible. ) Mais je ne suis pas encore assez vengée... (Au même instant elle se remet le vigoureux Boutejoye à qui cet impromptu lascif donne un surcroît d'ardeur... ils s' unifient. ) -- Jouissons ( dit encore la Marquise ) le tems est à nous.

Limecœur, s'agitant sans pétulance.

Et tu seras assez cruelle pour ne pas rendre tout moi-même heureux! mes yeux seuls seront privés de la jouissance de mille beautés.

La Marquise.

Ah! garde-toi bien de me presser sur cet article.. L'illusion est la mere du bonheur. Si tu venais à voir mon horrible visage!--( Elle suspend un instant ses mouvemens : Limecœur redouble les siens. )

Limecœur.

Eh! que fait un visage quand on est toi! quand on a tes attraits, ton ame, ton aimant!... Sois un monstre, & voici encore comme tu seras fêtée. --

= Il lime avec délire, il mord tendrement la langue de la Marquise, il attire son haleine, il est complettement fou. Le jet prolisique fait frémir les entrailles de l'heureuse Marquise. Mais Limecœur a trop de passion, on l'a trop irrité pour qu'il s'en tienne là. Malgré le conseil, plus amical que senti, qu'on lui donne de modérer ses transports, il recommence, & finit glorieusement une cinquieme carrière. D'aussi beaux procédés mériteraient bien sans doute que la Marquise fût généreuse à son tour, & rendît à cet honnête amant l'usage de la vue; mais il vient de passer par la tête de la Dame une folie dont elle se promet beaucoup d'amusement, & qui exige que sa beauté peu commune soit encore pendant quelques momens au secret pour.....

Limecœur.

Eh bien? Délicieuse horreur? ( lui dit-il ) que risques-tu maintenant de me montrer ta figure? me prouveras-tu que ces dents égales dont le poli parfait vient d'étonner ma langue, que ce menton satiné,quecetterespirationderose,sont d'un spectre effrayant! N'ai-je pas touché les demi-globes de tes longs yeux! tes cils fournis n'ont-ils pas chatouillé délicieusement mes levres amoureuses! puis-je ignorer que Bérénice ne pouvait avoir de plus beaux cheveux que les tiens! Diane pouvait-elle avoir la tête mieux placée sur un col arrondi par l'amour! Prouve, prouve-moi donc ta laideur, femme cruelle, & menage-moi l'occasion de te prouver à mon tour que tout ce dont je ne puis juger fût-il affreux, je connais déjà de toi plus qu'il n'en faut pour que je t'idolâtre le reste de ma vie.

Pendant que Limecœur peignait avec tant de feu sa très sincere ardeur, la Marquise a poussé, sans qu'il s'en soit apperçu, certain bouton qui a fait sonner où il convient pour que Mad. Durut se montre. Comme on n'a sonné qu'une fois, (ce qui signisie qu' on veut du mystère ) Mad. Durut (si bien toutes choses sont minutieusement soignées dans cette maison) Mad. Durut, dis-je, a pu ouvrir sans que Limecœur ait été le moins du monde averti. Dès que le passage est libre, la Marquise alerte comme un chevreuil, s'élance & fuit.--Mad. Durut fort tranquillement prend la clef du masque tyrannique & rend la vue au pauvre Limecœur qui, ne voyant rien qui lui rappelle sa céleste amante, demeure stupide & près de se trouver mal.

Limecœur, hors de lui.

Où donc est-elle?

Mad. Durut.

Sans doute au séjour des intelligences célestes. Une Déesse s'évapore comme l'odeur d'une fleur. ( Ces mots ont rapport à l'inexprimable étonnement que marque Limecœur de se trouver dans une piece éclairée d'en haut, & où il n'y a aucune apparence de porte. )--Vous êtes ici, mon cher ami, dans le pays des sortilèges.

= Comme il est réellement dans un état à faire compassion, la bonne Durut le force à prendre un peu de vin d'Espagne qui vient de se trouver sous sa main dans un tour masqué, aux différents étages duquel sont quelques fruits superbes, des biscuits, des confitures sèches & plusieurs flacons de vins de liqueur.--C'est avec assez d'indifférence que......

Limecœur se restaure un peu, disant.

= Magique, mais fatal quart-d'heure, tu me coûteras la vie, si je dois ne pas revoir bientôt celle qui t'a fait naître... ( Il tombe aux pieds de Mad. Durut. ) C'est vous que j'implore, Madame. Vous seule pouvez me rendre le repos & me garantir du désespoir. Promettez moi de m'être propice: retrouvez-moi ma Sylphide, ou plongez-moi tout de suite un poignard dans le cœur.

= Mais tandis que l'aguerrie Durut (sur qui tous ces superlatifs de l'amour ne font guères d'impression) sourit à la frénésie du désespéré, Zoé ( a ) survient, munie de tout ce qui est nécessaire pour réparer le désordredel'extravagant, & pour le remettre dans son premier costume.--Elle est aussi porteuse, de la part de la Marquise, d'une carte qu'elle glisse adroitement à Mad. Durut.--( Celle-ci lit dans un coin. ) „Ne serait il pas piquant „que, sans bouger, je rendisse Limecœur „clairvoyant, infidèle en ma faveur à tout „ce que m'a juré Limecœur-aveugle! viens „me parler, Durut: occupe notre ensorcelé: „je t'attends au jardin. „= Mad. Durut a si bonne opinion des sentimens de Limecœur qu'elle le laisse entre les mains de Zoé, pour aller parler à la Marquise. Cette retraite afflige étrangement Limecœur, qui, s'il n'était à peu-près nud dans ce moment, ne manquerait pas de courir après Mad. Durut pour la supplier de chercher & de retenir l'adorable invisible: il est encore si naïf (quoiqu' Aphrodite agréé, mais non reçu ) qu'il craint de parler devant Zoé du souci qui le tourmente. Tête-à-tête avec la Négrillonne, il supporte impatiemment que cette enfant remplisse, (autour des objets que veut cacher la pudeur) le plus avilissant ministère, mais c'est en vain qu'il défend... (aussi peut-être un peu par fausse honte) ses pièces, qui ne sont plus dans un état brillant; la friponne, aussi acharnée après elles que les Matassins après le derrière de M. de Pourceaugnac, ne le tient quitte qu'après qu'elle l'a épongé, seché, & si dextrement patiné qu'il est, avant la fin de cette stimulante toilette, beaucoup plus montrable qu'à son début. C'est alors seulement que Zoé quitte l'air sérieux qu'elle avait auparavant. L'amour-propre de cet être sensible souffrait de ce qu'entre ses mains, un jeune homme, quelque fatigué qu'il pût être, tardait à donner des signes de résurrection. Elle donne gaîment une tournure aux cheveux: quand le moment est venu de faire entrer un petit habilleur pour la chaussure & le reste, Limecœur veut faire un présent à......

Zoé, qui répond.

Grand merci, Monsieur. Je ne reçois jamais rien pour ces petits soins. J'en suis recompensée d'avance. ( Elle s'échappe en riant. )

Limecœur, à lui-même.

Tout est magie dans ce lieu de délices!

LIMECŒUR, MADAME DURUT. Mad. Durut.

Mauvaises nouvelles, mon cher. L'invisible s'en va grand train vers Paris, & c'est cette nuit même qu'elle part pour l'Allemagne. Elle était si pressée que, son carrosse lui ayant manqué, elle se sert sans façons de ton cabriolet ( a ).... N'es-tu pas bien heureux!

Limecœur, avec transport.

Oui, sans doute: car Figaro n'a pas manqué de monter derrière? Je saurai pour le coup...

Mad. Durut.

Prrr,! comme cette cervelle trote! Figaro, s'enivrant au Tournebride avec la valetaille, ne s'est pas seulement apperçu qu'on dérangeait ta voiture. Quelqu'un d'ici le remplace & ramenera bien vîte le cabriolet, ton invisible ayant promis de n'aller avec que jusqu'à la barriere, où elle prendra le premier fiacre pour se rendre à son hôtel.

Limecœur, accablé.

Il est noir celui là! Durut? vous venez de m'assommer, de me tuer. Comment! vous, consentir à cet arrangement funeste! sans me prévenir! sans me faire avertir qu'elle s'échappait. Je suis un homme perdu! ce scélérat de Figaro! je le mets en poussière! ( il est furieux. )

Mad. Durut.

Tu es fou, mon cher Limecœur! mais d'un mot, je vais remettre ta pauvre tête.--Cette femme est laide à faire frémir.

Limecœur, avec feu.

Impossible.

Mad. Durut.

Un monstre, te dis-je!

Limecœur.

Oui, d'astuce & de cruauté.--Après des momens si doux!....

Mad. Durut.

Delà, justement, nait ta disgrace. Te voyant du caractere ; sentant qu'il lui serait ridicule de prétendre à fixer un homme de ta tournure, & dont elle m'a dit un bien... Ah! du moins n'est-elle pas ingrate!

Limecœur.

Eh! que m'importe son éloge. Elle m'assassine en me louant!

Mad. Durut.

Calme-toi.--Ne trouvant pas chez toi, dis-je, l'étoffe dont on fait un sotcomplaisant à l'épreuve de la difformité, triomphante d'un moment d'illusion tel que peut-être elle n'aura de sa vie le bonheur de faire renaître le pareil, devait-elle risquer la chance d'être vue, au péril de te glacer & d'essuyer la plus humiliante mortification!

Limecœur.

Quelle raison avait-elle de douter si je suis généreux?

Mad. Durut.

Tu vaux beaucoup trop pour elle: il ne faut à cette femme qu'un factotum: un bon diable qui voulût bien, en voyage, se charger de mille soins, & faire sans répugnance la nuit un galant service.

Limecœur.

Sans répugnance! je l'aurais trouvé ravissant: n'en a-t-elle pas déjà fait l'épreuve?

Mad. Durut.

Fort bien. Mais quand on y voit! bénis plutôt la Providence. Voici de quoi te désenchanter: c'est le gage qu'on m'a chargée de te remettre du cher souvenir qu'on veut conserver de ton aveugle tendresse & de la reconnaissance éternelle qu'on voue à tes excellents procédés.--( Elle produit en même tems une bonbonnière d'écaille blonde à cercles d'or étoilée, sur le couvercle de laqu-elle est fort bien peinte une figure bisarre, horriblement camarde, avec de gros yeux ronds & une large bouche. )--C'est le portrait fort ressemblant de ta Déesse avant sa petite vérole.

= Tout ceci n'est qu'une mystification. La boëte est du magasin de Mad. Durut, munie d'une infinité d'objets de mauvais comme de bon goût, qui jouent leur rôle tour-à-tour. Ce n'est pas pour la premiere fois que cette caricature est mise en scene: elle ne restera pas dans les mains de Limecœur.

Limecœur,

( Après quelques momens de contemplation stupide. )--Je dois convenir que cette tête n'est pas belle... N'importe: quand je place dessous, un corps admirable...

Mad. Durut.

Oh! pour bien faite; on l'est.

Limecœur.

Mais voyez donc, Mad. Durut? cette gorge est manquée. Elle l'a céleste.

Mad. Durut.

Un peu noire. Et puis, il y en aurait trop peu pour certaines gens.

Limecœur, soupirant.

On se ferait à ces yeux-là.

Mad. Durut.

Ah! je trouve moi que, pour toute expression, ils demandent l'aumône à la porte d'une culotte... Mais ce nez en revanche! un nez qui laisse voir la cervelle! c'est à boucher le sien.

Limecœur.

Je vous jure, Mad. Durut, que le Zéphir n'est pas plus pur...

Mad. Durut.

Que sa bouche peut-être. Mais pourquoi, vous masqué, voulait-on avoir un masque? C'était pour étouffer... suffit... nous en savons des nouvelles.

Limecœur.

Les femmes sont sans indulgence pour leur sexe. ( Il baise la boîte avec transport. ) Laissesles dire, Ange de plaisir! Qui que ce soit au monde ne te fera perdre une cause que l'amour plaide si chaudement dans mon cœur, Je ne connais de toi que des charmes... Je partirai, je volerai sur tes pas, ( il s'anime de plus en plus ) je ferai, dans tous nos foyers d'émigration, de si scrupuleuses recherches, qu'aidé de ton portrait, oui, de ce portrait qui s'embellit à chaque instant pour moi, je te déterrerai enfin... &... je me vengerai. Je te ferai repentir de tes perfidies... car... perfide, tu l'es: oui, tu l'es, jusqu'au crime.

Mad. Durut.

Allons, allons, mon cher. C'est assez d'élégie. Quelqu'un pourrait avoir besoin de cette pièce ( a ). Eloignons-nous; & puisque tu dois attendre le retour de ton cabriolet, profitons d'un quart-d'heure que j'ai de libre aussi, pour aller faire un tour au jardin-anglais.

Limecœur.

Il m'est égal où je passe le tems. Dès que je ne suis pas avec elle: dès qu'elle fuit sans moi!... Quel rafinement! c'était pour m'empêcher de l'atteindre, la cruelle, qu'elle m'a mis traitreusement à pied.

Mad. Durut.

Raison de plus pour l'oublier.--Sortons. ( Elle emmene Limecœur au jardin. )

La conclusion de cette aventure se trouvera dans le No. suivant: l'ordre chronologique veut qu'on rende compte à sa place de ce qui se passait en ce moment même dans un autre endroit de la maison.

L'HABIT NE FAIT PAS L'HOMME. QUATRIEME FRAGMENT.

Un Quidam de grotesque tournure, & qu'il est impossible de ne pas reconnaître pour un Gascon tout brut, s'est présenté à la porte publique des bureaux de l'hospice.--Porteur d'une lettre pour Mad. Durut, il l'a demandée avec une arrogance peu pardonnable à un homme fort mal en point, & qui est venu à pied. Comme tout se passe avec le plus grand ordre chez les Aphrodites, & que, qui que ce soit d'inconnu, n'est admis dans l'intérieur sans avoir subi de rigoureuses épreuves, le Gascon introduit dans une chambre, qui se ferme aussitôt à grille de fer, & reçu par un homme peu accueillant trouve ce genre fort mauvais. Il s'offense surtout des questions sèches qu'on prend la liberté de lui faire. = De la part de qui Monsieur vient-il?--Eh! cap-de-bion, de la mienne.--Peut-on voir cette lettre?--Qué mé veut ce vélitre ? Es-tu Mad. Durut, l'hôtesse de céans? Qui m'a fait un tel maroufle! Apprends, faquin, qué lé Chevalier de Trottignac ( a ) n'a rien à répondre à tes pareils; c'est à cette femme süle que j'ai affaire. La lettre est d'un seignur de mes amis; mais jé jure sur cette lame dé né la remettre qu'à son adresse. Qu'on me présente quelquez-un dé digne, que je lui parle, je me ferai donner satisfaction d'un petit servitur qui sé donne les airs d'interroger un homme de ma qualité.

= Pour toute replique à cette tirade, le commis insulté tourne, à sa portée, une manivelle qui n'a pas fait deux tours que le pétulant Gascon, parlant encore, tombe, vîte, mais sans secousse, dans un trou de quatre pieds de large en carré, sur six de profondeur. Une claire voie ferme aussitôt cette trappe.--On avait fait avertir d'avance Mad. Durut; mais dans ce moment, occupée de Limecœur & de la Marquise, elle a renvoyé à Célestine le soin de savoir ce que peut être un aussi scabreux original que ce nouvel arrivé.--On conçoit bien que le pétulant Gascon entre quatre murs de planches, & ne respirant qu'à la faveur de la claire-voie du haut, se débat comme un démon, jure, menace? enfin la peur le prend; il crie au secours, au meurtre, dans le moment où survient la charmante Célestine. =

CÉLESTINE, LE CHEVALIER DE TROTTIGNAC, dans sa boîte. Celestine.

Bonté divine! (dit-elle) que se passe-t-il donc?

Le Commis souriant & sans répondre tourne la manivelle en sens contraire: on voit monter & s'élever hors du plancher comme une guérite, qui est toute la caisse dans laqu-elle le pauvre Gascon s'est enfoncé. Bientôt cette machine est au niveau du sol: un des flancs est à claire-voie de barreaux tournés, distans l'un de l'autre de sept pouces. Mons Trottignac a commencé de se rassurer quand il a senti qu'il remontait, & quand ses premiers regards ont été frappés d'une beauté qui n'a nullement l'air d'en vouloir à sa vie. Ce n'est pas sans une extrême difficulté que Célestine réprime l'envie d'éclater de rire que lui cause le contraste de la tournure tapageuse du prisonnier avec son air glacé d'effroi: d'ailleurs l'homme que nous avons décrit n'est pas un objet ordinaire pour une jeune folle qui n'a jamais vu de Gascon si complettement du crû. = ( Le Commis s'est retiré. )

Celestine.

Je suis fâchée, Monsieur, que les usages de cette Maison se combinant mal avec la vivacité qui paraît vous être propre, il en ait résulté des choses dont en effet vous n'ayiez pas lieu de vous louer. Mais soyez persuadé qu'ici vous êtes en parfaite sûreté: votre intérêt propre est servi par les extrêmes précautions qu'on prend avec tout inconnu, n'importe de quel rang, qui peut paraître chez nous.

Trottignac.

Madame... en vérité... jé né suis pas déraisonnable... Si l'on m'avait prévenu. Est ce enfin à Mad. Durut que j'ai la favür de parler.

Celestine.

C'est à sa sœur qui partage ici toute son autorité. Mad. Durut vous prie d'excuser, si elle ne peut dans ce moment vous entendre elle-même... Je lirai, de sa part, si vous le voulez bien, la lettre que vous avez fait annoncer...

Trottignac, hésitant.

Madame... j'avais cependant juré de ne la remettre qu'à la personne elle-même... mais qui pourrait vous refuser quelque chose... voici la lettre... Maintenant jé puis espérer sans doute de sortir de cé Capharnaum?

Celestine.

Dans un moment vous serez libre. ( Elle décachete, & jette avec une involontaire expression de dégoût, l'enveloppe fort crasseuse. ) -- Elle lit bas :

LETTRE. Au Château de Bombardac, le..... 1791.

„Je t'envoye, très-chère Durut, un diamantbrut qui bientôt aura dans tes habiles mains tout l'éclat dont il est susceptible.--Tu m'as paru embarrassée par fois „lorsqu'il s'agissait de fournir, pour les pas-„sades, sades, de robustes tapeurs: tu n'as pas toujours sous ta main ce qu'il faut pour cet „objet. Voici un grivois que tu auras pour „un morceau de pain ( a ): tu pourras l'at-„tacher à ton établissement, il y fera merveilles. C'était le taureau du canton. Les „ Rouées, les Patraques à grands besoins te „payeront fort cher un pareil ouvrier. D'après cet échantillon, tu pourras établir une „spéculation: je suis au centre de cette denrée, & quoique sur le point de m'absenter, je me fais fort de t'en fournir une „pacotille. Songe que les moines manquent, „& que tous les laquais sont en passe de devenir des seigneurs. Tu pourras écrire: mon „chargé-d'affaires t'aura bientôt fait passer une recrue. Nos infortunés houbereaux „seront trop heureux de trouver cet agréable débouché. Mais ne t'attends pas à voir „arriver autant de Trottignacs. Lorsque tu „auras vérifié de quoi il tourne, tu sentiras „que ces mérites-là ne se rencontrent point „par douzaines. L'individu n'est que ridicule, mais d'ailleurs fort maniable. S'il s'avisait de prendre le haut-ton, en le menaçant „du bâton, tu le remettrais aussitôt à tous „devoirs. Adieu la plus utile des Citoyen-„nes-actives, nes-actives, & la plus essentielle amie du „Vicomte de Bombardac.„

P. S. Quand ma lettre, qui va s'acheminer vers Paris au petit pas, te sera remise, „j'aurai déjà repassé les Pyrenées. Ce n'a „pas été sans peine que j'ai pu rassembler „quelques centaines de louis. Je te préviens „que Trottignac te tombera sur les bras sans „le sou, sans chemises, & peut-être sans culottes; aide-le pour l'amour de moi; tes „avances ne seront point perdues... Je t'embrasse & baise la belle Célestine partout où „elle voudra.„

Celestine.

Voilà qui est à merveille, Monsieur. D'après le bien infini que dit de vous un homme à la recommandation duquel nous devons beaucoup d'égards, je prends sur moi de vous assurer qu'il sera fait ici tout ce qui peut vous être convenable. ( Elle sonne trois fois. ) Reste une petite formalité.

Alors il entre un chirurgien-examinateur ayant autour du front un garde-vue de taffetas verd-ciré qui s'abaisse jusqu'au menton en s'écartant du visage. On devine que c'est une maniere d'annoncer aux gens qu'on ne songe point à regarder leurs traits, & que c'est plus bas que se dirige le ministère doctoral. Un petit domestique, à la suite, porte une aiguière avec sa cuvette, & du linge.... Cet appareil ranime les craintes du Gascon. Célestine l'appaise, & lui dit fort amicalement qu'il ne s'agit que de s'assurer s'il est en parfaite santé...

Trottignac.

C'est qu'en vérité l'on dirait que c'est pour se foutre des gens, qu'on les reçoit ici.

Celestine, un peu haut.

On ne s'y fout de personne, Monsieur. Les Princes eux-mêmes veulent bien se soumettre aux invariables usages de cet établissement. Je veux bien vous répéter que, si vous devez vous y attacher, il y va de votre sûreté propre qu'aucun germe vénérien ne puisse s'introduire parmi nous.

Trottignac, radouci.

Allons donc: avec votre diable de mine & votre raison si bien raisonnante, si vous ordonniez qu'on m'écorche vif, je serais, ou le diable m'emporte, assez fou pour y consentir.

Celestine, au Chirurgien.

Visitez, Monsieur.

Trottignac s'exécute: il produit à travers les barreaux de sa cage un braquemart énorme que Célestine voit bien du coin de l'œil, quoique, pour le decorum, elle se soit écartée de quelques pas. Le Chirurgien, après avoir mis le respectable outil dans un état de propreté qui lui manquait, palpe, visite, reconnait l'état des génitoires, des aines, du périnée, & trouvant le tout en état de parfaite santé, fait son rapport à Célestine. Celle-ci pour lors s'approche & ouvre la clairvoie qui est une porte, dont elle a la clef. Le bouillant Gascon, tout débraillé, s'élance &, dans son premier mouvement, veut se jetter, avec la familiarité de gens de son pays, au cou de l'adorable créature. Elle le repousse sans humeur.

Celestine.

Tandis que nous y sommes, & pour ne pas abuser à plusieurs fois de votre complaisance, je vais vous demander une toute petite chose encore.

Trottignac.

Ordonnez, belle poulette, je me mettrais au feu pour vous.

= Il s'agit de quelque chose de beaucoup moins difficile.--D'un signe, compris par le petit domestique, (demeuré par son ordre) elle se procure une mesure, de bois, d'environ un pied de diamêtre: cet ustencile est relié du haut par un cercle de fer auquel sont adaptées quatre chaines égales, symétriquement placées, & qui aboutissent à un gros anneau, suspendant ainsi le boisseau comme un encensoir. L'anneau est épaissement & mollement bourré par dedans. Il s'agit que la personne dont on veut éprouver le dégré d'érection, introduise dans cet anneau le gland de son boutejoye & soutienne plus ou moins de livres pesant de boulets & balles de divers calibres qu'on place successivement dans le boisseau.--Trottignac, résigné à tout ce que pourra lui prescrire une charmante personne qui a le bonheur de lui plaire, se soumet d'autant plus volontiers à l'épreuve, que Célestine veut bien placer elle-même l'anneau. Cette cérémonie ne peut qu'ajouter beaucoup aux moyens du lubrique candidat. La mesure contient d'abord un quintal... Il l'enlève comme rien...--Vingt livres de plus.--Bagatelle.--Dix livres de plus.--Il n'y paraît pas.--Dix de plus.--Il les supporte... =

Celestine.

Je cesserai quand vous direz assez.

Trottignac.

Mettez toujours...

Celestine, ajoutant dix livres.

N'allez pas faire quelqu'effort dont vous puissiez être incommodé.

Trottignac.

Si j'avais le droit de.... ( Il lève une main comme pour arriver au fichu... Une mine digne & sevère l'arrête, mais le boisseau ne bouge point encore. )

Celestine, mettant deux poids de cinq livres chacun.

Si vous soutenez ceci de plus, vous serez l'égal de nos plus forts pensionnaires.

Trottignac.

Mettez-les à la fois. ( Il les supporte & fait même subir à cet énorme poids un petit balancement... il ne souffre pas qu'on le retire si vîte. Ce n'est qu'au bout de trois minutes qu'il le laisse descendre sur le plancher.

Celestine.

A merveilles, Monsieur. Vous serez des nôtres.--Votre dessein n'est pas de retourner à Paris?

Trottignac.

Non, Dieu me damne, je ne connais personne dans cet enfer-là. J'aif ailli m'y perdre dix fois par hure.

Celestine.

Vos effets?

Trottignac,

( Montrant un petit sac de nuit qui est dans un coin de la chambre. ) Voilà tout: mes équipages & mes gens arriveront à loisir, si le diable ne les emporte pas.

Celestine.

Nous pourvoirons à tout en les attendant. ( Au petit domestique ) Conduisez Monsieur au pavillon de retraite: qu'on lui donne une chambre du corridor... vous y porterez des rafraîchissemens.

Trottignac.

Mieux que cela, sandis, ou je crève: je n'ai rien pris depuis mon déjuner. Jé mé sens un apétit dé loup.

Celestine.

Eh bien! tout ce que Monsieur ordonnera. Suivez cet enfant, Monsieur. On vous laissera reposer jusqu'à demain. Vers midi l'on fera demander de vos nouvelles.

Trottignac.

Pour Dieu, Mademoiselle, épargnez-moi d'avoir davantage à faire à ces maroufles de Commis, de visitur...

Celestine.

Cette corvée est faite: ce sera tout autre chose désormais: allez.

Trottignac.

Pour qué ma fortune fût complette, il faudrait qu'une aussi charmante friponne qué vous eût la bonté de la partager.

Celestine.

Rien que cela! vous allez grand train, Monsieur de la Garonne. Allez en paix: on vous donnera ce qu'il vous faut...--( Trottignac se retire à petit pas, se retournant plus d'une fois pour revoir la belle Célestine. )

Celestine, seule.

Voyez un peu ce pied-plat!--

Le Commis rentre: Célestine fait enrégistrer la lettre du Vicomte, le rapport du chirurgien & le montant du poids, avec la circonstance des trois minutes pendant lesquelles le vigoureux Gascon l'a supporté.--Le détail de cette admission sert à faire connaître une partie de l'administration intérieure de l'hospice des Aphrodites.--Bien entendu que tout le monde n'est pas encagé comme le pauvre Trottignac: son ton tapageur lui a seul valu cette disgrace; mais le serment de tous & chacun des membres de la Société comporte de se soumettre à la visite aussi souvent qu'elle pourra être exigée. D'ailleurs les personnes honnêtes & de bonne volonté qui se montrent pour la premiere fois, sont examinées dans un lieu plus commode, plus décent, avec toute sorte de ménagemens & de politesses.

Fin du second Numero.
LES APHRODITES. ELLE A BIEN FAIT. PREMIER FRAGMENT. ( La Scène est chez Mad. Durut, dans sa chambre à coucher: elle est encore au lit. MADAME DURUT, CELESTINE, en négligé de travail, du matin. Celestine, à mi-voix.

Dort-on toujours? puis-je entrer?

Mad. Durut, baillant.

Entre, entre, Célestine: je dormais encore, mais n'importe.

Celestine, faisant jour.

Oh ça, dis-moi, ma chère aînée. Ne m'est-il pas un peu permis de te chanter pouille! Comment! une maîtresse de maison! le Chef d'un sévere établissement, faire l'école buissonnière! disparaître! se rendre invisible pendant quatorze heures? Que dis-je! nous alarmer tous! car les conjectures n'avaient plus de bornes: chacun raisonnait de ton éclipse à sa guise. = „ C'est quelque malheur arrivé à ses affaires de Paris qui l'aura fait partir secretement, disait l'un.--Pourvu que ce ne soit pas cet endroit-ci lui-même qui soit menacé (disait un autre) & que notre Dame, qui connait le danger, n'ait point commencé la premiere à s'y soustraire!„ Je ne finirais pas si je te rapportais tout ce qui s'est dit. Ce que nous avons ici de gens à toute épreuve venaient tour-à-tour me rendre compte du détail de cette fermentation.--Pendant ce tems-là, moi, qui n'étais pas sans embarras!.. Mais t'es-tu rendormie?

Mad. Durut.

J'écoute.

Celestine.

Et tu me laisses parler sans repliquer un seul mot!

Mad. Durut.

Q'ai-je à dire à tout cela, moi! Les sots sont faits pour déraisonner, & les gens de bon sens pour en rire.

Celestine.

Mais, en un mot: où étais-tu à l'heure du souper? à minuit? à quatre heures? à cinq? Et quand es-tu rentrée dans ta chambre? Dans ce lit, où je pense, jamais l'heure qu'il est, ne t'a surprise?

Mad. Durut.

Quelle heure est-il donc?

Celestine.

Neuf heures.

Mad. Durut.

Que cela! passe encore.--Je vais te répondre par ordre. A l'heure du souper, je soupais: à minuit j'étais fort bien: à quatre heures, à cinq, tout aussi bien. Je suis rentrée dans ma chambre à six, & quoiqu'il soit plus tard que l'heure où je me leve ordinairement, j'ai fait mon sommeil moins long que de coutume, car tu sais que je dors volontiers sept heures de suite quand j'en ai le tems.

Celestine.

Fort bien: mais en me mettant au fait de tout ce dont je me passerais, tu n'as pas dit un mot de ce que je voulais savoir.

Mad. Durut, se soulevant.

Tout est fermé? personne ne peut nous entendre?

Celestine, après avoir fait sa revue.

Nous sommes en sûreté.

Mad. Durut, prenant une main de Célestine.

Ecoute: Si jamais tu trouves une occasion d'être foutue neuf fois, rubis sur l'ongle, je te pardonne d'avance une escapade telle que la mienne d'hier soir.

Celestine.

Cela n'est pas encore fort clair.

Mad. Durut.

Comment! tu ne comprends pas qu'on me l'a mis neuf fois?

Celestine.

Qui?

Mad. Durut.

Lui: l'incomparable.

Celestine, impatientée.

Qui diable donc? tu me ferais sauter au plafond: explique-toi.

Mad. Durut.

Pourquoi n'as-tu pas assez d'esprit pour deviner?--Le Gascon d'hier: l'illustre Chevalier de Trottignac.

Celestine.

Comment! cet original?

Mad. Durut.

Oui, tu dis bien: original : & dont il est même assez difficile de voir des copies.

Celestine.

Ceci commence à m'intéresser: conte, conte-moi tout.

Mad. Durut.

Tu me fis dire que tu prenais sur toi d'agréer un nouveau-venu recommandé par le Vicomte de Bombardac: & que tu avais permis qu'on servît à cet homme tout ce qu'il demanderait?

Celestine.

Eh bien?

Mad. Durut.

Comme après avoir dévoré six côtelettes, une volaille, gobé huit œufs au jus, & arrosé le tout de trois bouteilles de vin d'Epernay, M. le Chevalier demandait le second service ; les gens effrayés vinrent me faire part de cette singularité. Je voulus voir un peu quel était donc ce mortel doué d'un si remarquable appétit. Comme d'ailleurs on se plaignait de la hauteur & de la rudesse de son ton, je ne venais assurément pas disposée à lui faire des complimens: j'arrive... Mon grivois ne voit pas plutôt un cotillon mettre le pied dans sa chambre que, s'élançant par la ligne droite & franchissant la table, culbutée avec tout ce qui la couvrait, il me joint, me saisit avant que j'aie eu le tems d'ouvrir la bouche... Je ne suis pas de plume? Eh bien, malgré cela je suis enlevée, portée, jettée sur le lit &, sans qu'on m'ait dit gare, j'en ai de neuf pouces au travers du con.

Celestine, gaîment.

Ouf! quel accident!

Mad. Durut.

Pendant ce tems mon tempérament & ma colere se prennent aux crins: je crois me débattre, je fous: je crois mordre, je baise: je crois égratigner, je chatouille: une bordée, décochée si roide, qu'il me semble que je vais la rendre par le nez, me donne un moment l'illusion d'une pompe à feu dont on m'aurait appliqué l'embouchure: je suis suffoquée de rage & de plaisir: l'endiablé Gascon double, triple, me secoue, me met en eau, me matte enfin: oui, Célestine: je l'avoue à ma honte. Trois foutus coups d'une seule pièce m'avaient mise à bas, moi, si fière d'avoir fait tête à trois Carmes relevés de trois dragons, à cette gageure de la Courtille. ( a )

Celestine.

C'est le cas de dire que les armes sont journalières.--Mais trois coups! cela n'a pas dû être si long!

Mad. Durut.

Non: mais il fallait bien se parler ensuite. Et puis, comment m'en aller! mon drille restait planté-là dur comme fer! oh! je suis bien élevée: je n'aurais jamais eu l'impolitesse de déloger un vit qui me faisait l'honneur de se trouver bien chez moi. Je n'avais plus du tout envie de gronder, malgré le dégât que venait de faire la pétulance de cet homme, & l'irrévérence qu'il y avait de sa part à brusquer de la sorte une maîtresse de maison.

Celestine.

Je conçois en effet que si tu avais pu te douter de ses dispositions, tu lui aurais bien laissé le tems de faire le tour de la table & de te dire un petit mot de galanterie avant de se ruer sur toi. Au reste sa fougue avait quelque chose d'obligeant qui devait te flatter; & je la lui pardonne.

Mad. Durut.

Et moi, de toute mon ame.--Vous êtes pourtant un drôle de corps, (lui ai-je dit) car il fallait bien...

Celestine.

Sans doute: la dignité du sexe & de l'administration! cela se sent: tu le grondes pour la forme? eh bien?

Mad. Durut.

Sandis ( me replique le grivois ) une belle enfant que j'ai vue là bas m'avait dit qu' on me donner ait tout ce qu'il me faudrait. Il me fallait justement une jolie femme: on me députe Vénus! jé suis Mars: Venus est foutue.

Celestine.

Le compliment n'est pas neuf, mais il est court, & le débit a de l'énergie.

Mad. Durut.

Vénus est bonne: il faut savoir justifier une comparaison. = „Tu m'as l'air d'un luron? (lui dis-je en riant)--Je m'en pique.„ = Et en même tems lui de recommencer à jouer du croupion; moi, polie, je ne laisserai pas un galant homme avoir toute la peine: j'en détache donc à mon tour. Dame! il fallait voir comme nous nous portions des bottes de longueur: ce n'est pas pour rire quand un vit de neuf à dix pouces recule jusqu'à deux doigts de son museau pour se rengouffrer tout de suite avec majesté jusqu'au poil. Sacredieu! le foutre moussait de côté comme une savonade ( a ).... Voyons ce que cela deviendra. Baste! c'est tout comme si l'on ne faisait que de commencer. Il m'en flanque encore une dose, & moi, qui suis en fonds, je ne lui fais pas attendre la monnoie de sa piece...

Celestine.

En voilà quatre de bon compte?

Mad. Durut.

Tout autant.--Nous respirons: je n'avais pas soupé. Il n'en fallait pas tant pour me donner de l'appétit. Je sonne: je fais monter un fricandeau, un gigot, avec cette grosse moitié de pâté que tu sais, & un panier de fix bouteilles assorties. Nous nous campons bravement tout cela sur l'estomac...

Celestine.

Tout!

Mad. Durut.

Il n'en est, parbleu, resté miette ni goutte.

Celestine.

Il y avait de quoi crever.

Mad. Durut.

Je ne m'en suis pas sentie: voilà comme je suis. C'est de même de la bagatelle. Je n'en fais pas débauche; je sais même m'en passer. Mais si je me débride une fois... Ah dame! ce n'est pas pour peu. Et puis j'avais le petit mot pour rire.--Je crois, par exemple, que Trottignac n'a pas inventé la poudre; du moins, s'il a de l'esprit ce n'est pas à table qu'il peut en faire preuve. Toute son ame est alors dans ses dents & son gosier. Je l'agaçais, il ne répondait que par monosyllabes. Mais il goboit les tranches de gigot comme des pilulles. Et le vin! buvant dans un verre à sirop, il entonnait à chaque coup sa demibouteille.

Celestine.

Ce sera un dispendieux pensionnaire que ce Monsieur-là.

Mad. Durut.

Bon: cela ne peut pas durer: le pauvre diable n'avait peut-être pas mangé depuis Bayonne. Son air affairé, distrait, me faisait mourir de rire. Tout d'un coup il s'oublie, & se croyant apparemment au cabaret, il se leve, & frappant de son enragé de vit un grand coup sur la table, il me fait tressaillir sur ma chaise comme si l'on avait tiré un coup de pistolet...

Celestine.

Quel démon que cet homme! & que voulait-il donc?

Mad. Durut.

Un curedent.

Celestine.

Que le diable l'emporte.

Mad. Durut.

J'en avais à son service. Mais du reste j'aurais moi-même appellé pour avoir de quoi nous purifier de nos saloperies.--M'entendant demander de l'eau. = Tout au moins un baquet (dit-il) car nous en aurons besoin. A peine avons-nous réparé notre désordre, que mon Mars, de nouveau sous les armes, ou plutôt qui ne s'est point désarmé, vous reprend Venus au toupet: & pan! là: comme un housard, au moment où je leve le cu de dessus le bidet...

Celestine.

Ce n'est pas un niaiseur, à ce que je vois...

Mad. Durut.

Me voilà donc prise en levrette à la volée... & bourrée Dieu sait! rien pour m'appuyer... Je marche vers le lit, lui, sans déconner, suit, j'y tombe à plat ventre... Miséricorde! comme il fout, ce chien d'homme!... Quel cogneur! mon embonpoint, l'attitude, le souper, tout cela fait qu'au moment décisif, il m'échappa une petite incongruité: = Je t'entends, l'ami, dit-il, mais point de jalousie, il y en a pour tout le monde. = En même tems, découvrant St Pierre pour habiller St Paul, il vous plante à l'indiscret un bâillon...

Celestine.

Comment! & ces Provinciaux aussi se donnent les airs d'être bougres! je croyais qu'on ne connaissait cette rocambole qu'à Paris?

Mad. Durut.

Voilà bien le raisonnement d'un enfant de la capitale du Badaudois.

Celestine.

A la bonne heure: mais point de digression: ton histoire est assez intéressante pour qu'elle puisse se passer d'ornemens étrangers... acheve....

Mad. Durut.

Le reste n'en vaut plus la peine.--Je ne sais comment j'avais fait: moi qui puis boire comme un Suisse, je me trouvais grise: le fichu clistère achevait de me farfouiller. Je n'ai pas la force de quitter cette chambre: Pétronille vient me déshabiller. Je me couche tout bonnement avec l'ami Trottignac.--Je ne sais ce qu'il a pu me faire, tandis que je dormais, mais j'ai du moins connaissance de trois bons petits coups fourbis dans les draps, & foi d'honnête femme, vers six heures, j'ai fait sortir de table ce galant homme encore avec la faim. ( a )

Celestine.

Que Dieu le maintienne en santé. Je vois bien maintenant que ce n'est pas à propos de rien qu'il peut soutenir, au bout de son maître vit, un poids de 160 livres pendant trois minutes. Le Vicomte avait raison: un mérite de cette force est rare. Nous devons, au protecteur, de grands remercimens de ce qu'il a bien voulu nous adresser ce phénomene. Mais c'est à Paris qu'il faudra tirer parti de ce Monsieur-là.

Mad. Durut.

Pourquoi donc à Paris?

Celestine.

Le monde qui vient ici ne donne pas trop dans ce genre brut: car, n'en déplaise à la faveur où le Quidam a le bonheur de s'être mis auprès de toi, c'est une espece de rustre.

Mad. Durut.

Oui: j'ai surpris chez lui par ci par-là quelques paillettes de bonnes dispositions: on a sitôt dressé un homme; un Gascon surtout! je gage qu'il n'aura pas servi deux mois quelques-unes de nos tireuses du grand genre, qu'on ne le reconnaitra plus: il a déjà le fond d'impertinence; de morgue & de haute opinion de lui-même qu'il faut, pour que bien-tôt il puisse singer avec succès l' homme du bon ton, & tenir son coin dans un certain monde. Et puis n'auras-tu pas pour lui quelque complaisance? ne te mêleras-tu pas un peu de cette éducation?

Celestine.

Je t'avouerai franchement qu'il m'a déplu.

Mad. Durut, avec espièglerie.

Quoi! tu n'en voudrais pas même pour Apothicaire!

Celestine.

Voilà de la méchanceté.--C'est pour me remercier d'avoir laissé libre d'amuser ma chere sœur, un homme que, premiere en date, sans parler des prérogatives de macharge (a), je pouvais fort bien confisquer à mon profit: mais le cœur ne m'en a pas dit.

Mad. Durut.

Tu vois que je suis moins difficile: mais parlons un peu d'autre chose. Comment tout s'est-il passé pendant mon éclipse?

Celestine.

Ma Régence n'a pas été sans orages.--Tu sais que la Marquise prévoyante, & qui d'abord n'avait pas auguré grand'chose de son Limecœur, avait ordonné qu'à tout hasard on montât le Baron? ( a )

Mad. Durut.

Eh bien?

Celestine.

Quand il a été à son point, ne se voyant pas employé, ce braillard s'est mis à faire un train du diable.

Mad. Durut.

Il y avait justice.

Celestine.

Je n'avais pas prévu ce caprice de la Marquise de s'accrocher à son Céladon au lieu de se donner du frais. Je n'avais que du courant à fournir au maudit Baron: il s'était lâché par les jardins, galoppant, en rut, après tout ce qui pouvait avoir figure humaine. J'allais pour savoir quelle composition il serait possible de faire avec lui... Mais point du tout: du plus loin qu'il me voit, il fait volte-face: & le vit en arrêt, il me court sus de l'air d'un homme qui n'écoutera pas la raison. J'ai peur, je l'évite, mettant entre nous deux la grande piece d'eau circulaire. Me voilà lancée comme un lievre, mais je ne cours pas si bien: cependant désespérant de m'atteindre assez tôt au gré de sa luxure, l'enragé saute, & se met à traverser la piece. C'était fait de moi s'il n'allait pas étourdiment trébucher contre le canal rampant du jet d'eau qui, l'écartant de la perpendicule, le couche à plat-ventre dans l'élément détesté. Le pauvre diable en a pardessus la tête, & comme il est tombé rudement, il ne peut être assez tôt debout pour éviter d'avoir bu. Gervais ( a ) est là par bonheur, il vient au secours du baigné, qui se désespere d' avoir avalé de l'eau pour la premiere fois (dit-il) depuis qu'il a quitté les Pages. On le porte chez lui: on le sèche, on lui panse un genou écorché. Il se remet à boire, du vin pour le coup. On lui avait confié pour ses menus besoins le doux & complaisant Lavigne. Bientôt il s'enferme avec cet enfant à double tour; nulle force humaine ne peut, ensuite obtenir l'ouverture de cette porte. Le maudit Berlinois a la cruauté de le mettre quatre fois à la plus délicate créature.--Le pauvre petit n'en a été quitte qu'à cinq heures; il est maintenant au lit, moulu & même avec un peu de fièvre.

Mad. Durut.

M. le Baron! M. le Baron! je suis bien votre très-humble servante. Quatre louis de pension par jour sont bons à prendre; mais je ne veux point de violence dans cet asyle de l'ordre & de la tranquillité: A la porte, dès aujourd'hui.

Celestine.

Je t'en aurais priée.

Mad. Durut.

Moi, garder cette bête féroce! -- Il faudra le monter ce soir pour la derniere fois. Nous lui lâcherons le Pot-de-chambre (a) qui lui en donnera sa suffisance: un bon narcotique à la suite, & le perturbateur reporté dans son hôtel garni. ( a )

Celestine.

Cela est d'une sagesse qui me charme: mais pour le payement?

Mad. Durut.

J'ai touché d'avance, & il y aura même quelques louis à remettre à ses hôtes contre un reçu. -- Mais la Marquise & Limecœur, que sont-ils devenus?

Celestine.

Elle a passé la nuit ici. Quant à lui, vers minuit, il est parti, jubilant, pour Paris. Je ne sais point encore comment ils se sont arrangés ensemble. Mais elle a expressément ordonné qu'on fît jour chez elle avant dix heures.--L'une de nous deux peut y passer sous prétexte de prendre ses ordres. On saura comment son stratagème aura réussi.

Mad. Durut.

Je me leve & veux lui rendre moi-même les devoirs.--J'aime cette femme, & regrette sincérement qu'elle prenne le parti d'émigrer.

Celestine.

Que veux-tu? Paris devient si détestable.

Mad. Durut.

Cela ne peut pas durer.

Celestine.

Et moi je meurs de peur que cela n'aille de mal en pis... Mais dépêche-toi de voir la Marquise. Tu sais que nous avons tantôt un combat en champ clos: il faut que j'aille faire préparer la lice.... J'ai déjeûné... Que veux-tu, toi?

Mad. Durut.

La croûte au pot, suivie d'un verre de Bourgogne... Bon jour. ( Célestine sort. )

EH BIEN, JE RESTE. SECOND FRAGMENT.

Mad. Durut s'est levée, a quitté son bonnet de nuit & déroulé ses boucles: son gros chignon est soutenu d'un peigne.--En lui apportant son déjeûné, on lui annonce que la Marquise est éveillée & demande à la voir. Mad. Durut fait dire à cette Dame que dans un moment elle viendra recevoir ses ordres. Elle déjeûne sans beaucoup se presser, & monte ensuite chez la Marquise.

LA MARQUISE, MADAME DURUT. La Marquise, avec amitié.

Bon jour, ma chere Durut.--Je mourais d'impatience de vous voir.

Mad. Durut.

Je suis au désespoir de m'être fait attendre. Comment Mad. la Marquise a-t-elle reposé?

La Marquise.

Tout au mieux. -- Mais où étiez - vous donc hier soir? Je vous ai fait demander à cor & à cri.

Mad. Durut.

Je m'étais dérobée pour vaquer, sans contretems, à des occupations dont je ne voulais me rapporter qu'à moi seule. Je ne prévoyais pas le bonheur de pouvoir vous être de quelque utilité. Du moins je me flatte qu'on m'aura suppléée?

La Marquise.

Sans doute: on n'est pas plus attentif, plus exact que tout le monde de votre maison. Cet ordre admirable vous fait infiniment d'honneur, ma chère Durut.--J'aurais été cependant bien aise de vous dire un mot quand Limecœur s'est retiré. Je craignais de ne pas m'endormir tout de suite. Je m'effrayais de n'avoir personne avec qui causer...

Mad. Durut, souriant.

Causer!... Il y avait d'autres moyens encore d'attendre le sommeil, & même de l'inviter...

La Marquise, minaudant.

Quelle folie!... après ce qui s'était passé tout le jour... J'ai failli pourtant m'informer du Baron... N'est-ce pas M. de Vit.. Vit... il y a du Vit dans ce nom-là; c'est tout ce que j'en ai retenu.

Mad. Durut.

C'est M. de Widebrock qu'on le nomme; mais il est fini ce Baron.

La Marquise, avec intérêt.

Comment donc!

Mad. Durut.

Il s'est conduit hier abominablement. ( Elle raconte succinctement à la Marquise l'aventure de la pièce d'eau, & comment ce diable de Baron a fourbi quatre fois sans pitié le délicat Lavigne... )

La Marquise.

Je suis enchantée de ce que vous m'apprenez là. Croiriez-vous bien qu'à minuit j'avais une velléïté de faire venir cet homme?... Pour causer, bien entendu.

Mad. Durut.

Vous auriez sauvé de ses griffes mon pauvre petit Lavigne...

La Marquise.

Bien obligée. Vous voudriez donc que j'eusse eu la préférence pour essuyer l'orage! Cet homme (que sait-on) aurait peut-être eu l'insolence de me proposer la même infâmie qu'à cet enfant... Moi, qui n'ai jamais pu m'accoutumer à ce genre...

Mad. Durut.

Le cas eût été différent. Vous aviez de quoi le payer en monnoie courante...

La Marquise.

Et Limecœur donc! j'aurais sitôt trompé cet honnête garçon!

Mad. Durut.

A propos, parlons-en, puisqu'il vous revient à l'esprit. Eh bien, Madame? où en êtes-vous ensemble? en avez-vous fait un infidele?

La Marquise.

Pas tout-à-fait: j'ai supplanté la camarde: mais il est plus amoureux que jamais de l'invisible du boudoir.

Mad. Durut.

Cela n'est pas fort clair: ayez la bonté de me parler sans énigme.

La Marquise.

La suite de notre aventure est un vrai Roman... mais j'y ai trouvé des longueurs.... qui ont failli ne pas me permettre d'aller jusqu'à la queue.

Mad. Durut.

Il y a eu queue ? C'est déjà en partie ce que j'étais bien aise de savoir.

La Marquise.

Tu vas être étonnée des difficultés que j'ai trouvées à conduire mon homme jusques-là.--Tu t'étais apperçue & même scandalisée du peu d'attention que ton Protégé avait fait à moi, lorsque se promenant avec toi dans les bosquets anglais, je vous avais croisés plusieurs fois sans qu'il me fût accordé plus qu'une distraite révérence?

Mad. Durut.

Cette indifférence (sacrifice fort inutile & fort sot à ce vilain portrait) m'avait chassée: je conviens d'avoir planté là notre homme avec humeur.

La Marquise.

Eh bien, quand il s'est trouvé seul, son admiration pour la camarde, n'a plus eu de bornes: je l'ai croisé encore deux fois presque en le touchant. Il avait l'air gêné de me sentir si près de lui. Cependant, à moins de faire volteface, il ne pouvait m'éviter: lasse de voir qu'il me comptait pour si peu de chose, & voulant qu'il m'abordât: je le passe: tout de suite je fais un faux pas; un petit cri vif m'échappe en même tems. = Ah, Madame! (dit-il, se retournant avec intérêt.) Vous venez de vous faire grand mal.--Ce ne sera rien, Monsieur.--Pardonnez-moi: vous me paraissez saisie..... Voici de l'eau de Cologne.--J'en prends un peu pour ne pas déroger à ma feinte. = Si Madame pouvait gagner le banc de gazon que nous voyons à six pas? ou si elle me permettait... = (Il se met en devoir de m'enlever) = Ne prenez pas cette peine, Monsieur; je me crois en état de marcher jusques-là.--Daignez du moins vous appuyer bien fort sur mon bras. = Ce n'est qu'alors qu'il remet dans sa poche la fatale camarde... Je l'empogne, lui: boitant tout bas, j'ai l'air de me traîner. Nous arrivons au banc propice... Assise, & mon pied touchant la terre, je marque l'effet d'un élancement douloureux:--Mon Dieu, Madame. Je crains que cette entorse ne soit sérieuse! Vous souffrez considérablement!--Un peu de repos me soulagera sans doute... Je vous prie seulement, Monsieur... Auriez-vous bien la complaisance de me dire naturellement si ma cheville n'enfle point... (Il se précipite: je n'étais pas fâchée de lui faire admirer un pied qui, sans vanité, jouit de quelque réputation de finesse & de tournure...)--Je vous jure, Madame, que l'œil ne peut remarquer entre vos deux pieds aucune différence... (Le prétendu malade était horizontalement allongé de maniere qu'un homme moins préoccupé se serait sans doute avisé de chercher d'heureux points de vue...) Si j'osais toucher le tendon, je vous dirais mieux?....--Ah! touchez, touchez, Monsieur: vous êtes bien bon, bien secourable. (C'était le cas de donner quelques facilités de plus. En mésuser un peu, c'eût sans doute été caresser mon amour-propre. Point du tout: un chirurgien ne m'aurait pas plus froidement visitée...)--Vous fais-je quelque mal, Madame?--Aucun.--Eh bien: soyez sans alarmes, ce ne sera rien du tout.--Vous croyez?--Je n'en doute nullement.--Je ne voudrais cependant pas risquer de marcher tout de suite. Vous seriez bien aimable..... pourvu que vous n'ayiez pas affaire ailleurs, de rester quelques momens auprès de moi. Je prendrais la liberté de me servir ensuite de votre bras pour me rendre jusqu'à ce petit pavillon où je demeure.--Je suis absolument à vos ordres, Madame.--Je me fais cependant un scrupule de vous enlever à la profonde rêverie dans laqu-elle vous m'avez paru plongé? Vous preniez tant de soin à ne pas être distrait, que c'est à cause de vous surtout que je me reproche ma maladresse.

Mad. Durut.

Vous lui serriez le bouton un peu fort: voyons comment cela prendra.

La Marquise.

Avouez, continuai-je, que vous avez du guignon! Vous venez exprès vous égarer dans une solitude. Un portrait vous occupe.... Oui, Monsieur. J'ai très-bien vu, tout en lisant, qu'un portrait (charmant sans doute?) était l'objet de votre amoureuse attention; que vous auriez voulu vous trouver seul au monde avec lui: Point du tout! il faut qu'une étourdie vienne se donner une entorse à côté de vous...--Ne vous occupez pas de moi, Madame: comment vous trouvez-vous maintenant? --Je ne sens presque plus de mal. Au sur plus vous faites bien de prendre quelque intérêt à mon accident, car vous en êtes cause...--Moi, Madame, je serais assez malheureux!--Il n'y a pas de votre faute: mais.. vous savez que les femmes ont le défaut d'être curieuses? intriguée de ce portrait tant admiré, l'objet de tant de soupirs & de regards vers le ciel, j'ai voulu m'élever sur la pointe du pied pour voir par dessus votre épaule cette jolie mine. Par malheur je prenais mon point d'appui sur un caillou rond, il a tourné sous mon pied &...--Que n'ai-je pu deviner votre envie, Madame! Comme la figure qui m'occupait, n'a rien dont un homme puisse tirer vanité?.. J'aurais pu...--Me la montrer? & vous allez avoir cette complaisance?--A condition que si par hasard vous connaissiez l'original (quoique ma liaison avec cette Dame soit fort innocente) vous auriez la bonté de garder le secret?--Cela se doit.--Maintenant trouvez bon que je vous prévienne que ce portrait ne peut flatter au monde que moi: que le reste de l'univers doit en juger d'une maniere défavorable...

Mad. Durut.

Il avait parbleu raison. Je ne sais où diable le peintre avait été pêcher ce fichu modele. Car par malheur le portrait n'est pas de fantaisie...

La marquise.

Laisse-moi t'achever mon récit. = Vous cherchez une défaite, lui dis-je, & je commence à comprendre que je n'ai pas le sens commun: pouvant me comparer à la Dame qui vous touche, & sentant qu'à sa vue j'aurais du dépit de me trouver si bien effacée... Peu de beautés, je pense, sont dans le cas d'avoir sur vous cet avantage!--Vous êtes galant.--Et le pied, Madame?--( en me levant. ) Je vous comprends, Monsieur... Ce que vous vouliez me consacrer d'instans, est expiré... je me sens fort en état de marcher... & vous rends à vos méditations amoureuses...--Je ne vous quitte point, Madame: vous avez bien voulu prendre avec moi l'engagement d'aller ensemble jusqu'à votre pavillon.--Mais si j'étais aussi avare de ma présence (quoique fort indifférente) que vous d'un portrait..., qu'après tout je vais maintenant supposer horrible, oui: c'est à cause de cela que, vous retranchant dans les respectables remparts de la discrétion, vous sauvez finement l'intérêt de votre amour-propre...--J'ignore, Madame, s'il est des modèles qui doivent exclusivement obtenir ou manquer les suffrages... mais le ciel m'est témoin...

Mad. Durut.

Oh le voilà: vous l'imitez à merveille, il me semble l'entendre & le voir...

La Marquise.

Bon Dieu, m'écriai-je, vous venez de faire des yeux! ( je riais :)--Charmante femme! (réplique-t-il en me serrant une main) vous avez apparemment le cœur libre: vous vous égayez, & je sens en effet quejeprêteinfinimentàlaplaisanterie... mais je n'aurais qu'à dire deux mots... vous me plaindriez:--(je me suis rassise & l'ai fait asseoir à côté de moi) Savez-vous, Monsieur, que vous m'intéressez! il est rare de voir par ici des êtres à élégie:ily ade l' Young ou tout au moins du d' Arnaud dans votre ton & vos manieres... C'est de cela d'abord que je vous plains.... Eh bien, si vous me connaissiez, vous me feriez confidence entiere, je suis par fois de bon conseil... = Alors le bon humain me conte naïvement son histoire: ta négociation, ses répugnances, l'audience au boudoir, mais pas un mot des faveurs. = A force d'amabilité, dit-il, cette femme m'ensorcele... & quand je croyais être enfin assez heureux pour la voir... elle m'a fui par le plus inconcevable caprice! Un portrait qui devrait me guérir, ne fait qu'accroître mon malheur... car, ce que j'ai senti tête-à-tête avec cette femme, obtiendrait à mes yeux la grace d'un monstre... & vous avouerez ( en me montrant enfin la boîte ) qu'on peut fort aisément s'accoutumer à ces traits-là.--J'avais la malice de faire attendre mon jugement. Je regardais avec fixité la ridicule boîte de l'air de dire: „Je voudrais trouver un sens à la passion que peut inspirer cette horreur, mais nul effort n'y suffit... „Pendant ce tems-là, mon homme continue comme un fou. = C'était bien la peine de m'embraser pour, au même moment, voler en Allemagne! Me laisser ignorer son nom, son état! le lieu où son dessein est de se fixer!...--Elle est affreusement laide.--Et cette laide est pour jamais là. ( dans sa tête ) Là, ( dans son cœur ) = J'attendais ma foi, ma chere Durut, qu'il marquât d'un troisième Là, cette partie de sa personne que j'ai certainement un peu plus sérieusement occupé que tout le reste; mais il est si circonspect! = Cette femme ( en lui rendant la boîte ) ne peut être qu'une Magiciennequivousaurajettéquelquesort. Je défie que, sans diablerie, un humain puisse accorder le moindre sentiment à ce monstre là... Mais voulez-vous bien me reconduire. = Je prends son bras. On ne peut pas mettre plus d'intérêt & decomplaisance au service qu'il croit merendre... Nous marchons en silence... Tout était dit: jamais entretien n'était tombé plus à plat: au moment d'entrer dans le pavillon: = Adieu, Monsieur, (lui ai-je dit, affectant de la tristesse) vous êtes biencomplaisant, mais nous n'avons guères à nous louer ni l'un ni l'autre de nous être rencontrés... (Il paraît frappé) Allez, cruel homme, vous venez de me faire bien du mal... Ce propos l'étonne à l'excès, il me prie de le lui éclaircir... = Eh bien, Monsieur, (lui dis-je après avoir feint de combattre avec moi même) sachez que je suis ici à cause de vous; que je vous y savais, que j'étais instruite des vues d'une Dame sur vous pour vous faire émigrer avec elle... Je la connais... Je m'étais trop orgueilleusement persuadée qu'une autre qui voudrait lui disputer la préférence de votre part pour le même objet, aurait sur elle de grands avantages. J'espérais, en un mot, que vous, effrayé de cette figure, & ne pouvant consentir à vous engager, seriez moins rétif pour... moi, puisqu'il faut vous le dire, pour moi qui me présenterais dans le moment où vous auriez déjà accepté des propositions, & où l'individu proposant aurait seul fait naître un obstacle: j'espérais, en un mot, que moi, qui sais aussi peut-être apprécier les hommes, je vous déterminerais à me suivre... Mais, étrange & sans doute unique, vous êtes allé donner dans le piège d'une femme... qui, malgré le succès de son art insidieux, n'a pas osé croire elle-même à l'existence du prestige!

Mad. Durut.

J'aurais voulu voir la sotte figure qu'il devait faire en ce moment.

La Marquise.

C'est la mienne au contraire qu'il a rendue fort ridicule. = Qu'elle me connait mal, s'est il écrié! -- Soyez franc! vous l'avez eue ? & par un excès de délicatesse vous vous croyez obligé...--Le secret de notre entrevue, n'étant pas tout entier le mien, je suis forcé de me taire. = J'étais sur ma prétendue porte: il me baise respectueusement la main & va me quitter: je le retiens: = Vous ne m'avez donc pas entendue?--C'est vous, sans doute, Madame, qui ne m'avez pas compris?--Je n'ai que trop compris, Monsieur, votre extravagance d'aimer une femme qui ne le mérite à aucun égard, qui d'ailleurs, de votre aveu, s'est donné les plus grands torts avec vous.--Ajoutez encore, mais que je n'oublierai jamais... --C'en est trop: & vous ne voulez pas qu'il me reste un regret de n'avoir pu vous déterminer à faire avec moi sur le pied de simple ami, la course que vous consentiez cependant à faire, comme amant, avec cette odieuse femme... = Il s'en allait à grands pas. J'étais si piquée que j'ai failli le livrer à son entêtement, à son absurde caprice... Mais je n'y ai pas tenu. = Limecœur? (ai-je crié courant après lui, du pas d'une femme bien éloignée d'avoir une entorse:) il m'attend, immobile de surprise. Je me jette à son cou. = C'est trop abuser: tu triomphes & je me mets toute à ta discrétion. C'est moi... = Il a failli se trouver mal de surprise & de bonheur: car à peine avait-il passé ses bras autour de moi, qu'il avait reconnu ma taille dissimulée jusques-là par l'ampleur d'une chemise sans ceinture. = Et dès le premier de mes baisers! „ Ah, oui, c'est bien elle ! „je l'entraîne au cabinet des bains: il tremblait, il était suffoqué: je le rassure par mille caresses: chacune lui fait retrouver quelque renseignement: bientôt il a tous ceux qui peuvent rendre sa conviction complette. Il reconnait ces tetons orgueilleux malgré leur petitesse, cette motte ingrate qui, dans le moment où les plus doux baisers l'électrisent, frappe brutalement, & à coups redoublés le nez de son bienfaiteur. Il reconnait le sentier brûlant & serré qui ramene son ame à la mienne.... A la douceur extatique de leur transfusion, il reconnait que c'est bien moi. Et c'est elle, c'est elle, répété sans cesse dans le délire de la félicité, vaut, pour mon amour-propre tout l'encens de mille académies. Ce n'est pas assez de lui prouver une seule fois qu'il a bien réellement retrouvé son invisible. Je recommence toutes mes preuves & ne sors de ses bras que lorsqu'il ne lui est plus possible d'éclaircir le moindre doute, s'il lui en restait.

Mad. Durut.

J'avoue que j'ai eu peur un moment que tout le projet de société ne s'en allât au diable.

La Marquise.

Nous sommes convenus de nos faits. Il me reste... Nous partirons dans deux jours... Eh bien, Durut! croiras-tu que, malgré le Roman de cette aventure & son plein succès, je ne suis pas parfaitement contente.

Mad. Durut.

De votre homme! ah! je trouve qu'il a fait les choses à merveille.

La Marquise.

C'est à moi que j'en veux.--Tu ne pouvais choisir mieux pour moi. J'ai besoin que l'homme qui m'accompagnera soit absolument tel qu'est Limecœur. Eh bien, malgré cela... certain je ne sais quoi semble m'assurer que je fais une sottise.

Mad. Durut.

Oui bien, de vous expatrier: mais si vous devez exécuter le maussade projet de quitter Paris, vous ne pouvez le faire avec plus d'agrément & de sûreté qu'accompagnée de notre homme.

La Marquise.

Oh! pour cela je n'en fais aucun doute.

Mad. Durut

Qu'est-ce donc qui vous chicane?

La marquise.

Son caractère trop ardent & trop délicat. Ce fou va m'aimer.

Mad. Durut.

Et vous?

La Marquise.

Mais moi... chacun a sa maniere d'aimer, ma chere Durut. Je veux bien accorder à ton protégé, toute ma confiance. Je lui serai vraiment obligée, s'il daigne partager avec moi, comme le ferait mon frere, une aisance dont je ne puis faire meilleur usage qu'en le comblant de bienfaits...; mais s'il allait souhaiter quelque préférence exclusive? Se croire offensé de mes inévitables infidélités? Perdre de vue que je suis Aphrodite? vouloir m'assujettir à son sentimentage ? Me reprocher des principes qui ne seraient pas les siens; une conduite qu'il a bien l'air de n'être pas homme à prendre pour modèle? S'il allait, en un mot, prétendre à l'ascendant? en usurper peut-être?....

Mad. Durut.

Voilà bien des craintes à la fois! à votre place je prendrais le tems comme il viendra. Dans ce moment, n'est-ce pas, Limecœur vous plait?

La Marquise.

Beaucoup: mais je ne prétends pas en perdre la tête.

Mad. Durut.

Eh bien, profitez de sa passion. Usez votre caprice. Dès qu'il vous intéressera moins, témoignez-le lui doucement: définissez-lui net sur quel pied vous entendez qu'on vive avec vous: comment il vous conviendra qu'il se conduise: à quelles conditions pourrait subsister votre société... S'il ne s'accommode pas de vos plans: „Bon jour: allez-vous promener, Monsieur: je veux être heureuse à ma guise.„ Ah pardi! vous ne manquerez pas d'adorateurs prêts à passer par tout ce que vous aurez la fantaisie d'exiger.

La Marquise.

Sais-tu, ma chere Durut, que tu as une excellente judiciaire. On ne raisonne pas mieux: on n'a pas plus de sens, & personne n'est d'aussi bon conseil.

Mad. Durut.

Auriez-vous, tout de bon, quelque confiance en mes Almanachs?

La Marquise.

Infiniment.

Mad. Durut.

Eh bien, ne vous absentez pas.

La Marquise.

Mais Paris devient détestable.

Mad. Durut.

Tout détestable qu'il est, & dût-il encore être pire un jour, je le crois de beaucoup préférable à Worms ( a ), à Bruxelles, à Fribourg.

La Marquise.

Il est vrai que je n'en ai guères été contente lors de ma tournée, mais toute la France se jette aujourd'hui de ces côtés - là. J'y trouverais des amies; tous mes amis...

Mad. Durut.

Les nôtres, tous mes correspondans se recrient déjà contre l'ennui... Puisse-t-il n'être pas suivi de la misere.

La Marquise.

Mais c'est que ces démocrates sont exécrables: on n'entend parler que de crimes, de meurtres, d'incendies... N'ont-ils pas voulu piller un de mes châteaux!

Mad. Durut.

S'ils avaient cette fatale envie, serait-ce votre absence qui la leur ferait passer!

La Marquise.

Ils ne m'égorgeront pas du moins...

Mad. Durut.

Ah! leur fureur n'a point encore été jusqu'à tuer les jolies femmes...... violer peut-être... tout au plus...

La Marquise.

A la bonne heure: on n'en meurt pas.--Il est vrai que mes sœurs ne m'encouragent guères à venir les joindre. Elles me mandent que dans cette Allemagne on n'est ni logé ni nourri, & qu'elles s'ennuyent comme des mortes. On n'est pas jour & nuit dans son boudoir..... mais c'est l'affaire de quelques mois.

Mad. Durut.

Tout le monde n'est pas de cet avis.

La Marquise.

Le Chevalier de Belespoir m'écrivit la semaine dernière qu'avant la fin de l'été tout le monde serait entré chez soi vainqueur, triomphant & paisible....

Mad. Durut.

Va t'en voir s'ils viennent...

La Marquise.

Durut, Durut! tu te gâtes. Tu n'es plus une bonne Aristocrate comme cet hyver.

Mad. Durut.

Voilà précisément le mot de tous ceux à qui la tête tourne. Dès qu'on ne croit pas à leurs nouvelles, qui ressemblent fort aux Mille & une Nuit, on n'est pas bon à jetter aux chiens. Et qui me fait donc vivre moi, si ce n'est la chère Aristocratie! la fichue nation nous apporte-t-elle un écu? Est-ce ici que les infâmes Jacobins dépensent l'argent qu'ils puisent à pleins sacs dans le coffre public? Non: tout cela s'éparpille en petits écus parmi les cus-crottés & les sans-culottes.--Je suis, & je m'en pique Aristocrate à pendre; mais je n'ai pas mis mes besicles à l'envers, & je vois que de longtems... nous ne verrons rien: la politique n'est pas ma partie: je consens pourtant qu'il n'y ait plus de vit (a) pour moi sur la terre, si la contre-révolution se fait avant un an, & Dieu sait encore...

La Marquise.

Sais-tu que ton éloquence ébranle furieusement ma résolution?

Mad. Durut.

Plût à Dieu qu'elle vous y fît renoncer tout-à-fait.

La Marquise.

Il est vrai que je pourrais me repentir d'avoir abandonné mon charmant hôtel, mes loges... mes amis...

Mad. Durut.

Tout serait sacrifices. Et quelle compensation s'il vous plait?

La Marquise.

Mais j'étais donc folle!--Eh bien: je ne pars plus.

Mad. Durut.

Touchez-là, brave Dame.... Et souvenez-vous qu'un jour vous croirez devoir à cette bonne diablesse de Durut quelque remerciment de vous avoir désabusée...

La Marquise.

Je ne veux pas que ce retour change la moindre chose à la position de Limecœur: Je le garde. Mais tu m'aideras à lui faire prendre patience jusqu'à ce qu'on puisse enfin lui déclarer que nous ne partons pas?

Mad. Durut.

Je fais mon affaire de le persuader.

La Marquise.

Tu viens de m'ôter un poids de cent livres de dessus le cœur.

Mad. Durut.

Votre fichu projet m'accablait, car tout l'Ordre vous adore. Quatre ou cinq femmes de moins, dont vous êtes certainement la plus aimable, je ne prêterais bientôt plus une pipe de tabac sur la solidité de cet établissement.

La Marquise.

Je ne trouverais pas là-bas un foyer d'Aphrodites. Un paradis terrestre comme ceci. J'avais la tête perdue.--Envoye-moi, ma chere Durut, le petit Belamour. Je veux me lever & j'ai la fantaisie d'être habillée par cette aimable créature...

Mad. Durut, souriant.

Il fera tout ce que vous lui demanderez.

La Marquise.

Ne me défie de rien. J'ai des momens de folie...

Mad. Durut.

Allons, allons: si vous avez quelque petite gaîté dans la tête, contentez votre envie... voulez-vous quelque chose de plus conséquent que ce morveux? Nous n'en dirons rien à Limecœur!

La Marquise.

Je compte faire à Limecœur si peu de tort que, quand il le saurait, il ne pourrait presque y trouver à redire.--Et puis après tout quelques passades parci, par-là, ce sont des coups d'épée dans l'eau.

Mad. Durut.

Je voudrais bien voir qu' Aprodite-Professe vous eussiez l'ombre d'un scrupule!.... Franchement, ne vous faut-il que Belamour?

La Marquise.

C'est tout assez pour ce que je veux.

Mad. Durut.

Je vais vous l'envoyer à la minute. ( Elle fort. )

La Marquise, un peu haut.

Et du chocolat... à trois vanilles?

Mad. Durut, dehors.

Belamour aura l'honneur de vous l'apporter lui-même.

La Marquise.

A propos, Durut? reprends donc ta vilaine boîte... ( Celle où est le portrait de la camarde. )

Mad. Durut, s'éloignant.

Vous aurez la bonté de la remettre à Belamour. =

Mad. Durut est à peine hors de portée, que la Marquise, dans une de ces dispositions de santé qui n'ont rien d'étonnant à son âge, se repent de ne tromper son nouvel associé qu'en faveur d'un enfant, (car elle a tout de bon in petto le dessein de se le faire mettre par Belamour.)--Tout de suite, il vient à cette Dame l'heureuse idée qu' elle n'est engagée à rien avec Limecœur, jusqu'au moment où, réunis, ils commenceront à n'avoir plus qu'un intérêt. --Sur ce pied, elle est près de sonner pour donner d'autres ordres; mais le hasard vient au-devant de son caprice, comme on va le voir.

AH! LE BON BILLET. (a) TROISIEME FRAGMENT.

De retour chez elle Mad. Durut a trouvé beaucoup de besogne faite ou à faire.--D'abord, un pari (pour l'après-midi) qui ne devait occuper que deux ou trois couples en occupera sept: on sera mis au fait de cette importante affaire en tems & lieu. Et puis, tandis que la bonne Durut s'amusait à babiller chez la Marquise, M. le Commandeur de Pal-aigu, avec un de ses anciens amis D. Cufore (ci-devant Procureur d'une maison de Chartreux en Province) sont venus incognitò pour déjeûner à l'hermitage ( b ), Ils se sont emparés de Criquet & de Belamour. Celui-ci ne se trouve donc plus à la disposition de Mad. Durut.--Mais un heureux hasard a fait arriver, presque en même tems que les Villettes, l'aimable Alfonse (le Chevalier du premier Numéro.) Ce bon enfant venait avec la franche intention de rendre quelques petits devoirs à sa chère Agathe, ou peut-être à l'amie Célestine. Mais celle ci a des occupations par-dessus les yeux; l'autre a si bien passé la nuit que les sens ne la dominent pas absolument pour l'instant. D'ailleurs, avant tout, elle est jalouse que le service se fasse coulamment dans l'hospice. Il faut donc que la Marquise soit servie. Pour cela, Mad. Durut, se sacrifiant, exige de la complaisance de son pupille (peu récalcitrant en pareil cas) qu'il veuille bien suppléer Belamour auprès de la belle Dame. En conséquence, Alfonse se laisse transformer en servant aspirant : on lui chausse un pantalon de fil gris & des escarpins à Rosettes. Il endosse un gilet de basin & une veste à la mariniere de casimir de la couleur du pantalon; on lui roule les cheveux, & il est encore charmant dans ce modeste équipage.--Mad. Durut lui fait le bec. On convient qu'il aura l'air docile & timide d'un débutant auquel il importe de faire avec succès les premiers pas.--Quand tout est prêt on lui met à la main le déjeûner de la Marquise avec ce petit mot cacheté d'une oublie.

= „Les Jeudis donnent ce matin: ils occupaient déjà Criquet & Belamour quand je „suis rentrée. Lavigne est pourfendu. Zoé „n'aurait pas fait votre affaire. Croyez-moi, „belle Dame, servez vous de ce grand innocent, dont je serais d'ailleurs bien aise que „vous puissiez me rendre assez bon compte „pour qu'il méritât d'être attaché, comme il „le désire, à cet établissement. Bon appétit & bien du plaisir, respectable autant „qu'aimable & belle Marquise:--Agathe „Durut. =„

LA MARQUISE au lit, ALFONSE avec le déjeûner & le billet. La Marquise, étonnée.

Eh bien! vous vous trompez, mon ami: ce n'est pas pour ici.

Alfonse, feignant de l'embarras.

Pardonnez-moi, Mad. la Marquise, j'apporte avec votre chocolat un mot de la part de la maîtresse.

La Marquise, en recevant le billet, ne peut s'empêcher d'examiner le porteur, de la tête aux pieds avec une excessive attention: il fait semblant de n'y pas prendre garde; il approche du lit une chiffonière à dessus de marbre; il y établit son plateau, &, tandis que la Marquise lit, il fait mousser le chocolat.--Le billet parcouru, la Marquise se garde bien de laisser rien remarquer qui puisse trahir son intérieure émotion. Cependant elle n'est pas tout-à-fait maîtresse de ses regards captivés qui ne peuvent se détourner d'une figure où, plus on la regarde, plus on découvre quelque chose d'attrayant.--Elle a mille choses sur le bord des levres, mais elle n'ose en laisser échapper une seule de peur de dire trop... Elle éprouve un embarras aussi réel que celui d'Alfonse est bien imité. Cette femme sent que, réaliser avec le serviteur imprévu ce qu'elle projettait de ne faire qu'avec un marmot, ce serait aggraver considérablement une trahison qu'après tout l'honnête Limecœur n'a point méritée. A travers ce rude combat avec elle-même, elle prend son chocolat.--Alfonse debout, les yeux fixés, à son tour sur des traits divins, auxquels il était bien éloigné de s'attendre (car Durut a l'excellente qualité d'aimer à ménager des surprises: elle sait combien elles ajoutent au bonheur.) Alfonse s'enflamme à loisir. Une sédition subite qui s'éleve dans le pantalon, l'oblige enfin à y prendre quelque arrangement qui puisse sauver les apparences; cette déclaration a été, dès le premier moment, saisie par la Marquise qui en a pris une teinte animée dont l'effet est de la rendre d'une beauté céleste. =

La Marquise.

Je souffre de vous voir debout, mon ami: prenez un siege.

Alfonse.

Ah Madame!

La Marquise.

Asseyez-vous.

Alfonse.

Je ne puis: mon devoir.....

La Marquise.

Le premier devoir est d'obéir.

Alfonse.

Madame veut m'éprouver. Mais je sais qu'un être de ma sorte...

La Marquise, avec dignité.

Si j'ai mes raisons pour exiger...

Alfonse.

Je n'ai plus rien à repliquer. ( Hésitant ) Mais si je fais une sottise, Madame voudra bien ne me donner aucun tort.

La Marquise.

Ce chocolat est brûlant... Vous êtes nouvellement ici, mon ami?

Alfonse.

Depuis quelques heures, Madame, & j'étais bien éloigné... ( il feint de se troubler. )

La Marquise.

Que voulez-vous dire?

Alfonse.

Rien, Madame. J'allais oublier que je dois répondre sans aucune amplification aux questions qu'on daigne me faire.

La Marquise.

Eh bien, je demande, j'ordonne que vous acheviez ce que vous avez interrompu.... Vous étiez bien éloigné?...

Alfonse, avec peine.

De prévoir que dès le premier moment... un état... auquel je ne me consacrais pas... sans quelque répugnance... ( Il a l'air de s'étre perdu dans son idée. ) m'offrirait... ( il se tait. )

La Marquise.

Vous offrirait?...

Alfonse, avec plus d'embarras.

Des encouragemens qui présagent....

La Marquise.

Qui présagent quoi?--Faut-il vous arracher les paroles de la bouche? à moins d'écrire ce que vous dites, j'en pourrais perdre le fil...

Alfonse, fort agité.

Je l'ai perdu moi-même, Madame... Du moins ayez pitié de moi. Daignez ne pas me dénoncer à Mad. Durut comme un téméraire, un insolent...

La Marquise.

Vous déraisonnez, mon ami! de quoi pourrais-je me plaindre!

Alfonse, se levant.

Pardonnez-moi, Madame. Je sens que j'ai dit autant de bêtises que de mots... Mais n'allez pas croire au moins que j'aie pu penser... ( La Marquise se disposant à remettre elle-même sa tasse sur le plateau, il se hate & veut la lui prendre. )

La Marquise, s'opposant.

Laissez-moi faire. Je vous vois si troublé, je ne sais à propos de quoi, que vous seriez homme à tout casser...

= Elle le dévore des yeux, & pose en même tems sa tasse avec précaution.--Alfonse escamote sur le lit, avec une feinte maladresse, une lêche de pain grillé, dans laqu-elle la Marquise a mordu... =

La Marquise, qui a vu.

Eh bien! quelle enfance! que voulez-vous faire de cela?

Alfonse, feignant d'être déconcerté.

Moi, Madame?...

La Marquise.

A-t-on oublié de vous faire déjeûner? Ne voilà-t-il pas des morceaux entiers?

Alfonse.

Celui-là seul me tentait, Madame. Mais, pour Dieu, ne me compromettez pas auprès de Mad. Durut.

La Marquise, avec bonté.

Il n'y a pas à tout cela de quoi fouetter un chat: cependant si vous vous fixez à servir, il faut vous abstenir de tout ce qui peut avoir l'air singulier ou ridicule... Par exemple ( rougissant ) on ne regarde pas une femme entre deux yeux comme vous faites... Je dis toute espece de femme.

Alfonse.

Je le sais bien, Madame... Mais c'est qu'il y en a...

La Marquise, se méprenant.

Qu'on doit respecter plus que d'autres, & je suis de ce nombre... entendez-vous.

Alfonse.

Non, Madame.

La Marquise, stupéfaite.

Il est fort celui-ci!

Alfonse, tendrement.

Je n'ai, je vous jure, aucun dessein de vous offenser...

La Marquise, émue.

Comment! encore? vous continuez à me regarder comme un fou?

Alfonse.

C'est que je le suis, Madame.

La Marquise, à elle-même.

( ne pouvant s'empêcher de rire. ) Eh bien: on voulait faire faire à Durut une belle acquisition!

Alfonse.

Ma folie n'est pas d'une espèce dangereuse. D'ailleurs, elle ne me prend que par momens. ( Il fait un mouvement comme pour jetter ses bras autour du corps de la Marquise. Elle a marqué quelque effroi, cependant elle ne sonne point. )

La Marquise.

Ecartez cette chiffonniere... ( il obéit ) Mettez une chaise: là... plus près... Bon:... placez vous: ( il hésite. ) Soyez assis, vous dis-je. ( Alfonse assis, mais décontenancé, par aissant mal à son aise, regarde avec distraction du côté de la porte. ) Qu'examinez-vous, avec cet air distrait, égaré, quand vous devriez comprendre que j'ai quelque chose à vous dire!

Alfonse.

Cette porte, Madame?

La Marquise.

Eh bien quoi, cette porte! que ne l'avez-vous fermée en entrant... ( Il y court, la ferme & met un verrou. ) A quoi bon cela?... Quelle témérité!...

Alfonse.

Comment donc, Madame. C'est que si Mad. Durut survenait!... avant qu'elle ne sût que vous m'avez ordonné d'être assis près de vous... & pour n'avoir fait que vous obéir, peut-être....

La Marquise.

A la bonne heure. -- Remettez-vous là....

Alfonse.

J'ai tant à cœur de n'être point exclus de cette maison, que je tremblais d'être surpris dans un état...

La Marquise.

Est-ce que votre accès defolie dure encore?

Alfonse.

Si c'est ce que j'entends, Madame, il durera tout le tems que j'aurai le bonheur de vous voir.

La Marquise, sans humeur.

Plait-il?

Alfonse.

Pardon, Madame. ( De ses deux mains il lui en prend une. )

La Marquise, à elle-même.

Mais c'est que tout de bon je crois qu'il est fou!

Alfonse.

Hélas! je n'ai que cette excuse, Madame, quand....

La Marquise, à elle-même.

Voilà pourtant un drôle de corps! ( à Alfonse ) Qui vous a produit dans cette maison?

Alfonse.

Une bonne Dame qui m'a vu naître, & qui m'a élevé. ( a )

La Marquise.

Et qu'avez-vous fait depuis que vous êtes au monde?

Alfonse.

J'ai été fou de bonne heure: & puis je me suis engagé dans les Dragons.

La Marquise.

Dans quel régiment?

Alfonse.

De la Reine.

La Marquise.

Vous ne pouviez choisir un plus aimable Colonel.--Avez-vous connu, dans ce régiment, un certain M. de Limecœur, qui doit y avoir servi quelque tems?

Alfonse.

J'ai eu cet honneur là.

La Marquise.

C'est un de mes alliés.

Alfonse, avec feu.

Il est bien heureux, Madame... ( Elle sourit. ) -- Il prend une main ; on a l'air de n'y pas faire attention.

La Marquise.

Limecœur n'est pas riche...

Alfonse.

Mais, c'est un excellent sujet. Bien bon Officier... nous l'avons tous regretté.

La Marquise.

Vous connait-il?

Alfonse.

Peut-être, Madame.

La Marquise.

Il vous remettrait donc, s'il vous voyait?

Alfonse.

Peut-être que non. Nous sommes tant de Dragons! Ces Messieurs ne connaissent pas tout le monde.

La Marquise.

Enfin, voilà que vous parlez comme un être raisonnable.

Alfonse.

A la bonne heure, Madame: mais aussi ne suis-je pas dans mon état naturel.

La Marquise, avec un peu d'art.

Eh bien, je suis donc folle de laisser ainsi dans vos mains, la mienne que vous brûlez? Laissez-moi.

Alfonse.

Madame, je ne le puis.

La Marquise.

Vous ne pouvez me rendre ma main!

Alfonse.

C'est ma folie. Quand, par accident, il m'arrive de m'accrocher à une jolie femme, mes nerfs se roidissent, mes muscles se contractent; il faut des choses infinies pour qu'elle puisse se délivrer de moi... Je suis bien heureux de ne m'être pris qu'à la main, autrement vous auriez été réduite à me faire jetter par les fenêtres.

La Marquise, à elle-même.

Il est fou à mettre aux petites-maisons! ( à Alfonse ) Etes-vous encore Dragon?

Alfonse.

Oui, Madame. Mais je suis en sémestre.

La Marquise.

Et vous cherchez à vous attacher ici?

Alfonse.

Je profite de la confusion générale; & déserte... on m'a assuré qu'ici je serais aussi caché qu'aux Antipodes.

La Marquise.

Joliment! un de vos officiers, M. de Limecœur y était hier.

Alfonse.

Madame oublie qu'il ne sert plus.

La Marquise.

Il est vrai.--Qu'avez vous fait l'hiver? car le tems des sémestres est expiré. ( bas à elle-même ) Je ne sais plus ce que je dis.

Alfonse.

J'apprenais le commerce, Madame.

La Marquise.

Cet état vaudrait beaucoup mieux que la domesticité.

Alfonse, lui baisant la main avec passion.

Je n'en conviendrai pas, surtout en ce moment...

La Marquise, s'animant.

Savez-vous que si vous n'étiez pas fou, je me croirais obligée...

Alfonse, redoublant de baisers sur cette belle main.

Que vous reviendrait-il de me perdre! ( Il jette rapidement un baiser sur la bouche de la Marquise, & tout de suite, pardessus le lit, un autre baiser à l'endroit sous lequel est le plus sacré de ses charmes. )

La Marquise, assez doucement.

Eh bien, eh bien! quelles manieres sont-ce là!

Alfonse, hors de lui.

Voilà ma folie, Madame.

La Marquise.

Comment votre folie! -- D'insulter les femmes! d'oublier ce que vous êtes! ce qu'on est!

Alfonse, avec délire.

C'est un Démon que je porte en moi!.... ( Ne tenant plus la main de la Marquise que d'une des siennes, il glisse brusquement l'autre sous la couverture, & trouve sans aucun obstacle le divin bijou, par bonheur accessible entre deux cuisses modérément écartées... )

La Marquise, comme abasour die.

Savez-vous bien ce que vous faites? Et ne craignez-vous pas....

Alfonse.

Je sais, Madame, que si vous n'êtes pas infiniment bonne, je suis un garçon perdu...

Tout en parlant, il agaçe avec une précieuse adresse ce boutonnet infiniment sensible... que Mad. Durut nommerait, mais on sait que nous ne cassons jamais les vîtres sans nécessité.--A peine cet important succès est-il arraché, que (comme chacun a sa folie, ou son démon qui lui fait faire à tort & à travers tout ce qu'il lui plait) la Marquise ne peut plus ni parler, ni s'opposer à rien. Elle s'écarte involontairement & donne, comme si elle y consentait, toute la facilité qui peut ajouter à l'effronterie du coupable Alfonse. Celui-ci, gardant bien l'apparence d'une convenable timidité, s'est si fort approché que sa bouche est enfin attirée sur celle de la belle Marquise. Elles s'unissent par un fixe baiser qui devient plus ardent à proportion du desir, plus irrité par une cessation momentanée du mouvement du doigt incendiaire. Finir ainsi la Marquise n'aurait pas fait le compte de l'expert autant qu'amoureux Jouvenceau. Cette ruse galante a tout l'effet possible: la Marquise, après avoir frappé plusieurs coups très-vifs sur le lit, comme d'impatience ou de regret de sa faiblesse, porte avec pétulance une main à la ceinture du pantalon déjà déboutonné par un invisible soin du fripon d'Alfonse. Cet intéressant Boutejoye (qu'on connait) s'élance au-devant de la plus jolie main du monde, l'étonne, l'emplit & la brûle. De l'autre main, la Marquise hors d'elle-même, écarte avec une lascive fureur tout ce qui la couvrait... &...

La Marquise.

Foutre! ( s'écrie-t-elle ) mets-le donc ( a ), adorable fou, puisqu'on ne peut pas se soustraire à son étoile.

Cette permission ou cet ordre était à peu-près inutile, car Alfonse avait déjà une jambe sur le lit. Il s'élance... Deux verres d'eau ne sont pas plutôt mêlés, confondus, uni- fiés, que ces lascives & brûlantes créatures... = Fou. . . . . . . . . . . tre! (souffle la Marquise avec un baiser volcanique jusqu'au fond de la poitrine de son fortuné vainqueur..........

La Marquise, ressuscitant.

Ah! des fous comme toi sont bien faits pour dégoûter à jamais des gens raisonnables! =

Il est superflu sans doute d'observer ici qu'après le dégré de liaison qui venait de se former entre la Marquise & le bel Alfonse, il put se croire dispensé de soutenir le double rôle de domestique & de fou. De courts éclaircissemens, qui nous sont tout-à-fait inutiles, eurent bientôt mis l'heureux couple mutuellement au fait de ce qu'il lui importait de savoir. Le résultat fut qu'Alfonse (préalablement prié d'ouvrir la porte, afin que Mad. Durut pût entrer quand on la voudrait) se déshabilla, se mit au lit; il y fit oublier deux fois encore à la Marquise l'engagement récemment pris avec l'allié Limecœur.--Après avoir exercé pendant deux heures & les solides assauts de la passion & les futiles escarmouches du caprice, on sonna pour Mad. Durut.--Celle-ci fut plus réjouie qu'étonnée de trouver les angéliques athlètes amoureusement enlacés entre deux draps. Voulant se donner le plaisir de les voir, in naturalibus, elle prit la liberté de les découvrir. La Marquise, pour la frime, faisait de petites façons; Alfonse ne trouva pas, pour escamoter, aux regards indiscrets de Mad. Durut les deux nudités, de meilleur expédient que de les confondre. Il init la Marquise & dit gaîment à la curieuse Matrone: = A ton aise maintenant, tu te lasseras plutôt de m'y voir, que moi d'y rester. = En effet, Mad. Durut, fort occupée, ne pouvait leur donner que quelques instans. Il s'agissait pour elle de recevoir les ordres, & non de garder ainsi les manteaux.--On la chargea de faire monter à trois heures un dîner fin & restaurant.--Elle offrit & fit accepter à ces bons enfans, la récréation de voir incognitò, une débridée qui devait être exécutée, le soir, par gens de talent distingué. --Le dîner survint à la minute.--Belamour & Criquet servirent à table. Comme leur active (ou plutôt passive) matinée leur avait valu quelques profits, & qu'on les avait grisés, il ne fut pas difficile de tirer d'eux les détails de la séance. Mais ces aveux n'auraient du piquant que pour l'infiniment plus petit nombre de nos Lecteurs. Qu'importe aux autres de savoir comment deux fieffés rétro-actifs se sont donnés deux morveux; comment on a troqué; puis remonté tristement dans sa voiture!--Sexe enchanteur? Houris terrestres? où vous n'avez point de rôle, tout languit, tout offre un sombre aspect. Les fleurs que n'a point caressées votre haleine magique, sont ternes, inodores, & ne sont bonnes à cueillir que pour les mêler, comme des oppositions, aux bouquets éclatants & parfumés que nous nous permettons de moissonner dans l'inépuisablement fertile parterre des voluptés.

A QUOI BON ? -- ON LE SAURA. QUATRIEME FRAGMENT.

Un Prince étranger & un Comte, (qui va se décliner dans l'entretien suivant) sont ensemble dans une voiture fermée telle qu'on l'a décrite ( a ) & vont grand train du côté de l'Hospice des Aphrodites. --Il n'est que cinq heures après-midi; mais comme il n'entre du jour de nulle part, ces Messieurs, pour se voir, ont une petite bougie. ( b )

LE PRINCE, LE COMTE. Le Prince,

( étonné de ce que pendant près d'un quart-d'heure le Comte a gardé le silence. -- Vous êtes rêveur, M. le Comte? vous paraissez même affligé? auriez-vous quelque regret de vous être engagé dans un pari que vous commenceriez à craindre de perdre? Quoique, bien sûr de vous gagner 300 louis, je ne tiens pas assez à pareille bagatelle pour ne pas vous rendre, si vous voulez, votre parole.

Le Comte.

Mon Prince? vous m'offenseriez, si vous me soupçonniez capable de m'attrister pour quelque argent mis au hasard. Au surplus, c'est de mille louis qu'il s'agit?

Le Prince.

Je le sais: mais je n'en parie que 300 contre vous: le reste est couvert par les acteurs eux-mêmes: jugez s'ils ont peur de perdre?

Le Comte.

A la bonne heure. Et moi je me crois très-assuré de gagner. Quant à ma rêverie, dont je vous dois des excuses, c'est un état malheureux où je passe une partie de ma vie. C'est l'effet d'une maladie de mon esprit, & la suite funeste d'un malheur dont le sentiment m'est aussi vif au bout de six ans que le premier jour; malheur dont rien ne peut me consoler, ni me distraire. En vain ai-je fui le lieu de la catastrophe, voyagé par toute l'Europe; essayé de toutes les distractions jusqu'à l'abus, rien n'a pu guérir mon cœur déchiré.

Le Prince.

Certe! on ne vous soupçonnerait guères d'être mélancolique à ce point, quand on vous rencontre partout; quand aux jolis soupers, dans les cercles, chez nos femmes à la mode, vous êtes l'un des plus stimulans bouteentrains de la folie?

Le Comte.

J'ai quelque empire sur moi-même: d'ailleurs le tourbillon du monde aimable & joyeux, étant mon unique remede, ne sais-je pas qu'il serait absurde d'y verser l'ennui & d'y rendre contagieuse ma sombre mélancolie? J'étais né gai jusqu'à la pétulance; j'avais tous les goûts qui peuvent contribuer au bonheur: j'ai de grands moyens pour les satisfaire: j'aime le faste, les voyages, les arts, les femmes... les femmes! ( il s'attriste ) une seule.....

Le Prince.

Vous m'intéressez à l'excès. Oubliez un moment que nous avons ensemble un procès de mille louis, & parlez moi comme à un ami: vous me paraissez digne d'en avoir.

Le Comte.

Je m'estimerais fort honoré d'en acquérir un aussi aimable que votre Altesse.

Le Prince, avec intérêt.

Que vous est-il donc arrivé de si fatal?

Le Comte.

D'avoir commis des fautes impardonnables. D'en être puni depuis six ans par des remords, qui ne finiront sans doute qu'avec ma vie.

Le Prince.

Je meurs d'impatience d'être plus au fait.

Le Comte.

Ayant été, tour-à-tour, Page & Gentilhomme de la chambre de l'Electeur de..... jusqu'à l'âge de vingt ans, j'eus le bonheur d'intéresser la plus jeune des Dames de l'Electrice. Eulalie, jolie comme un Ange, atteignait à peine quinze ans: elle me valait tout au moins pour la naissance; il y avait d'ailleurs entre nous, quant au bien, une grande disproportion.

Le pere d'Eulalie n'avait qu'un beau nom, des emplois à l'armée, des dignités & infiniment de mérite. Le mien possédait de grands héritages, & loin de la cour, travaillait infatigablement à augmenter encore sa fortune. N'importe: à peu près sûr d'obtenir l'agrément de ma famille lorsque je lui déclarerais mon desir d'épouser Eulalie, je me livrai vivement à l'intérêt que sa préférence avait su m'inspirer. Notre Cour vit avec plaisir croître une mutuelle inclination qui promettait le bonheur de deux familles considérées, dont l'une allait rendre en faveur ce que l'autre lui offrait en richesse. J'étais alors de bonne foi: notre mariage était consenti, l'on n'attendait plus pour le terminer que l'arrivée de plusieurs parens.

Fiancés, & notre état nous faisant jouir de quelque liberté, j'avais, avec ma jolie future, de fréquens tête-à-tête. Il y en eut un plus particulier, infiniment propice à l'amour; je fus pressant, & même téméraire; la sage, mais faible, mais aimante & candide Eulalie, ne put me résister; je fus heureux.

Elle était plus raisonnable que moi sans doute quand, les jours suivans, elle me refusa net les faveurs que je lui avais surprises, m'assurant que, si elle n'avait aucun regret d'avoir comblé mes vœux, du moins voulait-elle me prouver qu'elle l'avait fait sans égarement, & qu'elle méritait mon estime. Cette conduite, dont, avec plus de bon sens, j'aurais dû être charmé, me déplut: au contraire je n'y vis que de la froideur: j'étais ardent; j'accusai, dans mon cœur, Eulalie d'aimer faiblement, & j'eus, en particulier, mauvaise opinion de son organisation physique, lui voyant prendre si peu de goût à une chose dont il me semblait qu'on ne devait plus pouvoir se rassasier dès qu'on avait le bonheur de la connaître.

Sur ces contrefaites, il m'arriva, dans un même jour, deux événemens imprévus qui changerent soudain la face de mes intérêts, & préparerent le piège où mon mauvais Génie avait le dessein de me précipiter.

Le matin, une lettre m'apprit que, par la mort d'un de mes cousins, seul mâle de sa branche, & qui n'était pas marié, des fiefs considérables retournaient à mon pere: sur le soir parut à la Cour la jeune ComtesseDouairiere de... qui, après deux ans d'un triste mariage, avait enfin enterré son vieil époux. Belle, visiblement disposée à jouir des prérogatives de son nouvel état, connue d'ailleurs pour assez peu scrupuleuse, il ne lui fallut que me regarder avec l'apparence de quelques dispositions favorables, pour m'enflammer, & me glacer d'autant au préjudice d'Eulalie. Je fus assez fat pour imaginer que la subite augmentation de ma fortune devait changer la face des précédents intérêts, & rendait possible qu'une Princesse m'accordât sa main: la Comtesse était née d'une maison souveraine. Elle s'apperçut à l'instant de l'effet de ses charmes sur mon cœur. On ne lui laissa point ignorer mon prochain mariage. Peut-être sa coquetterie vit-elle quelque chose de piquant à me détourner d'Eulalie, qu'elle traitait de morveuse en m'en parlant... Mon changement fut visible: on m'en blâma: quels reproches ne m'eût-on pas fait, si l'on eût su que ce qu'on prenait pour de l'inconséquence, était l'excès de la trahison & de l'ingratitude!

Eulalie ne put soutenir son malheur, elle tomba malade, & faisant appeller son frere, Officier des Gardes, jusques là mon meilleur ami, la pauvre fille lui conta de point en point tout ce dont je m'étais rendu coupable. Il courut chez moi, m'accabla d'injures; nous nous battîmes: un coup-fourré nous jetta tous deux sur le carreau, nos témoins nous secoururent. Traités habilement, nous fûmes sauvés: mais ma disgrace était prononcée. Dès que je fus en état de marcher, on me signifia que j'avais perdu ma place, & que l'Electeur me bannissait de sa Cour. Le même jour de notre combat, Eulalie se retirant, avait prié qu'on la transportât au couvent de Chanoinesses où elle était inscrite depuis l'enfance. Mon pere était furieux. Si je n'avais pas été fils unique, il m'aurait infailliblement déshérité. Mais il était bon; il m'aimait jusqu'à la faiblesse. N'ayant pu fléchir en ma faveur une respectable famille à laqu-elle il offrait, ainsi que moi, de réparer de tout notre pouvoir mon détestable outrage, il m'enjoignit de voyager & de ne reparaitre à ses yeux que lorsqu'il daignerait me rappeller. J'obéis.

Six mois après mon départ on m'écrivit qu'Eulalie, qui avait essuyé quelques mortifications dans son Chapitre, venait de disparaître, sans laisser aucun indice du parti qu'elle avait pu prendre. J'eus l'horreur de penser que peut-être elle s'était ôté la vie dans quelque moment de désespoir. Comme mon pere avait la bonté de me faire un sort très considérable, il me fut facile de mettre à grands fraix des émissaires en campagne dans tout l'Empire: de mon côté je me mis à chercher à tout hasard chez l'étranger... Je parcourus la Hollande, l'Angleterre, la France & l'Italie.

Mon pere mourut, avant de m'avoir fait grace: le bien immense qu'il me laissait, ne me consola point de n'avoir pu lui fermer les yeux. Je n'avais point d'état, j'essayai de m'en procurer un: je cherchais à faire le sacrifice de ma funeste liberté, mais aucune Cour ne daigna me recevoir, & quelle eût été la personne convenable qui eût osé confondre ses destinées avec celles d'un homme célebre par sa persidie dans un pays où les mœurs ont encore une grande partie de leur ancienne pureté! les mépris de la Comtesse ne m'avaient déjà que trop appris ce qu'on y pense d'un Gentilhomme parjure au plus sacré des engagemens. Cependant il n'était pas prouvé qu'Eulalie eût cessé de vivre: je me remis à courir le monde, me flattant qu'un jour peut-être quelqu'un de ces événemens extraordinaires qu'on voit de tems en tems arriver, pourrait me la rendre. Je fis serment de lui conserver ma main & ma fortune. J'erre depuis lors, entretenant une ivresse factice, abusant de tout sans jouir de rien, cherchant à savoir si c'est tout de bon qu'on ne peut être heureux ici bas, ou s'il est réservé aux seuls infortunés dont le cœur est ouvert au mépris d'eux-mêmes & au remords, de ne trouver, au sein des jouissances, que l'ennui, le vuide & la mélancolie. C'est par une suite de ces tristes idées, mon Prince, que je doute de tout ce qui parait faire le bonheur d'autrui; que je n'ai pu croire par conséquent à cette félicité rassasiante dons vous m'offriez l'image quand vous prétendiez que vos Aphrodites ou Morosophes operent entre eux des prodiges de jouissance & de volupté.

Le Prince.

Je voudrais, Comte, qu'il fût aussi possible de remettre votre Eulalie dans vos bras, qu'il le sera de vous prouver que nous buvons à longs traits dans la coupe du bonheur. Quelques agitations que puissent endurer ailleurs les Membres fortunés de notre Confrérie, du moins, où je vous conduis, ne sont-ils jamais suivis de leurs peines, je veux que vous-même vous n'ayez pas touché le seuil de notre temple sans vous sentir délivré du poids de vos chagrins.

Le Comte.

Je n'ose l'espérer.

Le Prince.

Quant aux folies dont l'agréable spectacle va, par votre faute, vous coûter un peu cher, croyez qu'il n'y a rien là de prodigieux. Où voyez-vous donc du miracle à ce que chacun de sept hommes bien constitués ayent sept jolies femmes en deux heures!

Le Comte.

Je n'y crois pas encore. A peine y croiraije, lorsque je l'aurai vu.

Le Prince.

C'est autre chose.--Quand vous parûtes incrédule sur ce point, je ne voulus pas vous démentir. Je pariai; vous acceptâtes: vous perdez à coup sûr.

Le Comte.

Peu m'importe:--Mais du moins nous verrons distinctement cette mêlée?

Le Prince.

Tout aussi bien que, du parquet ou du balcon, vous verriez une Pantomime.

Le Comte.

Et vous avez dans votre ordre des femmes assez effrontées pour se donner sept hommes tour-à-tour?

Le Prince.

Sans doute...

Le Comte.

Réunies dans un même local?

Le Prince.

C'est ce qui fait le piquant de ces ébats. Mais, au bruit de la voiture, je reconnais que nous entrons dans l'enceinte de nos foyers.--En changeant brusquement de matiere, vous m'avez empêché de vous remercier de votre histoire que j'ai trouvée fort intéressante...

Le Comte.

Prince? n'en parlons plus. Je veux tout oublier pour bien jouir du spectacle charmant que je vais vous devoir: il me sera si doux d'assister à semblable échauffourée, & pardessus le marché de vous gagner votre argent.

Le Prince.

A la bonne heure: cependant si vous voulez doubler la somme...?

Le Comte, souriant.

Non: mais je suis beau parieur, & ne vous refuserai point une revanche.

La voiture s'arrête, ils mettent pied à terre: on les conduit à ce pavillon au fond de la cour, où Mad. Durut a mené le Chevalier ( a ) le jour de sa première visite.

LE PRINCE, LE COMTE, MADAME DURUT. Mad. Durut,

( Recevant des mains d'un de ses gens un sac de 1000 louis, en or, que le Comte a apporté dans la voiture. ) -- Soyez les bien-venus, Messieurs.

Le Prince.

Bon soir, ma chere Durut.--Comte? vous avez devant vos yeux la Surintendante de nos Menus: la cheville ouvrière de notre bonheur; la femme à la fois la meilleure, la plus utile &, par ma foi, tout au moins aussi aimable.

Mad. Durut,

( occupée de serrer l'or dans un bureau. --Ah, cher Prince! dites en beaucoup moins afin qu'on puisse en croire quelque chose.

Le Prince.

Non, d'honneur: c'est qu'en vérité, Durut, ce que je viens de dire est senti. Je suis si persuadé de ton mérite que je veux te prouver un jour, tête-à-tête, à quel point je te rends justice.

Mad. Durut.

Gare que je ne prenne votre Altesse au mot.

LES MÊMES, CÉLESTINE. Le Prince, accourant au devant.

Eh! voici la belle Célestine! ( il l'embrasse avec transport ) Comte? Vîtes-vous jamais rien d'aussi complettement joli! N'y a-t-il pas là de quoi démonter toutes les cervelles? Allons, Comte? Je demande pour vous un baiser sur ces levres de rose.

Le Comte, approchant.

Tout-à fait inconnu, je n'aurois osé solliciter une faveur si douce. ( Il se présente pour la recevoir, on la lui accorde de bonne grace. )

Celestine.

Excusez, Messieurs: mais nous avons à nous occuper un peu plus sérieusement, pour votre intérêt.--( à Mad. Durut. ) Tout sera prêt à la minute. Les deux bandes, complettes, sont à se préparer; je n'ai rien vu de charmant comme tous & chacun de ces champions, & l'on ne peut afficher un plus bouillant courage....

Le Prince & le Comte, tandis que Célestine parlait, se sont faits des signes à sa louange.

Le Prince.

Comte? entendez-vous? voilà qui est de mauvais présage pour votre pari.

Le Comte.

Je prévois tant de plaisir, que si je dois perdre, j'e suis d'avance consolé.

Celestine.

Ces Messieurs ne seront pas fâchés de connaître les combattans. ( Elle tire un papier de son sein. ) Voici la liste.

Le Prince.

Il y aurait bien plus de plaisir à s'occuper du porte-feuille. ( Il y met agréablement la main, Célestine, en riant, lui donne un petit coup sur les doigts, & court à d'autres affaires. )

Pendant que tout cela se passait, Mad. Durut s'occupait de compter une autre somme de 1000 louis en or, qui est la mise du Prince & des sept parieurs.--Mad. Durut continue de compter.

Le Prince, lisant la liste.

Dames: --No. 1. Mad. de Troubouillant.„--Je connais cela; c'est de l'excellent. „ No 2. Mad. de Cognefort„: admirable. No. 3. Mad. de Band'amoi.„--Cela lui plait à dire: cette fois elle permettra que ce soit pour toutes ces Dames.--„No. 4. Mad. de Confriand: „Ah la petite coquine! elle en est: elle prétend cependant qu'il lui faut peu, mais du bon...

Mad. Durut, interrompant & comptant.

Elle aura aujourd'hui du bon & beaucoup: ce n'est pas déroger à son systême.

Le Prince, à Mad. Durut.

Raisonné comme un ange. -- ( il lit. ) „No. 5. Mad. de Pillengins„: Peste! ce n'est pas du menu ceci. -- „No. 6. Mad. de Beaudéduit.„ -- Nous verrons cela.

Mad. Durut.

Vous ne connaissez autre chose: c'est la Clorinde, que ce vieux Lord (que vous savez) trouva chez la Delaunay; frappé de la supériorité des talens de cette belle créature, il en perdit la tête: bientôt il l'épousa. Miladi a su si bien entretenir l'admiration du vieil amateur qu'il est mort depuis 18 mois, lui laissant 40 bonnes livres de rente sur la banque de Londres. Elle prétend avoir quelque part une terre du nom qu'elle porte. En tout cas elle n'en impose pas, & tout au moins son fief est sous ses cotillons... Mais voilà que je me suis trompée en vous faisant ma note. ( Elle se remet à compter. Ces Messieurs rient. )

Le Prince, lisant.

„No 7. Mad. De... de... ( il prononce ) Ouakifuth!„ Voilà un nom du diable! voyez cela, Comte: vous autres étrangers...

Le Comte, souriant & prenant le papier.

Je ne vous croyais pas Français, mon Prince?

Le Prince.

Je n'ai pas non plus cet honneur. Mais quand on est sorti de son pays si jeune, & qu'on n'a pas cessé de vivre à Paris... Comment ce nom se lit-il? ( a )

Le Comte, prononce.

Va qui fout. --C'est un nom qui ne m'est pas inconnu. Je me rappelle d'avoir vu à notre Cour un voyageur qui se nommait Wakifuth. C'était un bon Gentilhomme du fond de la Courlande. Votre Altesse prononçait à l'anglaise, mais à l'allemande c'est ( il prononce ) Va-qui-fout.

Le Prince.

A la bonne heure: c'est un nom fort respectable sans doute dans tous les pays du monde, & qui, s'il n'était pas si dur, ferait infailliblement fortune dans celui-ci. C'est le cri de guerre de la Société!--Voyons les hommes: ( Il reprend le papier & lit. ) „No. 1. M. de de Limefort.„--On le touve par-tout: je ne sais comment il fait pour soutenir sa vieille réputation...

Mad. Durut, interrompant.

Vieille! ce n'est pas le mot: il n'a que 30 ans, & je le cautionne encore pour dix.

Le Prince.

Gaudeant bene nati...

Mad. Durut.

Et nanti d'un Vit de 10 pouces 3 lignes. ( comptant ) Soixante & dix-sept, dix-huit, dix-neuf, quatre-vingt.

Le Prince, lisant.

„No. 2. M. de Bout'avant.„ -- Quel est celui-ci, Durut?

Mad. Durut, comptant.

. . . Sept, huit, neuf, dix.--C'est un nouveau reçu de la plus jolie figure du monde, & qui en porte un de neuf pouces & demi.

Le Prince, au Comte.

Vous voyez que nous avons des sujets? ( il lit )„ No. 3. M. de Bellemontre.„--Ah ça, Durut? Je m'en suis entiérement rapporté à toi du choix de ces Messieurs; ce n'est pas tout que la montre, il faut aussi le reste...

Mad. Durut, comptant.

Dix-neuf, cent; huit cents. -- Soyez tranquille.

Le Comte, lisant.

„No. 4. M. de Fout'-en-cour.„--Je le connais, c'est du bon. Mais il ne durera pas: quand on est laché parmi les Duchesses & les attachées, cela va grand train. ( Il lit ) „No. 5. M. de Mâlejeu.--Tout-à-fait inconnu pour moi.

Mad. Durut.

C'est un officier de Dragons reçu sans noviciat & avec acclamation à la derniere assemblée.

Le Prince.

A la bonne heure. -- ( lisant ) „No. 6. M. de Durengin.„--Cela promet. „No. 7. M. de Pinefière.„--Celui ci est bien jeune, ma chere Durut?

Mad. Durut.

. . . Il est vrai, mais aux couilles bien nées, Le foutre n'attend pas le nombre des années. (a)

Le Prince.

Vous vous appercevez, Comte, que notre surint endante a de l'érudition?

Le Comte.

Je vois aussi que j'ai affaire à de formidables ant agonistes!

LES MÊMES, CÉLESTINE. Celestine, accourant.

Allons, allons, en place. Il est quarantecinq minutes à la grande pendule.--Je ne crois pas nécessaire de vous rappeller, Messieurs, que si au coup de huit heures chacun de nos Tenans ne l'a pas fait rubis sur l'ongle à chacune de ces Dames, ils perdront chacun cent louis, & le Prince 300 contre M. le Comte; mais que si au contraire, le tout fait, parfait & vérifié, huit heures n'ont pas sonné, les mille louis de M. le Comte sont...

Le Prince, interrompant.

Ce que tu serais à l'instant si tu voulais bien le permettre...

Celestine, avec folie.

Ah bien oui! le moment seroit bien choisi... au surplus, la proposition est fort aimable & vaut... Tiens.... ( Elle lui donne un bon baiser ) & à vous aussi, pauvre Comte. (Elle l'embrasse de bon cœur. )

Le Comte, à mi voix, la retenant un instant.

J'ai quelque pressentiment de perdre.. Dans ce cas, il me faudrait bien un quart d'heure de votre compassion pour me consoler?....

Celestine, lui touchant dans la main.

Cela va: foi de coquine.--Voilà toujours un à compte. ( Elle le baise avec la plus flatteuse expression.

Le Prince, gaîment.

Pas mal! -- ( On sort. )

On aura dans un nouveau cahier la suite de cette aventure.

Fin du troisième Numero.

Supplément à l' Errata du second Numéro.

N#1+o#1-. 2. Page 36. ligne 8., avec demi, lisez avec un demi.

----- 50. ligne 22, sens, lisez sons.

----- 53. ligne 15 de la note, Quadmousié, lisez Quadmoüsié.

N#1+o#1-. 3. Page 12. ligne 2, m'échappa, lisez m'échappe.

----- 14. ligne 2., oui: j'ai &c., lisez oui & nou: j'ai &c.

Même page. ligne 7., il a déjà le fond, lisez il a déjà tout le fond.

Page 16. ligne 11., perpendicule, lisez perpendiculaire.

----- 18. ligne 17., entré, lisez reutré.

-----53. ligne 21., après elle sourit. Le reste à supprimer.

LES APHRODITES. SEMER POUR RECUEILLIR. PREMIER FRAGMENT.

Relevé du Journal particulier de M. Visard, historiographe des Aphrodites, du mercredi (a),.... Juin 1791.

„Je n'ai pas l'honneur d'être Aphrodite intime (b), mais j'ai le grade d' auxiliaire qui me donne mes entrées : elles sont limitées toutefois & ne s'étendent guères au-delà de certaines circonstances de quelque solemnité. té. Assez souvent je ne suis pas seulement assistantlibre, mais bien commandé, parce qu'il convient que je sois instruit par mes yeux, devant consigner dans les régistres de l'ordre, chaque fait avec tous ses détails d'une parfaite vérité. Or, j'étais ainsi de service à l'occasion de cette gageure (entre le Prince & le Comte) dont il est fait mention dans le précédent Numéro.„

„Afin que je pusse mieuxremplir mon objet, on me confina dans une petite loge tête-à-tête avec M. du Bossage, architecte, intendant des bâtimens & des machines de l'hospice. Il avait à la main le plan du local, & nous étions postés une heure avant le moment de la scène. M. du Bossage, amoureux de ses conceptions, comme de raison (mais par malheur déraisonnablement babillard) me fit essuyer un récit fatigant des proportions de ceci, de cela : en un mot, mille détails techniques, qui me faisaient bâiller jusqu'aux oreilles, & qui ne manqueraient pas d'en faire faire autant au Lecteur. Il peut suffire à celui-ci de savoir que ( a ), du point où j'étais, je découvrais (à la faveur de mille petites ouvertures irrégulières dont étaient criblés des cartons qui tenaient lieu de grille à notre loge) je découvrais, dis-je, une enceinte circulaire d'if mêlé de jasmin d'Espagne, percée de huit hautes arcades, entre chacune desquelles, au point milieu des trumeaux, était, sur son piédestal, une jolie statue de Génie-Enfant, alternativement de l'un & de l'autre sexe. M. du Bossage m'étonna beaucoup, lorsqu'il m'apprit que je ne voyais que de la peinture & des enfans de bois, tant l'effet de l'if, du jasmin & de l'albâtre était frappant & naturel ( a ).Unbaldaquin,enverredemonte, de taffetas du rose le plus tendre, à pentes-retroussées de gaze d'argent, couvrait cette riante enceinte. D'amples rideaux-roses partaient de la calotte, & venaient se perdre en fuyant derrière cettehaiecirculaire que M.duBossagenommaitles parois intérieurs du sallon d'if. Ce maudit homme me mit au désespoir en m'apprenant encore que le baldaquin & les rideaux cachaient à nos yeux une vilaine charpente qu'il me fit voir dans ses coupes, & à laqu-elle le tout était suspendu; que ces mêmes rideaux nous cachaient de plus de seize ouvertures, par lesquelles entrait de tous côtés (par les bords d'un toît-obtus à l'angle du fronton. (b)) une lumiere plongeante qui, criblée à travers le taffetas, procurait dans l'enceinte ce jour si égal, si animé, si harmonique dont j'étais ravi. Sans ces observations (malheureusement nécessaires pour que je fusse instruit) j'aurais pu croire à un lieu enchanté tel que les Fées ont le talent d'en créer avec leurs baguettes. Il m'obligea de noter: 1o. que le diamêtre de l'enceinte d'if, était de 30 pieds: la hauteur des parois ( il n'en démordait pas! ) de 15 pieds: & la hauteur, à partir du point central du sol jusqu'à celui de la calotte, de 25.--2o. Que, dans notre loge, nous n'étions élevés que de huit pieds; les arcades étaient à la vérité percées à la hauteur de neuf, mais des draperies du même taffetas que le baldaquin, & qui décoraient pittoresquement les cintres, dissimulaient le surbaissement du second plan (a). On saura plus tard quelle était la destination des espaces inférieurs, profonds de six pieds, où l'on communiquait par sept des arcades, la huitième étant réservée pour former l'entrée principale: au-dessus de ces espaces inférieurs tournait un cercle de loges, pareilles à celle où nous étions, & desservies par un corridor de deux pieds & demi.„

„Tout le long de la haie d'if regnait un trottoir de 5 pieds, recouvert d'un drap jaunâtre tirant sur le gris, qui faisait merveilleusement l'effet du sable. Au milieu de l'enceinte s'élevait, à la hauteur de 18 pouces, une plate-forme de dix pieds de diamêtre, des bords de laqu-elle s'inclinait, jusqu'au trottoir, un talut-rampant de verdure aussi bien imitée que tout le reste. Au centre de la plate forme était un petit autel antique, rond, d'excellent style & qui, d'où nous étions, paraissait être de marbre violace, décoré de têtes de bélier dorées qui servaient d'agraffes à des guirlandes de fleurs. Mais, il me fallut bien supposer que tout cela n'était aussi qu'apparent, puisque M. du Bossage me prévint que le soir tout aurait changé de forme pour offrir un ordre d'architecture, un sol uni & des loges visibles.--Cependant n'anticipons point.„

„J'en ai dit assez pour que le Lecteur qui aura bien voulu y réfléchir un peu, se soit fait une idée juste du lieu de la scène, & pour qu'aucune invraisemblance ne l'inquiétant, il puisse donner toute son attention à l'événement qu'ont pour objet tant de préparatifs. (a)

„Vingt minutes avant la représentation, plusieurs garçons de salle apporterent & coucherent sur le talut de verdure (en face des sept arcades qui n'étaient point celle de l'entrée) des meubles tels que je n'en avais jamais vus, & qui n'étaient ni des lits ni des sieges. M. du Bossage, l'inventeur, me dit qu'il les avait nommés des avantageuses.

„Une avantageuse est une espece d'affut destiné à recevoir un groupe de deux joûteurs. La Dame s'y présentant, comme à tout autre siege, doit se laisser aller en arrière, après avoir saisi de droite & de gauche deux thores bien garnis (représentant, par fantaisie, deux vigoureux braquemars.) Un coussin, ou demi-matelas assez épais, & plus ferme que mollet, revêtu de satin, la supporte alors depuis le haut de la tête jusqu'à trois doigts seulement de la naissance du sillon des fesses; le reste vagant en l'air, jusqu'aux pieds qui s'engagent, à peu de distance, dans deux especes d'étriers, (fixes mais mollement rembourés) & déterminent ainsi les jambes & les cuisses à se ployer en forme d'équerre. On conçoit quelle aisance cette position ne peut manquer de donner à la Dame pour l'écart, & pour le jeu des hanches, qui dès-lors n'est contrarié par aucun frottement. L'avantageuse ne place pas moins adroitement le Cavalier: tandis qu'une traverse assez large & douillette est sous ses genoux, ses pieds se trouvent appuyés par un troussequin. S'inclinant dans cette posture, il se trouve parfaitement à portée du but de son exercice: il passe alors ses bras sous ceux de la Dame, & trouve, (à la boiserie du meuble, en dehors) deux appuis cylindriques pour ses mains. Sur ce pied, la Dame & le Cavalier sont maîtres de ne se toucher, s'ils le veulent, que par les points qui doivent les unir, & de s'engager plus ou moins, soit que le Cavalier, s'amenant des mains, monte, ou que la Dame, ployant un peu les genoux, descende contre lui. Je compris parfaitement que ces dispositions obviaient à tous les inconvéniens des enlacemens des bras qui échauffent, qui gênent la respiration; à l'embarras des jambes & des cuisses qui, lorsque la Dame se croise sur les reins du Cavalier, rendent plus lent & moins facile le procédé frictif. (a) Il en est sans doute de ce qui allait se passer dans un moment sur ces avantageuses, comme de ce qui a lieu aux courses de chevaux, où l'art s'épuise à calculer les moindres avantages. On sait bien que, lorsque rien ne commande, il est infiniment doux de tenir dans un lit sa belle amie étendue sous soi, (ou sur soi) d'avoir les bras passés autour d'un joli buste, d'être pressé contre deux divins tetons, où l'on peut à gogo fourrer aussi son nez; de se sentir amené par une croix de deux jambes satinées &c. Mais ce n'est pas avec tout ce badinage paresseux qu'on tape en deux heures sept vigoureux coups sujets à la preuve.--Voici enfin le moment de savoir si nos sept couples les fourniront. ( a )„

On entend d'un peu loin des instrumens à vent, exécutant la marche des Mariages Samnites de Gretry.--Cette musique s'approche: Zoé parait à la tête de huit Nègres qui sont les musiciens. Zoé, agitant un gros tambour de basque, marque le pas & la mesure avec autant de grace que de précision. Elle est nue; sauf une draperie de taffetas ponceau pittoresquement jettée autour des hanches, & qui finit à trois doigts du genou. Cette écharpe forme à gauche un nœud bouffant dont les deux bouts sont garnis d'une haute dentelle d'argent. Zoé n'a, de plus, que des brodequins d' entrelas de ruban blanc & argent, des brasselets, à la hauteur du teton, & un collier du même ruban, avec une toque bouillonnée de gaze d'argent & une touffe élevée de plumes couleurs de feu. Les musiciens sont costumés à peu-près de même, excepté qu'au lieu d'écharpes ils ont aux hanches un tour fort ample & infiniment plissé d'écarlate bordée de franges d'argent: cette cotille descend jusqu'aux genoux. Les brodequins sont d' entrelas d'écarlate : les agraffes des brodequins, les brasselets, le collier sont d'argent; la toque est de batiste à calotte rouge: les plumes sont mêlées de blanc, de noir & de couleur de feu.

La musique est suivie de Belamour, aussi nud. ( a ) Son écharpe, absolument semblable à celle de Zoé, est lilas; ses brodequins, ses brasselets & son collier, verd-pomme & argent, ainsi que le ruban qui, tournant autour de son front comme un bandeau d'amour, fait derrière la tête un nœud auquel a l'air de se soutenir la grosse natte de ses longs cheveux. Belamour porte au bras un panier rempli de feuilles de vignes.--Derrière lui marchent sept couples de jeunes garçons & de jeunes filles ajustés de même, mais avec plus de simplicité & sans variété dans les couleurs. Le premier couple d'enfans est blanc: ce sont Fanfan & Chouchou. (a)--Le second, bleu de ciel: Bijou & Raton.--Le troisieme, verd de pré: Fauvette & Minet.--Le quatrieme, ponceau: Lolotte & Lutin.--Le cinquieme, rose: Mouche & Mouton.--Le sixieme, violet: Mimi & Toutou.--Le septieme, orange: Folette & l'Etoile.

A trois pas de distance de cette jeunesse, marchent les acteurs du pari; ceux-ci sont vêtus; les Dames ont, pardessus un simple jupon de taffetas blanc, une casaque de fantaisie, imitant la forme grecque, mais parfaitement bien à la taille, & descendant jusqu'au genou. Cette casaque, rayée de blanc & de la couleur du numéro, a les manches tranchées à la hauteur du teton, & ne croisant tout-à-fait, qu'au-dessous de la gorge, elle en laisse voir parfaitement la séparation avec plus de moitié de chacun de ses hémisphères. L'écharpe & le ruban, (seul ornement de la tête, dont les cheveux n'ont point de poudre) sont en plein de la couleur qu'exige le numéro. Les Cavaliers en pantoufles de maroquin fort découvertes, en pantalons blancs, en gilets rayés d'étoffe pareille aux casaques des Dames, le col nud, les cheveux sans poudre & relevés, ont aussi des écharpes de la couleurpleine de leur numéro. Chaque Cavalier est à gauche & marche, son bras passé derriere les reins de sa Dame; celle-ci a la main gauche sur l'épaule droite de son Cavalier, comme lorsqu'on se dispose à valser.--Voici l'ordre & les couleurs de ce cadrille ( a ). Premier couple, blanc: la Comtesse de Troubouillant ( b ); le Chevalier de Limefort ( c ). --Second couple, bleu de ciel: la Vidame de Cognefort ( a ); le Chevalier de Bout'-avant ( b ).--Troisieme couple, verd de pré: la Marquise de Band'à-moi ( c ); le Mar- quis de Bellemontre. (a)--Quatrieme couple, ponceau; la Duchesse de Confriand. (b) Le Marquis de Fout'en-cour. (a) --Cinquieme couple, rose; la Vicomtesse de Pillengins. ( b ) Le Baron de Mâlejeu. ( c ) -- Sixieme couple, violet; Milady Beau-Déduit. ( a ) Le Vicomte de Durengin. ( b )--Sep- tieme couple, orange; la Baronne de Vaquifout, ( a ) le Chevalier de Pine - Fière. ( a ) A leur suite marchent dans un déshabillé fort propre & sans prétention, Célestine & Fringante ( a ) ( son adjointe ) & enfin Madame Durut.

Ce cortege fait d'abord un tour entier. Lorsque les musiciens se retrouvent à portée de l'entrée principale, ils tournent à droite comme pour sortir, mais ils restent dans le passage & continuent de jouer. Les Pages & Demoiselles ( b ) poursuivent leur marche jusqu'à ce que chaque couple (de même pour les champions) ait atteint l' avantageuse qu'indique son numéro, ce qui ramene Fanfan & Chouchou; Madame de Troubouillant & Limefort jusqu'à la derniere avantageuse outrepassée au premier tour: laissant à la suivante Bijou & Raton; Mad. de Cognefort & Bout'avant: à la troisieme, Fauvette & Mïnet; Mad. de Band-à-moi, & le Marquis de Bellemontre: à la quatrieme, Lolotte & Lutin; Mad. de Confriand & Fout-en-cour: à la cinquieme, Mouche & Mouton; Mad. de Pillengins & Mâlejeu: à la sixieme, Mimi & Toutou; Miladi Beaudéduit & Durengin: à la septieme enfin, Follette & l'Etoile; Madame de Vaquifout & Pine-Fière.

Tout le monde ainsi distribué, Mad. Durut, Célestine & Fringante montent vers l'autel par trois marches, dont est gradué le talut en face de l'entrée principale. Belamour leur apporte des tabourets: ensuite il se retire & vient dans le trottoir; son service dans cette occasion, étant de veiller à ce que toute la petite jeunesse ne manque à rien de ce qui lui est prescrit.

LA PIECE CURIEUSE. SECOND FRAGMENT.

C'est dommage sans doute de distraire un moment le lecteur à qui l'on n'a déjà que trop fait attendre le spectacle du tournoi dont on vient de lui faire connaître la lice & les tenants. Mais il est indispensable de mettre à sa vraie place une scène épisodique trop intimément liée à l'action principale & à la circonstance du moment pour qu'on puisse franchir ou différer.

Ce local, cet appareil, la beauté des champions, le prestige du tout, produisait sur le Comte-parieur (placé avec son adversaire dans une des loges masquées) l'effet le plus délicieux, & déjà cet ambulant si difficile à distraire de sa profonde mélancolie, bénissait son bon génie de l'avoir conduit dans le sanctuaire des Aphrodites.... Soudain! quel contraste! quel revers! la loge des parieurs était la premiere à droite au-dessus de l'entrée principale; celle par conséquent où se déployait le plus avantageusement aux yeux du Comte la rare beauté du cortège: à chaque couple son admiration croissait... mais quand le dernier met enfin le pied dans l'enceinte....

Le Comte, dit avec trouble.

Oh ciel! que vois-je!

Le Prince.

Qu'avez-vous donc?

Le Comte.

Rien, mon Prince.... Ce n'est rien... Ce ne sera rien.

Le Prince.

Impossible!... vous pâlissez! vous trouvez-vous mal?...

Cependant la marche continue: l'objet dont on est frappé, s'éloignant & tournant le dos, le Comte, qui s'efforce, parait un peu plus calme. Mais lorsque, le tour s'achevant, on revient de son côté & qu'une figure dont le profil & l'ensemble lui ont causé tant d'agitation, s'avance & présente la face, le saisissement du malheureux étranger redouble....

Le Comte, à lui-même.

Funeste imagination!... Si cette femme ( la Baronne de Vaquifout ) n'était pas aussi grande... je jurerais... mais ce ne peut être elle... pourtant!... ( elle est plus près ) Oh c'est elle!... c'est bien elle... Si mes yeux pouvaient la méconnaître, mon cœur... ce cœur déchiré ne me confirmerait que trop ce dont ils voudraient douter...

Le Prince.

Il n'est pas très poli, cher Comte, de vous faire observer que vous extravaguez... A qui en avez-vous donc?

Le Comte.

Eulalie, Prince... ( il paraît absorbé. )

Le Prince.

Mais paix donc. Savez-vous que, sans la musique, on vous aurait entendu! Nous sommes ici, nous devons du moins y être dans le plus grand incognitò.

Le Comte, du même ton.

Eulalie... où, & dans quelle circonstance le sort la rend-il à mes vœux!

Le Prince.

Sortons plutôt...

Le Comte, éperdu.

Non, je demeure... & j'en mourrai.

C'est dans ce moment que les couples de champions s'étant arrêtés devant leurs avantageuses respectives, chaque Page se hâte de mettre une Dame absolument à nud, & que chaque Demoiselle en fait autant à un Cavalier. On observera que, comme exprès, l' avantageuse de la Baronne de Vaquifout était précisément la plus proche des yeux du Comte délirant.--Une pendule placée sur l'autel sonne: au premier coup les sept Venus sont abattues sous les sept Mars. A l'instant chaque boutejoye s'est fièrement enfoncé. La foudre du plaisir gronde, c'est-à-dire les soupirs, les baisers, les accens; mais à peine l'œil faisant sa ronde pourra-t-il donner un instant à chaque groupe, tant est prompt ce fougueux début... Le timbre de la pendule retentit encore que déjà la premiere couronne est enlevée. Les vainqueurs s'enfoncent aussi-tôt dans les retraites au-dessous des loges. Là, chaque Demoiselle va purifier un de ces Messieurs, après avoir préalablement remis, soit à Célestine, soit à Fringante, deux feuilles de vigne, entre lesquelles doit se trouver la preuve recueillie de l'outrance de chaque prouesse. Les Pages s'approchent pour aider les Dames à se lever, & les conduisent de même, pour l'objet de la toilette, chacune dans la retraite qui lui est destinée... Tout cela s'est fait avant qu'un premier morceau de musique vivace & court ne soit achevé.

Cependant tandis que le bonheur pleuvait dans ce temple du plaisir, un malheureux, (c'était le Comte) s'était évanoui, n'ayant pu soutenir le supplice de voir son Eulalie se résignant, avec la sérénité d'une Déesse qui s'endort, aux transports de l'adorable Pine-Fière. Le Prince, à qui l'accident de son adversaire ne cause guères moins de frayeur que d'embarras, a pourtant la présence d'esprit d'écrire avec son crayon, A nous, Durut? sur une carte de visite qu'il lance dans l'arène, à travers l'une des visières de la loge.--Cette carte est ramassée. Durut sort: mais tous les acteurs sont dans ce moment occupés de se préparer pour leur seconde accolade, & l'éclipse de Durut ne changera rien à l'exécution des sept sacrifices projettés ( a ) Laissons Mad. Durut prendre connaissance du triste fait pour lequel on vient de l'appeller, & demeurons avec la bande heureuse.

A peine les combattans ont-ils disparu pendant trois minutes, qu'on voit les Dames s'élancer sur leurs avantageuses avec une gaîté du plus heureux présage pour les nouveaux champions qui doivent les y assaillir. C'est l'angélique Pine-Fière qui va s'unir à l'impétueuse Troubouillant.-- Enfin donc on t'aura? (lui dit-elle se relevant un instant pour lui donner un baiser & l'entrainant ensuite.) Cependant Limefort traité précédemment par la Dame avec moins de distinction, n'a pas l'air de se formaliser de cette affectation de faveur, il passe fort tranquillement dans les bras de Mad. de Cognefort qui, n'étant pas non plus une complimenteuse, s'est déjà très essentiellement transfigée, quand sa voisine en est encore à polissonner avec l'enjoué Pine-Fière.--Le redoutable Bout-Avant se présentant à Mad. de Band-à-moi, lui en impose d'abord un peu. = Voyons, dit-elle en lui souriant, comment je m'en tirerai. = Elle n'a cependant pas la petite pruderie de lui ordonner de se raccourcir au moyen des croquignoles. = Je ne l'aurais jamais cru, ajoute - t - elle, venant de vérifier que ce boutejoié effrayant, même chez les Aphrodites, a pu se loger tout entier.--Le Marquis de Bellemontre est aux pieds de la petite Duchesse. = C'est du plus loin qu'on se souvienne, Marquis? (lui dit-elle avec une mine charmante) Fais - moi le baiser... (il obéit) On doit bien cette petite amitié aux gens qui reviennent de voyage. Le reconnaissant Marquis prend pour lui la leçon, & jette gaîment à son tour un baiser sur le bijou rosé de sa championne. A l'instant même il la traite encore mieux.--Fout-en-cour est en présence avec Mad. de Pillengins; elle s'est saifie du braquemart du plus loin qu'avec ses grands bras elle a pu l'atteindre, & se soulevant en arcade elle se l'est planté avec un emportement, bien aussi flatteur que de jolies phrases.--En même tems Mâlejeu tombe avec admiration dans les bras de Miladi Beaudéduit. = Ne vous pressez pas, lui dit elle après lui avoir laissé le soin de l'enfilade, je mourais d'envie de vous avoir... Laissez-moi le tems de vous goûter un peu. Nous n'arriverons pas pour cela plus tard que les autres au but. = Le tout en remuant si moëlleusement des hanches que c'était un grand plaisir de la voir.--Quant au Durengin, qui échéait à la belle Vaquifout, déjà complettement maître de ses charmes & s'agitant à mesure qu'on paraissait moins s'occuper de lui, son inquiétude était que peut-être la Dame, dont les superbes yeux étaient fermés, ne sût pas de qui elle faisait le bonheur: mais il fut bientôt rassuré quand avec un sourire & un son de voix également obligeant, on lui dit: „Il ne m'en faut pas tant, cher Durengin! Moins fort, tu me feras encore plus de plaisir: „= Alors il ralentit, & telle est cette superlativement électrique Baronne, que ce couple eut des premiers fourni la seconde carriere; il était au surplus impossible d'observer que personne y fût en retard. On procédait à la seconde purification générale quand la pendule frappa le quart de la premiere heure.

Le Lecteur voit déjà que chacune de ces Dames continuera de se conduire avec chaque nouveau joûteur selon son propre naturel & le dégré de goût que l'individu pourra lui faire prendre à la chose?--A la troisieme accolade, Durengin fut parfaitement accueilli par Mad. de Troubouillant.--PineFière étonna Madame de Cognefort qui n'ayant pas l'honneur de le connaître & ne voyant qu'un blanc bec, avait mis à son début certain air de demi-intérêt qu'un moins bon-enfant aurait pu prendre en mauvaise part. Mais comme bientôt il parut digne qu'on déployât avec lui tous ses talens, la chere Dame se mit à le travailler en maîtresse.--Quant à l'arrangement dont il s'agissait entre la petite Duchesse & Bout-avant, il y eut bien d'abord quelque difficulté. La Duchesse prétendit que le pari, comme affaire d'argent, ne l'intéressait pas assez pour qu' elle se laissât estropier. Qu' ainsi elle ne pouvait affronter l'énorme outil de ce Monsieur. La contestation fut assez vive pour que les Maréchales, Célestine & Fringante, fussent obligées de connaître du cas. Célestine emporta d'emblée les trois quarts de la peur de la Duchesse en lui rappellant que huit jours auparavant elle avait subi D. Ribaudin ( a ) qui n'en a que deux lignes de moins que Monsieur. Celui-ci acheve d'applanir l'obstacle, car il propose de ne se présenter qu' avec telle quantité de ses croquignoles qu'il peut plaire à Madame d'ordonner. Pouvait-on rien de plus raisonnable! les mesures étaient ainsi prises contre les dangers de la longueur: la grosseur? on n'en parla point. La Duchesse n'avait pas envie qu'on se moquât d'elle. Sur ce pied, Bout-avant garni de six croquignoles & bien prié d'avoir des égards, eut enfin la permission d'enfiler l'anneau ducal. Mais les croquignoles se trouvaient mal cuites. Du premier coup il s'en brisa trois dont les servans de ce couple vinrent diligemment écarter les bribes. Cassez, cassez le reste, leur dit vivement la Duchesse, tout cela n'est bon qu'à estropier.--D'ailleurs, Madame, dit Bout'avant avec un grand air de bonne foi, je vous jure de ne point abuser...--Puis-je m'y fier?--Ma parole d'honneur.--Eh bien donc?... & la petite diablesse de se trémousser alors comme une folle... Ils consomment... Mais quel est l'étonnement de la confiante Dame quand, voulant savoir de combien on lui avait fait grace, elle se trouve engagée avec son champion poil à poil! = A la bonne heure, dit-elle gaîment, je me serais voulu du mal d'être moins heureuses que ces Dames pour qui, grace à Dieu, rien n'est trop fort.--Quand je vous le disais! (lui jetta de son estrade l'épigrammatique Célestine... = Il n'était pas encore tout-à-fait la demie lorsque Limefort finit avec Mad. de Band-à-moi: la devise de cet homme étant: che va piano va sano, c'est lui que désormais on verra toujours être le dernier à la cher prise. Rien de remarquable ailleurs.

Quoi qu'il n'y ait pas de plus infaillible moyen pour ennuyer un Lecteur que de ne rien lui laisser à deviner, on ne peut cependant se dispenser de dire ici que pendant tout le tems où les avantageuses sont occupées, la musique ne cesse point de jouer. Pendant le premier acte, elle a exécuté, comme on sait, un air analogue à l'impétuosité d'une premiere charge. Pour le second acte, on a joué plus voluptueusement; & dans le même genre, mais avec variété, pour le troisieme. Il faut aussi se tenir pour dit qu'à la fin de chaque accolade la vérification est exactement pratiquée. Ce soin sera pris plus scrupuleusement à mesure que la tache approchera de sa fin. Les feuilles de vigne qui doivent, après la cérémonie, témoigner aux yeux des parieurs, sont rangées, par Célestine & Fringante, sur des cartes, au numéro de chacun des champions.--Une remarque encore c'est que les Cavaliers n'ayant pas, dans leur état de nudité, le ruban ( a ) distinctif qui signale les Dames, il y est suppléé par un brasselet que chacun de ces Messieurs porte au bras gauche selon la couleur de son numéro.

Entre la troisieme & la quatrieme accolade on est sorti des retraites (garde-robes dans cette occasion.) Les Dames en chemises, ou lévites, & ceintes de leurs écharpes: les Cavaliers en longue lévite de basin, avec une grosse cravate négligemment mise, dont les bordures sont de la couleur du numéro.--Dans cet équipage on se promene, on s'agace, on folâtre pendant un petit quart-d'heure. Mais Mad. de Troubouillant, cédant la premiere aux instances de Mâlejeu, dont c'est le tour & qui a pour elle un goût particulier, dès qu'on voit ce couple quitter ses vêtemens, tous les autres se hâtent d'imiter, & soudain toutes les avantageuses sont de nouveau foulées. C'est cette fois que (les Cavaliers étant moins incommodés d'une surabondance de desir) ces Dames sont plus savoureusement servies. On présume comment, puisque le goût s'en mêle, Mad. de Troubouillant doit s'y trouver bien de Mâlejeu.--Durengin y jette Mad. de Cognefort dans un véritable délire.--Mad. de Band-à-moi y jure à Pine-Fière qu' il gagne infiniment à être connu. --Limefort y mitonne à la petite Duchesse une vraie jouissance de None..--Il faut à Bout-avant toute la solidité de son moyen d'agencement pour n'être pas désarçonné par les haut-le-corps variés de Mad. de Pillengins.--L'assaut régulier de Bellemontre avec Miladi, ressemble à celui de deux habiles maîtres d'armes qui s'amusent à la parade du contre. -- Fout-en-cour qui connait le genre & les moyens de la magnétique Baronne se laisse couver à travers un presqu'imperceptible limage.

En quatre minutes, pendant lesquelles la musique exécutait une pastorale, dont le motif n'a rien de fade, toute cette besogne s'est achevée: il n'est pourtant encore que deux minutes au-delà des trois quarts.

Cependant Mad. Durut était absente sans l'être. Montée à la loge des parieurs &, ayant fait, aidée du Prince, ce qu'il fallait pour ressusciter le malheureux adorateur de Mad. de Vaquifout, elle était restée avec ces Messieurs dans leur loge, d'où, par une étrange folie, l'offensé Comte n'avait pu se résoudre à sortir. En vain chaque fois que la Baronne changeait de joûteur, le jaloux faisait-il la grimace d'un homme à qui l'on tourne un poignard dans le sein, il restait se lamentant, s' exclamant à faire enfin mourir de rire deux témoins qui ne pouvaient plus estimer sa passion, ni plaindre son infortune. Il avait écrit au crayon un mot qu'il espérait de faire remettre, même avant la fin de cette crucifiante séance. Mais, avait dit.

Mad. Durut.

Vous voyez bien, M. le Comte, qu'il y aurait de l'extravagance à troubler une fête qui va le mieux du monde.

Le Comte.

Mais j'abandonne mon pari: j'ai perdu.

Mad. Durut.

Vous avez affaire à des gens trop délicats pour qu'ils consentissent à s'approprier une somme cédée. D'ailleurs que sait-on? Peut-être ( Elle souriait au Prince à part ) peut-être ne rempliront-ils pas les conditions de la gageure, & vous gagneriez; ce serait toujours une petite consolation...

Le Comte.

Eh! que mes mille louis aillent à tous les diables.... Tenez!... ( c'était dans ce moment que Fout - en - cour obombrait la Baronne ) Voyez... avec quel calme ces monstres me distilent l'outrage....

Le Prince.

Mais quelle fureur aussi de demeurer cloué sur l'objet qui vous assassine.

Le Comte.

Je n'y tiens plus. ( il avait envie de rouler son billet & de le jetter dans la salle comme avait fait le prince pour avertir Mad. Durut. )

Mad. Durut, l'arrêtant.

N'en faites rien. L'avis que vous donneriez ainsi de votre présence serait absolument inutile. Je connais Mad. la Baronne. Elle saurait très mauvais gré à qui que ce fût de l'avoir dérangée, & d'un ensuite que savez-vous si, ne devant pas être peu prévenue en votre faveur, l'humeur que vous lui donneriez en ce moment, ne gâterait pas absolument vos affaires, au lieu qu'en vous y prenant bien, il y aura peut-être encore du remede.

Le Prince.

Ma foi, Comte, vous avouerez que Durut parle comme un oracle... Voyez tout, & si, à la fin, vous n'êtes pas désenchanté, libre à vous alors de risquer une reconnaissance...

Le Comte ne répondit rien à ce persifflage. Comme il ne paraissait plus menacé de faire la carpe sur nouveaux frais, la Présidente Durut descendit & reparut dans l'enceinte: c'était pendant l'entr'acte de la quatrieme à la cinquieme accolade.

Le cinquieme accouplement mit Fout-en-cour aux prises avec Mad. de Troubouillant qui ne le couva pas comme avait fait la Baronne.--Mâlejeu passait à Madame de Cognefort. Il résulta de l'analogie de leur maniere une sorte de tempête qui détourna sur eux l'attention d'une partie des spectateurs. (On saura en tems & lieu qu'il y en avait plus qu'on ne s'en doute.--Durengin réveilla Mad. de Band-à-moi qui s'était un peu trop attendrie avec Pine-Fière.--Celui-ci fit un joli petit coup raffiné avec la Duchesse, folle de ces figures qu'on nomme des miroirs à ... Elle se voyait dans les beaux yeux de l'Adonis.--Mad. de Pillengins poussa Limefort au delà des bornes de sa trop régulière méthode.--Miladi fit briller tout son savoir-faire à l'occasion du recommandable Bout-à-avant qui se piquait d'émulation à son tour, cette belle lui ayant dit fort obligeamment qu'il lui touchait le cœur. --La Baronne de Vaquifout remercia Bellemontre, après l'affaire, par un baiser qu'elle n'avait accordé si tard à personne. Après avoir été fort attentive à la vérification, elle voulut bien encore poser avec beaucoup de tendresse ses levres de roses sur le museau du boutejoye fortuné.---Dans ce moment il n'était que sept heures six minutes.

Pendant qu'on se purifiait, Mad. Durut donna ses ordres à la musique pour que le sixieme morçeau fût émoustillant, & le septieme tout ce qu'il y aurait de plus vif.---Enfin dès que les servans des deux sexes furent libres, elle leur fit porter à la ronde des tasses d'un bouillon confortatif pour les Cavaliers; des glaces & d'autres rafraîchissemens pour les Dames; des pâtes & confitures, des fruits échauffans, des diabolini, des bonbons & pastilles à l'ambre. L'heureux cadrille était bien éloigné d'avoir l'air de remplir une tâche. La gaîté la plus folle prouvait à quel point chacun était sûr de soi. Loin que les entr'actes fussent prolongés, on avait peine à leur donner une durée raisonnable. Chaque Chevalier attaché de bonne heure à sa nouvelle Dame, pressait, lutinait & la forçait enfin à combler un importun desir...

C'est ainsi que le quart frappant toutes ces Dames, comme si l'on avait donné le signal, furent couchées: Mad. de Troubouillant, sous Bellemontre: Mad. de Cognefort, sous Fout-en-cour: Mad. de Band'amoi, sous Mâlejeu: Mad. de Confriand, sous Durengin: Mad. de Pillengins, sous Pine-Fière: Mad. de Beaudéduit, sous Limefort: & Mad. de Vaquifout, sous l'illustre Bout'avant, qui pour le coup (on en prit note pour le consigner ensuite dans les régistres) qui, disons-nous, fit ouvrir deux fois les yeux à cette belle, & lâcher au dernier moment un ( a ) foutre! dont tout l'espace retentit ( b ). Le pauvre Comte en faillit tomber de sa chaise, & fut plus de six minutes en convulsions. Il était alors sept heures vingt-deux minutes.

Sans doute, cher Lecteur, vous entrevoyez d'ici que nos sept aimables couples ont ville-gagnée, se trouvant 38 minutes devant eux, & n'ayant plus qu'une poste à courir. Mad. Durut était au comble de la joie, voyant que pas une preuve n'était équivoque, & que tous les champions faisaient, dieu merci, la plus belle contenance imaginable. Prudente cependant, elle voulut, à tout hasard, s'assurer encore mieux de son monde &, sans affectation demander à ces Messieurs s'ils n'auraient pas besoin de quelque propice auxiliaire?--Le premier qu'elle aborda, était l'inamollissable Durengin qui, pour toute réponse, entr'ouvrit sa lévite. Elle passa, conservant d'autant moins de crainte à propos de celui-ci qu'il avait sous le bras sa future, Mad. de Pillengins, femme à tirer de l'huile d'un caillou.--Pine-Fiére à qui (mais avec beaucoup de ménagement) Mad. Durut laissa voir quelque doute, lui dit avec humilité: „Je ne serais pas sans inquiétude, si je n'étais rassurée par le charme irrésistible de Miladi.„--Je réponds de lui, interrompt celleci beaucoup moins modeste.--Vous êtes en bonnes mains, va dire ensuite à Limefort, la bonne Durut, tandis qu'il flegmatisait avec la Baronne...--Je le connais, dit celle-ci, n'ayez pas peur pour nous, dussionsnous être accrochés encore à la cinquanteneuvieme minute.--Durut? je suis sur les dents (lui dit en passant la petite Duchesse.) Bon, bon! lui répondit-on: Monsieur, (c'était Mâlejeu) vous relevera du péché de paresse. --Fout en-cour avait l'air trop fanfaron pour qu'on osât seulement lui parler; d'ailleurs sa prétencieuse Mad. de Band'amoi aurait pris en très mauvaise part qu'on eût l'air de douter du pouvoir de ses charmes. Bellemontre était le moins confiant de tous ces Messieurs. Durut s'en apperçut, mais de peur de le déconfire encore davantage, au lieu de lui parler, elle vint par derrière près de sa partenaire Mad. de Cognefort & lui dit à l'oreille: „ Je vous recommande cet homme-là. „--Jem'encharge,réponditd'un ton avantageux la luronne de Cognefort.--Il ne faut pas demander à M. de Bout'avant (dit enfin à celui-ci Mad. Durut en lui faisant une profonde révérence)...--Quoi, lui demander? (interrompit-il)--S'il est sûrdesonfait,puisqu'ilaural'honneur de finir avec Mad. de Troubouillant?--Finir! (riposta très piqué le pétulant Flandrin) oui, peut-être; quand avant de sortir d'ici je l'aurai mis à Mesdames Durut, Fringante & Célestine.---Holà, holà.---Qu'on nemefâche pas,ou,ventrebleu, j'y fais passer aussi Zoé, Belamour & toute la mitraille du service. --- A cette folle menace Durut fit un saut en arrière & se signa.

C'est après s'être ainsi tour-à-tour occupé d'affaires sérieuses & de gaîtés, que le cadrille qui avait fixé le septieme exploit au moment de la quarantième minute, fut averti de cet instant par Mad. Durut à haute & intelligible voix. Aussitôt toutes ces Dames furent abattues: la musique faisant le diable, & tous & chacun des acteurs ne voulant pas avoir l'air de jouer du reste. Dieux! quelle ardeur! quels coups-de-cu! quel cliquetis de baisers, de sanglots, de cris & d'éloges! quel abandon! quel avant-goût de triomphe, même avant d'avoir consommé! Il n'y avait que la Baronne avec son Limefort qui s'ébatissent paisiblement: tous les autres avaient fini; tout était vérifié, seul, le cruel couple, (comme s'il n'eût été question que de faire avaler au pauvre Comte la lie du calice d'amertume) seuls, ces gens-là ne désemparaient point.--Limefort avait attaché une très petite montre au ruban des cheveux de la Baronne.---Quelle heure est-il? (demanda-t-elle)--55 minutes.---(Elle fut alors quelque tems sans parler....) Finis maintenant. = Lorsqu'ils se releverent, il était 59 minutes, la montre avançant de quelques secondes sur la pendule.---Alors toutes les loges (elles étaient remplies) s'ouvrirent brusquement & des applaudissemens continus firent retentir la salle.

Cependant le fameux Bout'avant, qui le premier avait mis le nez hors de sa garde-robe, n'oubliait point une fanfaronade par laqu-elle il se croyait engagé. Le voilà donc venu saisir à l'improviste & porter sur la plus proche avantageuse la bonne Durut, tandis qu'elle ne pensait qu'à l'objet du bien public... Mâlejeu, Durengin, ne voyent pas sans une égale émulation ce trait de bravoure galante & accourent; le premier s'empare de Fringante, le second de Célestine, &.... la fraiche Présidente, ses délectables acolytes, toutes trois sont impitoyablement violées sans respect pour la gravité de leur ministere public. Quarante paires de mains célébrent si vivement ce piquant impromptu qu'on croirait entendre le bruit de toute une chambrée à quelque grand spectacle, lorsque parait sur la scène l'auteur demandé d'une piece qui vient d'obtenir la couronne. ( a )

JEAN S'EN ALLA COMME IL ETAIT VENU. TROISIEME FRAGMENT. MÊME LIEU.

Cependant la boutade de MM. de Bout'-avant, Durengin & Mâlejeu, dérangeait étonnamment l'ordre que Mad. Durut avait imaginé pour la retraite, comme pour l'entrée elle s'était fait admirer. Les Tenantes, les Tenans rajustés, tous les petits Servans des deux sexes s'étaient amassés dans le trottoir par pelotons partagés entre les trois groupes, & se livraient à la plus folle joie. Les spectateurs des Loges, à découvert, riaient, encourageaient, applaudissant à tout rompre. La musique avait cru devoir répéter avec la plus extrême vivacité le morceau de clôture, mais il n'était guères possible de l'entendre. On s'enivrait de folie; on délirait, tandis que Mad. Durut, Fringante & Célestine, la tête perdue, ne voyaient, n'entendaient plus, & en détachaient de tout leur cœur.

L'exemple est contagieux: à travers cette confusion, Belamour doux, mais espiègle & plus chaud que ne l'annonce son air enfantin, convoite, cherche & trouve Zoé qui depuis le départ de Loulou lui trottait en cervelle. Dans un moment où tout lui semble rendre excusable un trait d'insubordination, il attaque la Négrillonne qui d'abord le reçoit en badinant & joue: mais c'est tout de bon, il s'y prend de maniere à ne pas lui laisser d'incertitude sur l'outrance de son objet. Cette gaîté ravive la galerie, les bravò, le claquement des mains ajoutent à l'ardeur des jeunes combattans. Bien attaqué, bien défendu: Belamour a le courage d'un lionceau; Zoé, l'adresse d'une jeune biche. Mais le beau sexe est toujours le plus faible, surtout quand on le prend par où le fripon de Belamour était enfin maître de Zoé. Il la pressait contre une avantageuse, elle y tombe, & comme il est impossible d'être supportablement sur ce meuble sans engager ses pieds, elle le fait à l'instant par absolue nécessité. Dès lors il serait ridicule qu'elle fît plus de résistance, & puisqu'elle en est là, pourquoi ne pas faire tout de suite les choses de bonne amitié? elle se soumet donc à la circonstance &, rassurée par un applaudissement général, elle n'a plus que l'ambition de mériter le suffrage de tant de connaisseurs qui sont prêts à la juger. Belamour gagne beaucoup à ce noble élan de l'amour-propre: Qu'on s'imagine voir une Psiché d'ébene berçant, baisant & mordillant l'Amour.

A travers ces ébats, Mad. Durut, quitte enfin de son enragé de Bout'avant, survient & prend connaissance du cas. Son premier mouvement est de la colère: sans doute elle troublerait des enfans charmans qui, dans cet instant, hélas, ne savent guères si l'on conspire contre leur bonheur; mais ces Dames du tournois, ces Messieurs font obstacle & le petit coup est complettement fourbi sans esclandre. C'est ainsi qu'au théâtre, après quelque chef d'œuvre de nos fameux auteurs dramatiques, on pourrait voir le spectacle terminé par une scène de marionnettes. Durut, qu'on a calmée & qui finit par rire de la passade, laisse Belamour jouir des félicitations de toutes ces Dames qui, l'embrassant tour-à-tour, lui souhaitent, comme autant de Fées, tous les biens qu'il mérite ; autant de jolies femmes qu'il en pourra servir ; en un mot tout ce qui peut contribuer au bonheur.

Le moindre retard pouvait nuire beaucoup à la marche des choses ordonnées par Mad. Durut. Elle supprime donc le reste de la cérémonie & prie les Assistans de vouloir bien se retirer de l'enceinte qui doit, comme on sait, être métamorphosée pour le même soir. Tout le monde, de la salle & des loges, s'en va dans les jardins où la promenade, une barque, une escarpolette, un trou-madame, un billard, un jeu de bague &c., occupent ceux qui ne préférent pas les mystérieux & propices détours des bosquets anglais, parsemés de temples & d'autels érigés au Dieu du plaisir Pendant que d'un autre côté le machiniste, le décorateur & leurs ouvriers s'évertuent, Mad. Durut réunit les parieurs. On démontre au malheureux Comte que ses mille louis sont bien perdus: ce n'est pas ce qui l'afflige le plus. Chacun des sept gagnans reçoit cinquante louis. Ces Dames (qui, bien entendu, ont été mises secretement de moitié) seraient incapables de toucher les cinquante qu'on laisse pour chacune d'elles: mais Mad. Durut les porte ostensiblement en recette sur le grand livre à la marge de leurs comptes. Le Prince, qui a ordonné une fête (à l'occasion de laqu-elle le monde des loges était invité) veut laisser 150 louis, mais les parieurs-gagnans qui sont dans le secret, ne permettent pas que le Prince supporte seul les fraix de cette galanterie; après bien des débats de délicatesse, on s'en rapporte enfin à Mad. Durut qui décide que chacun des sept tenans donnera cent écus, & que le Prince doublera la somme totale: = „Laissez-moi faire, dit-elle, & ne songez plus qu'à vous divertir. Défendez-moi d'aller jamais me faire foutre, si je ne vous fais pas joliment passer votre tems. Bon soir. = „Alors elle les met gaîment à la porte & s'enferme dans son intérieur.

La Scène est dans une pièce de l'appartement

de Madame Durut. Certains penseurs prétendent que l'amour est peut-être moins encore dans le cœur que dans la tête: il faut qu'ils ayent à peu-près raison, puisque le Comte de Schimpfreich a ), cocu par sept rivaux en sa présence, avait encore, malgré tant d'affronts, la fureur de vouloir se mettre incontinent aux pieds de Mad. de Wakifuth!

Quoi! ( disait:

Le Prince, à cet étonnant mortel.

Vous n'êtes pas encore guéri!

Le Comte.

Je suis plus malade qu'avant de l'avoir revue. Elle est devenue si belle!...

Le Prince.

Mais si communicative!

Le Comte.

Je ne lui avais supposé qu'un défaut...

Le Prince.

Ah oui: je m'en souviens. D' être froide? Il est très vrai, mon pauvre Comte, que vous savez maintenant à quoi vous en tenir... Que voulez-vous enfin à cette femme?

Le Comte, avec feu.

Lui vouer mes soupirs, mes desirs, tout mon être. Réparer mes anciens torts: la prier d'agréer ma main & le partage de ma fortune.....

Le Prince, d'un ton sec & froid.

( Après un moment de silence ) Vous avez raison, Monsieur. Chacun sait mieux, que qui que ce soit au monde, ce qu'il lui faut pour être heureux. Vous ferez très bien de vous satisfaire...

Le Comte.

L'honneur veut.....

Le Prince, interrompant.

Sans doute. -- Il salue & s'en va.

On se représente aisément l'embarras du Comte si brusquement délaissé par la seule personne qu'il connaisse dans un séjour où il est arrivé sans même en avoir vu la route. Cependant il tient outrément à son idée: il lui faut un intermédiaire... Célestine parait. Elle a une de ces physionomies sensibles qui promettent tout aux malheureux.

Le Comte, accourant près d'elle avec un air d'agitation.

Ah! Mademoiselle! quel bonheur....

Celestine, en riant.

Chut... chut: ce n'est pas encore le moment...

Le Comte.

Il ne s'agit point de ce que vous imaginez, belle Célestine....

Il lui conte ses doléances, l'instruit de tout, la prie, la supplie de se charger d'une premiere ouverture auprès de la Baronne..--Célestine a le cœur plus sensible encore que sa physionomie: elle a pris au malheur du Comte un vif intérêt: elle veut bien aller de ce pas pérorer Mad. de Wakifuth.

Celestine.

Si je réussis à l'engager dans un entretien particulier, c'est ici que je l'amenerai. Retirez-vous là dedans ( elle ouvre un petit cabinet ) vous entendrez tout: &, selon que la chance tournera, vous serez le maître de vous montrer ou de rester invisible.... ( Fort gaîment ) Et de l'aventure; me voilà cassée aux gages?

Le Comte, lui baisant la main.

Adorable Célestine! vous méritez mieux que je ne vaux. ( Il se précipite une seconde fois sur sa main & la baise.

Celestine.

Ce pauvre Comte! il me fait pitié.--Tenez: ( lui donnant un baiser sur le bec ) Patientez toujours avec cela, jusqu'à ce que je vous amene votre archi-fouteuse Eulalie. ( Elle ferme sur le Comte la porte du cabinet. )

Célestine qui croyait trouver très facilement Mad. de Wakifuth, y eut beaucoup de peine. Cinq des Dames du tournois, auxqu-elles elle s'était adressée, n'avaient pu lui donner des nouvelles de la Baronne, mais enfin Mad. de Troubouillant (qui revenait de faire un tour au jardin anglais avec le Vicomte de Beauguindal) lui dit qu'il lui semblait avoir entendu Mad. de Wakifuth tout au fond du bosquet rire de bon cœur avec un homme; Célestine courut à l'endroit indiqué. Mais après avoir cherché longtems & écouté à plusieurs portes, elle désespérait enfin de joindre cette introuvable femme: par bonheur, apparut soudain (sortant d'une niche à laqu-elle Célestine n'avait pas fait attention) la Baronne accompagnée du Chevalier de Tireneuf ( a ), l'un des plus impitoyables Causeurs de l'Ordre. C'était quelque éclaircissement qu'ils venaient d'avoir ensemble, ou quelque confidence très gaie, qu'ils s'étaient faite, car on les voyait fort émoustillés.

Celestine, d'un peu loin.

Madame? Madame?

La Baronne.

Que me veux-tu? (elle venait à Célestine. )

Tireneuf.

Quoi! vous me quittez, Madame?

La Baronne, indécise.

Eh mon Dieu! ne faut-il pas répondre aux gens!

Tireneuf.

Mais je ne vous ai pas dit la moitié de mon affaire!

La Baronne.

Nous la reprendrons.

Tireneuf.

Faites donc vîte.

La Baronne, à Tireneuf.

Tu sais que j'expédie assez lestement les conversations. Attends moi là. ( à Célestine ) Eh bien! Que me voulez - vous, Mademoiselle?

Celestine.

Vous parler en particulier, de quelque chose...... que vous n'entendrez peut-être pas sans intérêt.

La Baronne.

Je suis peu curieuse de mon naturel: n'importe....

Celestine.

Il faudrait avoir la bonté de me suivre quelque part.

La Baronne.

Voilà bien du mystère!

Celestine.

Un peu de complaisance?

La Baronne.

Assurément, je ne l'aurais pas pour toute autre que toi, mais je t'aime de tout mon cœur.. J'aurais pourtant souhaité que tu eusses mieux pris ton tems...

Celestine.

Pouvais-je, en conscience, vous supposer des affaires, quand vous veniez à peine de finir un travail!

La Baronne, se retournant, voit Tireneuf qui n'est éloigné que de quelques pas.

Du moins, Chevalier, ne t'éloigne pas?

Tireneuf.

Faut-il attendre ici de pied ferme?

La Baronne.

Sans doute. Si tu rentrais dans la foule, nous ne saurions peut-être où nous retrouver. Retourne, crois-moi, t'emparer du cabinet.

La Baronne a pris Célestine sous le bras. Elles marchent assez vîte & sans parler. La curiosité dans ce moment balance chez la Baronne l'attrait du plaisir qu'elle sait que fait goûter la mâle éloquence de Tireneuf.

Maintenant dans le cabinet où Célestine & le Comte se sont parlé. ( On est assis )

Celestine, d'un ton préparé.

Quelle impression feraient sur vous, céleste Eulalie, des nouvelles sûres de l'existence, du repentir & des généreuses intentions d'un homme qui fut autrefois bien coupable envers vous?

La Baronne, froidement.

Tu veux parler, je le vois, du Comte de Schimpfreich...

Celestine.

De lui-même.

La Baronne.

Eh bien! puisqu'il existe encore: tant mieux pour lui.--S'il se repent, cela lui fait honneur; je l'en félicite: & cela le punit, j'en suis enchantée.--Quant à ses intentions, je ne me soucie nullement de les connaître, parce que cet homme est depuis bien longtems tout ce qu'il y a de plus étranger pour moi sur la terre.

Celestine.

Savez-vous qu'il est devenu puissamment riche.

La Baronne.

Je sais de plus qu'il est devenu puissamment fou.

Celestine.

Mais s'il perd l'esprit, c'est d'amour pour vous, c'est de regrets de...

La Baronne.

Je n'ignore aucun des détails de son extravagance. Il m'a réduite à le faire épier avec autant de soin qu'il en met lui-même à me poursuivre. Je le sais à Paris, & c'est pour qu'il ne puisse me déterrer enfin, que je vais dès demain me mettre en pension ici pour tout le tems qu'il doit passer dans cette Capitale avant d'aller en Angleterre, où je compte bien qu'il volera, dès qu'un faux avis (tel que vingt fois je lui en ai fait donner) l'assurera que je vis à Londres.

Celestine.

Quelle rigueur! pourquoi fuir un homme contrit, qui vous idolâtre, qui veut vous combler de biens?

La Baronne.

Je jouis des seuls que je désire; l'aisance & la liberté. Schimpfreich me doit un unique bienfait, il n'a qu'une maniere d'être généreux à mon égard: c'est de renoncer à toutes vues sur moi...

Celestine.

Vous le haissez mortellement!

La Baronne.

Dès longtems je ne lui fais plus cet honneur.

Celestine.

Mais si vous veniez à le voir....

La Baronne.

Le ciel m'en préserve.

Celestine.

S'il vous avait déjà vue...

La Baronne.

J'en serais bien fâchée.

Celestine, s'animant.

Si par un de ces hasards singuliers qui tiennent du roman, le malheureux Comte avait été témoin de ce qui vient de se passer dans l'enceinte, si malgré tant de disgrace, plus brûlant, plus éperdu que jamais, il était prêt à mettre à vos pieds sa passion, sa fortune & sa vie.

La Baronne, se levant.

Il mettrait le comble à mon mépris, à moins que je n'apprisse en même tems qu'il aurait fait retenir un logement à Bedlam (a), & que c'est l'objet réel de son prochain voyage d'Angleterre... Adieu.-- Elle veut s'enaller.

LES MÊMES, LE COMTE. Le Comte,

( Ouvrant avec précipitation la porte du cabinet qui le cachait. ) Ah! c'en est trop, cruelle!..

Le sang-froid de la Baronne est désespérant pour un homme passionné qui s'était promis que sa brusque apparition allait produire un grand coup de théâtre.

La Baronne.

Ah! vous voilà, Monsieur! ( Le Comte ne sachant plus ce qu'il doit faire, va s'appuyer la téte contre le mur & souffle comme un bœuf effaré )--Je suis charmée que vous m'ayiez entendue, & que Célestine d'ailleurs excellent avocat se trouve exempte du pénible détail des invariables sentimens que j'ai pour vous...

LES MÊMES, LE PRINCE ( a ).

Celui-ci, qui ne prend à la vérité nul intérêt à la passion d'un homme dont il ne peut plus estimer le caractère, a pourtant fait la guerre à l'œil. Il sait dans ce moment la Baronne & le Comte réunis. Il est curieux de savoir ce qui peut se passer entr'eux &, comme sans dessein, il entre en courant dans leur chambre.

Le Prince, feignant un grand étonnement.

Ah!... que de pardons ne dois-je pas vous demander... ( il fait semblant de vouloir se retirer. )

La Baronne. ( Quoiqu'elle ne connaisse le Prince que de vue. )

Non, non, Monsieur: restez.

Le Comte, s'écriant.

Prince? je suis perdu: plus cruelle qu'une hyène, cette femme achevait de me déchirer le cœur.

La Baronne, avec tranquillité.

Point de grands mots, Monsieur. Je serai, moi, fort unie dans mes expressions.... ( Le Comte paraît hors de lui. )

Le Prince.

Comte? rassurez-vous, & voyons ce que dira Madame.

Celestine.

Mon Prince? Faites-moi le plaisir de me remplacer. Ma mission est finie. Mille soins m'appellent ailleurs. ( Elle court. )

Le Prince, vivement.

Célestine? Célestine? vous oubliez quelque chose.

Celestine.

Quoi donc?

Le Prince.

De me donner deux baisers...

Celestine.

Je suis si pressée... Encore ne vient-il pas les chercher: ( elle rentre lestement : ils s'embrassent de tout leur cœur. ) -- Célestine sort.

LES MÊMES. La Baronne.

Savez-vous, mon Prince, quel procès ancien il y a entre Monsieur & moi?

Le Prince.

Oui, très-belle Dame. Le Comte a bien voulu me mettre au fait.

La Baronne.

Eh bien! daignez nous juger.--Je fus trahie par Monsieur que j'aimais: mon respectable pere mourut de chagrin; & mon frere unique, le plus cher de mes amis, périt trois ans plus tard des suites de la blessure qu'il reçut en voulant me venger. Pourrais-je sans opprobre conserver le moindre bon sentiment en faveur d'un homme aussi fatal à ma famille qu'à moi-même?

Le Prince.

Mais un profond repentir...

La Baronne, interrompant.

Ne peut ressusciter sans doute un pere, un frere vertueux & chéri; ne peut me rendre la considération, l'état que je perdis: ne peut me dédommager de l'estime publique, de la mienne propre, ni de la paix dont je cessai de jouir dès le moment de ma funeste aventure. Un honnête gentilhomme osa bien m'épouser avec toutes mes taches. Peu riche, du moins il pensait noblement... ( Un coup d'œil accusatif fait baisser la vue au Comte. )--Malheureux de m'aimer trop, M. de Wakifuth ( a ), à qui sa santé débile prescrivait de grands ménagemens, trouva, malgré moi, dans mes bras, une mort prématurée qui devait m'enlever le seul appui que j'eusse sur la terre. Veuve au bout de moins d'une année, je me trouvai comme la feuille détachée de l'arbre, jouet de tous les vents. Ils me transporterent en France, où, contente de peu, mais parfaitement libre, je vois s'effacer insensiblement sous la lime du tems les profondes impressions de mes anciens malheurs. Dès longtems je n'ai plus qu'un souci: celui d'éviter un homme qui semble ne vivre que pour remplir le rôle de mon opiniâtre persécuteur. Prince? je supplie M. de Schimpfreich de s'expliquer enfin en votre présence. Veut-il s'obstiner à me poursuivre? C'est moi, dès lors, qui sans asile, rompant tous les liens de mes habitudes, vais courir l'univers avec l'anxiété de la perdrix sans cesse menacée des serres d'un impitoyable vautour... ou le cœur de M. le Comte est-il enfin susceptible de quelque sentiment généreux? Qu'il jure devant vous de renoncer à sa tyrannique poursuite: alors je pourrai quelque jour le plaindre & peut-être enfin l'estimer...

Le Comte, avec dédain.

M'estimer!... ( son regard frappant, de colere & de mépris, trahit un reproche humiliant qu'il fait intérieurement à la Baronne, & la comparaison qu'il croit pouvoir faire à son propre avantage d'elle à lui. )

La Baronne, au Comte.

Je te devine: à ce nouveau trait, je viens de te reconnaître, & tu viens de fermer encore mieux mon cœur à la pitié...

Le Prince.

Calmez-vous, Madame. Comte? je tremble sur le point de vous donner un conseil.

Le Comte.

Parlez, Prince: quel qu'il puisse, il sera moins cruel que l'arrêt qu'il me semble être de mon devoir de prononcer contre moi-même après ce funeste éclaircissement... Mon Prince, daignez parler.

Le Prince.

A votre place, je promettrais à Madame de ne plus troubler son repos. Je ferais avec elle une trève & donnerais ma parole de ne reparaître... ( Il consulte les yeux de la Baronne. )

La Baronne, durement.

Jamais.

Le Comte, au Prince.

Vous l'entendez: est-elle assez inhumaine!...

Le Prince, à la Baronne.

L'arrêt est trop cruel: j'allais proposer un an.--( Le Comte attend en silence. )

La Baronne, ayant réfléchi.

Un an: je le veux bien. ( a )

Le Prince.

Vous permettrez que dans un an, pas plus tôt, le Comte revienne tomber à vos pieds: & s'il pense toujours de même, s'il a religieusement gardé sa parole de ne vous donner aucune inquiétude, il aura bien sans doute quelque droit à vos bons sentimens?

Le Comte, tombant aux genoux de la Baronne.

Prononcez, Eulalie?

La Baronne, hésitant.

Eh bien!.... Je ne dédirai point le Prince. Un an, soit.--Mais à condition que Monsieur retournera sur le champ à Paris, & qu'il en sera parti dans vingt-quatre heures.

Le Comte.

L'ordre est despotique. Mais encore vaut-il mieux obéir que de mourir. Oui, Prince: j'allais également me retirer, mais c'était pour me brûler la cervelle.

La Baronne, avec un sourire de dédain.

Vous y songez un peu tard. Mais gardez votre cervelle, Monsieur. Et faites, s'il se peut, un heureux voyage.

Le Comte.

Et vous me permettez d'espérer que dans un an....

La Baronne.

Je promets de vous revoir alors. Mais gardez-vous bien de me donner le moindre sujet de plainte: sonnez. ( il obéit ) -- ( à un domestique qui paraît ) Mad. Durut? ou Célestine?

LES MÊMES, CÉLESTINE. Celestine, qui était à portée.

Me voici: la paix est-elle faite?

La Baronne.

Monsieur part à l'instant: faites-moi le plaisir, Célestine, de donner vos ordres pour cela.

Celestine.

Vous ne pouviez m'appeller plus à propos. Une autre personne va partir à la minute, & c'est une jolie femme encore. On pourra se parler en chemin.

Le Comte, interrompant.

Tout un an, cruelle!

La Baronne, sèchement.

Ou jamais.

Celestine.

Allons, allons. Ne laissons pas partir cette voiture dont le cocher n'est point prévenu. Marchons, mon pauvre Comte. ( Elle l'entraîne : il a bien de la peine à sortir: il cede enfin & disparait. )

LA BARONNE, LE PRINCE. Le Prince, ployant les épaules.

Pauvre sot!

La Baronne.

Pensez-vous, Prince, qu'il aura la bonne foi de s'éloigner, & me croyez-vous quitte de lui?

Le Prince.

Vous devriez vous en croire assurée. Il y a tant de motifs! d'ailleurs votre ascendant sur ce pauvre malheureux ne peut assez se concevoir...

La Baronne.

Mais l'ascendant n'a de vraie prise que sur les caracteres prononcés. Cet homme n'a pas même celui de la faiblesse : il n'a que de l'opiniâtreté.--Cependant, mon Prince, je dois vous demander bien des pardons de vous avoir fait passer un ennuyeux quart-d'heure.

Le Prince, galamment.

Il serait charmant, belle Eulalie, que vous voulussiez bien à l'instant m'en dédommager?

La Baronne, gaîment.

Cela serait d'une folie qui n'aurait pas le sens commun. Vous savez...

Le Prince.

Oui: qu'il resterait bien encore, si vous vouliez, un peu de marge pour moi dans la destination d'un jour heureux.

La Marquise, avec bonté.

J'y consens: à condition que vous me permettiez de me mêler de rien? On m'a si fatiguée...

Le Prince, gaîment.

Ne vous mêler de rien: Je sais que c'est votre manière: mais personne ne s'en plaint. ( Ils se baisent )

La Baronne.

Fermez donc. -- ( Tandis que le Prince obéit, elle s'est pittoresquement établie sur l'ottomane. Le Prince ne peut s'empêcher de sourire de cet excès de résignation. ) Que voulez-vous! ( lui dit-elle souriant à son tour. ) Voilà comme je suis. Viens, viens, mon joli Prince? ( il l'init. )

Bientôt le Prince est étonné de trouver tant de juste proportion & tant de douceur à jouir d'une femme qui vient pourtant d'endurer des colosses! il conçoit alors que la nature a de grandes ressources & fait des miracles en faveur de ses bien-aimés. Il se tient pour dit que, comme le feu brûle & l'eau mouille, la Baronne aimante, électrise & confit ses amans. Il savoure à longs traits les délices d'une jouissance d'un genre absolument neuf pour lui. Après quoi, de l'impression qu'a faite le caractere que la Baronne a déployé dans son dernier entretien, & de celle qui naît de son inexplicable charme, il résulte chez le Prince une indulgence & même une sorte d'intérêt pour cette femme singulière, à laqu-elle d'abord il croyait n'être dû que du mépris. Comme ce n'est jamais la Baronne qui rompt la première des nœuds aussi doux que ceux qui l'attachent en ce moment, le Prince qui, sans se piquer d'être un Bout'-avant, un Mâlejeu, ne laisse cependant pas d'être fort amateur, profite de la fixité de la Baronne, & la travaille une seconde fois. C'est surtout alors qu'il se confirme dans tous les bons sentimens qu'elle vient, à si peu de fraix, de lui inspirer. Vers le moment de la clôture, il lui fait les plus tendres caresses, & lui jure de demeurer écrit pour jamais sur la liste de ses plus fervents sacrificateurs. „ J'accepte „ répond l'expirante Baronne, lui donnant un profond & brûlant baiser... ( Ils se levent & s'en vont. )

Mais c'est Tireneuf, dont il faut bien un peu rire: Qu'il avait bonne grace à garder là bas un cabinet!

OU PEUT-ON ETRE MIEUX! QUATRIEME FRAGMENT.

La Scène est d'abord dans le bosquet anglais. Heureusement pour Tireneuf, la vieille (a) Comtesse de la Bistoquière, (qui l'avait apperçu dans les loges & depuis, le cherchait partout) vint à passer, seule & fort en souci, près de l'endroit où le pauvre diable croquait le marmot, en attendant la Baronne. Tireneuf homme d'affut (a) & qui sait que la Comtesse a pris enfin le parti de plaire de la poche, se laisse voir; on lui saute au cou. Le cabinet se referme. La Comtesse propose alors vingt louis à gagner en quatre parties liées. Tireneuf se met aussitôt à les jouer de la meilleure grace du monde.--Cet arrangement sauve la Baronne qui, fidèle à sa parole, mais en retard, ne revenait pas à ce cabinet sans un certain serrement de cœur. Car Mons Tireneuf n'a pas encore tout-à-fait émoussé parmi le beau monde les aspérités de sa robuste constitution & de ses premieres habitudes. Heureusement, disons-nous, la Baronne trouve la place prise: c'est le sournois Commandeur de Concraignant ( b ), qui, par derrière, la surprenant à écouter ce qui se passe dans le cabinet, ose, à la faveur des ténebres croissantes, &...--Mais la Baronne s'appercevant d'un genre d'hommage qui n'est pas celui qui l'intéresse le plus, pense se fâcher... = Monsieur? (dit-elle ne sachant pas encore à qui elle parle) sans m'en prier? c'est un peu fort! Comment c'est vous, délicieuse Baronne (repart Concraignant qui redouble d'ardeur) je ne vous avais prise, ma foi, que pour Mad. de Curival, qui m'avait promis de venir par ici s'égarer à mon profit. Je suis un grand mal-adroit de ne m'être pas d'abord apperçu de tout ce que je gagne à la méprise. = Cependant l'arrière-besogne allait son train. Outre que la Baronne était sensible au compliment, elle n'était pas fâchée que Concraignant négligeât d'adoucir sa voix. Ainsi, tout à la fois elle faisait preuve de charmes, acte de présence, changement de chère; elle se vengeait aussi; car il n'était pas doux pour le spéculateur Tireneuf de n'avoir dans ses bras qu'une quadragénaire Matrone, tandis que son rendez-vous prêtait le....... collet à un rival qui, son travers à part, était infiniment aimable. = Foutre! (disait avec humeur la grosse Comtesse, voyant à Tireneuf quelque distraction dont le reste souffrait) ces gens-là choisissent bien mal leur champ de bataille! ne pouvaient-ils pas aller mignonner ailleurs!--Ils entendaient à leur tour: leur passade finissait: ils s'en allerent riant aux éclats & poussant de la sorte à bout l'humoriste Antiquaille. Il en coûta au pauvre Tireneuf, en sus des quatre fiches de la partie, une cinquième de consolation.

On ne finirait jamais, cher Lecteur, si l'on voulait vous rendre compte avec la même exactitude de la conduite de 36 paires, soit Profès, soit Affiliés, réunis ce jour-là dans l'hospice. Figurez-vous seulement partout, mais principalement dans le bosquet d'où sort la Baronne, un ramage confus de baisers, d'accens, de soupirs, d'éclats échappés au délire des voluptés, comparable à celui que font au lever de l'aurore mille oiseaux habitans d'une forêt parée de ses feuilles nouvelles.

Une premiere bombe avertit enfin l'essaim dispersé que c'est le moment du feu d'artifice. On accourt de toutes parts & l'on borde les deux tiers de la circonférence du grand bassin, local ordinaire de ce divertissement: le ciel s'est voilé comme exprès. Peu, mais de l'excellent, c'est la regle établie chez les Aphrodites, & la sévere Durut a grand soin que, dans aucune partie de son administration, il n'y soit jamais dérogé.

Du jardin, on passe deux à deux dans la rotonde qui n'est plus un salon d'if, mais un lieu de fête décoré d'un ordre de seize colonnes ïoniques gris de lin à bases & chapiteaux blancs, avec l'entablement paré de festons de fleurs imitant le naturel. Une coupole analogue, élegamment enrichie d'arabesques, supporte à son centre un lustre simple, mais d'un goût exquis, figurant un cercle chargé de 32 grosses bougies. Il est suffisamment abaissé dans le moment, pour que seul il éclaire de la plus agréable lumiere tout l'espace, & particuliérement la table, en fer à cheval circulaire, interrompue en face de l'entrée & garnie de 36 couverts: les Dames seules y prennent place.--Les goûts sont si différens que chacun se passionne pour quelque spectacle favori. Quant à moi, je ne sais s'il y a rien d'enchanteur au monde comme ce cercle de femmes, toutes plus ou moins belles, jeunes ou jolies, toutes galantes surtout, qui ont épuisé dans leur voluptueuse parure la quintessence de la mode & du goût. Que j'aime à voir derriere elles cette élite des vrais aimables de la premiere ( a ) capitale de l'Europe, leur formant une cour empressée sans esclavage, familière sans impertinence, spirituelle sans tours de force, gaie sans pétulance, ardente sans brutalité!

Un ambigu délicieux se mêlant à mille fleurs, offre tout ce qui peut flatter la sensualité du sens subalterne dont ce moment est le regne. Au centre, une large table & quatre Officieuses à plusieurs étages montent & descendent sans cesse apportant tout ce que peut exiger le service, & remportant tout ce qui n'est plus utile. Aucun regard profane ( a ) ne souille ce banquet, image deceuxdel'Olimpe...Eh!lesAphrodites ne sont-ils pas du moins des demi-dieux sur la terre! avoir la jeunesse, la beauté, les graces, tous les dons que peut répandre la nature; & jouir de toutes les voluptés imaginables! n'est-cepasexistersurhumainement!

A minuit on quitta la table. Alors, par huit issues, on put se répandre de tous côtés dans de petites pièces très-éclairées dont, pour lors, les dessous-de-loges étaient devenus les anti-chambres. Là, huit à huit, quatre à quatre; plus ou moins, on pouvait causer, batifoller ou jouer des jeux de société. Dans une pièce plus grande, était une table de Pharaon, les Dames aimant assez généralement tous les jeux où l'on fait des cornes. En moins d'une demi-heure l'attirail du banquet avait entiérement disparu. Une vive lumiere éclatait pour lors dans toute la rotonde. Le bruit des instrumens de bal appellait les amateurs de danse: ils accoururent; il y en eut constamment assez pour que pendant quatre heures le bal ne languît pas une minute. On dansait, on allait, on venait. Tous les boudoirs étaient ouverts. On souriait de voir telle danseuse plus agitée lorsqu'elle revenait de se rafraichir, qu'elle ne l'était en quittant la danse. Certaines fringantes, telles que Mesdames de Troumutin, de Mattepine, de Confort, de Pompamour, de Vadouze, de Chaudpertuis ( a ) &c. faisaient perpétuellement la navette dansant avec ménagement, cependant paraissant à la fin accablées de fatigue. Quoiqu'en général le défaut des Aphrodites ne soit pas d'être caustiques, quelques espiègles ne laissaient cependant pas d'observer que Mesdames d'Aisevaux, de Curival, de Bigaine, de Confessu, de Branval & de Beaurevers, soupçonnées d'être ambidextres, ne sortaient en effet jamais sans emmener à la fois deux cavaliers dont quelques-uns tels que MM. de Trichecon, de Cognebran, de Faux-connier, d'Obergu, montraient la corde. C'est à travers de cette confusion que, par une mal-adroite éclipse, le Comte de Vitbléreau, malgré ses quarante ans, compromit le jeune Marquis de Fessange, de maniere à lui laisser une note indélébile. La jolie Mad. de Condoux, par une précaution contraire, & quoiqu'on ne la vît ni danser, ni disparaître, donna beaucoup à penser à ceux qui remarquaient que, dans une loge du haut, en dehors de laqu-elle on la voyait se pencher beaucoup, elle recevait coup sur coup des visites de gens appellés, auxquels elle ne disait pourtant qu'un mot, lorsqu'ils entraient, & presque rien quand ils faisaient retraite. Ce manege, qui n'avait peut-être au surplus d'incivil que les apparences, avait duré toute la nuit. Vers le jour on dansa des rondes & des branles assez branlants, dont quelques-uns fort ingénieux seront rapportés dans un recueil de cette espece d'académie Coïropygoglottophalurgique. (a) -- Une far andole enfin, où se firent des chaînes, des passes, des haut-le-corps qui ne peuvent se décrire, couronna follement le bal le plus actif qui se fût peut-être jamais donné dans l'hospice.

Il s'agissait enfin de décerner un prix auquel bien des concurrents semblaient prétendre. Il y était pourtant attaché une condition assez difficile à remplir pour gagner. Il fallait être le seul qui eût atteint un nombre quelconque de prouesses prouvées. Deux rivaux qui se seraient trouvés égaux, s'excluaient mutuellement. M. de Bout'avant qui avait achevé sa douzaine, ne comptait sur rien, parce que Tireneuf s'était mis à l'extraordinaire, & se vantait de 13 exploits. Mais celuici eut lui-même un pied de nez quand le timide Plant'amour, à peine âgé de 20 ans, murmura qu'il était en état de faire preuve de quatorze.--On se récriait: mais quatorze Dames, non moins étonnées que les Cavaliers eux-mêmes, furent obligées de lui rendre publiquement justice. C'était les quatorze plus âgées, parmi lesquelles Mad. de la Bistoquière avait pour anciennes Mesdames de la Conassière, de Vaginasse, & la doyenne Mad. la Présidente de Con-bannal. Il avait dansé une fois avec chacune de ces Dames, & les avait conduites tour-à-tour aux rafraîchissemens. Les bras en tomberent d'abord à tout le monde, mais il fallut les relever pour applaudir à ce prodige de puissance & de zèle phalurgique. Le prix était une répétition enrichie pour laqu-elle Mad. Durut avait reçu un louis de chaque individu masculin. Plant'amour fut moins sensible au gain de la montre qu'aux éloges dont on le comblait, & au soin que prenaient toutes les jeunes Dames d'inscrire son beau nom sur leurs tablettes. C'est ainsi qu'un pur hasard fit sortit tout-à-coup de dessous le boisseau le plus surprenant mérite. On prit note de cette singularité, pour qu'il en fût fait rapport à la plus prochaine assemblée. ( a )

ERRATA.

Faute essentielle à corriger à la page 76, du troisieme Numéro, huitième ligne de la tirade de Mad. Durut; il est mort lui laissant 40 bonnes livres de rente, lisez: quarante bonnes mille livres.

Errata du quatrieme Numéro.

Page 20, ligne 6 de la note, toutes ces affaires, lisez toutes ses affaires.

Même page, ligne 15 de la note, le lient, lisez le liant.

Page 31, ligne 23, heureuses, supprimez i's.

Page 32, ligne premiere, la cher, lisez lâcher.

Même page, ligne 17, tache, lisez tâche.

Page 39, ligne 14 de la note b, minucieux, lisez minucieuse.

Page 40, ligne 17, rassurée, lisez rassuré.

Page 43, ligne 2, après bravoure galante: deux points & lisez ils accourent.

LES APHRODITES. EST-IL POSSIBLE? -- POURQUOI NON! PREMIER FRAGMENT.

Douze jours après l'aventure des sept parieurs. Le lieu de la scène est une maison de campagne peu distante de Paris, & plus près encore de l'hospice des Aphrodites.

Il est dix heures du matin: le jour est superbe. Deux Dames sortant de leur lit & dans leur costume de nuit, sont venues de leur appartement se promener dans une longue allée de quatre rangs d'arbres, faisant quinconce, & qui forme en même tems une terrasse d'où l'on jouit du plus charmant paysage terminé par la perspective lointaine de Paris.

Mad. de Mont-chaud. (a)

Oui, ma cousine, le mérite de cet homme fait grand bruit...

Mad. de Valcreux. (b)

Cesse donc, mon cœur, de me traiter de cousine, cela sent la Province à pleine gorge. Dis-moi, mon amie, ou Rosette, comme l'on me nommait étant fille: en un mot, tout ce que tu voudras; mais cousine c'est d'un mauvais ton, dont au bout de six semaines de séjour à Paris, il est bien étonnant que tu ne te sois pas encore corrigée.

Mad. de Mont-chaud.

Je m'observerai:--Mais je voulais te parler de ce M. de Trottignac. Il ne me sort pas de l'esprit depuis le récit qu'on m'en a fait; ne serais-tu pas aussi bien aise de savoir ce que c'est que ce phénomène?

Mad. de Valcreux.

Dès le premier jour j'en aurais eu mon cœur clair, si l'avis ne m'était pas venu de la part de Bombardac. Ce serait donc la premiere fois qu'il aurait écrit quelque chose de vrai. Car tu sais, mon cœur, qu'il n'y a pas de plus fameux menteur que notre cher cousin le Vicomte?

Mad. de Mont-chaud.

Je n'aurais eu, comme toi, nul égard à sa lettre; mais quand, hier, Mad. de la Conassière (qui certes est difficile, & n'est pas louangeuse surtout) m'a très-sérieusement assuré qu'elle n'avait jamais rien eu d'aussi marquant, je suis demeurée convaincue que ce Trottignac est d'un grand prix. Il l'a fait quatorze fois à cette femme...

Mad. de Valcreux.

Quatorze!...

Mad. de Mont-chaud.

Bien rondement, en huit heures.

Mad. de Valcreux.

C'est donc à dire vingt huit fois: car, avec elle, tout coup est double, attendu qu'on y fête à la fois & St Noc & St Luc.

Mad. de Mont-chaud.

Voilà de la méchanceté. Pourquoi cela?

Mad. de Valcreux.

D'abord, parce que je ne me pique pas, comme toi, d'être mielleuse & charitable envers le prochain... (que d'ailleurs tu ne ménages pas toujours aussi bien en réalité qu'en apparence.) Ensuite parce que cette Conassière me déplait souverainement: je ne lui ai pas encore pardonné de m'avoir soufflé certain Russe que la nature avait fait exprès pour moi, un de ces êtres dont la perte est irréparable. Rien ne remplira peut-être de ma vie le vuide que m'a laissé cet enlevement.

Mad. de Mont-chaud.

Mon Dieu, ma chere: il faut se faire une raison. Il est bien difficile de garder des hommes tels que je me figure ton Russe: avait-il été de la Cour?

Mad. de Valcreux.

Sans doute: & il y était parvenu de rien par ses surprenantes qualités.

Mad. de Mont-chaud.

Eh bien! sois juste: ces privilégiés- là conviennent à tant de femmes...

Mad. de Valcreux.

Après avoir servi la Conassière, il ne convenait plus à aucune: en trois mois elle l'a ruiné. J'ai revu ce galant homme une fois, mais méconnoissable. C'est lui qui m'a juré qu'avec mon odieuse rivale, on ne sait jamais où l'on est, ou que plutôt on est à la fois partout.

Mad. de Mont-chaud.

Cela sans doute a bien son inconvénient: cependant il y a des hommes à qui cette incertitude monte l'imagination. C'est pour cela qu'un jour le révérend pere Bandard, qui frottait vivement la pointe de son chose sur l'orifice de mon postiche, & à qui je dis: „ Fi donc, mon révérend! que faites-vous là? me répondit: j'affile mon outil.

Mad. de Valcreux.

Oh! puisque tu viens de prononcer le nom de ce Bandard, dont je n'aurais pas osé te parler la premiere, dis-moi sans feinte, si tout de bon ce religieux eut, (comme on l'a publié dans la famille) une permission de l'Evêque pour t' exploiter ?

Mad. de Mont-chaud.

Lui, & bien d'autres: rien n'était plus vrai.--Voici comment la chose arriva.--Dévote consommée, & enfin Carmélite à 19 ans, je ne pus, comme tu dois le savoir, demeurer au couvent à cause de certaines affections mystiques qui me donnaient une célébrité dangereuse. Toutes nos sœurs n'attribuaient pas, aussi pieusement que moi, au ciel, des crises, des extases absolument naturelles, qu'on m'enviait plutôt qu'on ne les admirait. Bref: on me renvoya. La Providence fit alors trouver, sous la main de mon pere l'honnête homme qui devint mon mari. ( elle s'attriste ) Ce pauvre ami!.. Nos deux choses étaient bien faits pour vivre ensemble. Le sien faisait réguliérement ses quatre repas &, quand il prenait encore fantaisie au mien de l'inviter, il ne refusait pas de faire à l'extraordinaire quelque petite collation, c'était une vraie bénédiction du ciel...

Mad. de Valcreux.

Tu n'avais pas envie, à ce que je vois, de laisser à ton époux assez d'appétit pour qu'il pût manger en ville?

Mad. de Mont-chaud.

Aussi n'en faisait-il rien: mais si fait bien moi: l' ordinaire de la maison ne pouvait me suffire. Je consultai là-dessus le R. P. Bandard, notre confesseur. Quand ce saint homme se fut assuré que mon cher mari ne pouvait me nourrir mieux, & que cependant je ne l'étais pas assez, il prit sur lui de se sacrifier pour nous & s'arrangea pour ajouter à ma pitance une demi-portion, toutefois me recommandant bien le secret, de peur d'humilier mon cher petit homme, & m'assurant d'ailleurs qu' il n'y avoit plus de péché, puisque la nécessité forçait à pareille chose; de même, disait-il, qu'à la guerre il n'y a plus de meurtres, parce que les loix autorisent alors le guerrier à répandre le sang: j'avais donc la même dispense pour faire ce qui (pour une autre qui aurait pu s'en passer) aurait été un gros péché mortel...

Mad. de Valcreux.

Fort bien! c'est-à-dire qu'entre le mari & le confesseur, tu te trouvais en douceur baisée à peu-près six fois par jour?

Mad. de Mont-chaud.

Hélas oui: sur ce pied, je tuais le tems: mais par malheur... ( elle sanglotte... ) Le pauvre cher ami... ( des larmes. ) Je ne l'oublierai jamais...

Mad. de Valcreux.

Fi, fi donc! quel enfantillage! Veuve depuis 5 mois tu pleurailles encore! si quelqu'un te voyait, tu serais notée pour la vie.. Allons: ce n'est pas de ton mari que je te parlais, c'est de ton confesseur & de la permission épiscopale...

Mad. de Mont-chaud.

Le cher défunt enterré, je ne sus bientôt plus où donner de la tête. Je sentis un diable s'agiter en moi. Les soins inffables du révérend Pere Bandard faisaient à peine l'effet d'une goutte d'eau répandue sur un brasier ardent... J'avais des convulsions. J'étais tout de bon menacée de devenir folle; tellement qu'à la vue de quelque homme que ce fût, on me voyait toute prête à lui faire violence. Le sensible directeur crut devoir en parler à notre Prélat... Celui-ci, plein de religion, ne douta pas qu'il y eût du maléfice à mon incroyable état: il voulut me voir. Mes convulsions m'ayant attaquée devant lui, sur l'heure il exorcisa, m'inonda d'eau bénite, lut tout un volume de je ne sais quel rituel... mais rien n'y faisait; il crut donc indispensable d'attaquer l'esprit malin jusques dans son plus secret retranchement & d'y verser à grands flots son chrême-naturel épiscopal.... Il y eut un moment d'espoir, mais le diable eut bien-tôt reprit le dessus: Sa Grandeur se flatta qu'une neuvaine de la confirmation qu'il venait de m'administrer, suffirait pour ma délivrance. Mais le saint homme n'y put fournir que quatre jours: le cinquieme, il assembla le Chapitre.--La question amplement débattue, mes dépositions contre Satan entendues, mon état d'embrasement & d'obsession vérifié, l'on arrêta que tous & chacun allaient tour-à-tour prier & opérer contre le malin. Ainsi tandis que, prosternée devant le Seigneur, je recevais de la part de chacun des chanoines la plus vigoureuse conjuration qui pouvait dépendre de lui, les autres faisaient retentir la voûte de la salle capitulaire des oraisons d'usage en pareil cas: mais ce secours spirituel n'eut un plein effet que pour ce jour-là; c'eût été tous les jours à recommencer; or, le soin de me délivrer n'était pas l'unique affaire du chapitre.

Mad. de Valcreux.

Je le crois.

Mad. de Mont-chaud.

Infatigable à me servir l'affectueux Bandard proposa d'écrire à mon sujet au St Pere, & sollicita la permission provisoire de suppléer avec tous les révérends peres Carmes de son couvent, à ce qu'exigeait mon urgente détresse; jusqu'à ce que le sacré College fît parvenir sa décision. Cette sage ouverture fut universellement approuvée: Sa Grandeur, non-seulement donna les mains pour que tout pût se passer à ma plus grande satisfaction, mais recommanda même, sous peine de péché, que chacun fît le possible dans une occasion où il importait que l'esprit-malin ne prévalût pas sur l'église; le Prélat se réservait de prendre connaissance lui-même une ou deux fois par semaine du progrès de ma rédemption...

Mad. de Valcreux.

J'avoue que si je ne connaissais pas à quel point tu es franche & détestes le mensonge, je ne pourrais croire un mot de cette étonnante extravagance. Il fallait donc que ton Evêque & tout le Chapitre eussent perdu l'esprit!

Mad. de Mont-chaud.

Pourquoi cela! les décrets d'en haut sont de nature à confondre toutes nos idées. Un seul homme peut se tromper, mais crois que lorsqu'un Chapitre, ayant un digne chef à sa tête, est unanimement d'accord sur un point canonique, il faut bien que l'Esprit-Saint se soit expliqué...

Mad. de Valcreux.

Si bien que te voilà confiée aux disciples d'Elie? Combien y en avait-il?

Mad. de Montchaud.

Trente sept seulement en état de coopérer à l'œuvre pieuse. Ils me procurerent d'abord de bien solides consolations! Pendant les huit premiers jours, Satan avait trouvé à qui parler. Il avait eu par fois jusqu'à trente assauts à soutenir dans sa forteresse, &, malgré son feu d'enfer, c'était à qui le braverait avec plus d'intrépidité. Cependant un malheureux contretems le servit à merveille. La lettre qu'on avait écrite au St Pere à mon sujet, n'arriva qu'au moment où Sa Béatitude venait d'être atteinte d'une maladie qui a failli la conduire au tombeau. Mon affaire fut donc négligée à Rome: or, le zèle avec lequel, au contraire, on s'en occupait sur les lieux, n'avait pas pris mesure sur ces délais: bientôt la moitié des cultivateurs de la vigne du Seigneur ne put plus y travailler. Quelques élus surabondamment pourvus des ressources de la grace, avaient beau se piquer, de soutenir seuls tout le poids de la corvée, je ne tardais pas à m'appercevoir que la guerre offensive se refroidissant, Satan respirait & reprenait enfin le dessus. Moi pour lors, comme je comptais sur l'indulgence du St Pere qui n'aurait probablement pas manqué de m'être favorable, je me crus permis de chercher, dans le monde, des secours que la charité me défendait de m'obstiner à ne vouloir recevoir que de l'Eglise; je ne me dissimulais point que mon ame se souillait de cette maniere, mais le St Pere pouvait & devait sans doute tout réparer. Au surplus je reconnus bientôt que quatre mondains ne peuvent pas contre le Diable ce que pouvait un seul de mes saints Religieux: j'aurais été bientôt réduite aux derniers expédiens, si je ne m'étais enfin avisée que Paris, si fécond en ressources de tout genre, devait en avoir aussi d'infinies pour mon objet. Je t'écrivis, tu m'encourageas, à l'instant je fus décidée...

Mad. de Valcreux.

Et sans doute, tu ne te repens pas d'avoir suivi mon conseil?

Mad. de Mont-chaud.

Grace à ton amitié, grace à l'activité de cette excellente Durut, je suis parfaitement contente de mon voyage. J'ai enfin composé avec Satan, & j'ose même dire que maintenant je triomphe de lui, puisque sans en être bien vivement tourmentée, je peux impunément ne me permettre plus que dix ou tout au plus douze soulagemens par jour. C'est un degré de réforme dont je suis moi-même étonnée, & dont je ne me serais jamais crue capable.

Mad. de Valcreux.

Toute admirable que peut être cette réforme, la société n'aurait pourtant pas à se louer de voir se multiplier des femmes auxqu-elles il en faudrait autant par jour... Je ne sais comme font les autres pour pousser à certain point leurs excès: je sais bien que s'il me fallait faire cette tant douce chose plus de six ou sept fois en vingt-quatre heures, je finirais par n'y plus trouver de plaisir.

Mad. de Mont-chaud.

Et moi, bornée à ce régime, je serais une femme enterrée dans six semaines.--Mais avec ma petite douzaine & ce précieux outil, que Mad. Durut m'a vendu, ( un godemiché ) je vivotte ...

Mad. de Valcreux.

Voilà, par exemple, ce que je ne conçois pas. Comment, après une douzaine de réalités par jour, avoir encore besoin d'un stérile simulacre?

Mad. de Mont-chaud.

Oh, comment! comment un Danois, un Hollandais peuvent-ils ne pas laisser refroidir un seul moment leur pipe. Tout est habitude. Aussitôt que je suis seule, le divin godemiché va son petit train... ( Elle le sort de sa poche & le baise avec tendresse. ) Oui: précieux joujou, mon cher nécessaire, je quitterais plutôt mes yeux que de me séparer de toi. ( Elle le rempoche.--A sa cousine. ) Lanuitquandjesuisseule:je le fourre... là... Je m'endors à ses doux mouvemens, & je suis sûre que ma main routinée les entretient machinalement pendant mon sommeil, car je ne rêve jamais que d'être vigoureusement fêtée, &toujourspardesfiguresangeliques...

Mad. de Valcreux.

En revanche, le jour, tu t'en donnes par fois d'assez baroques...

Mad. de Mont-chaud.

Que veux-tu? c'est pour la faim alors; mais, dans mes illusions nocturnes, c'est par sensualité.

Mad. de Valcreux.

Que j'envie ton sort, trop heureuse Messaline! tandis que tu abuses ainsi, moi, qui n'ai pas fait le quart de tes petites infâmies, souvent, hélas, je manque l'effet des plus agréables expériences. Ce n'est presque plus que dans la tête que j'ai du plaisir. Que ne sais-je où l'on peut s'adresser à ces Diables bien-faisants dont l'un s'est glissé chez toi! ce ne serait pas une légion d'ennemis que j'appellerais pour le combattre, ce serait une cour que j'assemblerais pour lui rendre hommage. Un organe à moitié paralysé recouvrerait son exquise & précieuse sensibilité. Je n'aurais pas besoin d'appeller à mon secours les prestiges du caprice, & de fixer par l'affectation des moins naturelles complaisances, quelques adorateurs qui, de moi, désirent tout, excepté ce que chez toute autre femme on désire le plus... Heureusement du moins, je n'en suis pas encore au point de Mad. de la Conassière, & l'on n'est pas quelque part sans savoir précisément où l'on est ... Chez moi, l' un est une halle ( a ); l' autre est une guerite: pourrait-on s'y tromper!...

Mad. de Mont-chaud.

Fi, fi, cousine, Rosette, veux-je dire. Je voudrais n'avoir pas entendu la fin de ta confidence. Serait-il bien possible que...

Mad. de Valcreux.

Tout étonne une ex-dévote, une Provinciale! Il est bien plus étonnant qu'avec toi-même, tour-à-tour le plastron d'un Chapitre de Chanoines & d'un couvent de Carmes, on n'ait jamais voisiné ...

Mad. de Mont-chaud, interrompant.

Cette horreur! à moi! Non, non, ma chere: si par fois, j'ai bien voulu souffrir qu'on aiguisât ses outils à mes meules, sache que je n'ai jamais permis qu'on fût plus criminel.--Mais que vois-je? c'est, sur mon Dieu, le phaëton découvert de la Durut...

Mad. de Valcreux, regardant.

Qu'elle conduit elle-même... & c'est ici qu'elle vient... tout droit... oui, la voilà déjà dans le petit chemin. C'est pour nous, il n'y a plus de doute....

Mad. de Mont-chaud.

Je ne me sens pas d'aise: j'allais lui envoyer un message pour lui faire savoir que j'ai la fantaisie de tâter du Trottignac...

Dans ce moment ces Dames ne sont qu'à dix pas du corps de logis. Elles rentrent & vont attendre Mad. Durut qui vient en effet avec le dessein de leur parler.

On est dans l'appartement. MESDAMES DE VALCREUX ET DE MONT-CHAUD; MAD. DURUT. Mad. de Mont-chaud.

(Sautant affectuesement au cou de Mad. Durut. ) Eh bon jour, ma chere & mille fois chere amie.

Mad. de Valcreux, moins vivement.

Bon jour, notre bonne voisine.

Mad. Durut.

Je suis bien votre servante, Mesdames, je viens....

Mad. de Valcreux.

Que prendrez-vous à déjeûner, ma chère Durut?

Mad. Durut.

Mille graces: c'en est fait: je ne puis d'ailleurs m'arrêter.--Je voulais...

Mad. de Mont-chaud, interrompant.

J'allais vous écrire, chere amie, pour vous prier....

Mad. Durut.

Eh bien, me voici: mais j'ai d'abord un mot à dire à Madame.

Mad. de Valcreux.

A moi?

Mad. Durut,

( se disposant à mettre en évidence quelque chose qui est dans un rouleau de papier. ) Vous allez voir que je n'oublie pas mes bonnes pratiques: tenez.

Elle a produit un énorme godemiché, imitant parfaitement le naturel, à cela près que le fust est semé de petites aspérités occasionnées par les nœuds d'une étoffe ratinée, qui fait la premiere enveloppe, sous une seconde d'un boyau fort transsparent, à travers lequel un rouge tendre donne parfaitement le ton de la chair; la couleur du bout, mollet comme la nature, est un peu plus vive: le boyau très-mince & sortant d'un petit orifice à l'extrémité, recouvre le tout, & se profile sur un trait fort exact qui rend le gland, le filet & figure ce bourrelet délié, que fait un prépuce rabattu. Bref: c'est l'imitation la plus parfaite: un anneau termine le joujou dans l'état où Mad. Durut le présente. Cet anneau est l'agent extérieur d'une mécanique tellement organisée que toutefois qu'on le recule & qu'on le laisse ensuite aller, un jet de ce dont on aura voulu remplir le réservoir, s'échappe: c'est encore la nature autant que l'art qui peut en approcher. J'ai déjà dit que ces aspérités dont le fust est semé, ne sont point une imitation de la nature, mais elles ont pour objet de causer une forte irritation, malheureux pis-aller de la sensibilité perdue.--Ces Dames sont un instant stupéfaites.

Mad. de Mont-chaud.

Cela est fort bien fait, mais monstrueux.

En même tems le Chasseur passe par l'antichambre: c'est un élegant, fort joli garçon, & qui a l'air insolent, qu'ont tous ses pareils, quand on les employe à certains services--Mad. de Mont-chaud passe sur le champ dans la piece où l'égrillard a paru.

Mad. Durut, à Mad. de Valcreux. Ça, ma voisine: sans compliment. Voilà ce qu'il vous faut. C'est le chef-d'œuvre d'un ouvrier italien qui s'est fait recommander à l'hospice. Tout cela est bien conditionné, garni en argent partout... Et solide! vous en aurez pour la vie...

Mad. de Valcreux, après avoir bien attentivement examiné.

Je tombe d'accord de tout cela, mais à qui veux-tu que pareil outil puisse aller?

Mad. Durut.

A vous: n'allez-vous pas faire l'étroite! Que diable!... apprenez qu'on me dit tout... Ne sais-je pas pourquoi, toute aimable que vous êtes, vous n'avez pu être reçue!.... Mon Dieu! n'allez pas vous fâcher. D'abord je vous aime, mais c'est pour cela que je ne vous flatte point. Allons: un peu de honte est bientôt passé. Prenez cela, vous dis-je, ou de ce pas je le porte à Paris. Ah pardi! j'ai là Mesdames de la Brèche, de Vaginasse, de Béantval, de la Poterne... & Mad. de la Conassiere donc! la pauvre femme que je sais réduite à se servir d'une seringue à clistere au bout de laqu-elle on plante une orange, le tout recouvert d'une gaîne de peau glacée: c'est à faire pitié...

Du moment que Durut a nommé Mad. de la Conassière, Mad. de Valcreux est devenue rouge de colere, & sur le champ elle c'est décidée à garder le beau godemiché.

Mad. de Valcreux.

Combien cette piece?

Mad. Durut.

Pour une étrangere trois louis & demi, mais pour une voisine...

Mad. de Valcreux.

Je ne veux point de grace, & cela vaut quatre louis pour moi. ( Elle tire sa bourse & donne les quatre louis. )

Mad. Durut.

Il ne m'appartient pas de résister à ce que vous voulez. Grand merci... Voici maintenan quelque chose encore qui dépend de vot emplette.--

C'est un attirail au moyen du quel le tronçon du godemiché, vissé dans un écrou, se trouve appliqué au corps d'un homme ou d'une femme. ( a ) On l'y attache autour des hanches & entre les cuisses, par des ligatures artistement disposées, & qui n'ont aucune incommodité.

Mad. de Valcreux.

Cela se conçoit assez aisément. Cependant..

Mad. Durut.

Je voudrais bien avoir le tems de m'arrêrer, je ferais vîte essayer ce harnois à quelqu'un de vos gens... ou plutôt à la cousine...

Mad. de Mont-chaud, dans l'anti-chambre. J'entends qu'on parle de moi... Je suis à vous... J'ai fini dans l'instant.

Mad. de Valcreux.

Je crois, Dieu me pardonne, qu'elle est après s'en faire donner par Fanfare!

Mad. Durut.

Elle fait bien: ne nous occupons pas des affaires d'autrui.

Mad. de Mont-chaud.

( Sur le pas de la porte dit au Chasseur. ) Ne vous éloignez pas, ou retrouvez-vous là-haut dans une heure au plus tard:--Me voici:

Mad. Durut.

Approchez la belle.

Mad. de Mont-chaud, effrayée.

Comment! vous prétendriez...

Mad. Durut.

Eh, bon Dieu! laissez-vous faire.

Mad. de Valcreux.

Quelle folie! d'ailleurs, c'est inutile; Dorothée ( a ) ne voudrait peut-être pas...

Mad. de Mont-chaud.

Quoi donc?

Mad. Durut.

On va vous l'apprendre....

Mad. Durut ceint la machine aux hanches de Mad. de Mont-chaud, mais quand il s'agit de passer les attaches pardessous, elle s'englue les doigts & se trouve obligée de les essuyer avec son mouchoir.--Voyant la mine comiquement sévere que fait Durut.

Mad. de Mont-chaud, dit en riant.

Ne va t-on pas me gronder? Je me suis tant pressée! si j'avais été moins obligeante pour vous autres, il n'y aurait eu rien de perdu. ( Elle est entiérement préparée. ) J'ai bon air avec cela?

Mad. Durut.

Il s'agit maintenant d' en jouer avec la cousine, on vous l' a tant fait, dieu merci, que vous ne devez pas être embarrassée de pratiquer à votre tour.

Mad. de Mont-chaud, se récriant.

Bonté du ciel! moi, faire l'homme! & avec une proche parente, encore!

Mad. de Valcreux, à Durut.

N'avais je pas deviné!

Mad. Durut, avec sévérité.

Oh! si nous avons de ces travers de pensionnaire de couvent; nous ne valons rien pour Paris.... ( d'un ton menaçant ) Voulez-vous bien tout de suite...

Mad. de Mont-chaud.

Eh bon Dieu, la paix? quand on y est une fois, il n'en coûte pas plus d'aller son train. Voyons, Rosette.

Comme par la faute de Mad. de Mont-chaud (loin encore d'être formée ) il n'y a pas entre les deux cousines cette sympathie à la mode qui fait trouver maintenant, au beau sexe, chez lui même, des jouissances mutuelles que souvent le nôtre ne lui offre plus qu'accompagnées de mille dangers, Mad. de Valcreux choisit une posture qui ne communiquera de sa personne que la partie seule nécessaire à l'expérience. On comprend sans doute que c'est en jument du Compère Pierre qu'elle se présente?--Alors, Dorothée vient boucher l'énorme solution de continuité qu'on sait, & dont l'espiègle Durut n'a pu s'empêcher de rire à la sourdine.--Quoique le factice Boutejoye ait onze pouces de long & sept de circonférence, il s'ajuste à merveille, & Rosette le reçoit tout entier.--On ne conçoit pas d'abord où ces Dames à grandes balafres peuvent loger des corps étrangers desquels le spectateur craint d'abord que l'effet ne soit mortel: il faut laisser aux naturalistes le soin de résoudre ces profondes énigmes. Les ignorans n'ont qu'à se rappeller que tous les jours ou voit sortir de chez une femme délicate, svelte, un gros enfant plus volumineux encore que le joujou qu'on vient de décrire. Bref: si Mad. de Valcreux ne se plaint point, ce n'est pas à nous à trembler pour elle. Bien au contraire. Prenons part à la vive sensation que lui cause un cylindre, quoiqu'inanimé, qui touche enfin partout; c'est ce que depuis longtems les vivans n'ont pas fait chez elle: observons avec intérêt le frétillement que lui causent ces émoustillantes nodosités dont nous avons parlé plus haut. Le plaisir naît pour cette femme blasée tout juste au degré qui précede la douleur. Pour une autre, ce seroit une torture que l'opération où celle-ci trouve enfin de vraies délices.--Mad. Durut, dirigeant l'expérience, fait remarquer à Dorothée ce qu'il faut toucher pour faire partir une détente qui, lorsque la machine est chargée, procure une vive éjaculation; mais pour cette premiere fois, l'opération se fait à sec.--Mad. de Valcreux, dont l'attente vient d'être surpassée, reconnaît l'excellence du godemiché. La cousine ne manque pas d'en commander un pour elle-même; mais à sa mesure, qui est (d'un quart en longueur, & d'un tiers en circonférence) plus faible que celle du modèle. Il faut que Mad. Durut ait la complaisance de cotter ces dimensions, car Mad. de Mont-chaud n'est pas femme à se désaisir de son cher pis-aller, dont elle veut pouvoir faire usage à toute heure.

Mad. de Mont-chaud.

Ce n'est pas tout, ma chere Durut, j'ai la plus forte envie de goûter de votre Trottignac: quand cela se pourra-t-il?

Mad. Durut.

Attendez ( elle cherche ses tablettes ) d'abord il est aujourd'hui chez la Comtesse de Mott'enfeu. ( a )

Mad. de Valcreux.

Quoi! la voilà revenue d'Angleterre! elle avait juré de ne plus reparaître à Paris.

Mad. Durut.

Elle prétend que, graces au séjour de quatre ans qu'elle a fait à Londres, tous les engins y cherchent maintenant des épingles à terre. Comme, depuis son éloignement, la démarcation a ravivé dans Paris une fourmilière sur laqu-elle on crachait autrefois, & qu'il s'y trouve des milliers de gens qu'on peut avoir, elle est accourue comme l'oiseau de proie à l'odeur de la pâture. La premiere figure de connaissance qu'elle a rencontrée près de la Barriere, était son ancien coëffeur ayant de belles épaulettes de Colonel...

Mad. de Valcreux.

Cette petite rousse-là va mettre la famine parmi nous, si elle recommence son train d'autrefois.

Mad. Durut.

C'est pis que jamais: on la crut un moment convertie. Certaine Marquise, son amie ( a ), redevenue honnête femme tout de bon, la contenait un peu, mais la Comtesse reprit un beau jour le mors aux dents,elleestdepuislorsquatrefois plus libertine: Qu'en est-il arrivé! que la sage est morte: on la croyait cependant constituée de maniere à faire l'épitaphe du genre humain, tandis que la petite dissolue, âgée de 36 ans, ribaudant depuis vingt, crevedesanté&faitdans lemonde autant de degât que le pourrait une épidémie secondée de quatre médecins. La petite sorcière, malgré cela, conserve une mine d'enfant qui lui ôte les deux tiers de ses années. C'est la Guimard du bordel.

Mad. de Mont-chaud.

Cette Comtesse va nous tuer le Trottignac.

Mad. Durut.

Elle ne l'aura plus.--Demain lundi...

Mad. de Mont-chaud, s'écriant.

Quoi! c'est aujourd'hui dimanche & me voici... ( Elle regarde à la pendule. ) Onze heures! ne voilà-t-il pas que je perds la messe! ( Mad. Durut regarde avec étonnement Mad. de Valcreux. )

Mad. de Valcreux, ployant les épaules.

Voilà comme elle est.

Mad. de Mont-chaud, avec sourire.

Il faut, ma chere Mad. Durut, que vous me preniez dans votre Phaëton. Il n'y a plus de messe ici, mais j'arriverai assez tôt à Paris pour en avoir une.

Mad. Durut, avec malice.

Vous ne pouvez pas vous absenter. Et ce Chasseur donc que vous avez remis à une heure! croyez-moi, ses Kirie-eleison valent mieux que ceux d'un Petit-Pere. Où vous croyez-vous donc?

Mad. de Valcreux.

C'est la chatte métamorphosée en femme, qui saute à bas du lit pour courir encore après les rats.

Mad. de Mont-chaud, agitée.

Mon Dieu! mon Dieu! qu'est-ce qu'on devient donc avec vous-autres! Plus de jeûnes! plus de jours maigres! bientôt il faudra n'avoir plus de religion.... mais voyons: Trottignac enfin?

Mad. Durut, consultant ses tablettes.

Demain il sert Mad. de Chaudevoye.

Mad. de Valcreux.

Il aura de la besogne.

Mad. Durut.

Mardi... Madame de Fort-connin...

Mad. de Valcreux.

Ce n'est pas ce qui le délassera.

Mad. Durut.

Mercredi.... mercredi, il serait bien retenu pour cette petite sainte-n'y-touche de Condoux.... ( a ) mais je la crains &... ( à Mad. de Mont-chaud ) vous aurez la préférence.

Mad. de Mont-chaud, riant.

Grand merci.

Mad. Durut.

Au reste, je vous préviens que mon Gascon n'en donne plus que sept ou huit airs tout au plus... mais c'est du bon.

Mad. de Valcreux.

Il doit pourtant l'avoir fait quatorze fois à cette gueuse de la Conassière?

Mad. Durut.

Aussi m'est-il revenu moulu, comme s'il eût subi la question extraordinaire. On lui avait fait manger l'enfer... il a sué l'ambre pendant trois jours. Et puis ne s'était-il pas empifré de diabolini sans savoir ce que c'était! il y avait de quoi crever.

Mad. de Mont-chaud.

Si je le laissais reposer un ou deux jours?..

Mad. Durut.

Je puis l'envoyer mercredi chez la Baronne de Confourbu, qui n'est plus en état de fatiguer son homme, & s'en tient aux caprices. Il aurait congé le Jeudi... pour lors, Vendredi...

Mad. de Mont-chaud, vivement.

Non, non: point de Vendredi. Ce jour-là je ne m' amuse jamais: cela porte malheur. Je n'en prends que pour le nécessaire, mais Samedi...

Mad. Durut.

Samedi, soit: ( elle n'a pu se retenir de ployer ses épaules & de dire d'un regard à Mad. de Valcreux: „Que votre cousine est ridicule!„ Adieu, Mesdames.

Mad. de Montchaud.

C'est sans plaisanterie, Ma chere Durut: je ne demande que le tems de passer un déshabillé, & je vais avec vous chercher à Paris une messe.

Mad. Durut.

Impossible. D'abord je ne reviens que le soir: & puis, je mene, tant qu'elles veulent, les jolies femmes au bordel, mais à l'église jamais. Les dévotes sont de la contrebande pour moi. Si je savais que, d'ici à Samedi, vous vous avisassiez d'entendre une messe, il n'y aurait, pour vous, pas plus de Trottignac que dessus ma main.

Mad. de Mont-chaud, soupirant.

Je me damne donc.

Mad. de Valcreux, à Durut qui se retire.

Elle est folle! au revoir, ma chere Durut.

Mad. de Mont-chaud, courant après Mad. Durut.

Mon godemiché lisse, entendez-vous.

Mad. Durut.

Cela va sans dire. ( Elle disparait. )

LES COUSINES, seules. Mad. de Mont-chaud.

Une bien brave femme! en vérité.

Mad. de Valcreux.

Et toi, une grande nigaude, avec tes messes, tes jeûnes, tes jours maigres & tes Vendredis qui portent malheur.

Mad. de Mont-chaud.

Eh bien, que veux-tu? C'est un reste de vieilles habitudes. Je ne demande pas mieux que d'être à la fin comme un autre. Pric Dieu qu'il ne me laisse pas devenir pire encore. Dans tous les genres ma devise est assez volontiers tout ou rien.

Mad. de Valcreux,

( Avec un mouvement de blame amical. ) Va t'ajuster, extravagante: j'en vais faire autant. Bon jour.

Mad. de Mont-chaud rencontre heureusement Fanfare & se fait rendre encore un service.--Après quoi, son propre domestique, qui l'attend, reprend la balle, comme c'est l'étiquette chez cette Dame avant de lui toucher les cheveux.

DU TRAGIQUE! -- POURQUOI NON. SECOND FRAGMENT.

L'un des objets du voyage de Mad. Durut à Paris, était de savoir si le Comte de Schimfreich ( a ) y était encore, ou si, comme il l'avait promis, il en était sorti au bout de vingt-quatre heures. Le malheureux! que n'avait-il tenu parole!--La belle Wakifuth n'avait bougé de l'hospice. Durut avait eu soin que cette insatiable y passât le tems fort agréablement: mais il fallait pourtant revenir en ville; on voulait être assurée que le funeste Comte n'y fût plus. C'était pour vérifier le fait que Durut, comme la colombe de l'arche avait pris l'essor. Voici ce qui s'était passé.--Le Baron de Widebrock ( a ) qui n'avait plus trouvé de logement à son ancien hôtel garni, s'était rabattu dans celui que Mad. Durut fait tenir poursoncompteparunedeses sœurs. La premiere chose qu'on lui apprit, quand elle mit le pied chez elle, fut que le Baron était au lit, malade d'une blessure récente, mais peu dangereuse: qu'en revanche il avait pitoyablementaccommodésonadversaire:&celui-cic'était... le Comte de Schimpfreich.

--Ces Messieurs avaient fait connaissance dans une de ces agréables maisons dont Paris abonde, qui sont ouvertes aux étrangers riches, & où, sous les amorces de l'amour ou du jeu, sont finement cachés tous les hameçons de l'escroquerie. Allemands & chapitrables ( b ), Schimpfreich & Widebrock s'étaient aussitôt liés; avides de gros plaisirs, dès le troisieme jour ils furent inséparables. Certain soir que le Baron était à peu-près monté, & le Comte gris (il fallait à celui-ci très-peu pour le déranger) on en vint aux confidences. Parmi ses bonnes fortunes, le fougueux Baron cita la belle Wakifuth; il fit d'elle un pompeux éloge; mais, tombant, par digression, à bras raccourci sur l'auteur des anciennes disgraces de cette compatriote, dont il se trouvait être parent au cinquieme degré, il s'anima, parla de l'infidele fiancé dans les termes les plus insultans, & dit enfin que si jamais il le rencontrait : il lui donnerait cent coups de bâton, ses procédés ne le rendant pas digne qu'on le traitât avec plus d'égards. Le défaut du Comte n'était pas, comme on sait, de manquer de courage: ces propos le mirent hors de lui. Furieux, il déclara que lui même avait été le suborneur d'Eulalie, qu'il s'en repentait, mais qu'il craignait peu les yvrognes & les brutaux qui pourraient s'offrir pour la venger. Ils n'avaient point d'armes. ( a ) Au premier mouvement violent, que les épithetes d' yvrogne & de brutal firent faire au Comte, Widebrock le menaça d'une assiette au visage; une bouteille lancée fut la riposte, mais, par bonheur, elle n'atteignit point. ( a ) On vint bien à bout de séparer cesscandaleuxcombattans:maisleurrixen'était pas de nature à comporter une réconciliation. Rendez-vous pour le lendemain, au pistolet, derriere le Parc de Mont-rouge. Le Prince veut y servir de témoin à Schimpfreich: un ami de Widebrock rend à celui-cile mêmeservice.--LeComte,premier offensé, tire, effleure, en dehors, la cuisse de son ennemi qui, tirant à son tour, lui plante sa balle au milieu de la poitrine.--A la levée de l'appareil, le coup est décidé mortel:--Cependant l'infortunéSchimpfreich,dèsqu'ilapurecouvrer un peu de connaissance, a cru voir dans son malheur une juste punition de son ancien parjure. Voulant réparer ses fautes autant que possible, il a fait des dispositions fort à l'avantage d'Eulalie, & d'avance ilapriélePrincederecevoir pour elle, avec une cassette de bijoux de grand prix, une forte somme en or, & plusieurs billets au porteur ou lettres de change revêtues des formes nécessaires pour que la belle Baronne puisse en toucher le montant.--Cette aventure met Mad. Durut dans le cas de courir chez le Prince; heureusement elle le rencontre comme il rentrait pour faire sa toilette.

CHEZ LE PRINCE. Le Prince.

Déjà! tu as donc des aîles, ou tout au moins un ballon, ma chere Durut? il n'y a pas une heure qu'on est parti pour te porter ma lettre. ( Ils pénetrent, en parlant, jusqu'au fond d'un appartement dont la derniere piece est un joli boudoir.

Mad. Durut.

On ne m'a point rencontrée: je suis venue par la traverse; mais je m'estime heureuse d'avoir pu deviner que votre Altesse avait besoin de moi....

Le Prince, gaîment.

C'était pour autrui quand je t'écrivais; mais quand je te vois: c'est infiniment pour moi-même. Tu te souviens de mon cartel? ( a ) ( Il la chiffonne & s'étonne de la beauté de sa gorge. ) -- Elle est inconcevable!...

Mad. Durut, gaîment.

Vous l'êtes bien plus de vous mettre dans tous ces fraix de galanterie ave une femme de 36 ans.

Le Prince, qui a passé de la gorge ailleurs.

Tout ceci n'en a pas dix huit.... mais quelles chairs! quel satin! Ovide avait bien raison....

Mad. Durut, fort émue.

Dit-il quelque part, aux gens qui font ce dont vous vous amusez, gare les manchettes? Si tu ne finis, cher Prince,.... les tiennes vont avoir de l'empois, je t'en préviens.

Le Prince, s'animant.

Adorable! il ne manquerait plus que cela pour m'ensorceler... Une femme qui prouve est pour moi....

Mad. Durut, se pâmant.

Finis donc... tu l'as voulu. -- Mille excuses... Elle a mis le Prince dans le cas de s'essuyer bien vîte. )

Cette scene très rapide s'est passée debout; & il y a eu beaucoup plus de pantomime encore que de discours.--Le Prince s'assied, fait avancer la docile Durut fort près de lui, se proposant de lui faire courir une poste à franc-étrier; mais elle, brûlante & très voluptueuse (quand elle se livre) n'a pas plutôt apperçu le pommeau de la selle, qu'elle se précipite pour le baiser: le Prince, (du goût de bien des gens) ne se déplait point à cet hommage: il a le tems d'assaisonner sa jouissance, &, troussant par derrière la lascive Durut accroupie, il se fait répéter, par une glace qui descend jusqu'à terre, ce beau cu si rond, si frais, dont l'éloge se lit ailleurs. ( a ) Dès ce moment l'ambidextre Prince a fait tous ses plans... Cependant il ne souffre pas que la Lesbienne ( b ) se consomme; Durut, forcée de démordre, monte enfin à cheval, & part au grand galop... La carriere est bien-tôt achevée... notre amie croit rêver tant de bonheur. Est-ce bien elle qui possedesicomplettementl'undesplusbeaux & des plus aimables petits-maîtres de l'Europe! le ravissement des sens, le triomphe de l'amour-propre, tout cela s'exprime éloquemment par un seul fougueux baiser dont est couronné cet ardent impromptu... maistoutn'estpasditencore.

Le Prince.

Tu crois en être quitte?... Non, belle Maman. Cette glace m'a dit trop de bien de toi, pour que mes hommages puissent avoir des bornes...

A ces mots, aux mouvemens du Prince, à l'attitude qu'il indique, Durut devine à l'instant ce qu'on espere encore de sa complaisance.

Mad. Durut, s'arangeant.

J'en aurais cent de l'un & de l'autre qu'ils seraient tous à tes ordres...

Il se trouve alors qu'elle présente le flanc à la glace dont ils se sont fort approchés, & de la sorte le Prince a le plaisir d'y voir de profil les Montsrosés dans le vallon desquels il se perd administrant un adroit & rafiné service. Il y a des entêtés à qui l'on ne peut persuader que toutes les femmes ne sont pas sourdes de cette oreille-ci. Qu'ils pensent ce qu'ils voudront de ce que pouvait éprouver alors la bonne Durut; les autres pour qui je répéte qu' elle entendait très clair des deux oreilles, m'en croiront quand je les assure qu'à cette maniere d'obliger le Prince, elle prit elle-même bien du plaisir. Comme tout cela n'a pas laissé d'être long...

Mad. Durut, trouve bon de dire après l'affaire.

Pardon, cher Prince, si j'ai dormi si long-tems.... mais c'est que je faisais un bien beau rêve....

Le Prince.

Je ne veux pas que tu prennes ainsi la chose, & pour que tu n'oublies point que notre nouvelle liaison est une réalité, fais-moi le plaisir de garder cette montre ( a ). Chaque fois que les aiguilles y marqueront cette méme heure, tu m'obligeras de te dire „à pareil moment un homme qui se croit connaisseur, me jurait que jamais il n'avait eu plus de plaisir qu'avec moi.„

Mad. Durut, prenant la montre.

J'ajouterai „& jamais Durut n'avait été plus heureuse„...

On frappe à la porte: le Prince ouvre: il s'agit du retour de son émissaire porteur du billet que voici:--„Phœnix des Princes? „en l'absence de ma sœur j'ai décacheté ce „que vous lui adressiez.--La belle Baronne „est aussitôt partie ventre à terre avec votre postillon: s'il en est tems encore, le „mourant aura la triste consolation de la „voir. Que n'ai-je pu m'échapper moi-même! au lieu de lire ce chiffon, votre Altesse aurait embrassé l'amoureuse Célestine.„

Le Prince, à Mad. Durut.

Ta sœur est toujours angélique.--Mais il n'y a pas un moment à perdre. Volons....

CHEZ MAD. DURUT.

Quelque diligence qu'ait fait le léger Phaëton de Mad. Durut, elle & le Prince ne sont pas arrivés assez tôt pour être témoins des derniers instans du malheureux Schimpfreich. A peine Eulalie était-elle arrivée, qu'une crise, causée sans doute par le choc de plusieurs sentimens contraires & violents, avait annoncé la fin très prochaine du malade. Il n'avait pu que baiser passionnément la main de la Baronne & lui dire: „ Je vous vois, vous êtes vengée, je meurs heureux! ....„--A ces mots il avait rendu le dernier soupir. Quelques larmes qui faisaient bien de l'honneur au cœur de la Baronne, s'étaient échappées de ses beaux yeux, mais elle n'avait pas donné des marques d'un attendrissement plus faible.--Quand le Prince & Mad. Durut arriverent, elle était calme: après les premiers propos que comportait la circonstance, elle leur dit: „ Vivant, cet homme m'était odieux victime de sa faute, il m'a touchée, & je pourrai désormais me souvenir de lui sans aigreur. „--Quant aux dispositions du défunt, la Baronne rejetta bien loin ce que le Prince avait cru devoir déclarer: = Qu'il me connaissait mal! (dit-elle avec dédain) Que sa famille profite de toute cette riche dépouille, y prendre part, ce serait achever de me déshonorer. Le Prince sentit bien qu'une belle terre que le Comte léguait, étant refusée, ce n'était pas le cas de parler sitôt du fidéi-commis, d'argent, de papiers & de bijoux. On saura plus tard par quel biais le Prince & Mad. Durut vinrent à bout de vaincre, pour ces derniers objets, la résistance de la délicate Baronne.

Lecteurs? pardonnez-moi ces lugubres détails.--Si, par malheur, il y avait parmi vous beaucoup de ces ames à la glace que rébute tout ce qui semble avoir pour objet d'émouvoir le cœur; beaucoup de ces malins, qui ne liraient nos feuilles que pour avoir le cruel plaisir de rire de la démence qu'elles peignent, & de mépriser un sexe adorable dont nous célébrons la sublime lubricité, nous nous repentirions d'avoir écrit, puisque le tableau de ses écarts ferait oublier tant d'admirables attributs qui l'emportent si éminemment sur ses jolis vices.

EH BIEN! DE L'HEROIQUE. TROISIEME FRAGMENT.

La Scène est dans l'appartement de Madame Durut. LA COMTESSE DE MOTTENFEU (a), & MADAME DURUT viennent de parcourir ensemble les bâtimens & les jardins de l'hospice.

La Comtesse, se reposant.

C'est de la plus grande vérité, ma chere Durut. Je suis émerveillée de tout ce que tu m'as fait voir; & ton administration mérite les plus grands éloges.

Mad. Durut.

Le vôtre est sans prix pour moi, Mad. la Comtesse. J'espere, puisque vous paraissez contente, que nous aurons le plaisir & l'honneur de vous voir souvent dans cette solitude...

La Comtesse.

Comment! j'espere bien y vivre & mourir. Il faut faire une fin, ma chere Durut. Un beau jour j'arrive ici, dans ce charmant pavillon des pensionnaires, & c'est pour y finir mes jours. Ma fortune est assez honnête pour pouvoir faire un arrangement raisonnable avec toi.

Mad. Durut.

Nous n'aurons pas de peine à nous arranger, Mad. la Comtesse...

La Comtesse, interrompant.

Je vois que l'Ordre a pris, pendant ma longue absence, une forme infiniment plus agréable que de mon tems...

Mad. Durut.

Croyez vous?

La Comtesse.

Au reste, je ne pourrais pas raisonner pertinemment de tout; je n'étais qu' affilièe. Mais d'après ce que j'ai pu connaître du dessous des cartes, j'ai toujours jugé qu'on n'avait pas atteint le vrai but. On faisait alors une espece de culte religieux de ce qui devait n'être qu'un badinage, une folie...

Mad. Durut.

N'est-ce pas? voilà tout-à-fait mon idée. C'est précisément à quoi j'ai tâché, moi, de ramener les choses autant que la besogne d'une humble servante pouvait influencer le très digne Ordre... Mais ayez la bonté de m'achever ce que vous aviez commencé.

La Comtesse.

Les gros-bonnets d'alors étaient des especes d' Adeptes qui faisaient semblant d'avoir trouvé la pierre philosophale du plaisir, & de vouloir en demeurer seuls depositaires.

Mad. Durut.

La pierre philosophale! Voilà ce que je cherchais, & n'ai jamais eu l'esprit de trouver quand j'avais sur la langue... que ce n'était pas cela ... mais, je vous écoute... Ayez la complaisance de continuer.

La Comtesse.

Il se tenait de belles & longues assemblées où l'on s' enmistiquait. (a) Et puis il y avait des harangues de réception, des remercimens; tout cela devait être aussi plat, aussi pédantesque qu'à l'académie. Il y avait des hymnes à prétentions, où sans doute les prétendus inspirés s'étaient battus les flancs pour être, comme au Parnasse, bien exaltés, bien sublimes, bien ridicules. Tout cela, ma chere Durut, n'était point la volupté : & ce qui prouve bien que ces illustres n'étaient pas infiniment heureux par toutes ces simagrées, c'est que lorsqu'il s'agissait de s'amuser tout de bon, on convoquait un essaim de foux & de folles, devant qui certainement on n'aurait osé ni haranguer, ni célébrer, car nous aurions infailliblement éclaté de rire au nez des orateurs & des grands-prêtres.

Mad. Durut, affectueusement.

Vous êtes toujours la même, Mad. la Comtesse. Vous n'avez rien perdu... de vos attraits d'abord... ni de votre précieuse originalité.

La Comtesse.

J'ai fait comme toi, ma chere Durut, excepté que je n'avais pas une aussi belle figure à conserver...

Mad. Durut.

Ah! vous plaisantez!

La Comtesse.

Non: je me suis toujours rendu justice. Je n'ai ni traits, ni formes, mais je n'en ai pas moins valu de plus avantagées... Pour toi... pas plus haute que cela, tu étais déjà bien... car nous sommes du même tems? & nous étions si voisines! Je me souviens toujours (il y a longtems de cela) comment ta grave mere, bien aussi catin qu'une autre?...

Mad. Durut.

On le dit.

La Comtesse.

Te chassait devant elle à l'heure de la grand'messe... Tenez-vous droite, Mademoiselle... Les pieds en dehors... Regarde-t on ainsi les garçons!.. Songez où vous allez & ne levez pas tant le nez en l'air. Ah! ah! c'était une rude femme.

Mad. Durut.

Faisant tout; buvant comme un soldat, fausse comme un Jésuite... Ah dame! c'est comme ça qu'il faut être pour mettre le grapin sur un sot tel que le maitre qu'elle servait: & puis, protéger les galanteries de Madame. Aussi Madame ma chere mere m'a-t-elle laissé quelques écus: ensuite je les ai fait profiter.

La Comtesse.

Dis donc, Durut? quand nous nous rencontrions souvent nez à nez dans cette rue Jacob (car on me faisait faire mon salut aussi) qui aurait deviné, nous voyant si roides, si béates, qu'un jour nous aurions cet entretien-ci! Que tu sois devenue galante, rien d'étonnant, tout le monde disait de toi: „cette Agathe sera quelque jour une maîtresse fille. Voyez! à quinze ans, comment elle a déjà de la taille & de la gorge! c'est déjà bon à marier...„

Mad. Durut.

Et ils avaient raison.

La Comtesse.

J'étais un chat-fouin, moi: ma vilaine Bonne me reprochait mon museau de sapajou, ma dorure, ma petitesse, il semblait à la sotte femme que, pour faire honneur à son éducation, j'aurais dû grandir comme la chenevière & me déroussir! telle que j'étais, j'ai fini par ne pas mal tourner pourtant. Si l'on voulait me le disputer... ( Elle tire un livre de sa poche. ) Voilà de quoi leur répondre.

Mad. Durut.

Qu'est-ce que cela, s'il vous plait?...

La Comtesse, le baisant.

Les titres de ma gloire. Le bienheureux dépôt des noms des quatre m...... mais non, je veux que tu devines, Durut.--Là dedans sont inscrits, sans en avoir omis un seul, tous ceux qui ont eu l'honneur de m' avoir...

Mad. Durut.

Vous avez fait l'enfance de noter cela?

La Comtesse.

Et de quoi de plus essentiel donc voudrais-tu que j'eusse fixé le souvenir?

Mad. Durut.

Ce n'est pas cela que jai voulu dire, mais on n'a pas toujours l'occasion, le moment.

La Comtesse.

Oh! dès la premiere fois (il y a vingt ans, de Dieu grace) qu'il m'est arrivé de me frotter à ce Monsieur que tu sais, je prévis que, familiariser avec lui, serait la plus essentielle affaire de ma vie; or, comme j'ai de l'ordre... Mais devine: combien y a-t-il, à vue de pays, de noms là dedans.

Mad. Durut.

Que sais-je! quatre cents...

La Comtesse.

Prr! passe au mille... & va.

Mad. Durut.

Eh bien! mille & quelques?

La Comtesse.

Oui, quelques mille: mais combien?

Mad. Durut.

Quelques mille! deux?.... Trois?

La Comtesse.

Tu es encore loin de compte.

Mad. Durut.

Loin! si je viens à vous offenser, songez que vous m'avez provoquée... Quatre mille!

La Comtesse, appuyant sur les mots.

Quatre mille, neuf cents cinquante-neuf, ma fille, depuis le jour de mon début jusqu'à celui-ci: tout autant.

Mad. Durut, très étonnée.

Quatre mille, neuf cents cinquante-neuf!

La Comtesse.

Mais songe donc... en vingt ans!... Songe qu'une année est de trois cents soixante-cinq jours je te parle donc à peine de deux cents soixante à quatre-vingt animaux porte-pine par an, ce n'est pas un par jour. Le total en impose d'abord: au détail, on voit que ce n'est rien.

Mad. Durut, ( lui baisant la robe avec un respect badin )

Quel rien, juste Ciel!

La Comtesse.

Tu vas voir. Chaque classe est à part. Ecoute .. ( Elle ouvre son livre qui ressemble à un Almanach de Gotha doré sur tranches, & qui a son étui. = „ Princes, Grands Seigneurs, Gens à Cordons, Prélats: deux cents soixante & douze.„ -- En vingt ans! cela est, je crois, assez modeste?

Mad. Durut.

Il n'y a pas de quoi faire crier.

La Comtesse.

Mais voici qui est un peu plus fort.-- militaires ( elle tourne rapidement beaucoup de pages. ) neuf cents vingt-neuf. Tous Officiers, bien entendu. Les soldats sont compris ailleurs.

Mad. Durut.

Vous avez eu des soldats aussi?

La Comtesse.

Ne sont-ce pas des hommes?

Mad. Durut.

Neuf cents vingt-neuf officiers! cela doit donner bien du plaisir!

La Comtesse.

Robins „Tu vois que leur liste est courte.... quatre-vingt treize.„

Mad. Durut.

C'est encore beaucoup pour ce qu'ils valent au boudoir.

La Comtesse.

Fi donc! on ne les a jamais que chez eux, quand on a quelque procès, ou qu'on veut bien solliciter pour des amis.--„ Financiers : trois cents quarante-deux. „Tu conçois qu'il y a de bonnes raisons pour qu'il se trouve quantité de ces Messieurs sur une liste telle que celle-ci.

Mad. Durut.

Je comprends fort bien..... les sacs.--Après.

La Comtesse.

La Calotte :... Je ne parle pas des simples tonsurés, de ce qu'on nomme les abbés : je les ai réunis aux gens sans aveu.

Mad. Durut.

C'est leur vraie place. De cette Calotte, combien?

La Comtesse.

Deux cents trente-neuf.

Mad. Durut.

Cela est modéré.

La Comtesse.

Moines:

Mad. Durut.

Ah! vous en faites un article à part?

La Comtesse.

Sans doute: c'est le capuchon.--Quatre cents trente quatre, la plupart Cordeliers, Carmes, ou Bernardins: quelques ExJésuites à virgules: mais ils sont inglobés dans la calotte.

Mad. Durut.

A propos de ces virgules & des guillemets dont j'ai apperçu grand nombre, tandis que vous feuilletiez: qu'est-ce que cela veut dire?

La Comtesse, souriant.

Je viens de prévenir à moitié ta question. Les noms sans virgule ni guillemets sont ceux des gens favorisés à l'ordinaire. Les autres... cela parle de soi-même.

Mad. Durut.

Ah! j'y suis. Mais il m'a semblé voir beaucoup de noms décorés de guillemets & de virgules!

La Comtesse.

Eh mais: tous ceux qui l'ont voulu. Tu vois une bonne diablesse qui ne chicanne point sur la façon, & tâche de contenter tout le monde.

Mad. Durut.

Le charmant caractere! revenons à la liste.

La Comtesse.

Gens de société. Quatre cents vingt: cette classe comprend tout ce qui n'a pas un état dans le monde, mais qu'on rencontre pourtant au spectacle, dans les maisons de jeu, aux promenades, en voyage &c... Cette colonne que tu vois à part, où il n'y a que le mot inconnu, rend compte d'une quantité d'individus qui n'ont pas voulu se nommer, ou dont la promptitude des circonstances ne m'a pas permis de demander le nom.

Mad. Durut.

J'y vois beaucoup de virgules.

La Comtesse.

Ce sont précisément ceux là qui n'aiment pas à se décliner.-- Bourgeois: vois si cet article n'est pas bien raisonnable. En tout, cent dix-sept, & pas une virgule pour le coup.

Mad. Durut.

C'est exemplaire.

La Comtesse.

Il s'agit ici des marchands, faiseurs d'avances, propriétaires ou sous-loueurs d'appartemens, gens d'affaires &c.

Mad. Durut.

J'appelle cela des faveurs bien placées.

( a ) Rien de mieux que d'unir l'agréable & l'utile.

La Comtesse.

Voici l'article des étrangers : seize cents quatorze... mais il faut penser, ma chere Durut, que j'ai fait quatre ans de séjour à Londres.

Mad. Durut.

Aussi ne me suis-je pas récriée.

La Comtesse.

Gens du commun ... Ce sont des soldats, des ouvriers, des faiseurs de commissions; des gens que je me suis amusée par fois à raccrocher la nuit, déguisée, au Palais royal ou sur les Boulevards. Mais ces caprices ne se montent en tout qu'à deux cents quatre vingt-huit.

Mad. Durut.

Allons: je ne vous passe pas cet article. là: car cela date de loin, & pourlors il n'y avait point encore d' égalité. C'était de la démocratie anticipée: vous voyez, je ne flatte point. Tout net, Mad. la Comtesse, c'était déroger.

La Comtesse.

Et c'est justement ce qu'il y avait de piquant à ces passades. Il est si plaisant à une femme de qualité de s'étendre sous un vigoureux crocheteur qui a longtems marchandé pour promettre six sous, & qu'elle étonne ensuite en lui glissant douze francs dans la main! à occuper un fusilier du guet, tandis que le reste de la patrouille fait la guerre à l'œil, & dit brusquement aux gens: détournez-vous: il y a là un trou qu'on travaille à boucher. Prenez à droite.

Mad. Durut.

Je conçois que ces petites débauches peuvent amuser.

La Comtesse.

Ah! j'avais franchi l'article Parents. Deux oncles, une douzaine de cousins, des alliés: cela ne va qu'à vingt cinq.

Mad. Durut.

Ce n'est pas la peine d'en parler.

La Comtesse.

Valets ...

Mad. Durut.

Vous oubliez quelque chose... car je viens de lire à la volée Volange & Placide.

La Comtesse.

Tu as ma foi raison: il y a l'article Musiciens, Histrions, Sauteurs &c. Peste! c'était une importante omission. Il ne s'agit pourtant que de cent dix-neuf personnes: c'est à peine 6 par an.

Mad. Durut.

Pure misere.--Et puis voici les Valets?

La Comtesse.

Tant les miens que ceux d'autrui.--Il y en a de si beaux, si bien tournés! Et puis quelquefois ils ont rendu des services si essentiels qu'on ne sait comment les récompenser. Ou bien, un secret à payer, ou bien il s'agit d'exécuter une rouerie, le projet exige qu'on monte la tête à l'auxiliaire; les faveurs marchent d'abord; c'est l'encouragement; le salaire suit après l'exécution...

Mad. Durut.

Cela est plein de sens.

La Comtesse.

Tu vas voir que je n'ai pas eu l'ignoble goût de la livrée comme la plupart de nos dépravées de l'ancien régime. Je n'ai eu dans toute ma vie que cent dix-sept de ces porte-couleurs.

Mad. Durut.

Bagatelle, vraiment. D'après votre idée proportionnelle de tout à l'heure, ce n'est pas tout-à-fait 6 par an. Un seul laquais en deux mois!... Est-ce tout?

La Comtesse.

Il reste un article encore. Nègres, Mulatres & Quarterons; ensemble, quarante-sept. ( soupirant ) Ah! de ce nombre, ma chere Durut, il y eut un Zamor! ( a ) Celui-là, mon cœur, je le regretterai jusqu'à mon dernier soupir.

Mad. Durut.

Vous me donnez une bien haute idée du mérite d'un homme qui laisse d'ineffaçables impressions dans un cœur qu'ont pu toucher quatre mille neuf cents cinquante-neuf amans.....

La Comtesse.

Voilà de la mauvaise plaisanterie par exemple: dois-je me fâcher? ( Elle sourit. )

Mad. Durut.

A dieu ne plaise: touchez-là, si vous ne m'en voulez point. ( La Comtesse par malice touche si fort qu'elle-méme se fait un certain mal.

Mad. Durut.

Maintenant que j'ai eu sur les doigts, que pourrai-je faire pour vous amuser? Car vous ne me quittez pas encore.....

La Comtesse.

Ce n'est pas mon dessein. Je compte dîner ici en famille.

Mad. Durut.

Vous m'enchantez. Mais il n'est que midi. Quelle est votre heure?

La Comtesse.

La tienne. Celle de la maison.

Mad. Durut.

Trois heures?

La Comtesse.

Soit.

Mad. Durut.

En attendant, si vous voulez, je ferai descendre le Trottignac.

La Comtesse.

Pour moi?

Mad. Durut.

Pour qui donc!... Je n'ai pas le tems de vous donner moi-même avec lui la petite récréation: mais attendez. Voulez-vous lui voir exploiter Fringante?

La Comtesse.

Célestine plutôt?

Mad. Durut.

Oh non: celle ci ne peut le souffrir. C'est une antipathie!... & lui pourtant, il en est fou! l'autre jour, il la surprit & faillit la violer. Elle poussa des cris horribles & se trouva si mal quand on l'eut délivrée... de trois à quatre pouces qu'il lui avait déjà mis tout de travers... Car il avait aussi perdu la tête, lui.

La Comtesse.

Pas mal! eh bien?

Mad. Durut.

Ma pauvre sœur, dis-je, fut évanouie pendant vingt minutes: ensuite elle eut des convulsions & un tremblement! nous crûmes qu'elle était frappée d'épilepsie. Depuis ce tems-là: c'est à lui de l'éviter, car, à sa vue, la plus douce créature de la terre devient comme une lionne & lui court sus: elle le poignarderait.

La Comtesse.

Ces aversions sont inconcevables! on en a vu pourtant des exemples fréquens.--Fringante n'est pas si difficile?

Mad. Durut.

Oh, pour elle, ce serait Lucifer avec ses cornes & ses pieds de griffon qu'elle l'endurerait ( Mad. Durut sonne.--On frappe en dehors le petit coup d'avertissement. ) Fringante? & Trottignac? (On répond selon l'usage. )

La Comtesse.

Voilà qui sera fort bien. Mais je veux aussi qu'on m'occupe...

Mad. Durut, après un moment de réflexion.

J'ai votre affaire.

Elle conduit Mad. de Mottenfeu dans un cabinet de toilette dont un mur est commun à l'alcove du lit de la chambre à coucher.--Pour lors elle ouvre un intervalle quarré & fait remarquer à la Comtesse qu'en y passant le buste, elle verra parfaitement les ébats qui vont avoir lieu pour l'amuser, & que pendant cette fête, elle sera servie substantiellement...

La Comtesse.

Par qui?

Mad. Durut.

Ne vous en embarrassez pas. Etes-vous difficile sur le choix des gens que vous n'êtes point dans le cas de voir en face?

La Comtesse.

Pas du tout: mais encore?

Mad. Durut.

Songez que, qui que ce soit, en âge de maturité, n'est admis à servir ici, s'il n'en porte un de huit pouces au moins.

La Comtesse.

Voilà d'abord une convenance.

Mad. Durut.

Et puis on répond de la parfaite santé.

La Comtesse.

Tout cela convient.

Mad. Durut.

De plus, je n'ai chez moi que des gens d'une certaine tournure. Laissez vous faire, en un mot, à moins qu'il ne vous faille des Comtes, des Marquis?...

La Comtesse.

Tu te moques, je pense! ne viens-tu pas de voir ma liste!

Mad. Durut.

Eh bien donc: pourvu que vous ne soyez pas un moment désœuvrée, Foutez à la fortune du pot.

La Comtesse.

Me voilà prête.

Mad. Durut.

Demeurez-là. -- Voulez vous un masque? Fringante n'a jamais eu l'honneur de vous voir; mais si vous craignez que Trottignac ne vous reconnaisse?...

La Comtesse.

Que m'importe! pourvu que je ne les gêne pas, quand ils me verront le nez sur eux...

Mad. Durut.

Fringante & Trottignac! ils le feraient imperturbablement à la barbe des onze mille Vierges.

La Comtesse.

Voilà comme j'aime qu'on soit...

Mad. Durut a disparu.--Fringante entre nue comme le visage. On peut se montrer, & même avec orgueil, lorsqu'on a tant de beautés & de fraicheur. Son œil est en feu; son sein palpite: elle s'élance avec grace sur le lit en jettant du bout du doigt un baiser familier à la Comtesse qui a son petit nez en l'air passé dans l'embrasure.--Trottignac, aussi nud, survient ardent comme un taureau qu'on lâche dans l'arène à quelque combat d'animaux; il n'a fait qu'un saut de la porte au lit, & d'un seul coup de reins il s'est planté... En même tems dans le cabinet, quelqu'un, avec la même énergie, se niche en levrette chez l'heureuse spectatrice.

La Comtesse, avec feu.

...... Ah foutre!--C'est trop de plaisir. Mes yeux déchargent.... Que mon cyclope ( a ) ne peut-il voir!

On ne cite pas les dits de Fringante & Trottignac, parce que ce n'est point par l'esprit que brillent ces athletes! mais ils travaillent! C'est à s'extasier. Trois fois sans bouger l'onctueux Trottignac a fourni la carriere.--On n'a fait courir encore que deux postes à la petite Comtesse, parce qu'après chacune, on l'a purifiée avec une éponge imbibée d'eau. Cette cérémonie a coûté quelques instans. Et puis, chaque fois c'est un relai... On va de nouveau grand train avec elle. Quand elle est au moment d'une troisieme crise, Fringante & Trottignac, qui se sont reposés & rafraichis, se raccrochent avec la premiere ardeur. Pendant cette accolade on a fini la Comtesse, & l'éponge a joué son rôle. Alors, on la renfile, mais c'est avec une variation qui fait que..

La Comtesse, s'écrie en riant.

Sacrebleu! tout est ici bas pour le mieux, autrement le cyclope aurait l'œil crevé.--Soit fait ainsi qu'il est requis...

Et puis elle joue des hanches de si bonne amitié que l'auteur de la trahison ne peut douter qu'elle lui soit pardonnée. La petite folle allonge un bras & postillone l'hercule Trottignac: il n'a nul besoin de cet accessoire, mais il le tolere, parce qu'il suppose que la galerie y trouve du plaisir.--C'est ainsi que, jusqu'a l'heure du dîner, Trottignac tient sa Fringante en haleine. Quant à la Comtesse, traitée comme un canon, on ne fait avec elle que charger, tirer, écouvillonner, recharger, décharger &c. L'un n'est pas plutôt ôté que l'autre est mis (a). Quatre vigoureux Bostangis font à tour de rôle les frais de cette tenue. C'est dans un moment de qui-pro-quo entre ces Messieurs que Mons Belamour, purificateur, a placé comme je l'ai dit son petit mot, mais à l'autre oreille, ne se sentant pas digne de parler à la même dont se sont emparés de respectables orateurs, qu'il se flatte bien au surplus de surpasser un jour en éloquence lorsqu'il jouira de toute l'étendue de ses moyens.--Fringante appellée par quelque devoir se retire....

Mais Mons Trottignac qui n'a rien à faire & sent que Martin vit encore, saute au cou de la Comtesse, l'attire par sa lucarne, la dispute à quelqu'un de robuste qui se cramponne à son tour. C'est à qui l'aura. La frêle créature craint d'être écartelée par ces brutaux. Elle crie à faire pitié. Cependant Trottignac est le plus fort, il l'a puisée, couchée & tout de suite enclouée de maniere à ne pas lui laisser l'ombre d'humeur.--C'est cette fois Mad. Durut qui, (venue toujours courant aux cris de la patiente) occupe l'embrasure, & voit, non sans surprise, des gens bien éloignés pour lors de vouloir s'arracher les yeux. Ils s' obligent au contraire du plus parfait accord.

La Comtesse, à Durut en riant.

Il a failli me disloquer, mais voilà qu'il me raccommode.

L'expédition achevée, Trottignac fait sa retraite, encore avec les honneurs de la guerre.

Belamour vient, (un peu décontenancé) pour le petit détail de son service.--La Comtesse le regarde d'un certain air... il rougit......

La Comtesse.

Ne serait-ce pas vous, Monsieur le frippon, qui tout à l'heure... hein?

Belamour, avec timidité.

C'est moi, Madame, qui avais cet honneur-là.

Elle lui saute au cou avec transport, le baise au front, aux yeux, à la bouche. Il l'habille; elle lui glisse un louis dans la main.

Mad. Durut, avec sévérité.

Belamour? je ne sais rien, je ne vois rien. Mais gardez-vous une autre fois d'outrepasser si témérairement les bornes de votre service.

La Comtesse.

Ne le gronde pas, ma chere Durut. Je t'assure qu'il m'a fait tout le plaisir imaginable. ( Elle sort de la poche son livre. ) Les autres, Durut? N'étaient-ils pas quatre?

Mad. Durut.

Tout autant.

La Comtesse, en écrivant au crayon.

Quatre inconnus... & Belamour...

Mad. Durut.

Avec une virgule. -- ( On passe dans la salle à manger. )

PASSE POUR CEUX-CI. QUATRIEME FRAGMENT.

La scène est à l'extrêmité la plus reculée de l'ample territoire de l'hospice. Il y a une colline fortuite au haut de laqu-elle on arrive d'un côté par une montée peu rapide; l'autre offre des escarpemens naturels que l'art a rendu plus pittoresques. On a eu l'idée de bâtir sur la cîme un hermitage, c'est-à-dire un bâtiment qui a toute l'apparence d'une petite chapelle fort ancienne, avec son péristile soutenu de deux colonnes de bois; la porte & les fenêtres gothiques, & ses vitrages diaprés. Un petit clocher surmonte le comble. Une cabane est adossée à cette espece de sanctuaire. Tout le terrain de cette retraite est en bosquets coupés de petits sentiers, & d'un ruisseau qu'occasionne une cascade artificielle qui s'échappe du point le plus élevé. De ce point, l'œil découvre au loin un fort beau paysage, mais l'hermitage, à cause de ses bosquets, est vu de peu d'endroits de l'intérieur de l'hospice, & plus on approche, moins cette solitude est visible. Elle est d'ailleurs palissadée & close. Messieurs les Jeudis font grand cas de l'hermitage: c'est ordinairement là qu'ils prennent leur champ de bataille pour les petits coups fourrés .... & c'est là que sont pour le moment,

CELESTINE ET BELAMOUR. Celestine,

( Se promenant avec Belamour dans les bosquets. ) Il tarde bien, ce Vicomte de Culigny!

Belamour.

Peut-être ne viendra t-il pas!

Celestine.

Lui! Pour la récréation qu'il s'est ménagée, il arriverait des Antipodes.--Il avait essayé d'émigrer: mais il ne pouvait s'accommoder, (a-t-il dit hier à ma sœur) ni des femmes du pays, bégueules, sur son article, à faire pitié, ni des réfugiées françaises dont les taudis sont engorgés du matin au soir, si bien l'aristocratie elle même s'accommode à petit bruit de ce systême d' égalité, de liberté contre lequel elle proteste: n'étant pas non plus affriandé par de jeunes gens qui, pour se rendre aussi laids que possible, se sont mis à porter des moustaches & des barbes à l'instar de nos sapeurs de la garde nationale, il n'y a pas tenu, & au risque de se faire pendre, il est rentré. Durut, avertie par ses mouches, est accourue chez lui: son premier mot a été: Que fait Célestine? Pourrai je l'avoir demain ? Il est bon de te dire que je suis ce qu'il aime de mieux à Paris; & pour cause... En même tems, ma sœur lui a fait voir ton portrait en miniature qu'elle venait de retirer de chez le peintre pour la petite Duchesse de Confriand, il s'est extasié. Le divin enfant! (s'est-il écrié: ) je déjeûne avec lui demain à l'hermitage. -- Et Célestine? a dit ma sœur, la voilà donc cassée aux gages? -- Point du tout: tous deux, ma chere Durut. Je les veux l'une & l'autre. = Juge, mon petit ami, si cet affamé, qui peut-être n'a pas vu un seul depuis six semaines, & qui d'avance a doublé le prix ordinaire de sa fantaisie, peut manquer une partie pour laqu-elle s'est si vivement montée son imagination!

Belamour.

En vérité, je ne les conçois pas, ces Messieurs! Qu'ils ayent à cela tant de plaisir avec vous autres: cela se comprend. Mais avec nous!

Celestine.

Tiens, Belamour. Ne te mets pas à raisonner comme un con. Je n'aurais pas la complaisance de te répondre. Suis-moi, petit imbécille...

Elle le prend par la main & le mene grand train à dix pas, dans la cabane, qui est, en dedans, un délicieux boudoir décoré de glaces.

LES MÊMES. Celestine.

Après avoir mis à nu la mappemonde de Belamour, se trousse & montre aussi la sienne. Elles sont toutes deux à portée d'une glace & réfléchies dans une autre. = Regarde, mon polisson. Ces deux Messieurs que nous voyons là, ne sont-ils pas également ronds, frais, appétissants? A ton âge heureux n'est-on pas une jolie fille, quand toutefois on a le bonheur d'être joli? Et puis que repliquer au caprice, quand il dit cela me plait ? Quant à moi, je sens que si j'étais homme, tu y passerais tout de suite.

Belamour.

Eh bien, j'ai l'honneur de l'être moi... Je vais donc... ( Il se dispose à la coucher sur un meuble. )

Celestine, s'opposant.

Allons, soyez sage: vous savez ce qui vous est prescrit. Il faut de la bonne foi dans les traités...

Belamour, tendrement.

Mais voyez donc!

Celestine.

Oui: je vois là quelque chose de fort persuasif, assurément: mais je sais me posséder, moi... Finissons: ( avec sévérité ) allons, Monsieur, rengaignez votre compliment. ( On conçoit ce qu'il en coûte à Belamour de voir refuser quelque chose de fier & d'imposant....) Tenez, ( Elle donne à cet audacieux quêteur un baiser humide. ) Voilà tout ce que je puis faire pour son service.

Belamour.

Grand merci. -- C'est toujours ça.

En même tems l'espiegle se laisse aller à terre assis. Aussitôt il a fourré sa tête sous les jupes de Célestine & entre ses jambes. Tandis qu'il gravit pour atteindre au magique sillon, de ses mains il attaque l'équilibre de la Nymphe, & lui fait ployer le jarret. Elle tombe en plusieurs tems & sans rudesse d'abord à genoux, puis sur les mains. Cette attitude est ce que l'ardent Belamour désirait d'obtenir: dès-lors, il a sur le nez la céleste mappemonde, & sa langue amoureuse aiguillonne le brûlant bijou. En même tems le petit boutejoie fait fièrement l'obélisque à trois doigts des yeux de Célestine, à qui l'on en fait trop pour ne pas l'entraîner. Elle se jette donc avec un transport glouton sur l'intéressant joujou, & lui rend hommage pour hommage. La bouche lubrefie le bigarreau vermeil, tandis qu'une main folâtre avec les Truffes d'Adonis (a) qui décorent le pied de cet arbuste. Mais elle a grand soin, à ce jeu, de ne pas pousser avec Belamour les choses aussi loin qu'il s'en pique avec elle. Il convient que le Jouvenceau destiné & de service, ne perde rien de ses moyens. Célestine, au contraire verse libéralement cette rosée de vie que les gens qu'elle dégoûte, ne sont pas dignes qu'on répande pour eux, mais que savourent comme un nectar ces élus fervens à qui la reconnaissante Venus fait trouver de tant de façons les cieux sur la terre.--C'est lorsque finit cette pieuse maniere de lui sacrifier, que survient le Vicomte.

Même Lieu. LE VICOMTE DE CULIGNY (a), CELESTINE, BELAMOUR. Le Vicomte, chante.

„J'aime à voir cet hommage flatteur,

„Qu'ici l'on s' exerce à vous rendre. ( b )

Celestine, debout & se rajustant.

D'autant plus, M. le Vicomte, que c'était sans vous faire aucun tort...

Le passetems auquel Culigny vient de surprendre le joli couple, n'empêche pas qu'il ne baise fort amoureusement Célestine, & qu'avec la même passion il n'en fasse autant au petit langayeur. (a)

Celestine.

N'est-ce pas qu'il est charmant?

Le Vicomte, avec transport.

Incroyable! il surpasse encore ce frippon de portrait qui, toute la nuit, ne m'a pas permis de fermer l'œil.

Culigny se jette sur la duchesse & attire, sur l'un de ses genoux, Célestine: sur l'autre, le charmant Camillon. ( b ) Il leur partage avec autant de grace que de vivacité, mille tendresses, mille baisers, mille éloges. Bientôt, à travers de menus propos, (qui n'ont rien d'assez intéressant pour qu'on les cite) un grouppe se compose. Célestine étendue enfin sur la duchesse, reçoit dans ses bras le fortuné Belamour, tandis que le Vicomte, avec toute l'ardeur de son goût socratique, devient le Jupiter du plus désirable Ganimede. Ce n'est pas dans le raccourci des objets réels, mais dans la glace qui les répéte & les déploye, que le voluptueux Culigny cherche cette quintessence du plaisir dont son procédé matériel ne lui fournit que la sensation grossiere. Malheur au prêtre vulgaire qui ne sait qu'immoler bêtement sa victime, & qui, sous quelque forme qu'il te sacrifie, ô Venus, n'a pas toute son ame embrasée de ta divinité! ( a )

On passe dans la chapelle, où est préparé un déjeûner, auprès duquel est de garde la plus jeune des Camillonnes de l'hospice. Cette enfant très novice, à qui le tems avait duré, & qui se croyait tout de bon dans une Chapelle ( b ), s'était mise à genoux en prieres devant le modeste canapé d'une niche décorée d'un tableau dont voici le sujet:--„Une jeune & très jolie brunette quitte sa chemise par le bas; elle n'y a plus qu'une jambe; l'autre est élevée & ployée dans le mouvement qui vient de la dégager; le reste du corps est absolument nud: elle montre en plein ce petit orifice rosé que sa décoration fait nommer quelquefois par de mauvais plaisants, l'as de pique. --La jeune vierge paraît fort troublée de l'entrée pétulante que fait, par la fenêtre, un jeune homme d'une beauté céleste, & qui porte, perché au bout de... ce qui plait tant aux Dames, un pigeon blanc; la lumiere est sur une table, mais placée de façon que le pigeon en éclipse le lumignon, d'où résulte l'effet que l'oiseau parait entouré de toutes parts d'une sphere de rayons. Au bas de la peinture on lit: Je vous salue, Marie."

„C'est ce qui a fait que l'innocente Camillonne a pris cette image pour une Annonciation. Il ne faut pas demander si Célestine & Culigny rient comme des fous d'une dévotion si candide. Il n'y a pas jusqu'au demi dessallé Belamour qui n'y entende aussi malice.„--„Vis à vis, dans une pareille niche, est un tableau de même grandeur, mais d'une touche plus ferme, représentant le seigneur Loth d'insensible & luxurieuse mémoire. On l'y voit levrettant vigoureusement, dans une caverne, sa brune fille ainée, tandis que la blonde cadette, debout sur le grabat où l'on travaille si bien sa sœur, est, jambe deçà, jambe delà, vuidant une coupe de vin, & troussée sous les yeux de son vertueux pere à qui, la ceinture en avant, elle fait un surcroit de moustaches du devet naissant de ses jeunes appas: on lit au bas: Notre Pere qui êtes au Cieux! --Enfin, dans le fond, en face de l'entrée, on voit, au-dessus d'une espece de buffet (que l'ingénuité pourrait prendre aussi pour un autel) la tentation de St Antoine exécutée en bas relief, d'un habile ciseau. La composition de ce morceau, quoiqu'assez simple, fait honneur à l'imagination de l'artiste.--Belzebut & sa femme (lui velu, cornu, affreux; elle fort jolie, mais ayant l'air diablement coquine) sont venus surprendre le saint Hermite pendant son sommeil, & lui ont attaché la barbe après la queue de son cochon. Pour lors ils ont éveillé les deux amis. Le Saint aussitôt se prosterne & se met en priere; mais l'infâme Belzebut se bouchant le nez à tout événement, abuse de l'attitude. Et l'imprudent Antoine est impitoyablement traité comme le jeune secrétaire d'un Cardinal. En même tems, Mad. Belzebut, faisant face, vient d'enjamber le cochon qui prenait son élan. De l'aventure, le défloré solitaire se trouve horriblement tiraillé par sa sainte Barbe, il a toutefois pour consolation, la faveur de baiser, s'il peut y prendre goût, l'énorme, noir & brûlant anneau de mariage du Roi des damnés. Il faut endurer cette permanente accolade sous peine de perdre, le Saint, son poil, ou le cochon, sa queue. Le moment de la double infâmie des époux infernaux & du vain effort du cochon, est celui qu'a saisi le sculpteur: ce bas relief estun chef-d'œuvre d'exécution & de caractere. ( a )„

Le Vicomte n'avait pas encore vu ces embellissemens très récemmment mis en place. Connaisseur, il en est enchanté. Célestine soupçonne, mais à tort, que Belzébut sur-tout le frappe & lui fait envie: car M. H.... n'a pas fait de l'anachorete un vieux magot, mais bien un dodu Cénobite dont le postérieur, moëlleusement arrondi, suppose de la jeunesse, & permet d'imaginer qu'on verrait un agréable visage, s'il n'était pas aux trois quarts incrusté dans la bifurcation un peu mollasse de Madame Belzébut.

On a déjeûné; la petite dévote est renvoyée.--On essaye une nouvelle combinaison.--C'est pour lors Belamour qui gît; il est aussitôt surmonté par l'ardente Célestine. Dès que le Vicomte, qui avait presque le nez sur les objets, la voit dûment pénétrée, il l' init à son tour. On sait que la capricieuse Célestine (à moins qu'elle ne regrettât de n'enfourcher qu'un enfant) ne pouvait, selon ses goûts être plus agréablement occupée.....

Ensuite on se met à causer.

Celestine.

Çà, Vicomte? pour ma propre satisfaction & pour l'instruction de ce morveux, tu vas, s'il te plait, me résoudre un problême: mais sans complimens? la vérité, mon cher?

Le Vicomte. (a)

De quoi s'agit-il?

Celestine.

Avec qui de Belamour ou de moi cela t'a-t-il fait le plus de plaisir?

Le Vicomte.

Avec tous deux.

Celestine.

C'est une réponse normande.

Le Vicomte.

Point du tout.--En le lui faisant, je l'aimais mieux que toi: avec toi, tu me plaisais davantage.

Celestine.

Mais le sexe....

Le Vicomte.

Il n'y a point de sexe. Il n'y a que des formes & de l' électricité (b). Que m'importe qu'au revers (a) de cet enfant charmant, il ait une prolongation, & qu'au tien il y ait une lacune! j'oublie tout cela quand je suis, avec l'un, avec l'autre également étreint dans un élastique anneau; également appuyé sur deux magnétiques hémispheres d'un satin un peu plus, un peu moins blanc, mais qui procurent à la vue, des sensations également voluptueuses. Tous deux vous m'offrez plaisir & sûreté. Je n'ai pas, hors de l'acte même, un scrupule de motif qui puisse faire pencher ma balance, soit du côté de Belamour, soit de celui de Célestine.

Celestine, à Belamour.

Eh bien, petit? voilà tes doutes réfutés.

Belamour.

Je vois bien que je n'étais qu'une bête, mais à mon âge on est fait pour cela.

Le Vicomte, l'embrassant.

On n'est pas bête longtems (si toutefois tu l'étais) quand on a le bon-sens de s'appercevoir de quelque degré de sottise.--Revenons à notre sujet. Ce que je disais, ma chere Célestine, est l'arrêt de condamnation de ces brutaux & sordides Culomanes qui se dégradent en se livrant à d'horribles jouissances. Dès que le rasoir a fauché sur le visage d'un être masculin, certaine fleur enfantine, seul prétexte à l'équivoque, il est rare que, sans dépravation, on puisse désirer d' avoir un tel personnage ( a ). Fi du grossier pédéraste qui ne recherche pas la féminine illusion. Fi de celui qu'on voit, comme à Berlin, affronter, pour ses six gros, la mappemonde poilüe d'un grenadier qui ne sut jamais si le papier est bon à autre chose qu'à faire des rapports de la garde & des cartouches; fi du pénaillon qui, dans sa communauté, se plante aussi complaisamment chez le bouquin de Prieur que chez l'imberbe novice. En un mot, fi de ces canulles bannales du genre humain, tels que nos Messieurs Stercoran, Trichecon, Piquemignon, Merdin & tant d'autres, desquels je ne cesse de dire aux assemblées que ce n'est que par un abus criant qu'ils conservent le droit de figurer dans l'Ordre. A dieu ne plaise, Célestine, que tu m'avilisses dans ton esprit au point de me comparer avec de tels... freres. Je ne suis pas plus dépravé, moi, que tant de Dieux & de héros pour lesquels on a, comme de raison, assez d'indulgence. Alcibiades, Sporus, Narcisse, Antinoüs, Hiacinte, le jeune César, pour ne pas parler des modernes, n'ont point déshonoré, comme jouissances, leurs capricieux adorateurs. Mais ce qu'il y a d'odieux, même parmi nous, c'est quand un Président Faux-connier vient céans en partie fine avec un abbé Cudard & reçoit le mouchoir après l'avoir jetté. C'est quand on vient à savoir que MM. Déviant, Gitonard, Cognebran & & Foirigny se sont permis une petite orgie à laqu-elle pas même les Camillons ne furent admis....

Celestine.

Oh parbleu! il me semble entendre parler ma sœur. Quand ces vilains nous tombent sur les bras, elle est furieuse...

Le Vicomte, s'animant.

Ou je perdrai tout-à-fait le peu de crédit que je me flatte d'avoir dans l'Ordre, ou l'on y sera délivré de cette peste. Oui, Célestine, je solliciterai fortement une loi sur cet objet, mais l'adoucissement (selon moi très raisonnable) doit être que jusqu'à l'époque de la nécessité du rasoir, tout Jouvenceau fasse corps avec le beau-sexe.

Celestine.

Ainsi, plus d' Andrins? (a)

Le Vicomte.

Il n'y aurait plus d'avoués que les Janicoles. (a)

Celestine.

Mais entre nous, Vicomte, vous-même vous ne l'êtes pas... Vous avez, dit-on, pour ceci. ( Elle montre, on se doute quoi ) la plus invincible aversion... (Le Vicomte la renverse brusquement & baise le bijou. )

Le Vicomte.

Voilà bien, je crois, la preuve du contraire.

Celestine.

On m'avait pourtant assurée....

Le Vicomte.

Tu doutes encore! ( Pour lors il s'arrange tout de bon pour la gamahucher en forme. )

Celestine, sans beaucoup résister.

Hola.... hola!.... Nous dissertions; mon cher... Mais... je vois bien qu'il... n'y aura pas moyen de lui faire... reprendre le fil de son... discours.

Alors elle tend les bras à Belamour, l'attire, le baise, le mord, & lui prend une main qu'elle fourre dans sa gorge, le tout en remuant moëlleusement le croupion pendant cette lesbienne que le Vicomte a le galant caprice de lui administrer.--Culigny, sans interrompre son languayage (a), a mis en campagne dans le pantalon de Belamour une de ses mains, inutiles à la besogne: le petit Adonis, méthodiquement excité, n'enrépond qu'avec plus d'ardeur aux caresses de la voluptueuse Célestine.--Après l'affaire.

Celestine.

Voilà bien la plus burlesque digression!...

Le Vicomte.

Elle n'est pas encore achevée. (Il monte sur le meuble & se met en devoir de l 'inir congrûment. )

Celestine.

Tout de bon, mon cher? C'est bien cela qu'il vous faut?

Culigny ne répond qu'en ne lui laissant aucun doute: il y est :--Célestine, touchée de cet excellent procédé croit obliger le Vicomte en faisant signe à Belamour de faire... une fort vilaine chose qu'on sait que le belenfant a soufferte.

Le Vicomte, refusant.

Non, non, mon cœur. A moi tant d'honneur n'appartient: il y a plus de vingt ans qu'on me rase...

Celestine.

Eh bien donc... ( Elle débusque le Vicomte d'abord assez étonné ) Je ne veux pas que mon petit Belamour soit redevenu si beau pour rien; à moi l'aubaine.

Elle a forcé le Vicomte à se mettre sur le dos; elle monte sur lui; se pénétre & reçoit ailleurs le docile Belamour.

Le Vicomte, travaillé.

Que tu es bonne! que de graces tu mets à ta complaisance! ce visage disgracié n'effarouche point le desir?

Celestine, allant toujours son train.

Tu te fous de moi, je pense! l'homme aimable fut-il jamais laid! que je ferme cette bouche qui se met à raisonner si mal.

Ce nouvel arrangement a bien plus d'effet que le précédent pour la voluptueuse Célestine; mais c'est assez excéder le lecteur de ces détails à peu-près monotones pour lui, s'ils sont variés pour mes acteurs.--On a fini: Belamour s'est écarté: Célestine demeure encore en place.

Celestine.

Comme il faut croire aux réputations! j'aurais juré que tu étais homme à fuir à la seule vue d'un con .... Pardonne.

Le Vicomte.

Oui bien, de celui qui a la prétention de se faire acheter par des soins, des soupirs & des délais aussi ennuyeux que ridicules: oui bien, de celui qui porte des certificats effrayans de ses vigoureuses fatigues ou de ses malheurs; ou bien, de celui qui vous attend avec du poison; de celui encore qui, s'arrogeant l'honneur de vous fatiguer, est incapable de prendre part à la chose. Oui, Célestine: il y en a de cent especes que j'abhorre & que je fuis. Mais il en est un bien aimable, ainsi que ses pareils: s'il n'y en avait que de cette espece, je crois que notre secte s'éteindrait... Celui que je veux dire, c'est le frais, le pur, le sensible, le reconnaissant; en un mot ( avec un bon baiser ) le tien...

Après les vives caresses que peut causer cet éloge flatteur, on se leve.--Culigny promet de renouveller bientôt ce délicieux déjeûner. Il fait présent à Belamour d'une montre & à Célestine d'une paire de boucles d'oreilles.--On se sépare enfin après mille baisers circulaires, enfans bien légitimes de la reconnaissance & de l'amour.

Fin du premier Numéro du second Volume.

ERRATA.

Page 5, ligne antipénultième, inffables, lisez ineffables.

-----17, ligne antipénultième, l'art qui peut, supprimez qui.

----- 30, ligne 6 avant la fin, un, lisez une.

-----35, ligne premiere, firent faire au Comte, Widebrok, lisez firent faire à Widebrok, le Comte &c.

----- 41, ligne 10, arrivés, lisez survenus.

-----53, ligne premiere, chicanne, lisez chicane.

LES APHRODITES. L'AMITIE' AL'EPREUVE. PREMIER FRAGMENT.

La Scène est aux bosquets anglais dans un joli Pavillon fort enrichi de glaces & qui en tire son nom.

CELESTINE, FRINGANTE. Celestine,

( A moitié pamée à la suite d'un petitdoigtdecour très vif que Fringante vient de lui faire: -- Ha! d'où revient-on!.... ( elle l'embrasse.) Il faut avouer que tu fais cela comme une divinité. Voyons si j'aurai le même succès...

Fringante, refusant.

Grand merci: quand je suis assurée de quelque chose de plus solide, je ménage volontiers ma poudre...

Celestine, d'un ton badin.

Vous êtes charmante! crois-tu donc, Mademoiselle, que t'amuser avec moi, ce soit la tirer aux moineaux? Je suis ta dupe, Fringante: tu ne m'aimes pas autant que je t'aime.

Fringante.

Vous êtes une ingrate, Célestine: tu dois être bien intimément convaincue de ma tendresse pour toi... Cependant, si pour t'en assurer mieux, il faut te laisser prendre la petite peine que je voulais t'épargner...

Celestine.

Comme ce compliment est tourné! c'est donc une petite peine que Mademoiselle vient d'avoir à l'instant. -- ( En parlant elle a troussé Fringante. )

Fringante.

Il est plus aisé de céder que de te faire entendre raison. ( a )

Elle se résigne: Célestine au lieu de se borner à rendre le doigt-de-cour, renverse pétulamment Fringante & la glottine avec une tendre fureur...

Fringante.

Tiens... tiens... délicieuse coquine... pour le coup... tu ne douteras pas... ( Elle n'a plus la force d'achever. )

A mesure que Fringante s'empassionne, Célestine redouble d'ardeur. On entend celleci murmurer (dans son attitude si propre à étouffer la voix) de ces mots foux qui décélent qu'en donnant du plaisir, elle en goûte infiniment.

Fringante, ressuscitant.

Quelle folie!

Celestine, se rinçant la bouche.

On sait du moins à quoi s'en tenir?

Fringante.

Si j'avais été méchante, j'aurais eu bientôt fait de rabattre ton beau transport...

Celestine.

Comment cela?

Fringante.

Je t'aurais dit qu'un moment avant de venir te joindre ici, Trottignac, par un coup bien tapé, m'avait fait à la volée ses adieux dans le corridor. Mais rassure-toi: la plus ample toilette a passé l'éponge sur cet impromptu.

Celestine.

N'importe: si je m'en étais doutée... Mais tu badines? tout de bon il te l'a mis?

Fringante.

Tout à l'heure. Dur comme fer, chaud comme braise.

Celestine.

Tu me désoles.

Fringante.

C'est pourtant quelque chose d'étrange que ton aversion pour cet homme-là! Par quel motif?

Celestine.

Je serais bien embarrassée de le dire.

Fringante.

Il est bien fait.

Celestine.

Pour un porteur de sacs.

Fringante.

Il est gai...

Celestine.

Comme un manant.

Fringante.

Il a un talent...

Celestine.

Oui, sans doute. J'ai failli même en faire une rude épreuve... ( a ) Cependant tout bien fait, tout gai, tout homme à talent qu'il est, & quoique j'aye le démon de la fouterie (a) délayé dans mon sang, je renoncerais à la chose, s'il n'y avait sur la terre que des Trottignacs.

Fringante.

Ta sœur le voyait avec des yeux bien différens.

Celestine.

Oh! ma sœur: elle foutrait avec le diable...

Fringante.

Et moi de même.

Celestine.

Mais laissons là ce vilain homme; le voilà, grace à Dieu, déniché de l'hospice pour n'y rentrer jamais. Avoue pourtant qu'il y a des gens bien heureux?

Fringante.

Est-ce de toi, ou de lui que tu parles?

Celestine.

C'est de lui.--Trouver ainsi quatre folles encore jolies, riches, libérales, d'humeur à se cotiser pour lui faire un sort fixe de cent louis, l'entretenant d'ailleurs de tout. Voilà de ces aubaines qui ne tomberaient pas à un galant-homme...

Fringante.

Ou plutôt qu'un galant-homme n'accepterait pas. Comment nomme-t-on ses peu délicates bien-faitrices?

Celestine.

Mesdames de la Motte-Pertuis, de la Rigolière, de Vitamie & de Confort. Le contrat est en bonne forme: elles émigrent.

Fringante.

Le Quidam les suit, m'a-t-il dit, en qualité d' Ecuyer.

Celestine.

C'est-à-dire de premier domestique, car tout cela n'est que robe & haute finance, quoiqu'en fait d'hommes, elles faufilent avec la cour.

Fringante.

Ahye, ahye! pour peu qu'elles soient accoutumées aux gens du bon ton, le Trottignac jouera bientôt près d'elles un sot rôle...

Celestine.

Il va les ennuyer à périr, le jour, tout au moins. Pas l'ombre de savoir-vivre! point de culture! il s'énonce comme un valet, & crie!...

Fringante.

C'est assez le ton de la Province, de la sienne surtout.

Celestine.

Si la métempsycose n'était pas une rêverie, je gagerais qu'il fut jadis un baudet.

Fringante.

Il en conserve d'assez beaux échantillons: mais cessons, si tu veux, de parler de lui, puisqu'il n'a pas eu le don de te plaire...

Celestine.

Je n'étais pas la seule. Le Pot de-chambre (a), c'est tout dire, n'a jamais pu se résoudre à le souffrir autrement qu'en levrette. Elle prétend que ce masque, à beaux traits, mais qui n'exprime que de la bassesse de sentimens & de la bête ironie, la glaçait toutes les fois qu'elle s'oubliait à le considérer.

Fringante.

Le Pot-de-chambre rafiner! c'est à quoi l'on ne s'attend guères. Je crois bien la valoir, moi: cependant je te jure qu'un homme quelconque, pourvu qu'il soit sain, propre, & n'ait point de mauvaise odeur, peut m'apporter tel visage que la nature aura trouvé bon de lui départir; il me trouve toujours inaccessible aux petites répugnances. Disons la vérité, ma chere Célestine, tout homme qui passe vingt-cinq ans, n'est-il pas, comme visage, assez communément laid? Ces traits marqués, cette barbe, ces muscles, ces détails prononcés qu'on nomme belles proportions qui donnent l' air mâle, avoue que tout cela n'est beau que par convention d'abord, & puis surtout par comparaison? Que m'importe à moi! je ne vois dans un homme que la mécanique nécessaire à faire végéter & se mouvoir, ce dont toi & moi faisons tant de cas. ( a ) Ce bon-morceau qui fait l'homme, n'est (pour moi du moins) que comme la chair de ces pâtés renommés dont la croûte n'est nullement prisée.

Celestine,

Je ne suis pas de ton indifférence, pour la croûte, moi qui certes, fais bien la même estime du pâté: mais sais-tu bien qu'on remarque ici des effets fréquens de ta bisarre morale? on s'est plus d'une fois plaint que dans tes rapports en qualité d' essayeuse (b), tu ne rends qu'un compte sec de la chose, & ne dis jamais un mot du plus ou du moins de mérite de la maniere ?

Fringante.

Je m'en garderais bien... D'abord, outre que le prix de toutes ces petites formes dont je comprends que tu veux parler, hausse ou baisse au gré du caprice; c'est au solide qu'on doit s'attacher pour le véritable intérêt de l'établissement. Il est question d'y savoir combien Monsieur un tel porte, comment il bande, combien il fout: impartiale, je manège l'individu tant bien que je puis, & je dis ensuite de bonne foi quel est son produit-net. C'est d'après cela, ma chère Consœur, que pas un de mes essayés n'a dupé l'Ordre, tandis que plus d'un des tiens t'ont mérité de vertes réprimandes.

Celestine.

Mais sais-tu bien que c'est m'en faire une! Voudrais-tu m'accuser de remplir moins bien que toi les devoirs de notre commun emploi?...

Fringante.

Tu caves au plus fort. Certes, mon dessein n'est pas de te désobliger; mais je crois pouvoir avancer que tu es trop bonne, & que tu tiens trop de compte aux capricieux des détails qui peuvent t'amuser. C'est toi nommément qui nous as infectée d'une légion de revireurs... Celles de nos belles Dames, qui n'ont pas ton fichu goût, tremblent d'avance pour leur derriere, quand elles voyent balotter (a) quelqu'un des essayés de l'ambidextre Célestine...

Celestine.

En revanche celles de mon bord, c'est-à-dire, qui aiment tout, ne s'attendent qu'à de la grosse & simple besogne de la part des recommandés de Mlle Fringante. Cela ne revient-il pas au même?

Fringante.

D'accord.

Celestine.

Sais-tu que c'est à moi qu'on a l'obligation d'avoir repêché ce joli Grand-Vicaire que tu avais jetté hors du réservoir, parce que le jour de ses preuves il avait débuté par deux préludes, dans lesquels on fait pourtant aussi parade des talens? & parce que, croyant bien faire en te démontrant qu'il s'entend également bien à tout, il avait, sitôt après la premiere accolade, essayé de te le mettre de l'autre façon. Tu te fâchas, tu lui dis net que ce n'était pas ce qu'il fallait à l'ordre: tu rompis la séance & le pauvre diable fut rejetté! Par bonheur il avait parmi les affiliées des amies qui revinrent à la charge & répondirent de lui: son bon droit mieux appuyé fut pris en considération sur nouveaux fraix. Ce Monsieur-là se trouva capable d'aller à six & sept: la forme exigeait qu'il subît de rechef un essai. Tu comprends bien qu'il tâcha pour-lors de tomber dans ma semaine: en trois heures, il me le mit six fois à la française, avec variété de posture: jolis entr'actes, en un mot, toute la science des ruelles petites maîtresses. Mais il se gardait bien de tomber dans la faute qui lui avait attiré ton improbation... Cependant, à travers mille caresses, il ne pouvait s'empêcher de dire à mes collines les plus jolies choses du monde, & même de les baiser en soupirant. „ Est ce là tout le bien que vous leur voulez ?„ lui dis-je en riant sous cape: le dernier mot venait à peine d'échapper.... déjà le comble était mis à la louange... Il reçut de ma part une belle attestation... A la plus prochaine assemblée, il fut remis au scrutin: il y eut bien encore quelques boules noires, tant les préventions portent malheur. Mais Mad. de l'Enginière ( a ), Mad. de Fiere-Motte, Mad. de Frais-Sillon & la petite de Condoux furent nommées Commissaires: chacune lui donna un jour; toutes furent enchantées & visèrent mon attestation avec éloge. Pour lors il fut reçu tout d'une voix, mais on te déroba la connaissance de cette révision pour ne pas te faire de la peine: il se trouve aujourd'hui que ce Grand-Vicaire est à la mode, & que nos friandes meurent d'impatience qu'il ait achevé les Matrones ( a ) pour avoir le plaisir de s'en donner avec lui.

Fringante.

Grand bien lui fasse. Je t'avoue que dans le tems je fus un peu piquée de voir reparaître mon abbé, me faisant un peu la nique, mais pourtant plutôt galamment qu'avec humeur. Et c'était toi, Mademoiselle, qui m'avais valu cette petite mortification?

Celestine.

Comme tu le dis: mais en tout bien, tout honneur. J'espere cependant que nous n'en serons pas moins bonnes amies?

Fringante.

Il faudrait bien d'autres griefs pour me brouiller avec toi.

Celestine.

Avoue donc que chacune de nous a ses petites préventions, & que la mienne qui ne rabaisse qu'un Trottignac, est beaucoup moins au désavantage de l'Ordre que la tienne qui faillit le priver du charmant abbé Dard'amour?....

Ici l'entretien est interrompu par trois personnes attendues, & qu'amene la Négrillonne Zoé.

COMME ILS SE CONSOLENT! SECOND FRAGMENT.

La Scène est au même pavillon des glaces. UN PRÉLAT (a), L'ABBÉ DARD'AMOUR (b), LE MARQUIS DE FESSANGE, CELESTNE, FRINGANTE ET ZOÉ. Celestine, allant au devant du Prélat.

Arrive donc: ( elle l'embrasse. ) Nous nous morfondions en attendant ici ta Grandeur. = Dard'amour & Fessange s'empressent de mettre à la portée du Prélat un fauteuil dans lequel il s'établit mollement. Célestine se place sans façons sur ses genoux.

Le Prélat.

Bon Dieu: c'est que ze ne pouvais me r ésoudre à me mettre en voya z e pour me r end r e ici. Z'étais f r appé de l'idée que les yeux de tout Pa r is pénét r aient à t r ave r s les panneaux de la voitu r e, & qu'on devinait que z e me r endais en ce lieu.

Pendant cette tirade, Dard'amour, par les plus jolies manieres, a tâché de se mettre bien avec Fringante; il réussit: de son côté, Fessange ( a ) fait le galant auprès de Zoé.

Celestine, au Prélat.

Quelle folie!

Le Prélat.

C'est asseter cer le plaisi r que d'avoi r tant de peu r à le veni r cercer.

Celestine.

Oublie tout cela chez nous, mon bel ami. ( Elle le baise. )

Le Prélat.

Ze ne vois pas ici la cère Du r ut?

Celestine.

Mon cœur, elle est à Paris depuis hier soir: je l'attends à toute minute, car elle est bien nécessaire quand je suis moi-même occupée au dehors.

Le Prélat.

Plains-moi bien, s a r mante Célestine. Z'ai passé la plus mauvaise nuit de ma vie. Il faut que z'aye eu le malheur d'empo r ter quelque puce de chez Mad. de Vadouze qui m'a fait tenir son cien pendant une heure sur mes zenoux: ze me suis senti tou r menter comme un damné pendant la nuit entie r e. Mon valet de s ambre n'a zamais pu trouver dans les d r aps le méçant animal. Z'en ai presque eu la fièv r e... Heu r eusement vers le zour, ze me suis endo r mi, mais ze suis stigmatisé de la tête aux pieds, c'est à fai r e compassion.

Celestine, le baisant.

Petit Roi, voila ce que c'est que d'être sensible...

Le Prélat, soupirant.

Ah! que dis tu!...

Celestine,

Qui depuis quelques instans s'est négligemment amusée du boutejoye de sa Grandeur. --Mais en effet, je pourrais m'être trompée. Comment, Monsieur! il y a un siecle que je caresse cette breloque, & voilà comme elle y répond!... Libertin! je gage que tu n'as pas eu toujours sur tes genoux le chien de Mad. de Vadouze. Voilà bien le plus triste lendemain de nôces que j'aye vu de ma vie... ( l'embrassant ) Monsieur le Saint? voulez-vous bien bander?

Le Prélat, s'animant un peu.

Tu vois que cela vient, petit çou ( pour chou. ) En attendant il faut que ze me zustifie. Ze te zu r e que z'ai r amené la Vadouze d'une maison, soupé & veillé avec elle, sans que z'aye à me reprocer le plus petit pécé. Elle est tout en train d'un nouveau zoquey presque hors d' aze qu'elle vientde se donner... pour moi, ze lui ai conseillé de fai r e tout de suite de cet ég r illard un Sasseur .. Elle en rafolle: n'a-t-elle pas voulu que ze visse comment il la se r t! Z'ai eu la complaisance de contempler tout l'eze r cice. Le d r ole est fo r t au fait, il n'a pourtant zamais se r vi que des femmes de robe, mais elles commencent à en savoir aussi long que celles de cou r. Eh bien, ma sère Célestine, z'ai vu tout cela sans me sentir, & z'avais la bonté de ga r der le cien qui voulait à tout moment se zetter sur l'étranzer......

Celestine.

Jalousie de métier, rien de plus naturel.

Le Prélat.

C'est cela, le cien était furieux. Z'ai failli être mo r du dix fois: heureusement z'en ai été quitte pour mes mansettes.

Celestine.

Mais, mon toutou? cela n'avance point. Regarde à droite, à gauche: tes acolytes se conduisent beaucoup mieux que toi...

En effet, Fringante est fort en gaîté, folatrant avec le brillant boutejoye du Grand-Vicaire: Fessange n'est pas tout-à-fait en aussi grande faveur auprès de la timide Zoé, mais l'espiègle Négrillonne ne laisse pas de bien rire, voyant en si beaux frais d'érection l'entreprenant Marquis, duquel son goût serait bien de contenter la lubrique espérance, mais elle n'a garde de se laisser deviner, & même elle se propose de lui refuser les plus douces faveurs, à moins qu'on ne lui prescrive de l'en gratifier.--D'où vient ce caprice? Car Fessange est joli comme l'Amour.--C'est que depuis sa malheureuse aventure avec le Comte de Vitblereau ( a ), l'Adonis est déchu; l'on en a fait des gorges chaudes dans l'hospice, & Zoé se trouve du nombre de celles qui ne font point de grace dans leur opinion aux bardaches-amateurs.

Le Prélat.

Ap r o ss ez, mes enfans... Plus resse rr és, nous fe r ons un meilleur effet dans les glaces. --

Il avait raison, les trois grouppes n'étant plus qu'à deux pieds à peu près l'un de l'autre, le coup d'œil est déjà bien plus piquant: sa Grandeur pour lors, étudiant en silence différentes manieres de poser les cinq mannequins qui ne sont pas le sien, parvient, au bout de quelques minutes, à saisir un effet qui paraît l'enchanter.--Dans ce nouvel état de choses, les trois femmes sont nues: aux pieds du Prélat est la Négrillonne, assise sur un coussin ponceau; la bouche à portée du nonchalant engin de sa Grandeur, & destinée à le glottiner. -- A droite, Dard'amour, demeurant assis & faisant face un peu de biais au Prélat, a visiblement son joujou d'amour sur les bords de celui de Fringante légérement écartée. Le mouvement de baiser en arrière donne à cette charmante créature beaucoup de grace, & met les trésors de sa gorge dans la plus avantageuse exposition.--A gauche, Fessange, étendu sur des carreaux verds & lilas, & regardant au plafond, reçoit pardessus lui Célestine à quatre pattes, venant, à l'inverse, emboucher le bijou masculin, tandis que le sien se présente ainsi tout naturellement à la bouche de l'Adonis. Ces attitudes répétées à l'infini (dans les glaces de toute hauteur d'une piece éclairée d'en haut, & assez petite pour que les premiers objets ne soient pas trop fuyants) fournissent l'aspect d'une multitude variée pittoresquement. Après avoir joui de ce coup-d'œil pendant quelques instans, le Prélat a le caprice de l'enrichir d'une piquante singularité. Zoé n'est plus à ses pieds, mais non moins adroite que docile, elle a maintenant la tête en bas, toujours à portée du même objet: elle est appuyée de ses deux mains sur les bras du fauteuil, son corps éclipsant en sens contraire celui de sa Grandeur, qui pour lors a sur chaque épaule une cuisse de la Négrillonne. On conçoit que, de cette façon, les deux routes où la nature a trouvé bon qu'on allât chercher le plaisir, sont sous les yeux du voluptueux Prélat, s'il abaisse ses regards; & à la merci de ses baisers, s'il a cette fantaisie; à travers l' y- grec que forme ainsi l'attrayante Zoé,saGrandeurpeutaussipromenerses regards de glace en glace, & dans chacune, jouir d'un tableau diversement composé. Tout cela n'est que prélude: Fringante a la complaisance de se borner à frotter légérement son brûlant sillon avec leboutdutriomphantboutejoye deDard'amour;Célestine & Fessange se possédent de même assez pour ne pas user complettement du bénéfice de leur attitude. Il est ordonné à Zoé d'entretenir doucement sa Grandeur sans l'électriser tout de bon.--Cetteheureusecombinaison durependant quelquesminutes: pour lors l'ordonnateur se trouve au plus beau degré de roideur que lui permette l'altération un peu prématurée de ses ressorts érecteurs.--Un certain coup de sifflet que les troisfemellessaventêtreuniquement l'annoncede Mad. Durut, nedérange rien. Celleci avec son passe-partout s'introduit dans la piece....

LES MÊMES, MAD. DURUT. Le Prélat, voyant celle-ci dans les glaces.

Eh! bon-zou r, ma sè r e Du r ut.

Dard'amour.

Soyez la bien-venue, notre maman.

Fessange, d'une voix étouffée.

Honneur à l'incomparable.

Mad. Durut, à Fessange.

Il a bien fait de parler, celui ci, car du diable, si je l'avais deviné sous sa coëffure. Eh bien, mes enfans, il paraît que cela ne va pas mal.

Le Prélat.

Tu nous su r p r ends aux petits pâtés....

Pour lors il affranchit Zoé de sa posture gênante, où pourtant elle trouvait bien quelque petite douceur. Mais il la garde assise, lui donnant à couver son engin le long de sa fentine brûlante. Fessange & Célestine changent aussi d'attitude & prennent un siege. Fringante & Dard'amour restent comme ils étaient. L'entretien n'a point été suspendu.

Celestine.

Eh bien, Agathe, quelles nouvelles?

Mad. Durut.

Il y en a de toutes couleurs. -- D'abord: l'honnête Limecœur ayant pris querelle au spectacle de Monsieur avec un révolutionnaire, a couché sur le carreau son homme, & s'est sauvé la nuit avec cent louis. Notre cher Alfonse était accouru les lui offrir comme de sa poche, mais ils sortaient tout de bon de celle de la généreuse Mad. de Fieremotte qui, bien entendu, ne souffrira jamais qu'ils lui soient rendus. Entre nons, le plaisir de conserver paisiblement le bel Alfonse, moins orageux que Limecœur, a bien été de quelque poids dans les motifs de son bienfait....

Le Prélat.

Limecœu r ! Alfonse! c'est de l'inconnu pour moi. ( a )

Mad. Durut,

Nous vous dirons en tems & lieu ce que c'est. Sachez en attendant qu'ils sont tous deux bien aimables, sans pourtant se ressembler.--Et puis, une grosse finesse cousue de fil blanc (b) qui a parfaitement réussi au bel Edmond... Votre Grandeur connaît celui-ci?

Le Prélat.

Le Prince Edmond! infiniment.

Mad. Durut.

Et la Baronne de Wakifuth, que le trait regarde?

Le Prélat.

Wakifuth! n'avons-nous pas eu cela, Da rd'amour?

Dard'amour.

Oui, Monseigneur, c'est l'abbé de...

Le Prélat.

Sut : ne nommons pas les masques.--Eh bien, ma cère Durut?

Mad. Durut.

Edmond, que j'ai vu se bien moquer d'un sot adorateur de la Baronne, en perd la tête à son tour.--Il lui a donné, le 15, une fête à sa petite maison du fauxboutg St Honoré: concert, souper délicieux, un pharaon pendant le bal. Les fonds de la banque étaient le montant en especes du riche legs destiné à la Baronne par l'infortuné Comte, dont innocemment elle a causé la mort ( a ).Unquidam,ci-devantvalet-de-chambre du Prince, & très adroit manipulateur, taillait; cet homme avait le mot. A chaque taille deux cartes connues devaient gagner chacune quatre fois. Le Prince, de moitié avec la Baronne, pontait surcescartesauxvingtlouis. Onconçoit que ces associés ont eu bientôt fait sauter la banque. L'or évanoui, des bijoux de prix ont paru. „ Derniere taille: cette montre contre trente louis ...... Perdue! Cette bague contre les soixante ... Perdue. -- Cent vingt louis contre ce brillant? ... Le brillant à tous les diables.--Et le banquier de jouer tout au mieux le déchirement, le désespoir... Bref, maison nette: il sort furieux & de l'air d'un homme qui va se tirer un coup de pistolet. Le jeu fini, les associés partagent... = Mad. la Baronne ? va mon gain contre le vôtre, à rouge ou noir ?....--Le coup est fort... La Baronne hésite... ose pourtant: rouge ?... Elle a gagné. La coupe était sûre: dans un talon, qui se trouvait là comme par hasard, toutes les cartes rouges étaient au-dessous, les noires au-dessus. Quant à la galerie, tel avait gagné, tel avait perdu, sans toutefois que la supercherie du Prince eût pu faire tort à personne.--Il ne faut cependant pas qu'Edmond, en apparence si magnifique sans qu'il lui en coûte un écu du sien, se flatte de captiver par ce trait la luxurieuse Baronne. L'heureuse fortune qui vient d'arriver à celle-ci ne ferme point son cœur à l'humanité, qui lui est si naturelle. Son premier soin est de chercher l'infortuné Tailleur; elle le trouve, le console, & lui offre, à titre de prêt, tout son comptant pour qu'il revienne tenter le Sort; mais il jure, lui, que de ses jours il ne taillera. Cependant il ne refuse pas d'écouter les douces raisons que la Beauté daigne opposer à son prétendu désespoir; il se laisse persuader qu' il faut vivre, & pour qu'il y reprenne un peu de goût, on le comble des plus intimes faveurs, auxqu-elles est encore ajouté le bienfait de l'une des plus belles pieces de ses dépouilles supposées.--Comme le bien est doublement beau quand il est fait secretement, la Baronne a si bien pris ses mesures, qu'Edmond la cherche vainement partout: elle est introuvable.--Mais au bout d'une heure elle reparait...

Dard'amour.

Oh, parbleu! le trait est uni que! je veux en divertir ce soir chez....

Mad. Durut.

Tous doux, M. l'Abbé. Ceci reste entre nous. Quoique la société fût composée de personnes toutes fort estimables, la partie doit demeurer d'autant plus secrete qu'Edmond, pour tout l'or du monde, ne voudrait pas qu'on sût dans Paris qu'on a joué chez lui.

Dard'amour.

C'est autre chose.

Fessange.

Tu me permettras cependant, ma chere Durut, de t'observer qu'à travers cette collection de personnes fort estimables, il y avait l'héroïne elle-même, Mad. de Wakifuth?

Mad. Durut.

Qu'à cela ne tienne, il y avait bien aussi votre cher ami le Comte de Vit-blereau.

Ce nom, cité par malice, rappelle cruellement au trop caustique Fessange son humiliante aventure du bal des parieurs, Célestine & même Zoé ne peuvent s'empêcher de rire malignement & aux éclats. Voilà ce qu'on gagne à manquer d'indulgence quand on est soi-même dans le cas de la réclamer.

Fessange, interdit.

Prenez que je n'aye rien dit, Mad. Durut, & continuez votre intéressante gazette.

Mad. Durut, au Prélat.

Voici pour le coup une bonne nouvelle. Je vous annonce pour la prochaine assemblée un travail rédigé par Culigny, & sur l'objet duquel il a déjà pressenti la plupart des membres des deux sexes, dont l'avis est de quelque poids dans l'Ordre. Il s'agit de démontrer la convenance & même la nécessité d'exclure de la fraternité quelques individus qui la dégradent; c'est-à-dire les Andrins. Ils ne résisteront pas à un décret funeste pour eux qui ordonnera la radiation 1o. de quiconque n'aura pas réquis une femme (comme telle) pendant l'espace de trois mois; 2o. de quiconque sera convaincu d'avoir pris ses ébats avec un être masculin âgé de plus de dix huit ans.--J'espère que pour le coup tous nos fieffés gadouards vont être mis une bonne fois à la porte.

Le Prélat.

Z'aime à la fu r eur cet a rr anzement. Il faut de la décence pa r tout. Ze n'ai cessé de soutenir dans nos assemblées qu'il se r ait possible de rendre l'Ord r e de si bonne compagnie qu'on pou rr ait enfin avouer publiquement d'en êt r e.--Cependant dix-huit ans! c'est un peu cou r t.... Voilà Fessanze, par exemple, qui en a dix-neuf.

Mad. Durut.

Eh bien?

Le Prélat.

Z'en appelle à Da r d'amour. Ne se r ait-ce pas dommaze.... hein?

Dard'amour.

On pourra, Monseigneur, proposer quelque amandement (a); comme deux ou trois ans de plus.

Le Prélat.

Cela me pa r ait fo r t saze. -- Z'i r ai sans faute dès ce soir me fai r e éc r i r e sès le Vicomte pour lui ma r quer mon estime, au suzet de l'impo r tant se r vice qu'il rend à la f r ate r nité.

A travers cette presque sérieuse conversation, sa Grandeur, Fessange & le GrandVicaire lui-même ont baissé pavillon.--Au premier moment de silence, Fringante, d'un seul baiser, r'avive Dard'amour.--Fessange aussi n'a pas plutôt reçu quelques marques d'intérêt de la part de Célestine qu'il redevient lui même fort intéressant.--Il n'y a que le Prélat qui demeure encore l'oreille basse; mais la caressante Zoé ne tardera pas à la lui faire redresser. Enchanté des petits soins qu'elle se donne, il la dévore de caresses. Un bon effet, quoique lent dans ses progrès, le prévient encore davantage en faveur de la Négrillonne.

Le Prélat.

Que pense r ais-tu de moi, ma sère Du r ut, si ze dérozais auzour d'hui au p r ézuzé que tu me connais cont r e les appas af r icains? ca r tu sais que ze n'eus zamais le cœu r de tâte r d'une Neg r esse?

Mad. Durut.

Monseigneur, je dirais que vous faisiez bien, quand vous vous passiez d'une chose qui ne vous tentait point; & que vous ferez encore mieux de vous la donner quand enfin elle vous promet du plaisir.

Le Prélat.

Ze m'étais figu r é que c'était abominable, une Noi r e! & maintenant ze trouve que c'est sarmant. -- Oui, z e vais t'avoir, petite Zoé.

Zoé.

C'est bien de l'honneur à moi, Monseigneur.

Le Prelat, la baisant.

Et, ze crois, pour moi bien du bonheur. Allons, Fessanze? Dard'amour? ( il chante ) Tôt, tôt, tôt, battons saud, bon couraze. (a)

Mad. Durut, achevant.

Il faut avoir cœur à l'ouvrage : tous répétent en chœur:

Il faut avoir cœur à l'ouvrage.

En même tems Durut s'est hâtée de former sur le tapis avec des coussins trois especes de lits; Sa Grandeur va occuper celui du milieu, couchée sur le dos. Elle a la fantaisie de se faire travailler par Zoé, d'avoir du plaisir sans fatigue: des deux côtés sont jettées, Fringante sous Dard'amour; Célestine sous Fessange. C'est à qui s'en donnera le mieux. Le grouppe de Fringante avec le Grand-Vicaire est pétulant: celui de Célestine avec le petit Marquis est plus voluptueux. Quant au prélat & Zoé, l'indolence, l'art & le caprice président à leurs ébats. Zoé brûlante est aussi remplie d'amour-propre. La préférence de Sa Grandeur flatte au dernier point une petite subalterne que d'importans succès peuvent seuls dégager enfin des liens de la domesticité.--Mad. Durut après avoir joui quelques instans d'un spectacle toujours charmant, toujours nouveau pour elle, s'éclipse à la sourdine vers le dénouement de cette besogne où personne ne pense plus qu'à soi.

LES MÊMES. Le Prelat.

Eh bien, mes amis, comment vous t r ouvez-vous de vos sampionnes ?

Dard'amour.

C'est de ce moment, Monseigneur, que j'apprends à connaître tout ce que vaut la mienne: Fringante est un trésor.

Fessange.

Célestine est le paradis.

Le Prelat.

Peste soit du poliçon! il me vole ce que z 'allais di r e de ma petite Zoé! z e ne sais plus à présent à quoi la compa r er.... si fait pou rtant; à l'enfe r.

Zoé, très-étonnée.

A l'enfer, moi!

Le Prelat, la caressant.

Ne te fâces pas, mon enfant, tu en as la saleur. Du reste, il n'y a point de comparaison qui ne cloce. ( Il la baise assez amoureusement pour la rassurer, si elle pouvait avoir quelque humeur d'un propos qu'a rendu à peu-près bête l'envie de s'exprimer avec singularité. )

Celestine, à Fessange qui lime encore.

Nous recommençons donc?

Fessange.

Aurais-tu la désobligeante envie de me laisser là?

Celestine.

Non, mais....

Le Prelat.

Célestine a raison. Il faut croiser les z ouissances. Viens Fessanze: ze veux que tu le mettes à cette petite. Pendant la cé r émonie que ze ve rr ai bien à mon aise... ( à Célestine ) Nous nous amuse r ons? Le veux-tu bien, céleste enfant?

Celestine.

De toute mon ame, dès que cela peut te faire plaisir.

Déjà Fessange est en devoir d'obéir avec Zoé qui, dès qu'elle ne raisonne plus sur la bardacherie de Fessange, est vivement émoustillée par ce qu'il a d'agrémens.--Tout près d'eux, est le voluptueux Prélat dans un large fauteuil, d'où il ne perd pas non plus de vue Fringante & Dard'amour. Célestine, sur les genoux de sa Grandeur, s'occupe sur le champ à faire redevenir, digne du même titre, un engin qui a considérablement perdu de sa contenance, quoique déjà deux fois une bonboniere dûment fournie de diabolini ait été appellée à son secours.--Cependant Fringante attire sur elle tous les regards par un cri vif qui lui échappe... C'est l'effet d'une supercherie du Grand-Vicaire. Tandis qu'il fait semblant de doubler bon-jeu bon-argent avec sa Belle, dont il a follement élevé les jambes en l'air, lui tenant les cuisses embrassées contre la poitrine (attitude très favorable pour lui même & pour les autres, au plaisir de voir ce qu'il fait) il s'est subtilement dérobé, pour heurter, sans dire gare, à la porte au dessous: du train dont Fringante allait, elle s'est elle-même à moitié jouée le tour. Son mécompte, son étonnement, un petit mal, c'est tout cela qui la fait crier. Cependant, avec de l'adresse & dans une posture si avantageuse à la chose, d'ailleurs à moitié faite, le stratagème réussirait peut-être: mais il échappe trop tôt à l'arrogant

Dard'amour.

Cela me revenait. On ne m' essaye plus, ma belle enfant, c'est moi qui me fait essayer. Je fus une fois la victime de ton caprice: il s'agit maintenant d'endurer le mien.

Il ne connaissait pas Fringante. En premier lieu bien éloignée d'avoir, pour ce que tente Dard'amour, l'infatigable complaisance de Célestine, mais surtout fiere, ne supportant pas d'être contrariée, & très aisée à fâcher; elle se débat, se dégage, frustre tout net le traître Grand-Vicaire au plus beau moment, & lui donne le chagrin de tirer son coup en l'air.

Le Prélat, voyant leur mésintelligence.

Eh bien, eh bien! il y a du b r uit dans le ménaze ! c'est zoli v r aiment!

Fringante accourt occuper l'autre genou du Prélat, & se met tout de suite à partager gaîment l'exercice de sa collègue. Deux doigts de chacune émeuvent artistement le boutejoye béni, qui bientôt recouvre tout son contingent de roideur.--C'est à cela que se passe le tems de la séance de Fessange dans les bras de la voluptueuse Zoé. Dard'amour, imparfaitement heureux, marque une grande envie de se mettre en tiers, & de prendre, sur l'attrayant Marquis, une revanche de l'outrage qu'il vient d'essuyer: mais Monseigneur (qui se délecte à voir le couple bicolor faire assaut le plus joliment du monde) ordonne, d'un regard imposant, qu'on les laisse consommer sans trouble.--Après l'affaire:

Le Prelat, gaiment.

Eh bien, Fessanze? Qu'en dis-tu?

Fessange, pour toute réponse, vient baiser avec reconnaissance la main presque féminine de son Protecteur.--Alors commence, entre les masseuses, une badine altercation: tour-à-tour chacune d'elles veut chasser l'autre en lui donnant un petit coup sur les doigts, & semble prétendre à l'honneur de finir seule la commotion électrique qu'elles administrent solidairement à Monseigneur. Quoique ce débat flatteur ajoute infiniment à la joie du Prélat, il ne souffrira pourtant pas qu'on lui fasse répandre à vuide son précieux élexir. = Un moment, continue

Le Prelat.

Si z'en avais deux, mes poulettes, ze ne se r ais nullement emba rr assé. Mais ze le suis maintenant du soix. -- Arranzez-vous: laqu-elle me veut?

Celestine & Fringante, ensemble.

Moi -- Moi.

Le Prelat, transporté.

Sarmantes! ( il leur distribue des baisers. ) Eh bien, mes petites Reines, le so r t en décide r a.

Ce mot n'est pas plutôt lâché que Fringante, qui peut, en étendant le bras, atteindre Dard'amour (en arrêt & tout fier de sa tenue) lui saute au penil & en arrache une pincée de poils.

Fringante, à Célestine.

Pair ou non? si tu devines, Monseigneur est à toi.

Celestine, sans hésiter.

Pair? -- ( on compte: c'est impair. )

Fringante,

( Riant & faisant à Célestine un pied de nez. ) J'ai gagné: j'ai gagné: deniche.

Au surplus, le Grand-Vicaire n'a trouvé nullement plaisant de faire ainsi les fraix de la chance. Il grimace de ce dont les autres rient aux larmes.--Laissons cette bande & faisons un tour ailleurs.

IL N'YAPLUS D'ENFANS. TROISIEME FRAGMENT. Chez Mad. Durut. LE MARQUIS DE LIMEFORT (a), MADAME DURUT. Mad. Durut, avec transport. Eh! te voilà, mon beau-fils! ( elle lui saute au cou & le dévore de caresses. )

Le Marquis.

Tu vois, chere Agathe, un humain qui n'est pas encore entré dans Paris; ( il est en effet en voyageur ) car il croyait te devoir son premier hommage. Certes, je ne sortirai pas d'ici, ma bonne amie, sans avoir donné la mort à l'ennui qui courait à franc étrier devant moi depuis Coblence.

Mad. Durut.

Tu nous reviens donc tout de bon?

Le Marquis.

Ah! puissè je n'avoir jamais bougé de Paris. Quelques Freres m'imiteront: mais, en revanche, nombre d'autres ont tout-à-fait perdu la tête, &, comme les compagnons d'Ulisse, se sont laissé métamorphoser.....

Mad. Durut.

En bêtes?

Le Marquis.

Pis encore, s'il était possible: & d'autant plus bêtement que je n'ai point vu là bas de Circé. Les jolies femmes à qui le titre d'enchanteresses pourrait convenir, sont précisément celles qui ne se mêlent de rien que de se divertir. La grande faiseuse d'intrigues & de pots-pourris, dégoûterait bien plutôt que de charmer. N'importe: du grand au petit, les gobemouches en font leur idole... Grand bien leur fasse... ( Il baille ) Pardon...

Mad. Durut.

Pauvre Marquis! si je ne craignais de renouveller tes douleurs, je te prierais...

Le Marquis.

De te le mettre? tu me préviens... car depuis deux grands mois...

Mad. Durut, se défendant.

Tout doux, mon cher: c'est aujourd'hui chez moi vigile & jeûne.

Le Marquis, s'arrêtant.

Ah! je conçois. Cependant, ma chere Agathe, il faut absolument.... Tiens.... vois-tu? ( Il produit un boutejoye brûlant & qui donne des signes du plus urgent besoin. )

Mad. Durut.

C'est que d'honneur, je ne sais comment t'arranger.

Le Marquis.

La belle Célestine?

Mad. Durut.

On la tient.

Le Marquis.

Fringante?

Mad. Durut.

Elle est occupée.

Le Marquis.

Eh bien la poupée d'ébène? Zoé?

Mad. Durut.

C'est un sort: elle est en affaire aussi.

Le Marquis.

Qué diable!... juge donc. ( Il lui prend une main & la porte sur ce qu'on a dit qu'il montre. )

Sapristi! c'est du fer.... Mais, en attendant, ceci pourrait-il... ( Elle administre légérement un secours frictif. )

Le Marquis, se retirant bien vîte.

Non, non, parbleu!--Quoi donc? pas une pensionnaire?...

Mad. Durut.

Si fait: la petite Mottenfeu, si le cœur t'en dit.

Le Marquis.

Comment! est-elle de retour?

Mad. Durut.

Il y a déjà dix semaines.

Le Marquis, après un peu de réflexion.

Je l'ai tant eue ... depuis le collège, & même encore à Londres!

Mad. Durut.

Pourtant elle est toujours une excellente jouissance?

Le Marquis.

D'accord: mais, je veux du plus frais.

Mad. Durut.

As-tu cinquante louis à sacrifier? Je te livre un de mes pucelages...

Le Marquis.

Pourquoi pas!--Justement, j'ai gagné, de colere, 700 louis, en passant par Embs ( a ); je puis donc me passer une fantaisie agréable.

Mad. Durut.

Que te faut-il?

Le Marquis.

Mais, un pucelage. Ne l'offrais-tu pas?

Mad. Durut.

Je voulais dire: Brun ou blond? Mûr ou verd? J'ai du 11, du 12, du 13 & du 14: faisons mieux, viens là dedans. ( elle le conduit dans un cabinet. ) Voici tous les portraits ( b ) renouvellés il y a quinze jours.

Le Marquis.

Délicieux!.... Je ne sais ma foi que choisir.... Tiens: cette blondine.

Mad. Durut.

C'est une fureur! on en veut toujours à ce petit mouton qui rève. On la nomme Dolente: elle a quatorze ans. La plus jolie taille du monde: tu vois ses grands yeux d'azur, & sa bouche moins fendue qu'eux. Eh bien, malgré cela, je ne te la conseille pas.

Le marquis.

Pourquoi?

Mad. Durut.

C'est du réparé. J'ai déjà placé quatre fois son imberbe pucelage...

Le Marquis.

Ah, Durut! tu te mêles aussi de tricher! n'as-tu pas de honte!

Mad. Durut.

Les tems sont durs, il faut de l' entregent pour se tirer d'affaire...

Le Marquis.

Mais la bonne foi!

Mad. Durut.

Je n'en dois qu'aux Freres. Aussi vois-tu que je ne veux pas t'attraper.--Je réserve ma Dolente pour un fin Anglais qui se prétend connaisseur, & à qui je veux faire payer cher l' indéfrichable vertu d'une petite gueuse qui le trompera d'autant mieux, que, sur l'étiquette du sac, il la prendra pour l'un de ces modeles d'après lesquels peignent les Romanciers de Londres. Moitié naturel, moitié talent, mon ingénue duperait Satan lui-même, tout rusé qu'il est... ( Voyant le Marquis occupé d'un portrait. ) Ce que tu considères là, c'est ton fait.

Le Marquis.

J'allais te consulter.

Mad. Durut.

Mademoiselle Violette n'a que 13 ans. Mais si je ne l'avais pas muselée, depuis longtems son affaire serait faite: il n'y a pas de Camillon, de jardinier & même de marmiton qu'elle n'ait attaqué: par bonheur, de crainte d'être chassés, ils m'ont avertie; d'ailleurs on ne perd rien à maintenir ma police. Bref: c'est, chez Violette, une si belle fureur d'être enfilée, que l'autre jour elle me suppliait de lui donner la clef des champs, si je n'aimais mieux recevoir les six louis qu'elle a de bon à la masse, pour que je lui fournisse, n'importe, quelle espece de fouteur.

Le Marquis, d'un ton railleur.

On doit s'estimer fort heureux de servir une jeune personne aussi vivement inspirée. Cependant, est-elle aussi jolie que je la vois là?

Mad. Durut.

Dix fois mieux: ces croquis, faits à la hâte, ne sont que du premier éleve du peintre attitré. Je te les donne, sans exception, pour fort au-dessous des originaux.

Le Marquis.

Je meurs d'impatience d'endoctriner Mlle Violette.

Mad. Durut.

Tu vas la voir. ( Durut sonne:--On répond du dehors à la maniere usitée. Violette? (On marque que l'ordre est entendu. )

Le Marquis, sa bourse à la main.

Voici de l'or, ma bonne amie...

Mad. Durut, refusant.

Eh, fi! tu te crois donc au bordel! on ne paye point d'avance. D'abord il faut avoir vu : si ce que je t'offre, ne te parait pas valoir le prix que j'y mets, rien de fait, mon cher. Si l'objet ne te plait pas; une autre. C'est ton droit de Frère & mon devoir non moins que mon plaisir; car tu sais, Marquis, que, de tous nos Limeforts (a), c'est toi que j'ai le plus aimé...

Le Marquis.

Comme je suis celui qui se pique pour toi des meilleurs sentimens...--( On frappe d'une certaine manière. )...

Mad. Durut, au Marquis.

Voici Violette. -- Entrez.

LE MARQUIS, MAD. DURUT, VIOLETTE (a)

A la vue de celle-ci, le Marquis, pénétré d'étonnement s'écrie: C'est Hébé!

Mad. Durut.

Approchez, Violette: voilà Monsieur qui veut bien mettre fin à vos peines.

Violette,

( Se jettant dans les bras de Mad. Durut. ) Ah Maman!

Mad. Durut.

Petite folle! c'est à lui qu'il fallait courir.

Violette,

(Tenant encore Mad. Durut embrassée, promene sur le Marquis un regard examinateur mêlé de crainte & d'espoir = Monsieur, que je n'ai jamais vu, pardonnera...

Le Marquis, à Mad. Durut.

La friponne veut d'abord me juger.

--En même tems Violette s'élance avec un transport fougueux & embrasse le Marquis: mais, au lieu de baiser, elle colle sa tête contre une oreille de l'amateur, se pressant au surplus violemment contre lui.

Le Marquis, continue.

Elle est charmante!

Durut fait au Marquis des mines qui expriment qu'il trouvera bien du plaisir à posséder cette fillette.--Elle veut ensuite s'esquiver, mais...

Violette, s'en appercevant.

Ah Maman! ne m'abandonnez pas. Restez ici pour m'apprendre ce qu'il faut que je fasse....

Le Marquis.

M'embrasser d'abord, petit Ange, si je n'ai pas le malheur de te déplaire.

Violette,

( Après l'avoir baisé convulsivement vingt fois. ) Vous, me déplaire... ( Elle demeure longtems la bouche collée sur celle du Marquis. )

Le Marquis, ensuite.

Eh bien, Durut! ne voilà-t-il pas qui vaut un volume de belles phrases!

Violette palpite, sanglotte, & ne peut s'empêcher de plonger sa main dans les trésors dont elle est prévenue que le Marquis veut bien lui faire part. En même tems Durut vient dénouer une ceinture de ruban violet & les attaches de la collerette. Peignoir, chemise, tout est enlevé. Un modèle dont Boucher aurait fait sa pièce à choisir, (mais dont il n'aurait su dessiner assez correctement les beautés infinies) étonne les yeux & les mains du Marquis: celui-ci transporte pétulamment Violette sur une duchesse, où déjà Durut a pris place, assise, se proposant de servir d'oreiller à la jeune victime dont Venus va recevoir le sacrifice délicat... L'ardeur du Marquis est si grande que la bonne Durut croit devoir lui recommander des ménagemens ... Soit obéissance, soit galanterie, soit rafinement de volupté, Limefort prélude & veut d'abord baiser la plus fraiche de toutes les virginités; mais Violette rugissante au moindre tact, plante ses doigts dans les cheveux du languayeur, & lui donne, en l'attirant violemment, une preuve presque cruelle du plus impatient desir. Il faut y sacrifier toutes les gradations délicates... A peine le glaive du sacrificateur se fait-il sentir que, se poussant au-devant de sa pointe brûlante,

Violette, s'écrie.

Ah Maman! Maman... enfin on me le fait!.. Maman... ( Un mélange de lascive frénésie & de vive douleur fait que Violette roule les yeux, siffle des lèvres ; se dérobe à moitié; puis aussitôt se roidit au-devant de l'instrument de la difficile opération.--Elle crie... ) Maman... Ha!... ha!... ( Plus fort & plus brusquement encore. ) Maman!...

Pour le coup l' inition est à son comble: & des flots brûlants inaugurent le sanctuaire des plaisirs.... Violette est pendant quelques instans comme morte. Elle a pâli tout à coup: ses dents se sont serrées; ses yeux fermés clignotent; son sein bondit avec précipitation. D'une main elle tord les jupes de Durut; des ongles de l'autre, elle laboure le matelas de la duchesse... Cet état violent dure bien deux minutes, après quoi jettant brusquement ses bras au cou du Marquis, r'ouvrant les yeux & lui décochant un baiser à bouche ouverte, elle semble vouloir l'engloutir. -- O mon Dieu! mon Dieu! mon Sauveur! (lui dit-elle) en sons à peine articulés.--Bientôt après, le Marquis recommence, ou plutôt il commence seulement alors cette gentille manœuvre, à laqu-elle la nature attacha de si délicieux effets. Violette l'endure avec courage; en jouit avec transport. Durut alors, voyant toutes choses se passer à merveille, substitue un carreau à ses genoux & se retire....--On devine que c'est sans complimens?--( Elle met les heureux sous clef. )

LE MARQUIS, VIOLETTE. Violette,

( Après avoir pris & donné des soins de propreté. ) O Monsieur! vous que je ne sais comment nommer, mais que je vais aimer toute ma vie... quel bon génie vous a donc soufflé dans l'oreille de demander Violette?

Le Marquis.

Ton portrait, petite amie. Il n'a fallu qu'y jetter les yeux pour brûler de t' avoir.

Violette.

Que ç'ait été précisément moi! comme cela est heureux! tandis qu'elles étaient aussi toutes là!

Le Marquis.

Je n'y ai vu que Violette....

Elle lui saute au cou & le dévore de baisers....

Violette.

Si vous vouliez être bien aimable, vous... viendriez tous les jours, tous les jours, entendez-vous?..... de peur que, voyez-vous bien... car... il se pourrait que Maman voulût... & je ne voudrais pas, moi, que ce fût un autre que vous...

Le Marquis, avec feu.

L'adorable enfant! eh bien! veux-tu, Violette, que je m'arrange avec Durut pour qu'elle te céde à moi?

Violette, avec passion.

Oh, oui... Tiens: vois-tu... je suis riche: j'ai six louis à la caisse... Je les abandonnerai tout de suite à notre Maman pour qu'elle se procure qui me remplace: & puis, tout ce que la Providence m'enverra d'argent, tout, je le lui donnerai jusqu'à ce qu'elle se croye dédommagée de ne m'avoir plus... car elle m'a tant fait de bien! je serais bien ingrate de lui faire du tort!

Le Marquis, enchanté.

La bonne petite ame! va, mon enfant, ce sera mon affaire.

Violette.

Oh, mon Roi! comme vous parlez! Il me semble que je vois un Prophête, ( un baiser ) un Saint! ( a ). ( un baiser. )

Le Marquis, gaîment.

Tu me fais infiniment d'honneur.

Violette.

Voyons donc: que je considere encore un peu cette affaire qui m'a fait un si joli mal... Bon Dieu! lui en aurais - je fait aussi! comme la voilà rouge!... Bon jour, beau joujou. ( Elle le baise. ) -- O mon cher Monsieur! que vous avez donc bien fait de me demander ce matin! tenez: ( elle tire de sa poche une petite lime d'Angleterre ) voici ce que je m'étais fait apporter hier, pour mes 6 francs, par Gervais, dans un rouleau d'orgeat...

Le Marquis.

On ne te friponnait pas mal! à quoi bon cet outil?

Violette.

Ce soir, Belamour devait travailler à ma fichue ceinture... tu le connais pourtant?..... ô mon Dieu! pardon? je suis une mal apprise..

Le Marquis.

Non, non, petit Ange. Tu me fais plaisir. Tu demandais si je connais Belamour? Sans doute: j'ai tant soit peu cet honneur-là.

Violette.

Eh bien? c'est un joli garçon, n'est-ce pas?

Le Marquis.

Assurément.

Violette.

Je ne dis pas cela parce que nous nous ressemblons; mais il m'aime tout plein.... ( elle rougit ) Oh mais, je n'avais pas l'honneur de vous connaître, quand nous sommes convenus de cela. Il devait ce soir... arrive qui plante, briser le maudit cadenas & puis...

Le Marquis, pour s'amuser.

Et puis?

Violette.

Dame! Voyez qu'il est malin de vouloir que je lui dise quoi! -- Il y a déjà Bellotte ( a ) & Mimi qui y ont passé avec lui... Ne nous vendez pas, du moins?...

Le Marquis.

Je n'ai garde d'abuser de ta confiance.

Violette, avec la gaîté de l'espieglerie.

Bellotte & Mimi qui n'ont qu'onze ans chacune! & à qui notre Maman n'a pas pensé seulement à mettre un qu'on n'y touche. Elle appelle cela comme ça.

Le Marquis.

Fort bien.

Violette.

Belamour, comme je dis, leur a fait cela. Mais, dur! Elles en sont fieres comme des Reines. Oh! si Maman Durut savait!... Elle les étranglerait tous trois...

Le Marquis.

Il faut se garder de jaser. Les petits garçons....

Violette.

Ces imbécilles-là? Nous daignons bien leur parler seulement! Et puis, il faudrait voir qu'ils se donnassent les tons d'observer notre conduite... M. Belamour c'est différent: c'est le Capitaine, celui-ci... Quant aux soldats; c'est Mlle Zoé qui en fait ses choux gras. Elle les prend tous où elle peut les attraper & Pan!....... C'est elle déjà qui a fait chasser Loulou.

Le Marquis.

Va, c'est assez: je n'ai pas besoin de savoir tout cela, moi.

Violette.

Est-ce qu'on ne dit donc pas tout à son amoureux? ( Elle le baise. )

Le Marquis, riant.

C'est parler: ainsi tu veux bien que je soie ton amoureux?

Violette.

Belle demande!

Le Marquis.

Et Belamour?

Violette.

Oh! c'était de dépit d'être, comme ça, barricadée. Et puis on a tant d'envie de faire ce qui n'est pas permis!--Voyons, voyons encore: (elle cherche le boutejoye du Marquis. ) Le voilà qui dort... dors, dors, mon mignon.... ( le boutejoye bat à la main. )

Le Marquis.

Tu vois qu'il n'a pas le sommeil dur.

Violette.

Comme il est drôle! (elle se jette dessus, le reçoit dans sa bouche, le glottine par merveille & lui rend ainsi toute sa premiere vigueur. )

Le Marquis, s'écriant.

C'est une Houri! Cette enfant-là fera le bonheur de ma vie. -- ( Il n'y tient plus, il la fait relever, l'attire sur lui, jambe de ça, jambe de là, & se plante avec ménagement, attitude si charmante quand on veut filer le plaisir.)

Violette, avec sentiment.

O bon ami!

Cette séance est longue. Tour à tour Violette folichonne & s'affecte. Elle a pour le coup du plaisir presque sans douleur.--A mesure que l'opération s'avance, il leur échappe plus rarement de ces riens éloquens que nous n'osons jamais estropier dans le moule du récit.--C'est cette fois que l'intelligente autant que voluptueuse Violette acquiert de grandes lumieres, & prend une haute idée du jeu dont elle reçoit sa troisieme leçon: la voilà consommée.--Un extatique & long silence caractérise le crépuscule de cette jouissance, enfin couronnée par un sonore & mordant baiser.

QUEL POT-POURRI! QUATRIEME FRAGMENT.

On franchit quelques détails pour ne pas ennuyer le Lecteur.--Le Marquis donne bien volontiers 50 louis à Mad. Durut, mais, en revanche, celle-ci, pour soutenir un peu noblement le rôle d' amie des Limeforts, se détache de Violette & la céde au Marquis. Il se propose de la vêtir en Joquey, son dessein étant de voyager, & les malheurs du tems ne lui permettant pas d'avoir une maîtresse sur un ton que par bonheur Violette ne connait point. Cette aimable enfant ne pense encore qu' au plaisir. En avoir, le devoir à un homme sympathique, & qui remplit son objet, c'est le nec plus ultrà de ses vœux: Sa fortune est faite. --Durut s'étant abouchée par-tout, il est décidé qu'on dînera chez la petite Comtesse de Mottenfeu au pavillon des pensionnaires. Les convives féminines seront la Comtesse-architricline; Mlle Serrepine, qui lui fait Société; Durut & Célestine: (Fringante est obligée de demeurer au courant, tous les Chefs ne pouvant s'absenter à la fois.) Les Dîneurs masculins sont le Marquis de Limefort, le Prélat, Dard'amour & Fessange.--Après les complimens d'usage entre gens qui se sont vus dans le Monde & aux assemblées de l'Ordre, à trois heures, on se met à table.--Une fois pour toutes, grande & fine chère... Chacun ayant ses raisons pour ne pas manquer d'appétit, on mange fort, on boit à l'avenant: ce n'est gueres qu'à l'entremets qu'on peut suivre une conversation: voici quelques lambeaux de celle de cette société.

Le Prelat.

Ze c r oyais, moi, que tout était prêt; que nos S evalie r s f r ançais allaient a rr ive r vent r e à te rr e, le sab r e à la main, au p r emie r zour, & qu'il n'y avait plus, pour nous aut r es, qu'à rent r e r glo r ieusement dans nos bénéfices: enfin, qu'il ne s'a z issait plus que d'une bonne absolution in extremis pour ces Zacobins, & puis pendus, éca r telés, g ri llés...

Le Marquis.

Holà, holà, notre féal: vous allez un peu vîte en besogne. Le plus pressé peut-être ne serait pas de remitrer vos caboches sacrées; mais si l'on avait pris de sages mesures, on serait sans doute au moment de sauver l' honneur de l'Etat, & de délivrer nos Maîtres...

Mad. Durut, vivement.

Pour le coup voilà bien l'essentiel. L' honneur & nos Maîtres. C'est parler d'or. Ce bon Roi qui a toujours & de si bonne foi voulu le bien! cette charmante Reine... qui a montré plus de tête à elle-seule que toutes les ci-devant cocardes-blanches du Royaume!--Jour de Dieu! Je ne suis qu'une putain, mais si...

Celestine.

Laisse donc parler le Marquis, ma sœur.

Le Marquis.

Je n'ai plus rien à dire. Voilà Mad. de Mottenfeu qui bâille...

La Comtesse.

Ce n'est pas d'ennui, mon cher Limefort, sur mon honneur....

Le Marquis, montrant Mlle Serrepine.

Et Mademoiselle, qui enchérit encore sur vous.

La Comtesse.

Elle! je ne sais pas à propos de quoi. Quant à moi, je n'ai pas cessé de m'en donner cette nuit... Serrepine a couché seule, je crois: & ce matin vers onze heures elle dormait encore.

Serrepine, (a) avec apprêt.

Je bâillais par simpathie: les moindres mouvemens de Mad. la Comtesse me font une si singuliere impression...

Le Marquis, quoique l'homme du monde qui a le plus de savoir-vivre, ne peut s'empêcher de hausser les épaules.

Dard'amour.

Si bien, M. de Limefort, que, selon vous, nous ne sommes pas si près qu'on le disait de la bienheureuse contre-révolution?

Le Marquis.

Je crains fort qu'on ne fasse précisément tout ce qu'il faut pour la rendre impossible. Des gens, dont, premierement, la mission est tout au moins fort problématique, sont, en outre, divisés entre eux! appellent chien & chat au secours! & pour leur compte, en attendant, bayent aux corneilles! A quoi voulez-vous que cela mene? Je les crois trompés de loin; ajoutant eux-mêmes à leur illusion & jettant sciemment de la poussiere aux yeux d'une multitude de gens dont la plupart sont pleins d'honneur, mais qui, malheureusement, sont d'une déplorable ignorance en fait d' intérêt général, si quelques rusés d'entre eux sont d'un pernicieux rafinement en fait d' intéréts particuliers.

Le Prélat.

Pas si bêtes, ceux-ci: pas si bêtes.

Le Marquis.

Voilà qui est bien raisonné comme une mitre! --Quoiqu'il en soit, on n'a pas manqué de les avertir.

Dard'amour.

Eh bien?

Le Marquis.

Mal en prend à quiconque ose toucher là bas cette corde faible. C'est alors un brouhaha! Mauvais principes! Gens dangereux! Pour les écarter, pour les perdre, toutes les petites bassesses des Sans-culottes; suspicions hasardées, accueillies, fomentées par les basvalets, adoptées par les gobemouches & par quiconque croit gagner, à la jugulation du plus honnête homme, un de ces pas... qui pourtant, ce me semble, ne meneront à rien.

Le Prélat.

Pe r mettez-moi, Ma r quis: c'est pou r tant un homme de z énie qui conduit tout cela...

Le Marquis.

Vous avez à peu-près raison: mais le Génie qui tient aux lisières celui que vous imaginez, c'est notre mauvais-Génie, celui de nos ennemis. Je le vois qui fait à la fois des siennes à Coblence, aussi bien qu'à Paris. A bon chat bon rat, nous dira-t-il un jour...

Fessange.

Le Marquis parle comme un oracle: il en a du moins l'obscurité.

Le Marquis.

Pour vous, mon beau Monsieur: j'y consens. Je n'ai pas le bonheur de vous imiter en tout; car, de votre naturel, vous êtes fort découvert, & n'avez, dit-on, rien de caché pour vos amis...

Mad. Durut.

Laissons Coblence, mon cher Limefort, & dis-moi ton sentiment de ce vin de Bourgogne. C'est de la triste dépouille de ce coqenpâte d'Abbé de Cîteaux... ( Elle lui envoye un verre & l'on en porte de même à la ronde. )

Le Marquis, goûtant.

Délicieux, en vérité.

La Comtesse.

Mais la mode en est passée: j'aime bien mieux le vieux Bordeaux...

Le Marquis.

Anglaise que vous êtes!

Fessange.

Je suis fou, moi, des vins d'Italie.

Le Marquis.

On y perce les futailles un peu du bas.

Serrepine.

Tous les vins étrangers du monde ne valent pas, à mon avis, notre vin de la Côte, quand il est d'une bonne année, & qu'il a vieilli dans de bonnes caves...

Le Marquis, ironiquement.

Assurément. De votre bon vin de la Côte avec une de vos excellentes tartes de prunes, voilà de quoi régaler le Grand-Mogol... Et puis le ranz des vaches pendant la colation, car il faut de la musique. Sans musique, point de festins.--A propos, Durut? pourquoi ne nous as-tu pas donné tes musiciens?

Mad. Durut,

Ils sont, dans ce moment, occupés à renforcer d'une lugubre harmonie la profonde tristesse d'un de mes solitaires.--Il faut, parbleu, que je vous conte l'aventure en quatre mots... Quand je dis quatre... & plus.

La Comtesse.

Conte, conte nous cela, Durut.

Mad. Durut.

Un Anglais opulent, voyageant en France, s'était épris d'une fille de bourgeois (superbe, mais tant soit peu coquine) de Marseille. Celle-ci, bien plus touchée des guinées que des grands sentimens dont l'ardent Crésus était également prodigue, l'écouta, le rendit heureux, & consentit à lui appartenir. Mais, se préparant à le suivre, elle trouva moyen de lui faire agréer, en qualité de secrétaire, un prétendu cousin, qui n'était que le plus vigoureux & le plus aimé des galants de sa liste. Le trio parcourut l'Europe, & s'accommoda volontiers de ce genre de vie pendant deux ans qui s'écoulerent sans l'ombre de trouble dans la petite caravanne. Cependant, comme on se lasse de tout ce qui est monotone, bientôt Cousine & Cousin s'occuperent des moyens de se soustraire au contagieux ennui du Patron: il faut convenir que, fort honnête homme, libéral à l'excès & doux jusqu'à la duperie, ce Baronnet est par contre (avec sa politique & sa mélancolie on ne sait à propos de quoi) le plus maussade personnage de l'univers.

La Comtesse.

Maussade! l'homme que tu peins là doit être infiniment aimable à Londres.

Mad. Durut.

A la bonne heure: les aimables de ce genre devraient bien rester chez eux, au lieu de venir professer & nous enfièvrer chez nous. Je disais que la Nymphe & l'Amantsecrétaire s'ennuyaient à périr. Ils n'avaient cependant pas perdu la tête. Leur main était faite. Ils pouvaient, sans craindre l'avenir, se passer enfin du vaporeux Patron. Mais celuici était idolâtre de l' amante. Quant au rival, judicieusement il en avait fait son ami. Mettront-ils le poignard dans le cœur de ce galant-homme en l'abandonnant tous deux à la fois?... ou, bien plutôt, courront-ils le hasard d'être méprisés & peut-être sacrifiés, si jamais d'autres sentimens succédaient dans une ame sombre & violente à ceux que de gaîté de cœur ils en auraient arrachés?--Il y avait quelque chose de mieux à faire: si l'Anglais y perdait également, le couple du moins allait y gagner beaucoup: mais buvons..........

Fessange.

Ton histoire sera-t-elle encore bien longue, ma chere Durut?

Mad. Durut, avec un peu d'humeur.

Je te cède la parole, si tu es pressé de nous conter la tienne-propre...

Celestine.

Propre! pas trop.

Le Prélat.

Allons, Fessanze: c'est très mal de coupe r ainsi le ve r be aux z ens... Si vous att r apez quelque bon quolibet, ce se r a pou r vous app r end r e... Pou r suis, ma sère Du r ut, z e m'inté r esse tout plein à ces amou r eux & à cet Anglais.

Mad. Durut.

Celui-ci se trouvait dans le cas de faire en Ecosse un voyage à peu-près secret, & duquel il ne pouvait mettre ni la maîtresse, ni l' ami. La première saisit cet instant pour commencer d'être libre. Elle feignit une maladie: au bout de huit jours, on parla de sa mort. Sur ces entrefaites, le Baronnet, par les soins du Secrétaire, apprit à la fois l'un & l'autre accident, mais, avec les funestes nouvelles, était parti ce lénitif: sachant, disait-il, à quel point la belle Zéphirine était adorée de leur bienfaiteur, il avait pris sur lui de la faire embaumer. A l'appui de cette imposture, un rival de Curtius ( a ), bien payé pour le secret, avait exécuté la parfaite ressemblance de la fausse-morte en cire, mais les yeux fermés, décolorée, en un mot comme on est quand on n'est plus. Un mannequin galamment costumé, complettait l'illusion. Le tout était renfermé dans une caisse de bois précieux, & sous un premier couvercle de glace; couvercle que, sous aucun prétexte, il ne faudrait ouvrir, la conservation de l'adorable Momie dépendant absolument du soin de la maintenir inaccessible aux moindres atteintes de l'air. Les choses en étant là, nos mystificateurs attendirent patiemment des nouvelles du voyageur. Comme rien ne pressait plus celui-ci d'accourir, il donna tout le tems nécessaire aux premiers objets de sa tournée, ainsi qu'à ses profondes douleurs, espece de jouissances pour les Yongs: mais à travers ses superlatives élégies, celuici ne laissa pas de remercier passionnément son essentiel ami, d'un soin sentimental qui seul pourrait rendre l'avenir supportable au malheureux individu dont la plus chere moitié de lui-même venait de s'éteindre. (Mad. Durut boit.)

Le Marquis.

Voilà bien l'une des plus ridicules folies dont ce siecle de sottise puisse bigarrer ses fastes.

Mad. Durut.

Le désolé Baronnet revint. Bientôt après l' essentiel ami, sous prétexte d'un héritage à recueillir, le laissa tête-à-tête avec l'effigie, s'en allant, lui, vivre gaîment avec l'enchanteur original, & jouir ainsi d'une double succession. Depuis lors, le fou, plus fou qu'auparavant, a couru le monde, chariant par-tout, dans une voiture bisarre, l'objet de son inextinguible ardeur: enfin, il a pris fantaisie à cet homme de passer quelque tems à Paris, mais sans rien changer à son ancien genre de vie. Mes Mouches l'ont adroitement avisé de ma solitude (a). Il s'y est fait conduire, il en a été enchanté.--Depuis quinze jours, à peu-près, il y vit dans les délices d'un séjour mortellement beau par la tristesse qu'il est fait pour inspirer; faisant d'ailleurs la chère-française la plus délicate; se grisant volontiers à toster aux belles formes de la prétendue défunte, qui est toujours là, debout, en face de la table, & pour laqu-elle il s'attendrit au son des plus funebres morceaux de musique.

La Comtesse.

Il ne faut pas disputer des goûts.

Le Marquis.

On aurait beau dire: ce fou-là finit par être heureux.

Mad. Durut.

Attendez donc: moi qui connais un peu les humains, & qui me suis d'abord apperçue (car je vois tout) de certains holocaustes d'écolier que l'homme au désespoir offrait à sa Momie, j'ai entrepris de modisier sa douleur. Déjà, c'est l'une ou l'autre de mes petites qui, par un badinage adroit, tandis qu'il exalte son ame, lui épargne le matériel procédé du sacrifice. Je compte bien lui faire agréer incessamment un régime encore meilleur... & finalement, si certain coup que je médite, réussit...

Le Prélat.

A ss ève donc, ma sère Du r ut, peux-tu comme ça nous laisse r l'eau à la bousse: ( il boit aussitôt un grand verre de vin. )

Mad. Durut.

J'ai quelqu'idée que sa Zéphirine si regrettée, est la même que certaine Long-pré, mal en point, & qu'on me dit être furieuse contre un inconstant qui l'a volée après lui avoir fait perdre les bontés d'un Anglais prodigue. On est à vérifier mes soupçons. Si, par bonheur, ils sont fondés, je ne manquerai pas de ressusciter Zéphirine. Il n'y a que le diable qui pût lui dire où vit maintenant un homme qu'elle-même aurait peut-être beaucoup d'envie de retrouver. Je suis donc nécessaire: si je les réunis, il faudra qu'il en coûte cher à l'Orphée, plus heureux que celui de la Fable. Je fais la fortune à Mad. de Long-pré; mais elle trouvera bon qu'il tombe, de l'aventure, un millier de guinées, tout au moins, dans la poche d'Agathe.

La Comtesse.

Je te les souhaite de toute mon ame, ma chere Durut.--En attendant, je veux voisiner avec ce Baronnet. Est-il d'une figure passable?

Mad. Durut.

Mieux que cela.

La Comtesse.

Eh bien! laisse-moi faire. J'entreprends ton homme.--Dès ce moment, je me constitue Sorciere.... Je suis.... fille naturelle du fameux St Germain ( a ) &.....

Ayant pour mille maux des secrets merveilleux, Je m'amuse à chercher des simples dans ces lieux.

Mad. Durut.

Je vous prends au mot.

La Comtesse, un peu grise.

Et je prétends que dès demain ton lugubre Baronnet me prenne à la motte.

Mad. Durut.

Ce sont vos belles & bonnes affaires, pourvu que ma spéculation arrive à bonne fin....

Cet original entretien est interrompu par le caffé. Dès qu'on l'a pris, on se leve.--Le Marquis, tout en train de sa petite Violette, la fait venir encore dans un lieu secret, prend avec elle des arrangemens fixes, & lui donne, sur nouveaux fraix, une preuve de son lubrique engouement.--En même tems, Sa Grandeur, la tête échauffée, (mais le reste ne l'étant pas) a le caprice de faire représenter sous ses yeux une saturnale. Elle est aussitôt exécutée par les Servantes de l'hospice avec ces mêmes robustes Valets qui avaient l'honneur de servir Mad. la Comtesse le jour de la station de Fringante avec Trottignac. Le Pot-de-chambre est ici la Maîtresse du Ballet, & s'y distingue dans un savant pas de deux avec le Chef-de-cuisine.--Le détail de ces grossiers ébats ne vaut pas la peine qu'on se donnerait à les décrire. Ils font cependant sur l'engourdi Prélat un effet dont il se désole de n'oser profiter, de peur d'une indizestion. --Ailleurs, la Comtesse, avec moins d'égards pour son estomac, chambre le joli Fessange, qui vient de lui donner un caprice. Elle lui fait agréer dix louis: cependant, comme il les gagne assez mal, elle exige qu'il se laisse postillonner de la grande maniere par un vigoureux Chasseur; expédient qu'on sait capable d'ajouter beaucoup à des moyens équivoques.--Mlle Serrepine, qui déteste le scandale, s'est réfugiée dans la cabane du Sr Gervais, chez qui elle a fait, dès les premiers jours, l'heureuse découverte d'un engin d'onze pouces & demi. Ce fut la premiere recommandation du malotru pour être admis dans l'hospice: il eût même l'honneur d'y faire, pendant quelques jours, la partie de Mad. Durut, mais celle-ci n'ayant pu obtenir du Provençal qu'il renonçât à l'ail, elle l'a, dès longtems, réformé de la liste de ses Menus. Mlle Serrepine, moins délicate, s'accommode fort bien de ce rebut, en cachette des deux valets de la Comtesse, avec lesquels elle conduit, le plus adroitement possible, une double pastorale payée, sans l'ombre d'un regret, d'un quart de sa modeste rente.--Quant à Dard'amour dont la luxure n'a plus de bornes quand il a du vin dans la tête, il s'est abandonné à l'experte Durut pour qu'elle tire de lui le parti qu'elle pourra, tandis qu'il prendra du plaisir à glottiner, sous les lunettes que lui font les superbes fesses de Célestine. Durut venant à bout, sans beaucoup d'effort, de remettre le Grand Vicaire en belles dispositions, trouve bon de se l'incruster, & se tire également, à son honneur, de cette seconde expérience. Toutes ces scenes achevées, chacun songe à la retraite. Le Prélat harassé ramene à Paris ses courtisans rassassiés de jouissances.--Le Marquis, après avoir chargé Durut de tous les soins qu'exige la nouvelle destination de Violette, se rend avec empressement auprès de Mad. de Limefort, ayant eu toutefois l'attention de la faire prévenir, de peur de la surpendre peut-être dans les bras de quelque Cicisbé, ce qui serait non moins embarrassant que de mauvais genre parmi des gens d'un certain ordre.

Fin du second Numéro du second Volume.

ERRATA.

Page 12, ligne 3 de la note, celles, lisez celle.

------ 27, ligne 17, tous doux, lisez tout doux.

------ 35, ligne 5, qui me fait, lisez qui me fais.

------ 41, entre ce qu'il montre & Sapristi, lisez Mad. Durut.

------ 44, ligne 7, & même, lisez ni même.

LES APHRODITES. CROYEZ-VOUS A LA MAGIE? PREMIER FRAGMENT.

Il a fallu quelques jours pour combiner la mystification que Mad. Durut méditait de faire au Baronnet son pensionnaire; à cet homme singulier qui vit, dans l'hospice, en adoration devant une momie. Durut s'est assurée que la Zéphirine qui a planté là cette dupe, (pour être à son tour dupée & délaissée) est la même sur laqu-elle elle avait des soupçons: tandis que, d'un côté, Durut mettait adroitement les fers au feu pour savoir si l'aventuriere serait bien aise de retrouver son Anglais; d'un autre côté, la petite Comtesse de Mottenfeu, (ne fût-ce que pour finir par rire aux dépens d'un sot,) a conçu le projet de se lier avec lui, & de l'étonner par des choses fort extraordinaires en attendant qu'il s'agisse peut-être d'opérer ce que cet homme ne pourrait manquer de prendre pour un prodige.--On a insensiblement excité la curiosité de Sir Henri en faveur de sa voisine: on a fait sur celle-ci des comptes à dormir debout; il a souhaité de voir cette femme merveilleuse.--Tout s'est passé la premiere fois entr'eux fort uniment: la seconde fois, ça été, entre ces voisins, quelque chose de plus vif, mais sans l'ombre de galanterie, parce que le préoccupé Baronnet avait eu l'air d'être à mille lieues de tout cela: c'est leur troisieme entrevue que va développer l'entretien suivant.

Dans le jardin du clos des Pensionnaires. LA COMTESSE DE MOTTENFEU, SIR HENRI. Sir Henri ( a ), se promenant.

Je ne cesserai de vous le répéter, Mad. la Comtesse, votre voisinage, l'honneur d'avoir fait connaissance avec vous, était, dans ma position désespérée, tout ce qui pouvait m'arriver de plus heureux.

La Comtesse.

Que voulez-vous dire avec votre position désespérée! Vous êtes encore jeune, passablement tourné, assez aimable, & vous vous croyez au désespoir?

Sir Henri, soupirant.

Ah! ma chere voisine! quand on a perdu...

La Comtesse interrompant.

Eh bien: on retrouve ce qu'on a perdu: ou bien, l'on prend quelque chose ailleurs.

Sir Henri, avec douleur.

Retrouver! ( il soupire ) Quand la mort...

La Comtesse, d'un ton imposant.

Paix! je sais toute votre aventure: j'ai consulté mes livres...

Sir Henri.

Que voulez-vous dire?

La Comtesse, avec gravité & l'observant.

Etes-vous homme à garder un important secret?

Sir Henri.

En douter, ce serait me faire injure.

La Comtesse enchérissant encore.

Songez que si je vous le confie, & qu'il vous arrive de le trahir..., vous vous perdez d'abord... mais qu'ensuite... vous me faites à moi-même beaucoup de mal.

Sir Henri.

Eh bien, n'y eût-il que cette considération sacrée pour un galant-homme...

La Comtesse.

Ecoutez-moi. -- ( De l'air le plus mystérieux. ) Il est impossible que vous n'ayiez entendu parler du fameux Comte de St Germain...

Sir Henri.

Du Ministre?

La Comtesse.

Eh non: a-t-il été fameux ? depuis lui, combien de ministres fameux, si, pour l'être, il ne fallait qu'avoir fait des sottises ( a )! Je vous parle du vraiment illustre, de l'Adepte?

Sir Henri.

J'ai bien oui parler de ce personnage: mais j'avoue de ne l'avoir jamais jugé que comme un adroit charlatan...

La Comtesse, avec sévérité.

Monsieur! songez devant qui vous parlez de cet homme célebre.

Sir Henri.

Aurait-il eu l'honneur de vous intéresser?

La Comtesse.

Il était mon arriere petit-fils. ( a )

Sir Henri, stupéfait.

Votre arriere petit-fils, Madame! Un homme qui, lorsqu'il mourut, il y a déjà long-tems, était, dit-on, septuagénaire!

La Comtesse, avec pitié.

Lorsqu'il mourut! Qui vous a dit qu'il était mort?

Sir Henri, déconcerté.

Ma foi, Madame: qu'il soit mort ou qu'il vive, cela ne peut être entre nous un sujet de contestation: mais! croire qu'il a été, qu'il soit votre arriere petit-fils...

La Comtesse, d'un ton tranchant.

Il l'est, Monsieur. C'est le premier né de la septieme fille d'un certain Salomon Coreb, qu'avait mis au monde, à l'âge de 119 ans, la cadette de vingt-huit enfans de mon sexe, sans compter les mâles, dont je suis accouchée en Palestine pendant le siecle qui a précédé celui de la naissance de Jesus-Christ.

Sir Henri, s'arrêtant.

Madame? J'ai l'honneur de vous faire ma révérence. Je me rappelle dans ce moment que j'ai oublié de faire une réponse très pressée qui pourrait encore partir par le courier d'aujourd'hui.

La Comtesse, froidement.

Eh bien, allez, Monsieur... ( Le Baronnet a fait quelques pas pour s'éloigner. ) Songez bien à ce que vous faites: vous pourriez vous en repentir un jour.

Sir Henri, revenant.

Ça Mad. la Comtesse! je pourrais très bien rester, & je n'ai rien d'aussi pressé que de continuer à vous faire ici ma cour. Mais pourquoi vous moquer si grossiérement de moi?

La Comtesse.

Me moquer, Monsieur!

Sir Henri.

Sans doute.

La Comtesse.

Je vous faisais au contraire infiniment d'honneur en vous supposant digne d'être instruit de choses... qu'on ne confie pas ordinairement à de profanes mortels...

Sir Henri.

Mais, cet âge incroyable que vous vous donnez...

La Comtesse, avec pitié.

Incroyable! parce que, graces à... ce que je sais, j'ai vécu quelques instans de plus qu'une autre.

Sir Henri, se récriant.

Quelques instans, Madame! vous aviez fait vingt-huit, & je ne sais encore combien d'enfans, plus de cent ans avant la naissance de Jesus-Christ...

La Comtesse.

Assurément. Et qui vous dit encore que ç'ait été le premier siecle de ma vie!

Sir Henri.

A votre aise, Madame. Soyez, si vous voulez, du tems du déluge.

La Comtesse, avec feu.

Eh! Monsieur! votre déluge n'est que d'hier...

Sir Henri ne sait alors, s'il doit demeurer ou s'en aller.--Mais il reste, voyant à dix pas Célestine qui survient.

LA COMTESSE, SIR HENRI, CELESTINE.

Celestine, qui a entendu le dernier mot de la Comtesse. -- Comment donc! est-ce qu'on se querelle ici?

Sir Henri.

Madame trouve plaisant de se divertir à mes dépens: j'entreprends de lui faire entendre que....

La Comtesse, avec chaleur.

Que vous n'avez pas le sens commun: que vous êtes matiere, à faire compassion.

Sir Henri, avec aigreur.

Il ne manque plus que de vous fâcher.....

Celestine.

Oh! ma foi, les voisins, arrangez-vous. A bon compte, je venais vous dire, Mad. la Comtesse, qu'à la lettre, que vous voulûtes bien faire partir bier soir pour l'Amérique, ma sœur vient de recevoir réponse tout-à-l'heure. Notre parent est au Cap, & s'y porte à merveille. Dans ce moment on y est un peu plus tranquille. Je ne sais ce qu'il a l'honneur d'être, votre émissaire, mais il va grand train; il a rapporté (je ne sais comment) une énorme balle d'oranges des plus belles de ce pays-là.--Voyez-en un échantillon. ( Elle présente alors une magnifique orange à la Comtesse.

La Comtesse, la recevant.

C'est fort bien. -- ( A portée de son logement, elle y rentre en jettant un regard tervible sur le Baronnet. )

SIR HENRI, CELESTINE. Celestine.

Vous voilà mal ensemble; & j'en suis désespérée; car je comptais infiniment, pour vous, sur cette femme là.

Sir Henri.

C'est une archi-folle.

Celestine, avec mystere.

Chut... si elle vous entendait, vous seriez un homme perdu... ( bien bas ) C'est une Magicienne... & peut-être le Diable en personne.

Sir Henri.

Et vous aussi, Mlle Célestine! vous voudriez me berner!

Celestine, le tirant à part.

Eloignons-nous.--Sachez, mon cher, qu'hier soir elle veillait chez ma sœur...... Nous vînmes à parler des horreurs qui se sont passées dans nos colonies: Durut a dit en l'air: Je voudrais bien savoir si notre pauvre cousin de l'Anguillère n'a pas péri dans cette bagarre? --Cela vous tient-il fort au cœur? (a réparti la Comtesse.) Ecrivez deux mots à ce parent; je me charge du reste..... Ecrivez donc. = Nous avons d'abord cru qu'elle voulait rire. Point du tout. C'était son grand sérieux. Agathe écrit vingt lignes: elle n'a pas plutôt cacheté que voilà... comme un vent qui pousse la croisée; je ne sais quel tourbillon rase la table & enleve le papier; nous le voyons en même tems s'échapper bien vîte en tournoyant par la fenêtre. Nous avons failli mourir de peur.

Sir Henri.

C'est un tour de gibécière...

Celestine, interrompant.

Bien trouvé!.. & la réponse donc! l'écriture du cousin que nous connaissons bien peut-être!--Mais il n'y a pas de jour que cette petite Fée ne nous donne quelque trait de sa toute puissance magique. On assure, en un mot, que son talent va jusqu'à ressusciter les morts.

Sir Henri, frappé.

Ressusciter les morts!

Celestine.

Oui: avec une certaine eau qu'elle a...

Sir Henri.

Serait-il bien possible!

Celestine.

Nous voyons du moins des gens qui le croyent.--Ce qu'il y a de certain, c'est qu'avant hier elle en fit prendre une seule goutte.... Une seule! sur un morceau de sucre, au vieux Guenillard, le doyen des anciens-Servans de l'hospice, & qui est à la pension déjà depuis vingt-cinq ans...

Sir Henri.

Eh bien?

Celestine.

Le pauvre diable avouait que depuis plus longtems il ne se souvenait pas d'avoir... bandé (sauf le respect que je vous dois.)

Sir Henri, vivement.

Eh bien, eh bien?

Celestine.

Eh bien, Monsieur; tout de suite, il a fait trois fois, cette affaire, au PotdeChambre: ( a ) elle a juré que c'était des bonnes, &.. comme du feu, ce que le vieux Drille lui a largement décoché... Pour moi, je ne vois de-là qu'un pas à ressusciter les morts. Encore ne dit-on pas que, lorsque Lazarre ressuscita, il se soit mis à bander tout de suite, ce que vous ne nierez pas être le plus beau signe de vie qu'il eût pu donner?--Une seule goutte pourtant!

Sir Henri.

Je m'y perds... si un Anglais pouvait se résoudre à croire quelque chose qu'il ne comprend pas...

Celestine.

Voyez donc le beau raisonnement! comme si un Anglais avait plus de bon sens que nous!--Mais, parlons d'autre chose.--Je venais savoir si rien ne vous manquc dans votre logement?

Sir Henri, rêveur.

Rien du tout.

Celestine.

Etes-vous bien servi? La chere? Le vin? Tout cela est-il de votre goût?

Sir Henri.

Je suis, on ne peut mieux.

Celestine.

Laquelle des petites voulez-vous aujourd'hui?

Sir Henri.

Cela m'est parfaitement égal.

Celestine.

Mais, enfin: une mine peut intéresser davantage: une main avoir plus de moëlleux, être plus douce....

Sir Henri.

Figurez vous bien, belle Célestine, que je n'ai pas fait encore un instant d'attention à tout cela. Ces jolies poupées viendraient ici pendant un an sans que je connusse leur visage.--On entre, on fait son petit service: moi, l'ame & les yeux fixés sur l'idole chérie...

Celestine.

Vous êtes un étrange Monsieur, vraiment! oh bien! c'est moi, ne vous en déplaise, qui prétends vous arranger aujourd'hui... Nous verrons un peu si... marchons.

Elle entraîne plutôt, qu'elle ne conduit, le Baronnet vers son appartement, qui est un joli rez-de-chaussée de plusieurs petites pieces.--( Ils entrent. )

LES MÊMES.

Dans le salon:--Le premier objet qui se présente quand on y met le pied, c'est la châsse de la prétendue momie ( a ). A sa vue, Sir Henri exhale un gros soupir.

Celestine, avec gaîté.

Salut à l'amie. -- ( à Sir Henri ) Il faut avouer que ce devait être une séduisante friponne.

Sir Henri, soupirant.

Ah! c'était une Divinité.

Il prend un siege en face: Célestine se place du côté droit: lui passe la main gauche par derriere la nuque: & de la droite met à l'air l'instrument du sacrifice dont elle veut diriger le procédé. Tout cela se passe sans que le Baronnet paraisse s'en appercevoir: son regard stupide dévore, à travers le cristal, l'ouvrage de Curtius.

Celestine.

Voilà donc... tout ce dont il tournait pour la Belle!.... ( avec un léger dédain ) Hun! ce n'aura pas été de regret, pour si peu de chose, qu'elle se sera laissée mourir...

Sir Henri, soupirant.

Ah! Zéphirine!

Celestine, vivement.

Eh foutre! faites-lui donc du moins l'honneur de bander!... ( un moment de silence. )--Passe encore... au bout du compte, ce n'est pas du beau... ( Elle va toujours son train. ) Cela entrerait tout-de-go dans la plus serrée de nos morveuses... ( Elle manipule, &, par degrés, obtient quelque chose de plus avantageux. )

Sir Henri, éprouvant un commencement d'émotion. Ah! ah! Zéphirine!-- Il ajoute en anglais, des bouts de phrase que Célestine n'entend point; elle n'est flattée, ni de ce baragouin, ni d'être absolument comptée pour rien.

Celestine, impatientée.

C'est un peu fort!

Alors elle quitte brusquement sa place, & zeste, elle enfourche Sir Henri, dont elle n'a pas lâché le presque ferme boutejoye. L'Anglais goûte peu cette liberté qui lui dérobe une partie de son cher point de vue. Il le cherche de droite, de gauche: la contrariante Célestine se donne le même soin pour le lui masquer. A travers cette chicane, elle se frotte vivement, du bout de ce qu'elle tient, les levres de ce qu'on devine: de l'autre main, elle se cramponne à la chaise de peur que le Baronnet ne puisse échapper: Comme il est au plus beau degré d'érection à lui permis, elle s'embroche & se met tout aussitôt à trotter grand train à l'anglaise sur son homme.--Puis tournant la tête vers la châsse:

Celestine, dit gaîment.

A ta santé, charmante.

Sir Henri, en crise.

Ha!... ha!... ha... ha! Zéphi.... (Un soufflet lui coupe la parcle. )

Celestine, allant son train.

Plait-il!... apprenez, Monsieur en France à être galant; & pendant le service des vivans, oubliez les.... morts.... Ah, foutre!... il ne me baisera pas seulement.... ha!.... ha!..... ( Se déplaçant quand elle a fait --) Oh! le maussade!

Sir Henri demeure quelques instans dans un état mixte de volupté, de colere, de confusion & de regret. Il n'ose, au moment même, jetter les yeux sur la momie, se croyant coupable envers elle d'une insigne offense.--Célestine a passé dans la piece dont le sallon est précédé, elle a ses raisons pour ne pas s'éloigner d'abord davantage.--Enfin, debout, courant se prosterner devant la châsse, & s'exaltant de la maniere la plus ridicule,

Sir Henri s'écrie.

O toi! dont l'ame voltige sans doute autour de moi, comme sans cesse je t'entoure de la mienne! tu sais, tu sais, céleste Zéphirine, si je pensais à t'outrager!.... Pardonne: me pardonneras-tu...?

A travers un triste soupir échappé comme de la boîte, on entend oui. --

A cette espece de prodige le Baronnet devient à-peu-près fou d'étonnement & de peur...--De peur!--Eh oui sans doute. En vain est il raisonneur, amant éperdu, l'être qu'on croit inanimé ne donne pas signe de vie sans ébranler vigoureusement le plus intrépide esprit-fort. L'Anglais dans le conflit de deux émotions si vives, si diamétralement opposées, se trouverait peut-être mal sans les sels que Célestine accourue lui fait respirer.... Elle feint elle-même d'être fort allarmée (quoiqu'elle sache fort bien que c'est un tour, dont tout ce qui s'est passé n'était que la préparation, & qui en amenera d'autres.) Pour enchérir, elle prétend non seulement avoir entendu le terrible oui, mais encore avoir très bien vu, quand elle est rentrée, que la momie lui faisait une mine foudroyante.

IL Y A DES REVENANS. SECOND FRAGMENT.

Dans la même chambre dévolue à Trottignac lorsqu'il arriva, Mad. Durut introduisit Zéphirine, cette Long Pré ( a ) cette prétendue morte, dont l'effigie est l'idole de l'extravagant Baronnet.

ZÉPHIRINE, MADAME DURUT. Mad. Durut.

C'est ici, ma chere, que vous pourrez vous remettre & attendre dans un plein repos le succès de nos mystérieuses menées. Dans ce moment on avertit la petite Comtesse. Nous allons avoir avec elle un entretien bien nécessaire: après quoi...

Zephirine.

Après quoi, ma chere Dame, il faudra penser que je garde l'heure : que mon neuvieme mois expire dans deux jours, (à ce que je crois) & que d'un moment à l'autre je puis être surprise par la nécessité d'accoucher. Quel contretems! que je suis malheureuse! ( des larmes. )

Mad. Durut.

J'avoue qu'il eût été plus à votre avantage de n'avoir pas ce paquet à mettre bas. Cependant ne vous attristez point... Le pis-aller serait que vous fissiez ici vos couches en secret, & que l'exécution de nos bisarres projets fût remise à l'époque de votre rétablissement. ( On entend marcher. ) Mais, à ces pas légers & prestes, je reconnais la petite Fée.... ( Durut ouvre la porte & fait un pas au devant de Mad. de Mottenfeu. )

LES MÊMES, LA COMTESSE. La Comtesse encore dans le corridor.

Eh bien! la belle fauvette est donc enfin dans notre cage? ( entrant, & voyant Zéphirine. ) Ah! ( étonnée ) c'est la perfection. ( Elle se jette au cou de Zéphirine & lui donne un baiser du genre le plus polisson. )

Zephirine.

On m'a prévenue, Mad. la Comtesse, des bontés infinies que, sans me connaître, vous vouliez bien vous proposer d'avoir pour moi: ma reconnaissance...

La Comtesse gaiment.

Quelle folie! c'est à nous, au contraire, à vous remercier de nous avoir fourni l'étoffe d'une aussi plaisante récréation. Va, va, friponne: ( elle lui prend amoureusement le menton. ) Pour mon compte, je prévois que tu m'auras bientôt & qu'à mon tour je t'aurai des obligations bien plus essentielles... Quel œil, Durut! quelle peau! ( Elle veut fourrager. )

Mad. Durut.

Allons d'abord au solide: le tems presse furieusement. Il faut vous dire, suprême arbitre de nos destins, que cette belle enfant en porte un tout à-fait mûr, & qui peut s'impatienter au point de ne pas nous laisser le tems de lever la toile pour notre grand spectacle. Que pensez-vous de cette conjoncture?

La Comtesse.

Ah, Diable!...

Mad. Durut.

J'imaginais...

La Comtesse interrompt.

Un moment... ( elle sourit. ) J'y suis: oui: quand la charmante l'aurait fait exprès.... l'épisode est unique.

Mad. Durut.

Quoi! vous entrevoyez...

La Comtesse occupée.

Tout est-il prêt?

Mad. Durut.

Sans doute.

La Comtesse.

... L'antre?

Mad. Durut.

Oui.

La Comtesse.

... Le bûcher?

Mad. Durut, vîte.

Le bûcher, les torches, les foudres.

La Comtesse.

Tout ce que j'ai prescrit, en un mot?

Mad. Durut.

Tout, tout, vous dis-je. Il ne s'agirait plus que de savoir si vous avez, de votre côté, suffisamment préparé notre homme...

La Comtesse.

Sois sans inquiétude à cet égard. Dès le miracle de l'orange, ( a ) il n'y avait plus moyen qu'il doutât de la toute-puissance de mes enchantemens. Depuis lors son égarement n'a cessé de s'accroître. Sa neuvaine, comme tu sais, s'acheve après demain:cen'apasétésanspeine, dès aujourd'hui, qu'il a fourni l'émission de ces principes de vie dont il est persuadé que j'ai besoin pour la composition de l'élixir ( en regardant Zéphirine ) qui doit vous ranimer. Le régime dont nous avons fait vivre l'heureuse dupe; l'agitation fatigante dontnousavonsobsédésonsommeil;l'ébranlement perpétuel où nous avons entretenu son ardente imagination; l'état de faiblesse enfin où le jetteront neuf contributions extraites par cette main habile ( elle fait en même tems un geste plein de grace, de nature à ne laisser aucun doute sur l'habileté dont elle se flatte ;) tout cela nous répond du degré de crédulité fanatique où nous devons amener enfin notre vaporeux. Le grand coup de théâtre achevera de nous le soumettre. Reste à savoir si la derniere secousse ne sera peut-être pas trop forte, & ne lui fera pas perdre si bien l'esprit, que peut-être il ne nous soit plus possible de le remettre au courant des foux de l'espece commune....

Zephirine avec émotion.

Vous m'allarmez, Madame. Se pourrait-il qu'en vue de rendre moins malheureuse une créature... hélas! trop coupable, vous jouassiez à faire à jamais le malheur d'un homme estimable & de si bonne foi! Ah! bien plutôt renonçons...

Mad. Durut, interrompant.

Bien cela: j'aime ce sentiment..... ( elle tend amicalement la main à Zéphirine. ) Mais ne craignez rien, notre amie. Le bonheur ne tue jamais... & le cours fatal de l'existence journaliere n'apporte que trop de remede à la précieuse folie d'un mortel insoutenablement heureux. Sans scrupule, laissez-nous faire, & ne songez qu'à jouir de nos succès.

La Comtesse à Durut.

Du moins il parait que nous ne servons pas une vile créature, & que nous n'aurons pas fait au Baronnet un funeste présent.

Mad. Durut.

J'allais le dire mot à mot. Ainsi, voilà nos consciences fort à l'aise, Dieu soit loué.

La Comtesse.

A propos de conscience, tu me fais penser à te dire quels engagemens vient tout-à l'heure de prendre de lui-même, avec moi, le reconnaissant Arisson. ( a ) „S'il est vrai, Déesse, (a-t-il dit en me baisantlespieds,malgrémoi)s'ilest vrai que les esprits & les élémens vous soient soumis, comme je commence à le croire; s'il est vrai que vous puissiez rendre à mes vœux celle... qui avait cessé de respirer, mais qui vit toujours dans moname;Zéphirine,dèsl'instant desaseconde vie, disposera de six mille livres sterling, qui sont maintenant à Paris entre les mains de mon Banquier; j'assurerai aussi tout de suite à la plus chere moitié de moi-même cinq cents livres sterling de rente perpétuelle, sans préjudice de vivre ensemble comme par le passé. Ah! pourquoi ma médiocre fortune ne me permet-elle que d'aussi faibles sacrifices! mais quel Monarque serait assez riche pour payer le bien qui va m'être rendu! Quant à vous, Madame... si vous n'étiez qu'une mortelle, il ne serait pas encore en mon pouvoir de m'acquitter. Tout l'or de l'univers suffirait-il à récompenser l'être si propice qui m'aurait sauvé la vie en m'assurant une imperturbable félicité!„

Mad. Durut.

Voilà de superbes paroles sans doute; mais je ne serais pas fâchée que tout cela fût dit, plus uniment, en quatre ou cinq petites lignes, dont le Notaire pût faire un bon acte...

Zephirine.

Connaissez mieux Sir Arisson, Madame. Un mot qu'il a dit vaut un contrat. S'il l'avait oublié; le lui rappeller simplement, c'en serait assez pour qu'il s'engageât sur nouveaux frais, & fît encore plus qu'il n'avait promis.

La Comtesse.

Je crois que Zéphirine a raison: les Anglais sont assez dans ce genre.

Mad. Durut.

A la bonne heure: au surplus, ce n'est pas par ces beaux côtés que nos fieffés penseurs les imitent. -- ( à Zéphirine ) C'est à vous, la belle enfant, de vous conduire si bien après tout ceci, qu'il ne démente jamais un langage qui vous fait tant d'honneur.

Zephirine.

Ah! je réponds bien de ne plus reperdre par ma faute un cœur... dont j'avoue que je me rendis trop peu digne. Cependant, sans l'affreuse rouerie d'un perfide, d'un ingrat...

Mad. Durut.

J'entends: or, ce maudit cousin, ce funeste objet de votre ruineuse escapade, c'est lui probablement qui... ( Elle jette un regard expressif sur l'exhaussement du ventre de Zéphirine. )

Zephirine avec douleur.

Hélas oui! j'en meurs de honte. Un événement qui pouvait convertir les liens légers du plaisir en chaines solides de la reconnaissance & de l'attachement, devait il au contraire corrompre notre union & me préparer mille genres d'infortune!

La Comtesse.

Raconte-nous le fait, mon cœur. ( A Durut ) Elle est délicieuse; j'en rafolle déjà. Tout ce qui la concerne me pénetre d'intérêt. ( à Zéphirine ) Nous t'écoutons.

Zephirine.

Grosse à peine de cinq mois, dès que mes formes perdirent de leur grace, & mon peu de charmes, de leur éclat, le vil Bricon ( a ) se refroidit par degrès: bientôt il devint désobligeant, grondeur, brutalmêmeaupointdemebattre. Livré au jeu, aux liqueurs fortes; Démocrate enragé; devenu l'un des piliers des clubs les plus incendiaires; ardent bravache parmi ces nouveaux soldats soi-disant citoyens, dont la moitié n'a que le courage de la férocité; mon persécuteur enfin, après avoir dissipé le reste de nos ressources, un beau jour me laissa sans un écu, devant à tout le quartier, fur la paille en un mot.

La Comtesse.

Cette chere enfant!

Zephirine.

J'y serais morte sans doute au moment de mes couches, sans la faveur du ciel... ( à Mad. Durut ) qui vous fit apparaître l'autre jour dans mon obscur taudis... ( elle fait un mouvement pour saisir & porter à sa bouche une main de Mad. Durut qui la retire vîte & donne à sa protégée un baiser. )

La Comtesse à part.

Elle me fend le cœur... Avoue, Durut, que les femmes sont bien payées pour s'attacher à ces animaux d'hommes... ( à Zéphirine ) car tu aimais sans doute?

Zephirine.

C'est tout au plus si je suis radicalement guérie d'une passion qui me livrait à mon propre mépris...

La Comtesse la caressant.

Va, va, mon Ange, nous t'apprendrons à chasser l'amour... ( elle lui met la main sur le cœur ) de-là: il n'est de saison qu'en deux endroits, ici... ( lui touchant le front ) pour le gouverner habilement; & là, pour avoir du plaisir... ( Elle a glissé lestement la main sous les jupes de Zéphirine & furpris le bijou de cette Belle, qui tient une assez sotte contenance, n'osant ni faire la bégueule, ni se livrer à cette étrange agacerie.--La Comtesse glissant un doigt dans le sentier des voluptés ajoute :) Promets-tu que ton Marmot ne me mordra pas?...

Mais le chocolat qui survient met fin à ce manege, sans quoi la Comtesse se serait amusée dès lors à pousser la chose à bout. On déjeûne: la conversation n'ayant plus rien de fort intéressant pour le lecteur, on lui en fait grace. La seule circonstance un peu remarquable c'est que la petite Comtesse, à travers le détail qu'elle fait à Zéphirine des mesures qu'on a prises pour amener les choses au point où elles sont, tire de sa poche une petite phiole où, dans une partie d'eau de Cologne, erre le mélange des tributs qu'elle a déjà fait éjaculer de chez le superstitieux Anglais.

La Comtesse.

Si j'ai pu lui persuader que cela m'était nécessaire pour rendre des esprits vitaux à sa chere momie, qu'en coûte-t-il de plus d'assurer que d'un excès de soin, pris pour la plus grande sûreté de l'opération, il a résulté, par un second miracle, la formation hâtée d'une nouvelle créature dans l'uterus surabondamment vivifié...

Mad. Durut, s'extasiant.

L'idée seule est d'une sorciere du premier ordre. Oui: le diable m'emporte, ou vous l'êtes tout de bon.

La Comtesse.

Nous n'en sommes pas encore au plus intéressant des diableries. ( d'un ton comique. ) Je veux que l'assemblée frémisse; que les cheveux dressent sur les têtes, même à travers la tempête du plaisir...

Mad. Durut, se levant.

Ça, tandis que vous allez apprendre à cette belle enfant le rôle que vous lui destinez, je vais, moi, rédiger l'ordre général & donner pour après-demain rendez-vous aux coopérateurs. ( Elle a déjà fait quelques pas. )

La Comtesse.

Un moment, notre féale. Il est bon de te rappeller que si mon estomac a déjeûné, il n'en est pas de même du reste. Or certain petit écureuil ( a ), qui n'est de rien dans mes vastes projets, n'est du tout au fait de demeurer à jeun si tard que l'heure actuelle...

Mad. Durut.

Ah! je comprends....

La Comtesse.

Va donc, & s'il y a par là bas quelqu'un de convenable, envoie-moi le tout de suite. Point de marmots: du solide, entends-tu?

Mad. Durut.

J'ai votre affaire, je crois: pourvu qu'on ne soit pas déjà loin. Je cours....

LA COMTESSE, ZEPHIRINE. La Comtesse, avec un baiser.

Tu permettras bien, charmante, que dans le cabinet d'à côté...

Zephirine.

Je suis au désespoir d'être apparemment la cause que Madame...

La Comtesse caressant.

Oui sans doute, tu l'es. Sans cette ronde bedaine si tendue qu'il y aurait conscience à troubler le moins du monde ses derniers instans de repos, je n'aurais appellé pour ce matin personne à mon secours. J'étais accourue céans la tête diablement montée. Tes traits enchanteurs, bien gravés dans ma vive imagination d'après ta pâle image, m'avaient d'avance inspiré le caprice le mieux conditionné. Je comptais bien t'écrémer aussitôt que la marche de notre projet te mettrait en mon pouvoir.

A travers cette galante déclaration les levres de la Comtesse se sont si bien approchées de celles de Zéphirine que l'aimant des deux bouches les a soudain unies par un fougueux baiser. Cependant Zéphirine n'a pas décidément le goût des femmes : mais on la desire, on l'a louée: & l'être séduisant qui répand ainsi sur elle le doux poison de la séduction, est cette même femme qui lui prépare une infinité de bonheur... Zéphirine est émue, s'enflamme d'un feu d'autant plus vif qu'il est nouveau pour elle... Ce feu, l'experte Comtesse vient de l'allumer à la fois partout, ayant détourné d'abord, avec toute la délicatesse d'un respectueux amant, la triple gaze des fichus; & chatouillant d'un tact léger comme le pas d'une mouche, les sommets irritables de deux montagnes dont le lait a converti en dureté la consistance ci-devant élastique. Plus loin, c'est pis encore; car déjà ces amantes de nouvelle date ont quitté l'entour de la table du déjeûner: machinalement, on a gagné le lit: Zéphirine, jalouse de complaire en tout à sa voluptueuse bien-faitrice, a compris qu'on la souhaitait sur cet autel de leur folie; elle a bien voulu s'y coucher. Pour lors, une main qui n'avait pas encore d'occupation, se donne à son tour une bien plus incendiaire besogne. La Comtesse croit s'appercevoir que le trop grand jour fatigue l'œil clignotant de son divin caprice: elle rabat donc sur leur groupe un rideau qui pare aussitôt à la fortuite incommodité. Zéphirine en devient plus hardie. Le triple badinage est plus paisiblement souffert, plus délicieusement savouré, mieux secondé; enfin la tête de la patiente est partie tout à fait; elle n'est plus : cet effet seul va peut-être suffire à jetter l'agente dans le même délire de plaisir. Mais, au même instant, entre sur la pointe du pied quelqu'un... Orienté par de jolis pettons apperçus au bas du rideau, cet homme qui n'a fait aucun bruit, est soudain en pleine impertinence avec la Comtesse. Celle-ci sent alors très bien qu'on lui manque essentiellement par-dessous ce rideau qui ne sépare plus que les bustes.--Elle se fache?--Non; elle s'y prête. Cette aubaine ne peut l'étonner que par l'extraordinaire proportion de ce qui la travaille... Bientôt une à verse des plus solides jouissances abat le zéphir dont ses sens n'étaient qu'émoustillés pendant son gentil escarmouche.--On pourrait croire que la grosse faim de l'écureuil est déjà satisfaite? Non pas: il est, comme on sait, un furieux mangeur: Le premier morceau, très fort, est déjà bien avalé, sans que la pâmée Zéphirine se soit doutée de rien: mais, pendant qu'on recommence, comme il est bon de savoir quel est le recommandable mortel si libéral d'une délectable ambroisie, la petite Comtesse écarte le rideau, sans se dégager; retourne son buste vers son vigoureux acteur avec toute la souplesse d'une taille mignone, elle voit... un gros réjoui, montrant, par son sourire, un ratelier égal, d'un blanc éblouissant; une face vermeille, à barbe bleue,... dardant de ses grands yeux noirs les éclairs de la luxure & de la vigueur. Cependant Zéphirine, (aussi nue qu'on peut l'être avec des habits, & ayant encore des sentinelles partout) est un peu confuse, aussi bien d'avoir un témoin que d'en servir. Au reste, le premier pas est fait: sa position lui impose tant d'égards envers la petite Fée! Il en coûte si peu de s'accoutumer à des scenes dont la contemplation vaut quelquefois la moitié de la réalité!...--Peu begueule, (quoique loin de l'extrême impudeur de nos Dames Aphrodites) Zéphirine prend la chose en bonne part; recule assez vers le fond du lit, pour faire beaucoup d'espace; ce qui détermine aussitôt l'intrépide Comtesse à faire face, au lieu de continuer en levrette comme on a débuté. Pour lors, commence entre l'envoyé de Mad. Durut & la brûlante Comtesse l'un des plus vifs assauts qu'ait jamais soutenus cette couche, même après avoir supporté, comme on sait, Mad. Durut sous le terrible Trottignac. Ce fameux déjeuner du bijou d'or s'est déjà répété coup sur coup quatre fois, avant qu'il y ait eu un moment où l'on ait pu demander au prodigue pourvoyeur comment il se nomme.--Au nom de Ribaudin, enfin prononcé avec une ronflante basse-taille, un saint respect saisit la Comtesse. Quelqu'un du même nom lui fit jadis des choses si surprenantes que, se sentant dans les bras d'un individu de la famille, elle ne peut plus savoir pour combien de tems encore elle en a, avant d'être quitte de cette téméraire débridée. Mons Ribaudin semble s'être fourré là pour la vie. Il cogne, recogne, éjacule, baise & jure: il pille, au delà de la Comtesse, les charmes découverts que les jolis doigts de la Fée ont cessé d'occuper quand elle a volté. C'est maintenant une paire de larges mains qui les couvre & les agace, toutefois avec l'attention de ne point les blesser... Qui verrait, après l'affaire, quelles traces mousseuses souillent le bord de ce pauvre lit, croirait que dix victimes ont été coup sur coup immolées à la même place.--Lecteur? cet athlete gigantesque ci-devant Abbé de l'ordre de Saint Bernard, & le neveu d'un digne oncle dont la petite Comtesse peut & doit conserver de charmans souvenirs; cet ex-moine, ce Goliath de Lampsaque était alors Capitaine de grenadiers dans la garde nationale de Paris. = Comment cet immonde avait-il pénétré dans l'hospice sacré des Aphrodites?--C'est ce que peut-être je vous dirai plus tard... Mais portons nos regards ailleurs.

QU'ON ME CHANGE CES TÊTES. TROISIEME FRAGMENT.

Certain étranger, arrivant de l'Isle de Bourbon, avait mis pied à terre, à Paris, chez Mad. Durut qui y fait tenir, comme on sait, un hôtel garni.--Le lendemain, ce Voyageur fit prier notre amie Durut de vouloir bien venir elle-même lui parler. Elle eut cette complaisance: voici quel fut leur entretien.

L'ETRANGER, MAD. DURUT. l'Etranger.

Je suis bien votre serviteur, ma chere Dame. Il faut que vous soyiez connue dans les quatre parties du monde, car c'est à l'Isle de Bourbon qu'un individu qui habitait ce lointain séjour depuis douze ans, a appris le nom & la demeure de l'illustre Madame Agathe Durut.

Mad. Durut.

Je n'aurais jamais imaginé, Monsieur, que ma renommée se fût envolée si loin. Pourtant, avant que je m'en félicite, il est bon de savoir si c'est du bien ou du mal qu'on se donne la peine de dire de votre servante, au delà des mers?

l'Etranger.

On n'y a fait devant moi que votre éloge: & ce qui vous le prouvera, c'est que je viens vous offrir ma confiance pour une affaire du plus grand intérêt, d'où peut dépendre le bonheur ou le malheur de ma vie.

Mad. Durut.

Comment pourrais-je....

l'Etranger.

Daignez m'écouter.--Vous connaissez, dit on, tout Paris? & surtout les gens du haut parage?

Mad. Durut.

Tout Paris, c'est beaucoup dire: j'avoue pourtant d'y connaître infiniment de monde....

l'Etranger avec intérêt.

Et de ce nombre, Madame, y aurait-il, par hasard, quelqu'un du nom de Limefort?

Mad. Durut avec feu.

Limefort! vous ne pouviez vous adresser mieux. Tous les Limefort sont de ma connaissance: & de plus, bien particulierement.

l'Etranger.

Il s'agit pour moi d'avoir un éclaircissement de la plus grande importance avec celui qui se nomme Roch, Balthasar, Marcel...

Mad. Durut, à part.

C'est le Marquis. ( moment de silence. )

l'Etranger.

Eh bien, Madame?

Mad. Durut, observant & hésitant.

Monfieur... si vous arrivez dans notre Paris pour avoir avec ce galant-homme... une affaire... ou quelque procès... je ne le connais pas.

l'Etranger.

Soyez sans inquiétude. Ce dont j'ai le dessein de l'entretenir n'aura, ( en soupirant ) je crois, pour lui, rien que d'agréable.

Mad. Durut.

Eh bien, Monsieur, je connais donc votre Roch, Balthasar, Marcel, Marquis de Limefort. Le pauvre cher homme! ( l'étranger se trouble ) il a dans ce moment-ci bien de l'affliction....

l'Etranger plus troublé.

Que dites-vous?

Mad. Durut souriant.

Laissez-moi donc achever.--Et bien du plaisir.

l'Etranger à part.

Ouf! -- ( à Mad. Durut ) Parlez sans énigme, ma chere Mad. Durut.

Mad. Durut.

C'est qu'il avait une femme. -- ( l'étranger tressaille. ) Elle vient de mourir.

l'Etranger, à part.

Je respire.

Mad. Durut.

Vous concevez bien qu'avec un bon cœur, on éprouve toujours....

l'Etranger avec crainte.

Il l'aimait beaucoup, apparemment?

Mad. Durut.

Oui: par reconnaissance. ( a ) Elle était extrêmement riche.

l'Etranger.

Eh bien?

Mad. Durut.

Eh bien, Monsieur; il hérite de tout. ( Mad. Durut remarque que l'étranger apprend cette nouvelle d'un air bien indifférent. )

l'Etranger.

Comment existe-t-il ce Marquis?

Mad. Durut.

Lui! c'est un bon vivant, plein d'honneur; fou de plaisir... aimant les femmes, & fait pour elles... Ah, Dame! c'est sur l'article, un démon. Buvant sec, toujours le petit mot pour rire; caustique en diable avec les gens qui ne lui plaisent point; généreux comme un Roi depuis qu'il est devenu riche...

l'Etranger.

Riche! je suis faché qu'il le soit.

Mad. Durut.

Comment, Monsieur! vous voudriez donc du mal à un homme que je viens de vous donner pour l'un de mes meilleurs amis!

l'Etranger, souriant.

Moi! lui vouloir du mal! non, non, Madame...

Mad. Durut.

Et cependant son opulence ne vous réjouit pas?

l'Etranger, gaiment.

C'est mon secret.--A bon compte voudriez-vous bien me procurer un tête-à-tête avec M. de Limefort?... chez lui... chez moi... comme il voudra.

Mad. Durut défiante.

Vous allez un peu vîte: quoique fort amie de votre homme, j'avoue que je ne suis pas trop sûre de mettre à l'instant la main dessus...

l'Etranger.

N'est-ce pas Paris qu'il habite?

Mad. Durut.

Assurément: mais c'est que tous ses pareils viennent de se mettre à la fichue mode d'aller sur les bords du R hin ( a ) joindre l'armée de nos Princes émigrés: Quand je dis leur armée; ils n'en ont point, nous le savons: n'importe ils font fierement semblant d'en avoir une, & de vouloir faire des merveilles avec: va-t en voir s'ils viennent.--Il s'agit donc de savoir si l'ami Limefort n'a pas donné, comme un autre, dans cette bosse...

l'Etranger.

Vous me percez le cœur.--Informez-vous du moins où l'on peut lui écrire,... ou le joindre, cela vaudrait mieux: oui, j'irai s'il le faut... ( avec tristesse ) j'avais une charmante espérance: d'un mot vous avez tout gâté.

Mad. Durut.

Là là, ne vous attristez point trop avant d'être plus au fait. J'ai quelque pressentiment de n'avoir que d'heureuses nouvelles à vous rapporter du message que je vais faire à l'heure même. ( Durut se leve. )

l'Etranger, la reteuant. )

Un moment.--J'ai quelque chose encore à vous dire avant de nous séparer... Mais voyez si personne n'est à portée de nous entendre...

Mad. Durut.

Nous avons le sallon entre nous & les gens...

l'Etranger.

N'importe...

Mad. Durut regardant.

Il n'y a personne... mais, pour plus de sûretê, je vais fermer là bas...

l'Etranger.

C'est bien fait. -- ( Durut va tourner en dedans la clef qui ferme l'anti-chambre, & revient. )

Mad. Durut.

Nous voici bien seuls. ( Elle ferme. )

l'Etranger.

( Prend alors une main de la bonne Durut, & l'apportant sur la poitrine... cette main touche une paire de tetons encore assez agréables. ) Je suis femme...

Mad. Durut, surprise.

Je m'en apperçois.

l'Etrangere, ( rassise. )

Et j'aime le plaisir à la fureur.

Mad. Durut, ( rassise. )

C'est parler cela.

l'Etrangere.

Comme on le doit à quelqu'un dont on a la meilleure opinion. Or, ne voulant pas me répandre ici beaucoup avant d'avoir mis en regle quelques objets de fortune & d'autres intérêts; bien avertie d'ailleurs que l'excellente Agathe est une femme de ressource, discrete, infiniment adroite à servir ses amis; moi qui veux absolument en être... ( elle met en même tems une bourse assez lourde dans la main qu'elle vient de prendre à Mad. Durut. ) Je la prie, sans rougir, & sans craindre de l'offenser, de me procurer un joli jeune homme...

Mad. Durut, ( souriant. )

Cela se peut...

l'Etrangere, ( avec émotion. )

Vous êtes une bonne amie! mais choisissez le si jeune & si joli que je puisse l'avoir près de moi sous l'habit de femme, & qu'il représente, à s'y méprendre, une fille que j'aurais la fantaisie d'entretenir: car, aussi longtems que je porterai des culottes, je dois me garder de me faire prendre pour un de ces Messieurs. ( elle montre ses manchettes ) Lorsque je reprendrai le costume de mon sexe; eh bien, on verra ma semblable: plus d'indécence: qu'en dis tu?

Mad. Durut.

Votre franchise exige tout mon intérêt, & votre générosité tous mes services. Cependant gardez cet or, il ne peut encore m'appartenir. ( elle veut rendre la bourse. )

l'Etrangere, refusant.

Non, non, ma chere: c'est un faible àcompte pour le trousseau du petit être que tu peux me destiner. Ensuite ce sera mon affaire de proposer à cet enfant un arrangement convenable. ( avec feu. ) Va, cours, mon essentielle amie. Songe que te voilà confidente de tout ce qui m'intéresse le plus au monde, & que tu es devenue l'arbitre de mes destins. Songe que tu vois une femme brûlante, accoutumée là-bas au plus succulent régime, & qui pourtant, depuis qu'elle a mis le pied sur le vaisseau....

Mad. Durut.

Mais! écoutez donc: En attendant la demoiselle de compagnie, & même sans préjudice, rien n'empêcherait qu'un beau, grand & rablé valet-de-chambre, écuyer, comme vous l'entendriez....

l'Etrangere.

Fi, fi donc. -- J'ai jusqu'ici ( la gorge ) de ces grossieres jouissances. Je ne reviens pas à Paris pour y reprendre le train de l'isle de Bourbon. J'ai juré la réforme. Si je me suis courageusement privéededeuxNegresquivalaientun million, ce n'est pas pour retomber dans la crapule avec les Pasquins de votre capitale. Il est tems que je devienne sage, ma chere Durut.... à trente quatre ans....

Mad. Durut.

Qu'est-ce que cela! j'en ai bien trente-six, moi qui vous parle! & Dame! Dieu sait que je n'en donne pas encore ma part aux chiens....

l'Etrangere, souriant.

Ce serait en effet dommage.--Cependant j'en aurai tout assez avec ce dont je t'ai priée: pense seulement que j'en ai le plus urgent besoin.

Mad. Durut.

Avant trois heures, à compter de cet instant, vous serez servie...

l'Etrangere, enchantée.

Tout de bon?

Mad. Durut.

Et ce sera, je me flatte, au-delà de votre espoir...

l'Etrangere, avec passion.

Embrasse-moi, ma chere bien-faitrice. ( Elles s'embrassent. ) Ah! je vois bien qu'on ne m'a rien dit là bas de toi qui ne soit encore au dessous de ce que tu mérites.

Mad. Durut.

Vous me gâtez. Adieu, je vole pour vous.

l'Etrangere.

Adieu, mon cœur. ( Elles se quittent. )

Quel dommage que le Roman ne soit pas notre genre! Comme nous pourrions nous délecter à conter dans un bon gros volume les étonnantes aventures de cette Etrangere si brûlante, si aguerrie, qu'on voit déjà n'être pat dans une situation ordinaire. Quelle riche matiere pour de ronflantes périodes bien morales, bien oratoires! pour des tableaux d'un beau brun foncé, vivifiés parci, par-là, d'éclairs de scandale & d'indignation ! Mais, quoique nous allions volontiers terre à terre, étant incapables des sublimes élans de nos modernes inspirés ; comme nous ne laissons pas d'embrasser dans nos fragmens profanes, un fort grand nombre d'individus, il nous est impossible de citer à propos de chacun, même en abrégé, tout ce que son histoire particuliere peut offrir d'intéressant ou de bisarre. D'après les scenes que nous allons esquisser, quelque amplificateur (qui devinera tout ce que nous n'aurons pas dit) sera bien le maître de traiter notre sujet dans le goût à la mode; c'est-à-dire, sous le point de vue des mœurs, & surtout avec égard à la nécessité de multiplier les feuilles, afin de donner une certaine valeur à son ouvrage. D'ailleurs, en nous copiant, il trouvera moyen encore de faire du neuf, la catastrophe que nous avons à décrire ayant un beau côté sentimental, qu'il est infiniment aisé de rendre larmoyant à mériter tous les suffrages. Ah! nous le répétons: que n'avons-nous un certain talent avec lequel ce qui, traité par nous, ne sera que comique & ridicule, serait susceptible de devenir, une belle horreur, bien criminelle, tragique au besoin, & qui pourrait arracher, aux lecteurs purs, d'admirables déclamations contre la perversité de cette fin de siecle ! Nous, steriles dans ce genre si digne d'éloge, nous qui rions sottement de tout, nous allons nous borner modestement à rapporter, au sujet de l'Etrangere, ce qu'il est indispensable de savoir afin de comprendre quelque chose à ce qu'on verra bientôt se passer entre elle, Limefort, & les accessoires de leur imbroglio principal.

Un adolescent joli comme l'amour, fait comme Antinoüs, ardent pour les femmes, & soutenant cette passion, des plus recommandables moyens de les servir, Limefort, en un mot, (d'ailleurs, peu riche au tems dont on parle à présent, car il dépendait alors d'un pere avare, sans entrailles ( a ), qui ne lui donnait que tout juste de quoi se soutenir dans les Mousquetaires) Limefort, dans cette étroite position, se consolait au moyen du travail, lisant, écrivant, &cultivantlesartsagréables.Ilétait très bon Musicien, & dessinait avec grace. A la faveur de ces talens il était reçu dans plusieurs maisons plus ou moins austeres, dont les portes ne se fussent point ouvertes (du moins le jour, au simple Plumet, & sur-tout au Mousquetaire noir... Au nombre de ses plus intimes connaissances étaient deux Dames, mere & fille, la premiere étourdie par nature & par ton, poëte assez ridicule, catin suranée, qui depuis 18 ans, ne s'en croyait toujours que 18: la seconde, désirable jouvencelle, pleine de sens, peignait avec un vrai talent; elle avait de plus dans le cœur les germes de tous les jolis vices qui sont de la compétence du beau sexe.--On pourra juger du dégré d'esprit fort & d'imprudence de ces amies (c'était leur mot) quand on saura que la Mere trouvait très bon que Mlle Fleur, ( a ) qui se consacrait au genre de l'histoire, étudiât d'après la nature vivante & le nud.--Il prit soudain à l'ingenieuse Fleur l'envie de peindre la mort d'Adonis. Mad. Hanneton ( b ) goûta d'autant mieux cette idée poétique qu'elle même avait eu le projet de chanter cette catastrophe dans un petit poëme ou tout au moins dans une héroïde. Comme en fait d'arts.... ... alterius ... altera poscit opem, res, & conjuvat amice. (a) le feu d'une imagination embrasant nécessairement l'imagination voisine, Mad. Hanneton ne douta plus que, du concours de sa propre inspiration & de celle de sa fille, il ne résultât deux chef-d'œuvres. D'ailleurs, la Muse s'était soudain frappée d'une double convenance où l'art & la décence trouvaient leur avantage à la fois. Il était tout simple qu'elle servît de modele comme Venus, & l'ami Limesort, comme le héros de la déplorable aventure. Il allait être charmant de pouvoir, à l'insçu de l'univers, produire d'aussi belles choses entre soi. Tandis qu'on était de cette folie dans la maison de Mad. Hanneton, Monsieur courait le monde, possédé du goût de la botanique, herborisant par monts & par vaux; ayant plus d'une fois franchi nos frontieres & même les mers, à la piste de quelques especes qu'il était au désespoir de ne connaitre que par les livres.--Sur ce pied, les dames étaient parfaitement maîtresses de leurs actions; Mad. Hanneton, effet à-peu-près verreux, mais qui avait encore un peu de cours sur la place des très jeunes gens, (faciles en affaires comme on sait & fort économes de protêts) Mad. Hanneton s'enfermait souvent avec le complaisant Limefort. Il lui aidait, disait-elle, à trouver la rime; mais, au vrai, leurs fréquens à parté n'aboutissaient qu'à perdre la raison. C'est peut-être à cause de cela qu'il n'y avait ni rime ni raison dans les poésies de la chere Dame. L'obligeant Limefort eût sans contredit beaucoup mieux aimé l'emploi d'entretenir la palette & de nettoyer les pinceaux de l'aimable Fleur, à laqu-elle il accordait bien volontiers l'amoureux hommage qu'un grand œil noir brulant & mille autres charmes semblaient exiger; mais alors il était encore trop jeune Mousquetaire pour cesser d'être timide: d'ailleurs Fleur, à 17 ans & maniant les crayons depuis l'enfance, n'avait encore de passion que pour son art. A peine commençait-elle à se sentir piquée d'une espece de préférence qu'un charmant garçon semblait donner à Mad. Hanneton, chez qui, sans être artiste, il devait s'appercevoir qu'il n'existait plus ni belles formes, ni fraîcheur.... Cher Lecteur? j'allais, sans y faire attention, tomber dans la faute que plus haut j'ai dit vouloir éviter, & je m'embarquais insensiblement sur le courant d'une tortueuse Nouvelle. N'ayez pas peur; je ressaute sur le rivage; & vous n'essuyerez point la corvée d'un Roman.--Le tableau d'Adonis expirant eut lieu: Mad. Hanneton eut la gloire de poser en façon de Vénus. Vous imaginez bien que la jeune Artiste eut beaucoup de peine à se garantir de copier ce qu'offrait avec autant de confiance que d'amourpropre la postiche Divinité? quelques études secretes, faites sur elle-même avant de se mettre au travail, orientaient bien mieux son talent, & lui fournissaient les plus heureuses réminiscences. Aussi la chere Mere était-elle dans un complet enchantement. Quant à Limefort, Adonis incomparable, il remplissait l'objet à tourner les têtes de ces deux êtres ignés qui, huit heures chaque jour, s'enivraient du moins scrupuleux étalage de ses formes parfaites. Cependant, quelqu'intérêt qu'eût Mad. Hanneton à ne pas perdre un seul moment de ces délectables séances; en dépit de la décence qui commandait encore qu' une Mere fût toujours là, par fois un éclair de verve faisait éclore dans le cerveau de la Muse quelque vers heureux qui pouvait prédire l'accouchement prochain d'une tirade tout entiere. Alors il fallait bien s'arracher malgré soi; courir au secrétaire; s'enfermer avec le génie, de peur que la moindre distraction ne l'effarouchât & ne le fît s'envoler... Ce fut à travers des conjonctures si favorables à l'espiéglerie du Sieur Cupidon, que celui-ci se fit un point d'honneur d'égarer la jeune Dibutade & son trop discret modele. Séduit le premier comme de raison, l'ardent Limefort ne pouvait plus rester en place dès qu'il se trouvait tête-à-tête avec la desirable Fleur: grandes contestations entr'eux d'abord, avant qu'il n'obtînt qu'elle quittât dans ces heureuses occasions la contrariante pallette: insensiblement ce fut avec moins de peine, bientôt volontiers, bientôt sans qu'il fût besoin de la moindre priere: en un mot, ce fut enfin à qui des deux in petto soupirerait le plus, pour que la Maman fût souvent agitée de son Démon versificateur... Il résulta de tout ce galant tripotage.... un enfant.

On ne pensait plus gueres au studieux Papa; peut-être était-il aux Antipodes: mais, voilà que sans avoir dit gare, il tombe comme une bombe au milieu de son Parnasse domestique... Un valet effarouché n'ayant pas eu la présence d'esprit de prévenir les Muses, elles sont surprises au fort de la plus intéressante situation. Dans ce moment, Venus chatouillant du bout de ses pendillantes mamelles le sein d'albâtre de l'expirant Adonis, cherchait encore à lui souffler, dans un divin baiser, une ame nouvelle. M. Hanneton, gentilhomme assez mal appris, nullement poëte, nullement homme du monde, & qui n'a pas même la docile pusillanimité d'un Savant, M. Hanneton s'avise de prendre la chose de travers; pour la premiere fois de sa vie il vient à s'imaginer que son honneur peut-être, est même de plus loin, griévement compromis. Il s'emporte, il jure, il s'égare au point de frapper, comme un autre Diomede, Venus qui n'hésite pas au surplus à lui jetter au visage des griffes un peu moins douces que les doigts d'une Divinité. Par malheur, Adonis, à travers sa prompte toilette, se trouve atteint de quelque éclaboussure, mal en prend à l'imprudent Vulcain. On le rosse, & voilà notre Olympe en raccourci, devenu le théâtre d'un combat très vif, mais qui par bonheur ne passe pas les bornes du comique, & dont le plus grand inconvénient est que tous les gens du logis en sont témoins. Les vitres ainsi cassées, & ces têtes, les plus mauvaises de Paris, ne faisant respectivement rien de ce qui pourrait civiliser la ridicule aventure, elle a bientôt dans le quartier tout l'éclat possible. Pour surcroît, l'état de la coupable Fleur vient enfin à être découvert, & M. Hanneton fait la sottise d'intenter un procès, afin que Limefort lave son injure en épousant. Il arrive delà d'abord que le pauvre Adonis est mis provisoirement à S. Lazare de la part de M. son Pere: ensuite, que, le mariage n'étant nullement sortable & l'obstiné Botaniste refusant, comme un sot, de raisonnables dédommagemens, l'engeance chicaniere, pour qu'on soit délivré de lui, s'avise d'une diversion. Il a déjà mis, avec esclandre, sa femme au couvent; elle s'est pourvue en séparation pour cause de violences; on la soutiendra: de plus, comme il ne mit de sa vie de l'ordre à rien; comme, pour courir les champs, il a laissé ses affaires très embrouillées; comme Mad. Hanneton les a, depuis, empirées de son mieux, on éveille ses créanciers; ils se liguent, l'attaquent, mettent le feu aux quatre coins de sa mince fortune, lui serrent le bouton & le forcent enfin à déguerpir. Il pourra désormais herboriser tout à son aise sur la vaste surface de notre boule terraquée.

Pendant que le diable faisait ainsi des siennes chez l'imbécille Hanneton, la pauvre Fleur gémissait prisonniere & cruellement traitée dans la maison paternelle. Quand il fallut en sortir, une sage femme intrigante la reçut chez elle: cette commere s'intéressa tout de suite auprès de quelques Béates de la Paroisse, & se fit à elle-même un certain bien en quêtant des secours pour sa malheureuse Pensionnaire, qui à la fin accoucha. Dans cette conjoncture, Mad. Secret fait pour le mieux, l'enfant est placé; la mere, soignée. Lorsqu'enfin celle ci touche à son entier rétablissement, il s'agit d'aviser pour elle aux ressources Mad. Secret dit bien un mot, en passant, de celles que procure infailliblement ce tant doux péché qui..... Mais, au premier mot, la convalescente a froncé le sourcil.... ce n'était donc que par prétérition & pour mettre Mademoiselle en garde contre le piege des plus séduisantes apparences, que la sage femme avoit fait mention de cette horreur : cependant, elle est bien aise d'avoir sans dessein acquis une preuve du vrai retour à la vertu, de la délicatesse, de la piété que garantit une répugnance aussi marquée pour ce dont tant de femmes fragiles, une fois qu'elles sont tarées, font volontiers leur pis-aller. Mieux vaut en effet moins d'aisance, moins de plaisir, & plus de repos intérieur, plus d'estime de soi même & de certitude du salut. Sur ce pied, c'est la vie religieuse qui convient uniquement à la nouvelle Madeleine. Bientôt Mad. Secret a trouvé, comme par la grace particuliere de Dieu, certaine communauté où, pourvu que le passé ne puisse être découvert, on recevra, sans dot, une personne honnête, ruinée par des malheurs & qui peut être utile par son éducation & ses talens. --A cette offre l'infortunée Fleur s'entousiasme; c'est le Ciel qui s'explique sans détour; elle ne saurait assez tôt voler où ses décrets l'appellent, la pieuse clôture sera pour elle le Port du bonheur. Il lui tarde d'arborer la guimpe propice; Ses seuls jours languissans, malheureux seront ceux d'un inutile Noviciat qui, loin d'éprouver, ne fera qu'enflammer davantage une vocation émanée d'en haut. Elle part; elle est agréée, tondue, guimpée; le plus tôt qu'elle peut, elle prononce les vœux terribles & solemnels. Jesus-Christ n'a pas une plus ardente épouse; ni le directeur une plus vetilleuse, une plus importune Pénitente. Pour peu que cela dure, il faudra que Mère Conception obtienne toute vive du S. Pere un brevet de sainteté.

Mais hélas! quel besoin a donc cette créature à-peu-près céleste de la funeste intervention d'un Pere Anaclet! Pourquoi ne prévoit elle pas les dangers de sa trop fréquente communication avec une grosse figure de Cordelier, aux impurs élémens, qui vont vicier l'athmosphere d'amour divin, dont l'esprit-saint a fait à cette élue la grace de l'entourer! Quel malheur! quel sacrilege! à la longue un homme bien terrestre, bien lubrique, jou{?}iu, vermeil, carré, pectoré, musculeux, au lieu d'affermir la dévotion de notre fervente None, la corrompt, l'égare, & lui fait... enfreindre le plus important de ses vœux: la détournant en un mot tout-à-fait des voies du salut, il la ramene grand train sur le penchant rapide qui conduit à coup sûr aux éternels abîmes de l'enfer. Dès lors Mere Conception déteste un état ci-devant chéri. Elle abhorre ses sermens & ses chaines. Son consolant, son infatigable Pere spirituel meurt, on ne sait à propos de quoi, si ce n'est peut-ètre des fatigues de sa direction fortunée, car plus d'une révérende Mere avait part à l'extension abusive de ses onctueux devoirs. Pour comble de malheur, un noble Poupet, épaulé par des Douairieres de Versailles, à peine sorti du Séminaire, frêle, grêle, blême, à la poitrine délicate, vivant de pâte de guimauve & de sirops, succede, contre le vœu de tout le Couvent, au personnage le plus essenciel! On enrage: un désespoir secret s'empare de plusieurs: la révérende Mere Conception est la plus outrée: il se prépare une révolution; on se conjure: notre Héroïne est à la tête & souffle l'exaltation dans les cœurs trop lents à s'empassionner d'audace & de liberté. Bref, une belle nuit le feu prend aux quatre coins du saint bercail... C'était en Province & même dans une garnison.--Au premier son de la cloche d'allarme, les secours volent de toutes parts..... Mais, puisque c'est aux Ursulines qu'est arrivé le malheur, chaque jeune Officier, sans s'être concerté sur ce point, s'apprête à diriger sa pompe vers de petits foyers particuliers où sans doute un secret incendie, quoiqu'à petit bruit, doit faire de bien plus intéressans ravages. L'ost du Seigneur est bientôt pris d'assaut par cette bouillante Jeunesse.... O prodige! ô bonheur! la premiere victime que le désordre général livre au cher Limefort, l'un des héros de l'aventure... c'est Fleur! c'est Mere Conception qu'il n'aurait garde de reconnaître, mais qui l'a reconnu de dix pas; qui se précipite dans ses bras, qui l'étreint, l'adore, le dévore & le conjure de l'enlever, s'il ne veut qu'à l'instant à ses yeux elle courre se précipiter dans le plus terrible des brasiers qui consument à l'envi la sainte Maison. S'il hésitait, elle serait assez folle pour exécuter ce dont elle le menace; l'humanité triomphe. Il vient à bout, non sans peine, d'escamoter, à la faveur d'un chapeau d'uniforme & d'un manteau verd, sa conquête déguimpée qu'il emporte criant que c'est un camarade qui vient d'être blessé par la chûte d'une poutre, & dont l'état exige un prompt secours. Comme en même tems tout se consume ou s'écroule autour d'eux; comchacun pense à soi, ne s'amusant gueres à contrarier les autres, Mere Conception, dragon impromptu, & nombre d'autres, par différentes ruses, sont arrachées de leur odieuse prison. Un tiers du Couvent prend ainsi son essor: tout le reste à-peu près est plus ou moins pollué, ou se désespere de n'avoir aucune part aux bénéfices de cette indulgencepléniere. Cette nuit fameuse, cher Lecteur, fut, pour notre criminelle autant qu'heureuse héroïne, l'époque d'un nouveau titre à la maternité.--Cependant le lendemain, les têtes sont un peu réfroidies, on tâche de rassembler les Nones dispersées; leurs galans ravisseurs sont en quelque façon priés de les rendre telles qu'elles se trouveront; plusieurs de ces ex-vierges reparaissent d'assez bonne grace. Quelques-unes forcent à ce qu'on les ramene d'autorité... Mais une sur-tout, une seule ne peut risquer de rentrer... plutôt mourir. C'est Mere Conception, c'est celle qui d'une main scélérate a porté de sang froid la flamme dans le grenier à foin. Mille voix publient déjà son crime: mille tourmens l'attendent, ou peut-être la mort... Et bien s'il faut périr, que je périsse libre, dit-elle, je ne me recloître plus. On sent ce que tant de courage doit donner d'embarras à l'humain, galant, mais par trop imprudent receleur. = Me sauver, ou m'égorger, ou me voir prendre moi même cette peine. Je ne te laisse que deux jours pour le choix. = Elle n'a pas d'autre refrain. Cependant le tems coule & les délais se multiplient. Au bout d'un mois, Limefort, clairement averti de l'honneur qu'il a d'être Pere pour la seconde fois, sent plus douloureusement les épines mêlées à sa couronne de roses, & pourtant il n'a pris encore aucun parti décisif. La None commence à le presser, elle craint également ou qu'il ne vienne à perdre la tête, ou qu'il ne médite peut-être quelque trahison. Il en est pourtant bien incapable: les précautions qu'exige la prudence sont méconnues par une créature violente qui les prend tout au moins pour une conduite molle, si elles ne sont pas un indice d'ingratitude & de manque d'attachement.

Une nuit, pendant que Limefort était de service, son amante, sa Furie a disparu. = Comment? pour aller où?--sans argent! sans hardes! S'est elle peut-être donné le coup de la mort? ou jettée dans la riviere qui coule sous les fenêtres de sa chambre écartée? Sur tout cela, pas l'ombre d'un éclaircissement pendant treize ans.

Cette cruelle incertitude a causé sans contredit à l'honnête ravisseur un chagrin bien vif & de longue durée. Cependant, il servait, il voyageait, il est beau; des femmes le distinguaient, s'emparaient de lui, l'occupaient &, sans de grands efforts, accumulaient de jolis souvenirs sur celui déchirant de Mere Conception, si aimante, mais si folle & si dangereuse: avouons qu'au bout de trois ans il n'y pensait plus.

Faut il ajouter, Lecteur, que l'Etrangere qui déjà par les soins de Durut, s'est abouchée avec le Marquis de Limefort, c'est notre Démon guimpé, notre Erostrate femelle? Avouez que vous l'aviez deviné?

QUELS JEUX DU SORT! QUATRIEME FRAGMENT. La Scene est à l'hospice, chez Mad. Durut. LE MARQUIS DE LIMEFORT ( a ), MAD. DURUT. Le Marquis, entrant & avec humeur.

Bon jour, Durut.--Que cinq cents mille diables puissent emporter ton habitant de l'Isle Bourbon & la mission indéchiffrable dont cet original s'est chargé. je le vis hier pour la troisieme fois, & j'en suis encore à savoir ce qu'il me veut.

Mad. Durut.

Te voilà d'une belle colere.

Limefort.

A quoi doit enfin aboutir cet éternel rabachage au sujet de Mlle Fleur, jadis peintresse, depuis religieuse, ensuite errante & enfin établie à deux mille lieues d'ici?--Elle y a fait fortune, dit-on? Grand bien lui fasse.--Je lui ai fait, à différentes époques, deux enfans.--A la bonne heure: je ne disconviens pas d'avoir fait ce qu'il faut pour cela. Mais sait-on jamais au juste....

Mad. Durut.

Oui, certes: Qu'on est l'en... en...fant de quelqu'un. ( Elle a contrefait Brid'oison dans la folle Journée. )

Limefort.

Quelle bisarrerie, de prétendre que je dois m'évertuer à rechercher cette marmaille.--Qui sur la terre pourrait me donner le moindre indice, d'abord au sujet du premier enfant né pendant que j'étais en prison à S. Lazare pour ma récompense de l'avoir fait...

Mad. Durut.

Mais, parle donc sans t'essouffler mal-à-propos.

Limefort.

Tu en juges bien à ton aise; mais, quand tu sauras tout... Non: c'est pour mon tourment que l'enfer jetta un beau jour sur la terre un être qui devait influer en malheur sur tout le tems de ma vie.

Mad. Durut.

Voilà Monsieur veuf, jouissant de quarante bonnes mille livres de rente, à la fleur de son âge, bandant mieux que jamais, & pourtant il voudra qu'on le plaigne.

Limefort.

A tout le moins sans doute d'être cocu tout chaud de la part de Mlle Violette avec je ne sais quel bardache que ton indien maudit entretient sous la forme d'une maitresse...

Mad. Durut, avec intérêt.

La bonne folie! Conte-moi cela, Marquis.

Limefort.

Dès la premiere fois que je vis chez lui ton original protégé, j'avais remarqué certaine jeune personne de la plus séduisante tournure... Je ne savais où diable j'avais vu cette mine là. ( a ).

Mad. Durut, finement.

Par ma foi, j'ai cru moi même avoir vu comme toi cette jolie coquine je ne sais où.

Le Marquis.

Quoi qu'il en soit, c'est un garçon & j'en tiens de la part de ce Beau-fils.--Voici l'enclouure.--Pour mes péchés, j'avais mené mon prétendu Joquey avec moi lors de ma premiere apparition chez ton homme, voulant lui rendre savisite. Comme mon cabriolet était entré, je ne trouvai point mauvais que Violette quittât la voiture & montât à l'appartement.--Nous devions causer d'affaires secretes, l'indien maudit & moi: Mlle Béatrix avait donc été renvoyée...

Mad. Durut.

Aye, aye: j'entrevois ici du micmac.

Le Marquis.

Croiras-tu, ma chere Durut, que dès cette premiere fois il y eut entre nos subordonnés quelque petite infamie d'essayée! Le soir, Violette, croyant m'amuser infiniment, me raconta qu'à la faveur de son costume masculin elle avait donné bien de l'embarras à la maîtresse de notre homme, laqu-elle après s'être vigoureusement défendue, aurait pourtant fini par céder, si l'on avait eu de quoi pousser à bout l'aventure.. Ici je m'avisai de crier à la fatuité. Pour me prouver qu'on ne mentait pas, on me montra deux ou trois poils soigneusement recueillis dans un papier, & qui devaient être du cru de la Donzelle.

Mad. Durut.

Oh bien: dèslors tu en avais sur la tête, mon cher.

Limefort.

Laisse-moi t'achever le récit de ma sottise. Il me vint alors l'imbecille pensée qu'au moyen de mon entreprenant Joquey, je pourrais tirer, à Mlle Béatrix let vers du nez, & découvrir ainsi la vérité de plusieurs choses sur lesquelles il me semblait que l'Etranger s'enveloppait beaucoup trop dans la conversation. Violette alors d'accepter avec transport la commission, & même d'offrir d'aller furtivement à la piste, afin de nouer une intrigue en bonne forme avec les menuesjoies du sieur Vand'hour. ( a )

Mad. Durut.

Belle politique! après.

Le Marquis.

Au bout de trois jours, & c'était hier soir, ce n'est pas sans étonnement que, des mains de Violette, elle-même, je reçois un billet, de Vand'hour, dont la petite est sans doute bien éloignée de deviner le contenu. L'indien m'y priait de ne plus envoyer mon infame de Joquey, vu très distinctement en flagrant délit avec une domestique de l'hôtel... sans nommer qui.--Je me compose... = Quelle est donc, Violette, cette domestique avec qui l'on vous a vu tantôt? = Au lieu de conserver de la présence d'esprit, elle se trouble, elle balbutie.--Mais, bon ami! c'est avec Mlle Béatrix apparemment que je jouais... Ne m'avez-vous pas recommandé...--Assurément: mais vous êtes donc, en qualité d'amant, bien plus avancée dans vos affaires que vous ne me faisiez l'amitié de me le dire? = Le sérieux de mon ton, mon regard observateur achevaient de déconcerter la fausse innocente. Elle vient à penser que je suis instruit peut-être de tout... Elle tombe à mes genoux... pleure, sanglote, suffoque: = Eh bien?--Pardon, pardon, bon ami. C'est un malheur... mais c'est uniquement par ta faute... il s'est trouvé que... que...--Que?--Mlle Béatrix est un garçon &... comme je n'étais pas la plus forte...--Coquine? ai-je interrompu, feignant plus de colere que je n'en avais, & tu le sus pourtant, dès le premier jour, que c'était un garçon: ces poils? Et pourtant tu fus enchantée de la commission que je te donnais?...--Bon ami! pardon.

Mad. Durut.

Ainsi, dès cette premiere fois, Mlle Violette avait été baisée! Je m'en doutais.

Limefort, n'osant le nier.

Muette, écrasée, elle est tout-à-fait à terre privée de l'usage de ses sens: je la secours: je déboutonne tout ce qui peut la gêner. La curiosité me prend de voir le bas de son linge. Il est en effet souillé d'une ample & toute fraiche restitution, qui ne me permet aucun doute sur la nature & la fréquente récidive de ma duperie....

Mad. Durut, très joyeuse.

Tu ne saurais imaginer combien ton histoire a pour moi de piquant: combien elle m'amuse.

Limefort.

Va te promener: au lieu de me plaindre...

Mad. Durut.

Poursuis.

Limefort.

Il me restait cependant un scrupule: cette si jolie & si féminine créature,.. que je t'avoue n'avoir pas vu la premiere fois sans bander, je ne pouvais me persuader qu'elle fût mâle en réalité. „Violette, dans son égarement, aurait-elle mieux aimé se confesser d'une bonne fornication que de quelque tribaderie peut-être à laqu-elle elle attacherait plus de honte! „Elle est mieux: je la renferme & cours au même instant chez Vand'hour. De fortune il était sorti. Je demande Mlle Béatrix, sous prétexte que je dois faire savoir à son ami quelque chose d'important; & que je ne pouvais d'ailleurs repasser de toute la soirée. Je monte; je suis reçu. Galant un moment, bientôt je suis téméraire. On veut faire des façons, je leve alors le masque. = Pas tant de résistance, mon petit ami, dis-je d'un ton fort sec... il s'agit d'éclaircir... = Hélas! en même tems je sais tout... La postiche Béatrix perd la tramontane & se croit à sa derniere heure...

Mad. Durut.

Pauvre petit!

Le Marquis.

Mais admire, Durut, le charme du costume, ou plutôt l'aimant de cet âge équivoque qui sépare notre enfance de la puberté. La cuisse du petit drole est si douce...

Mad. Durut, contrefaisant.

Si douce!

Le Marquis.

Sa mine est si piquante; je crois même lui voir si bien un faux air de cette Violette, que tout de bon j'aime encore comme un fou quoiqu'elle m'ait attrapé...

Mad. Durut, s'impatientant.

Eh bien, eh bien?

Le Marquis.

Ma tête en un mot se trouve si fort montée...

Mad. Durut, interrompant.

Et le reste sans doute en si belle disposition, que tu le mets à la fausse Beatrix?

Le Marquis.

Ma foi, tu l'as dit.--Et cependant, ma chere Durut, je te jure que je ne suis pas Bougre.

Mad. Durut, ironiquement.

Fi donc! comment t'en soupçonner!

Le Marquis.

Tu sais l'horrible dégoût que j'eus toujours pour semblable vilenie, presque même avec les femmes.

Mad. Durut.

Dégoût, que pourtant, si j'ai bonne mémoire, tu surmontas avec moi même.

Le Marquis.

Souviens-toi que tu m'en priais.--Mais, pas avec une douzaine de plus.

Mad. Durut.

Excusez du peu!

Le Marquis.

Quant à cette derniere infamie, je veux dire avec un garçon: jamais cela ne m'était arrivé, je t'en donne ma parole d'honneur.

Mad. Durut.

Et... la donnerais-tu qu'à l'avenir...

Le Marquis, interrompant.

Ah! que la foudre m'écrase, si...

Mad. Durut, le faisant taire.

Chut.--Ingrat! tu allais outrager le plaisir.--Apprenez, s'il vous plait, M. le Marquis, (qui n'êtes pas Bougre) qu'en fait d'extravagance il ne faut jamais jurer de rien, & qu'il n'y a que les sots qui rompent de gaïté de cœur la moindre corde de leur arc. Ça? de la bonne foi, maintenant: comment t'es-tu trouvé de ce caprice?

Le Marquis.

Tu me railles, n'importe. J'avoue de ne pas m'en repentir; & de le compter au nombre de mes plus piquantes fredaines.

Mad. Durut.

Et voilà que je reconnais l'homme de bon sens; l'Aphrodite en un mot. ( On siffle. ) Quelqu'un survient: ( elle ouvre le cabinet où se réfugierent un jour Loulou & Zoé. ) Passe là dedans pour attendre, ou t'en aller si le tems vient à te durer.

Le Marquis.

J'attendrai, ne t'ayant pas dit la moitié de ce qui faisait l'objet de ma visite.

Mad. Durut, l'enfermant.

Eh bien, patience.

MAD. DURUT, VAN-D'HOUR. ( a ) Mad. Durut, très haut.

Ah! bon jour, M. Vand'hour.

Vand'hour, d'un ton véhément.

Bon jour, ma chere Durut, je suis dans une fureur... ( Durut lui fait des signes de silence que Vand'hour trop préoccupé n'interprete point.--Il prend brusquement un siege & se place. ) L'enfant que tu m'as procuré est un ange quant à la figure, mais un petit dépravé...

Mad. Durut, ( avec les mêmes signes. )

Calmez-vous de grace.

Vand'hour, allant son train.

Tu vas être indignée toi-même quand tu sauras que je l'ai vu... vu de ces deux yeux, qui faisait une chose horrible avec ce petit bandit de joquey, introduit chez moi par Limefort.

Mad. Durut, redoublant de signes.

Il faut être bien sûr de son fait avant de porter un jugement. Je gagerais moi...

Vand'hour, plus irrité.

Tu me ferais sauter par la fenêtre.--Je ne suis pas sûre peut-être que mon faux innocent agissait, que l'infame petit bardache l'endurait de tout son cœur! & je n'ai pas vu de plus qu'après cette saloperie digne du fagot, ils se sont dévorés des plus amoureuses caresses...

Mad. Durut, continuant ses signes.

Cela devait être bien intéressant: car il n'y a pas au monde un plus joli couple. Cependant je mettrais ma tête au feu qu'il y a dans tout ceci du quiproquo... ( Durut affecte encore plus. )

Vand'hour, avec humeur.

Mais que signifient donc ces mines, ces gestes & ces clignotemens perpétuels?

Mad. Durut, lui serrant la main.

Parlons... pour cause, avec modération... ( baissant le ton ) & plus bas.

Vand'hour, moins vivement.

Je ne croyais pas, Durut, que vous fussiez de cette indulgence pour la plus exécrable corruption.

Mad. Durut, avec impatience à son tour.

Oh! si vous le prenez comme cela, si vous ne voulez rien entendre à demi mot, il faut bien que je m'explique: ( presque bas ) le Joquey de Limefort est une fille... & ce que vous avez vu... était pat conséquent la chose du monde la plus naturelle...

Vand'hour, haut.

Je ne prends pas ainsi le change: & l'attitude...

Mad. Durut, bas.

D'une fille en culotte, qui ne peut mieux se poster qu'en se présentant en levrette...

Vand'hour.

Ah, Durut! que m'apprends-tu là... Me voilà bien plus malheureuse...

Mad. Durut.

( Se hâtant de lui serrer la main, & bas. ) Malheureux.... toujours malheureux. Vous êtes un homme, ( Vand'hour paraît stupéfait, ) homme, souvenez-vous en bien pour un quart-d'heure encore.

Vand'hour, très brusquement.

Ah! tant d'équivoque me passe & m'excede enfin. Quoi qu'il en soit, j'ai le cœur trop gonflé pour pouvoir renfermer ce qui l'oppresse... Durut! le petit ingrat m'est infidele! il a pu se communiquer à quelque autre que moi!

Mad. Durut, pliant les épaules.

De la jalousie!

Vand'hour, versant quelques larmes.

Je sens que j'aurais pu pardonner à ce sale caprice dont je m'étais fait illusion. Mais le Monstre!... J'égorge la petite scélérate...

Mad. Durut.

Chut. ( à part. ) Elle est folle!

Vand'hour, s'animant.

M'associer... une morveuse, qui n'a ni beautés formées, ni maturité de vocation & de moyens! (*) c'est exprès pour désespérer les gens que de pareils avortons se mêlent de foutre... au lieu de faire des poupées...

Tant de sottise & de ridicule met la bonne Durut hors des gonds... Elle ne peut se retenir de marquer par des gestes, presque impolis, combïen cet entretien l'embarrasse & l'obsede... -- Heureusement, un billet venu par le tour, ( dont chaque piece est pourvue ) tombe aux pieds de la surintendante & fait diversion:

Mad. Durut.

Vous permettez bien...

Vand'hour.

Un mot auparavant.--Je suis par malheur folle du petit gueux qui m'a trahie; &, pour m'assurer à jamais sa possession, dût-il m'en coûter le repos... peut-être hélas de toute ma vie qu'il pourra fort bien assaisonner de malheur... je suis décidée à l'épouser...

Mad. Durut, croisant les bras.

A l'épouser, M. Vand'hour.

Vand'hour, avec humeur.

Vand'hour, Vand'hour : Quittez, Mad. Durut, cette affectation qui commence enfin à m'offenser. Oui: je veux épouser, &, qui plus est, rendre maître de toute ma fortune très considérable ce funeste polisson dont vous m'avez fait présent pour que la tête me tournât...

Mad. Durut, sechement.

A votre aise, Madame.

Elle rompt le cachet du billet & lit: Vand'hour parcourt la chambre avec une pétulante inquiétude.--Cependant, en passant en revue avec distractîon quelques cadres égrillards suspendus aux panneaux de la boiserie, il chante une vieille chanson dont le premiers vers est:

Oui, vous en feriez la folie...

Durut, sa lecture achevée, prend un air recueilli, vient à Vand'hour; le saisit d'une main, & l'amene vers son siege: ils sont assis.

Vand'hour.

Oh, oh! Que signifie toute cette préparation?

Mad. Durut.

Que le Sort prend soin de vous & veut vous épargner d'insignes extravagances; il éclaire vos pas sur le bord d'un précipice où vous alliez vous jetter de gaîté de cœur... lisons ensemble cette lettre...

Vand'hour, ( ayant jetté les yeux sur la feuille. )

Lisez vous-même, cela est griffonné à faire horreur.

Mad. Durut, lisant.

„Oui, Madame: vous ne pouviez vous „adresser mieux pour savoir ce que sont „devenus, après leur naissance, les deux „bâtards de Lucette hanneton, de son vivant fille du sieur Gilles Hanneton, écuyer, & de Dame Nicole Foutin sa légiti-„me épouse. Ce fut moi-même, ma brave Dame, qui portai aux EnfansTrouvés, bon jour, bonne œuvre, la veille „de Noël 177... un marmot qu'avait pondu chez moi ladite Lucette surnommée „Fleur, déclarant qu'il était des œuvres „d'un Marquis désigné par ses noms de „baptême de Roch, Balthasar, Marcel... „Or, un Marquis! puisqu'on ne donnait pas „le nom de famille, il paraît que cette „brillante déclaration était une bourde...„

Vand'hour, se récriant.

Une bourde!... on saura bien prouver que c'était la vérité...

Mad. Durut.

Patience donc: & suivons la lettre. ( Elle lit ) „Comme je suis de Lorraine, l'idée me „vint de marquer l'enfant (avec de la poudre à tirer & de l'eau-de-vie) d'une croix „de mon pays, à deux branches, ainsi que „vous savez? C'était sous le bras gauche, „près de l'aisselle. L'enfant fut nommé sur „les fonts Bonaventure, Noël.... „( cessant de lire ) -- Je sais déjà maintenant où celuici se trouve.

Vand'hour, vivement.

Et vous me l'indiquerez?

Mad. Durut, souriant.

Rien de plus facile, assurément.

Vand'hour.

Quel bonheur! après.

Mad. Durut, lisant.

„Quatre ans plus tard, un jour que par „hasard je me rencontrais aux EnfansTrouvés, on y apporta une petite fille à peine „assez enveloppée pour ne pas mourir de „froid. A ses langes tenait avec une épingle, cette note: Mere, Lucette, Fleur Hanneton ; Pere, Roch, Balthasar, Marcel, Marquis... Sans autre nom encore. „Mais cette fois je ne sus où prendre la „mere. L'enfant avait été ramassé sur le „perron de l'oratoire, rue S. Honoré...„

Vand'hour, la larme à l'œil.

Funeste misere d'alors!... ô Providence! que ne te dois-je pas aujourd'hui!...

Mad. Durut, lisant.

„Si est-il, ma brave Dame, qu'au reçu „de la chere votre j'ai pris un fiacre & me „suis transportée à l'hôpital... Ah! j'allais „oublier de vous dire que dans le tems, on „nomma la petite, Madeleine Cœur, parce qu'elle était bien jolie: or, je proposai, „puisqu'elle était des mêmes Pere & Mere que Noël, qu'on la marquât de même, „ce qui fut aussitôt éxécuté. Je disais donc „qu'ayant reçu l'honneur de vos lignes, „j'ai couru m'informer de ce qu'il en était „des deux enfans en question. Il se trou-„ve qu'ils sont tous deux bien placés par „les soins du loyal & respectable M. Madré, l'un des inspecteurs, qui se fait un „plaisir de tirer de tems en tems de ce purgatoire quelques innocentes créatures pour „qui du pain & un métier sont le Paradis...

Vand'hour, avec impatience.

Que de verbiage! M. Madré aurait bien dû laisser mes enfans où ils étaient; où les trouver maintenant! Est-ce tout?

Mad. Durut, ployant la Lettre.

Quelque bavardage encore qui ne signifie rien & que Mad. Secret n'a pas trouvé bon de signer. Eh bien, Madame? car vous l'avez voulu: il ne sert plus à rien de faire semblant, (à cause de celui qui nous écoute ) d'entretenir M. Vand'hour... ( Elle va pour lors ouvrir la porte du cabinet. ) Paraissez, Marquis.

LES MÊMES, LE MARQUIS DE LIMEFORT Lucette, ( qui n'est plus Vand'hour. )

O ciel!

Limefort, d'un air triste.

J'ai tout entendu, Durut... Le Destin nous joue donc une piece sanglante... Violette a cette croix.

Mad. Durut, à Lucette.

Et Beatrix a la pareille, Madame. Il est votre fils... le Joquey Violette est sa sœur.

Lucette, criant & se bouchant les yeux.

L'horreur! ( Elle tombe sans connaissance. Mad Durut sonne pour Célestine qui va bien-tôt survenir.--Tout en aidant à donner du secours )

Limefort dit,

La malheureuse ne sent rien comme une autre... Quelque jour un excès de sensibilité la fera mourir subitement... ( silence. )

Mad. Durut, secourant.

Ce ne sera rien... la couleur reparaît, l'œil clignote & va se r'ouvrir... ( silence. )

Limefort.

Ces convulsions m'allarment...

Mad. Durut.

Elles annoncent au contraire le retour de la circulation. ( Silence. ) A bon compte, M. le Marquis, (qui n'êtes probablement pas plus paillard que bougre) vous avez eu votre fille & votre fils...

C'est le moment où Lucette reprenait l'usage de ses sens: elle est frappée des dernieres paroles de Mad Durut.

Lucette, repoussant Limefort.

Qu'ai-je entendu! crime sur crime! ôtetoi, monstre! ou plutôt... ( elle montre un poignard ) viens, que je t'apprenne comment on lave tant d'infamie, & suis mon exemple... Vois...

Mad. Durut & Limefort sont assez heureux pour prévenir le coup dont la délirante Lucette essayait de se frapper. Limefort arrache & jette au loin le poignard, qui va tomber aux pieds de Célestine comme celle-ci mettait le pied dans le sallon.

Célestine, d'abord assez effrayée pour qu'elle ait jetté un cri très vif, s'est bientôt non seulement rassurée, mais fort divertie des bisarres & ridicules chances, qui ont plongé jusqu'au cou dans l'inceste le Pere, la Mere & les deux enfans. De l'humeur dont elle est, tout ce culetage fortuit lui semble la plus drole chose du monde. Les anciens amans eux-mêmes (quoiqu'il n'existe plus entr'eux, surtout du côté de Limefort, l'om-bre de quelque sympathie), finissent par se sourire; se familiarisent avec l'idée de leur étrange position & conviennent qu'ils doivent remercier le Destin d' avoir tout fait pour le mieux à leur égard.

Maintenant, Lucette n'a plus besoin de soutenir sa métamorphose: graces aux ressources de l'hospice, elle est au bout d'un quart-d'heure dans le complet costume d'une femme; elle y paraît avec avantage & même un peu plus que desirable encore.

Cependant on est convenu de passer réunis le reste de cette mémorable journée. D'abord, on a fait entrer le Joquey-Violette, qui était quelque part à garder le cabriolet de Limefort. Violette, au premier moment, ne reconnaît pas, sous la nouvelle forme que sa mere a prise, le rébarbatif & courroucé Vand'hour. La petite jouit donc sans trouble des premieres caresses que lui prodigue une tendre & vive inconnue, la nommant sa chere fille, & lui ordonnant d'embrasser, sous le nom de Pere, celui que mille fois l'aimable enfant a baisé sous le nom d'amant. A bon compte elle ne sait pas trop ce que signifie cette scene extraordinaire.

Tandis que les choses se passaient ainsi dans l'hospice, une voiture volait vers Paris pour amener Belamour-Béatrix. On l'enleve: le pauvre petit avait craint au premier moment de se voir privé de son agréable poste, & rejetté dans l'obscurité du service domestique. Pendant le trajet il s'en était peu fallu qu'il n'essayât de s'enfuir à travers la campagne: mais il avait pourtant préféré de se confier au Destin. Etait-il d'ailleurs si malheureux dans son état de premier Camillon! & ne retrouvait-il pas, dans tous les cas, sa protectrice, la charmante Célestine! il est arrive: son étonnement est moins grand que celui de Violette quand il retrouve, sous des habits convenables, sa bien-faitrice, sa compagne de lit, M. Vand'hour. Il n'est frappé que de l'indulgence qu'on lui témoigne, quand il se croyait assez mal & dans les papiers du faux Indien & dans ceux du violateur Limefort; quoique celui ci se fût vengé de maniere à ne pouvoir plus garder rancune. Loin de là, c'est à qui le caressera davantage: les noms touchans de Pere, de Mere, de Fils, de Fille, de Frere, & de Sœur, voltigent de bouche en bouche, se confondant avec les plus tendres baisers.

A la suite de cette effusion de sentimens, on confie les jeunes gens à Célestine, afin qu'elle fasse revêtir à chacun l'habit qui lui convient. La friponne profite de cette occasion pour s'amuser un moment: elle va se payer de ses soins par la satisfaction d'un libertin caprice. C'est chez elle: Violette & Belamour y sont déshabillés & mis insensiblement en état de pure nature. Chemin faisant elle leur a défini, d'une façon burlesque, quels nouveaux rapports allaient exister entr'eux. D'abord, les bons enfans s'en désolent: ils trouveraient si doux de demeurer étrangers par le sang & à leur petit courant! Mais Célestine, accommodante casuiste, a bientôt fait de lever leurs scrupules. Bien plus, elle les engage fort à s'avoir en dépit de la fraternité, toutes les fois qu'ils pourront se permettre cette joie. Et, pour casser la glace tout de suite, elle fait de ses genoux une lice, sur laqu-elle l'ardent Belamour est soudain obligé de rompre une lance avec la divine petite sœur: Voilà, leur dit-elle, la plus douce & la moins chimérique de toutes les reconnaissances. Quatre glaces font écho, répétant, non le reproche, mais l'éloge de leur joli crime. Cependant l'ordonnatrice s'est tellement embrasée elle-même à ce spectacle, qu'il lui convient de faire appeller Fringante, pour la suppléer à la toilette ordonnée. Célestine, alors, va, toujours courant, supplier Alfonse (qui de fortune est dans l'hospice) de jouer pour elle à grands flots de sa pompe foulante, afin d'éteindre le feu dont son sang est dévoré.--Fringante, à son tour, ne viendrait point à bout de sa commission, si elle gardait ensemble les petits enragés qui, craignant de se trouver peut-être pour la derniere fois en bonne fortune, songent bien plus à se raccrocher qu'à se vêtir. Fringante, dont on brave l'autorité, n'a que le moyen de séparer les rebelles. Violette est brusquement jettée dans un cabinet & sous clef, tandis que l'habilleuse, pour mater un boute-joie mutin qui ne veut pas se laisser emprisonner dans le caleçon, va lui faire courir sur elle-même une vigoureuse poste.--O Belamour! que cette indocilité vous fait honneur! avec d'aussi brillantes dispositions, quel haut degré de gloire ne devez-vous pas atteindre dans votre carriere fortunée!

Ce n'est plus en Camillons, mais en enfans de bon lieu, que le joli couple reparaîtra pour dîner en famille. Pendant qu'il était occupé comme on l'a vu, la Mere avait la pénible franchise de consier à Limefort les détails du tems qui sépara l'époque du couvent incendié, de celle des couches, enfin suivies d'un départ pour un autre hémisphere.--Voici son aveu:

L'Ex-None, errante au sortir de la garnison d'où elle avait disparu, se joignit par circonstance à de mauvais comédiens ambulans & s'aida pendant six mois de toutes les ressources que comporte la profession d'histrionne. Alors, ce n'étaient pas les heures sacrifiées au Public-écoutant qui rapportaient le plus à l'inhabile actrice. Mal payée, quelquefois sifflée dans la salle, c'était dans son taudis qu'elle recueillait des éloges flatteurs, & faisait de passables recettes. Hélas! avant d'avoir songé à faire quelque épargne, elle se vit à ce dégré d'embonpoint avec lequel on ne peut plus représenter sur la scene une Agnès, une vierge, sans causer un fou-rire aux spectateurs. Il fallut donc se séquestrer & renoncer aux appointemens par mois, qu'un pauvre-diable de directeur ne pouvait conserver à sa pensionnaire inutile. Elle se traîna furtivement jusqu'à Paris, où son genre de peindre n'était pas de nature à lui procurer le pain quotidien. Elle se vit donc réduite à vivre du travail d'une main légere & douce qui, la nuit, sous l'épais feuillage de certaines allées, distribuait des plaisirs imparfaits, mais sans danger, pis-aller clandestin des avares, des honteux & des pusillanimes. A travers l'infinité de connaissances qu'on ébauche à ce métier, un Marin très subalterne, bisarre dans ses goûts & familier avec les antipodes, avait pris la Beauté nocturne en affection, pour des bontés particulieres qu'il avait su la persuader d'avoir pour lui. Par quelle route, grand Dieu, la Fortune devait-elle arriver enfin à notre actuelle Héroïne! Mais attendons: le moment heureux n'est pas encore venu.--M. Rudolph était une pratique: cependant, sans en avertir, il fit une absence, si fort à contre-tems, que sa malheureuse amie, au moment des couches, manqua de tout & faillit périr de misere. Son épuisement, qui ne lui permettait pas de nourrir, la força de faire exposer sa malheureuse progéniture: on sait comme cela lui reussit. Le ciel enfin eut pitié de Lucette. L'amoureux Pilotin était de retour de Brest, où l'on avait liquidé son article dans certains comptes de part au produit des prises. Il cherchait sa complaisante amie: elle se traînait, faible encore, vers leur rendez vous accoutumé. Les voilà réunis, tous deux plus riches; car si le Marin avait en caisse de quoi commencer quelques spéculations de commerce, la raccrocheuse avait recouvré de précieux moyens de renouer le sien, qui n'exigeait ni grandes avances, ni d'aller chercher si loin le bout du monde. Rudolph, épris & remis dans le droit chemin, proposa de s'embarquer: on y consentit. Ces amans se convenaient: tous deux avaient de l'activité, de la conduite & du courage. Le Sort les soutint dans les dangers & fit réussir toutes leurs entreprises. Sans songer au mariage ils demeurerent inséparables, & finirent par être fort riches. Après beaucoup d'années de cette libre intimité, Rudolph allait s'éteindre. Allemand, transplanté dès l'enfance, & parvenu de Mousse, il ne connaissait aucun parent. Il laissa tous ses biens à sa compagne, qui se trouva, sans s'en douter, héritiere de près de huit cents mille livres.

Pour ne plus revenir à ces gens-là (de qui nous avons sans doute beaucoup trop longtems entretenu le Lecteur) disons que, trois mois après les reconnaissances que nous avons racontées, Limefort & Lucette, (à cause de leurs enfans qui leur donnaient les plus belles espérances) se marierent enfin: (*) bien en prit surtout au Marquis, vu la barbarie qu'on exerce maintenant contre cette pauvre Noblesse française menacée de ne pas conserver un écu, ni un chou de ses biens; s'ils demeurent irrévocablement sous la dent enragée d'un peuple de brigands-assassins, qui se disent souverains, égaux & libres.

ERRATA Du septieme Numéro.

Page 2 Lig. 3 comptes, lisez : contes.

--- 15 --- 3 après le mot devine: deux points.

--- 14 --- 2 & 3 introduisit, lisez : introduit.

--- 32 --- avant-dern.: après mignone: 2 points

---53---8 peut-être, est: lisez : peut être, &

---58---5 de petits, lisez : certains.

--- 72 --- 3eme de la note: des: lisez : de

--- idem --- avant-derniere de la note: ou: l. on

LES APHRODITES. AH! QU'ON EST FOU! PREMIER FRAGMENT.

Sir Henri, cet Anglais mélancolique si sottement idolatre d'une femme de cire & contre le ridicule duquel on sait qu'il se prépare une si bisarre mystification; cet extravagant, disons nous, n'est pas un personnage fort désirable: N'importe, la petite Comtesse de Mottenfeu se trouvait offensée de ce que ce voisin n'avait pas eu la moindre idée de lui demander ses faveurs. Un homme, qui la croit enfin Magicienne, sempiternelle & l'arbitre de ce qui l'intéresse le plus au monde, c'est-à-dire, du retour de sa chere Zéphirine à la vie! La Comtesse, folle à sa maniere, disait un jour à Célestine: „Si ce band'-à-l'aise, qui trouve pourtant très doux de lasser par fois la mainotte d'une camillonne à le branler, ( a ) & que j'ai bien pris la peine de branler moi - même, ne se met pas à tous devoirs, s'il ne s'avise pas de me proposer de mêler à mes sublimes élémens les siens de l'espece la plus crasse, (c'est du moins ce qu'il doit imaginer) je déploie enfin toute la rigueur de mon espiéglerie & lui fais payer cher le prodige qu'il attend de mon pouvoir.„ En réponse, Célestine, faisant violence à son amour propre, avait raconté l'impertinence que peu de jours auparavant le Baronnet lui avait faite. = Oh! s'il est de cette force en balourdise & en grossiereté, belle Célestine, (avait riposté Mad. de Mottenfeu) je ne dois m'étonner de rien, moi, qui n'ai ni ta jeunesse, ni tes formes, ni ta fraîcheur. Mais, c'est une raison de plus pour que je persécute sans pitié le sot Anglais, puisque j'en ai l'occasion sous la main. J'inglobe donc ton injure dans la mienne, & le pisse-froid (plus fait, comme il le prouve, pour les morts que pour les vivans) trouvera, je te jure, à qui parler lorsque nous jouerons notre piece. =

Cette maligne conversation se tenait le troisieme jour de la neuvaine ridicule où (si l'on s'en souvient) ( a ) la Comtesse faisait découler, de chez le Baronnet, cette essence de vie nécessaire, disait elle, au plein succès du miraculeux enchantement. Nous avons dit que la neuvaine allait finir; que Zéphirine avait été secretement introduite dans l'hospice; que, d'ailleurs, il n'y avait plus un moment à perdre, à moins qu'on ne la laissât accoucher... Et cependant, à cette époque, le Baronnet n'avait rien encore proposé à sa future bien-faitrice. Hélas! le pauvre diable en avait peut-être bien assez, après la contribution quotidienne qu'on exigeait de lui. A la bonne heure: Mais il semblait à la vaine petite Comtesse que l'Anglais, s'il était né galant, aurait choisi de fournir cette contribution par un procédé moins étranger, moins factice, plus flatteur pour une femme; & que, sauf à réaliser dans une phiole, il devait à bon compte s'électriser ailleurs. = N'est ce pas, Célestine, qu'un Français aurait cette galanterie ? = Celestine, rancuniere un peu contre le Baronnet, n'avait pas manqué de répondre: assurément : En conséquence, tout le tems qui suivit ce menaçant entretien, fut employé à combiner comment on pourrait le mieux tourmenter notre maniaque. Le denouement de la mystification devait avoir lieu le sur lendemain du jour où Zéphirine était arrivée; où la Comtesse, encore, avait fait avec elle ce déjeûner voluptueux, suivi de si vigoureuses prouesses avec Dom Ribaudin ci-devant moine, devenu Capitaine de grenadiers de la garde nationale. ( a )

Deux jours après : Au Jardin anglais : à la brune. CELESTINE, SIR HENRI. Sir Henri ( en marchant. )

.... En un mot, belle Célestine, j'étais heureux dans mon malheur: mais depuis que j'ai fait cette funeste connaissance, j'éprouve tous les chagrins, tous les déchiremens imaginables. Ainsi, j'ai pris mon parti: Bien convaincu que la prétendue Magicienne n'est qu'une fourbe, cruelle autant qu'audacieuse; bien persuadé que nul miracle ne peut rendre la vie à l'être qu'il a plu au Sort d'en priver; je m'éloigne, & dès demain je sors de ces lieux, où je me flattais pourtant d'avoir trouvé le degré de consolation & de jouissances auxqu-elles il m'était encore permis d'aspirer. ( Il est ému jusqu'aux larmes. )

Celestine.

Tu ferais une insigne sottise, mon cher Henri: Sois bien certain que la colere de Nécrarque ( a ) te poursuivrait partout; qu'indignée d'un doute de ta part, au moment même où il s'agit d'éprouver la réalité de sa toute-puissance, elle la signalerait sur toi par tous les fléaux familiers à son art, dont, moi, je ne doute nullement...

Sir Henri, avec vivacité.

Désabusez-vous, Mademoiselle: cette femme nous jouait, vous & moi. Sans cela, m'éviterait elle, comme elle fait depuis ce matin, après être venue troubler, sur la fin de la nuit, le plus doux sommeil, sous prétexte d'avancer cette burlesque opération, à laqu-elle j'ai eu la sottise de me soumettre pendant neuf jours?...

Celestine.

Tout-à l'heure: je vous expliquerai cette conduite....

Sir Henri, s'animant davantage.

Et la prestigiatrice m'aurait-elle, de plus loin, annoncé qu'un nœud, qu'elle ne pouvait deviner encore, mais qu'elle se croyait pourtant à-peu-près sure de trancher dès qu'elle l'aurait découvert, arrêtait court le succès de ses prétendus enchantemens ? Quelle pitoyable défaite! Quelle maladroite justification de sa conduite à mon égard, qui dès lors n'est plus qu'une insultante raillerie!...

Ces derniers mots ont été dits au tournant d'un sentier-tortueux du bosquet. En même tems une lettre, qui semble s'élancer d'elle même hors d'une touffe de feuillage, tombe aux pieds de Sir Henri.--Il ne fait pas encore assez obscur pour que l'Anglais ne puisse lire. A la vue des caracteres de la suscription il pousse un cri d'étonnement...

Celestine, feignant elle-même une extrême surprise.

Que vous arrive t-il donc?

Sir Henri.

( Tremblant, mais ne pouvant s'empécher de baiser plusieurs fois la lettre ) C'est d'elle, oui, Célestine: c'est de ma Divinité. ( il lit tout bas, se trouble, parait d'abord accablé & bien-tôt au désespoir. )

Celestine.

Puis je voir cette lettre?

Sir Henri, la lui donnant.

Lisez. (Il sanglote, la tête appuyée contre un jeune arbre, dont le tronc partage l'agitation extrême du Baronnet. )

Celestine, hésitant.

Je ne sais trop pourtant si l'on peut se fier à ce qui vient de chez Messieurs les Morts: mais la curiosité de mon sexe... ( elle prend la feuille en affectant toute les précautions & la légéreté de tact imaginables. --) Certes! on n'apprend pas dans l'autre monde à bien peindre, si l'on s'y sert d'aussi joli papier que chez nous. ( Elle lit avec quelque difficulté. ) „Ingrat! ne t'en prends qu'à toi-même, si les bienfaisans efforts de notre „Souveraine...„ ( s'interrompant ). Vous voyez, Monsieur?... ( Elle reprend ). „Si les „bienfaisans efforts de notre Souveraine „ne peuvent rompre les liens qui me retiennent où je suis. Toi seul, par de matérielles & trop fréquentes communications avec des êtres étrangers à ta Zéphirine, ( a ) as détourné la direction de no-„tre aimant. Tandis que depuis je suis „évoquée, je t'ai cherché sans cesse, tu „semblais me repousser; ton intermittente „passion s'est trop encrassée des ordures de „la brutale humanité, pour que notre amal-„game game ait pu demeurer facile... „--( s'interrompant ) Le style des enfers est diablement mystique! -- ( elle poursuit. ) „Ce „n'est donc plus à moi de remonter dans „le séjour d'exil oùtut'esmenagédegrossiersdédommagemens: si tu veux qu'une „nouvelle existence nous réunisse encore, „c'est à toi de te dépouiller de tes élémens „impurs. Viens alors confondre, avec ce „qui reste de mon être, l'immatériel résidu „du tien: ose,ourenonceàm'agiter& „àme faire éprouver, dans le paisible Elysée, les seules disgraces, auxqu-elles mon „ entéléchie soit demeurée sujette, jusqu'à „ce que toi, qui fais encore partie de moi-même, cesses de respirer... „Ouf! la proposition est saugrenue... En tous cas, mon cher Henri, tu vois qu'il n'y a pas de la faute de qui tu sais? J'espere que maintenant tu ne lui refuses plus la justice... Mais fais-moi donc l'honneur de m'écouter.... ( Elle va le tirailler & veut l'arracher à son arbre. )

Sir Henri.

Laissez-moi, Mademoiselle... vous êtes aussi l'une des causes de mon irréparable malheur.

Celestine.

Bien obligé. Monsieur s'en prend à moi!... il est joli celui-là!

Sir Henri.

Pardonnez à ma franchise.... à ma douleur...

Celestine, feignant du courroux.

Tenez donc: reprenez votre beau présent de l'enfer... & gouvernez-vous désormais comme bon vous semblera. Je vous donne le bonsoir... ( elle fait quelques pas. )

Sir Henri, vivement.

Belle Célestine? un mot, de grace.

Celestine.

Que me voulez-vous? ( Elle s'arrête. )

Sir Henri, avec oppression.

Je ne sais... j'ai la tête perdue... si j'avais pu du moins entretenir un moment de ce qui m'arrive... celle...

Celestine, revenant.

Celle... que vous n'osez nommer, tant vous avez de honte sans doute de l'avoir si sottement outragée... Eh bien?...

Sir Henri.

Si, par votre entremise, il y avait moyen...

Celestine, avec quelque amitié.

Pourquoi n'être qu'un fou, qui ne souffrez pas qu'on vous parle; & qui vous mettez d'avance en travers de tout ce qu'on pourrait essayer pour vous servir dans votre inimaginable position?

Sir Henri.

Eh bien, j'ai mille torts; je les confesse; je m'en repens. Un remede, à présent?

Celestine.

Je vous l'aurais fourni: c'était mon objet quand nous avons commencé cette promenade...

Sir Henri.

Je vais vous écouter comme une amie, comme la protectrice de mon plus cher intérêt. ( Il lui baise la main avec sentiment. )

Celestine.

Tu sauras donc, mon pauvre Henri, que Nécrarque, si mal-à-propos accusée, fait au contraire tout pour le mieux à ton égard. Mais elle-même, hélas! n'existe pas impunément sur cette petite boule condamnée à mille sortes de malheurs. Malgré ses étonnans privileges, accordés par la nature, ou acquis par un art sublimé, Nécrarque, un jour de chaque Lune, dès que pointe le crépuscule du jour, se fond, perd la forme plus ou moins agréable qu'il lui avait plu de revêtir & devient... ce qu'il est naturel que soit une femme qui vit depuis tant de siecles. Dans cet état, elle est privée de ses immenses pouvoirs jusqu'à la nuit. Il s'agit alors, pour elle, de savoir si la force des talismans dont elle a grand soin de se surcharger pendant ces sortes de crises, ne cessera pas de prévaloir sur l'ordre naturel, qui veut qu' enfin s'éteigne notre débile flamèche... C'est ainsi que Nécrarque nomme certaine ame physique qu'elle prétend commune aux animaux quelconques, qui ont ici-bas le droit de respirer...

Sir Henri.

Ce systême est aussi le mien, & sans doute le seul raisonnable dont on puisse emprunter quelque idée sur la nature de notre être...

Celestine.

Laissons les commentaires.--Sur ce pied, douze on treize fois par an, notre Fée risque de finir. C'est aujourd'hui l'un de ses jours dangereux. C'est pour cela que si matin elle est venue troubler ton sommeil, voulant remplir une derniere formalité, nécessarie au complément de ses incantations, dont la chance sera décidée cette nuit...

Sir Henri.

Quel choix! Pourquoi mettre de la sorte au hasard d'un événement personnel, & qui peut être funeste, celui d'où dépend infailliblement ma félicité suprême, ou ma mort?

Celestine.

Parce que le moment où elle renaît, (toujours probable pour elle dans la proportion d'un sommeil ordinaire avec le réveil)... parceque, ce moment, dis je, est celui où elle jouit de toute sa puissance au plus éminent degré...

Sir Henri.

Qu'entends-je!... J'étais donc complettement injuste...

Celestine.

Et même absurde, comme le sont, sans exception, Messieurs les esprits-forts, les penseurs, les soi disant Philosophes, qui ont l'orgueil de vouloir circonscrire ce qu'ils ne peuvent comprendre, dans les bornes étroites de leur ridicule incrédulité.

Le lecteur intelligent ne peut se méprendre au pourquoi de cette scene. Il est évident qu'avant de frapper les grands coups, il s'agit de pousser au dernier degré de crédulité l'imagination égarée de cet homme à-peu-près fou, dont on a résolu de rire au sein de la plus badine société... C'est pour ajouter à l'égarement du Baronnet que Célestine a joué le rôle d' indiscrete confidente du côté faible de notre Magicienne. Pour mettre le comble à l'ingannation, Célestine a conduit, comme par hasard, l'Anglais tout près du pavillon où loge la Comtesse. Pour lors, c'est fort naturellement que, l'appartement étant au rez-de chaussée, une femme, (un être curieux par conséquent) regarde à travers d'une croisée dont le rideau n'est pas exactement tiré. A peine un coup-d'œil jetté, notre friponne recule avec une feinte frayeur & se jette contre Sir Henri, de l'air d'être vivement frappée... = Approchez-vous, (lui dit-elle tremblante) & contemplez ce que je viens de voir. = L'Anglais obéit, & voit couchée sur une espece de lit de repos l'affreuse figure d'une femme aux trois quarts nue, décharnée, ridée... ( a ) Le squelette vivant est coëffé d'une espece de bonnet en pain de sucre surchargé d'hiéroglyphes de diverses couleurs: Une maniere de scapulaiou d'étole, passée autour du cou, rassemble (entre deux peaux jannâtres en forme de sacs (restes de vieux tetons) sept plaques triangulaires de métal: aux bras, aux jambes, sont des brasselets fermés avec des plaques à-peu près semblables. Devant ce hideux objet, est une table, sur laqu-elle on voit ouvert un immense in-folio ; d'un côté sont quelques phioles d'un verre noir, de l'autre une tête de mort. Le tout est faiblement éclairé d'une lampe à l'antique.

Sir Henri, parfaitement dupe, est plus repoussé qu'étonné de cette vision dégoûtante & sinistre: il ne peut cependant s'en arracher. Il a tout le temps de voir différens mouvemens que fait l'épouvantable vieille, comme il arrive pendant un demisomme-il agité de songes laborieux. A peu-près au bout de cinq minutes, l'objet affreux se met sur son séant, se touche de la tête aux pieds & débouche une phiole. Aussi-tôt une épaisse vapeur se répand dans la piece; à travers ce nuage, le lumignon de la lampe n'est plus apperçu que comme un point, de lugubre rougeur. La vieille est presque imperceptible. On croit pourtant lui voir avaler le contenu de l'une des phioles: peu-à-peu la lampe s'est éteinte. Sans aucun intervalle, on entend la voix de la Comtesse qui, venant en deux sauts ouvrir la croisée, dit avec un soupir de contentement: = C'est encore moi ! = Dès que la lumiere avait fini, Célestine & Sir Henri s'étaient éloignés de quelques pas. Il est inutile de dire que, dans ce moment aussi, le lit de repos (qui est une machine approchant de celles qu'on a vues mille fois aux Grands Danseurs, dans leurs pantomines) a escamoté la vieille & substitué Mad. de Mottenfeu. La vapeur qui se dissipe par la fenêtre ouverte, répand aux environs une odeur qui n'a rien que d'agréable. ( a )Quelquebruitqu'onfaitauxenvirons, (car bien du monde a le mot pour se réunir ce soir-là dans l'hospice, & déjà des couples folatres se sont dispersés pour escarmoucher dans les boudoirs des bosquets) ce bruit, disons-nous, a chassé Célestine&SirHenrideverslelogement de ce dernier.

Le premier objet qui frappe leurs yeux, lorsqu'ils rentrent dans le sallon, c'est une bouteille, posée au pied de la châsse de Zéphirine, sur un carreau de velours, à glandsd'or, permanent, propice aux fréquentes génuflexions du Baronnet. Au col de la bouteille, (qu'il a ramassée) se lit, sur une bande de papier: = Ta voiture, pour venir me rejoindre. =

Quelque épris & persuadé que soit l'Anglais de la réalité de tout ce qui lui arrive, il ne mesure pas, sans un premier mouvement d'horreur, la profondeur du précipice dans lequel il lui semble ordonné qu'il s'élance: car, tout net, il s'agirait pour lui de mourir à tout événement. C'est jouer gros jeu sans doute. Célestine, affectant un air froid, lui en fait l'observation, sans toutefois rien conseiller, ni pour, ni contre. Ce moment cruel où la Nature doit être aux prises avec une extravagante passion, est le point de vengeance que la petite Comtesse avait en vue. La neutralité perfide de l'espiégle Célestine aggrave encore la perplexité de l'Anglais, en ajoutant à son irrésolution. Tandis que Célestine parle à mots coupés, ne perdant pas une des variations de la physionomie du combattu Baronnet, il tient, lui, la bouteille, tête basse, & les yeux en dessous stupidement fixés sur les traits charmans de sa postiche Zéphirine. Célestine s'est tue; Sir Henri, qui semble revenir enfin à lui-même, après une profonde absorption, soupire & dit avec fermeté: Je pars :--Une voix faible riposte aussitôt: je t'attends. Alors, Sir Henri décoiffe courageusement la bouteille & boit à longs traits. Déjà Celestine, qui a feint d'être excessivement épouvantée du prodige, a jetté un cri perçant & s'est enfuie: son rôle finissait à ce coup de théâtre. La bouteille contenait une raisonnable dose de certain vieux vin de Hongrie, fort agréable à Sir Henri: ce breuvage est mêlé d'un puissant narcotique, qui va bientôt plonger le déterminé Baronnet dans un léthargique sommeil.

C'EST DE BONNE HEURE! SECOND FRAGMENT. Dans l'un des cabinets du Jardin anglais. ZAIRE, LE COMMANDEUR. Zaïre, ( a )

Donnant au Commandeur un fougueux baiser après une seconde accolade, dans l'attitude de laqu-elle ils demeurent encore agencés de maniere qu'il ne tient qu'à eux de procé- der sans interruption à une nouvelle jouissance. L'heureuse reconnaissance, mon cher Francheville! qui nous aurait dit, il y a huit ans, que la morveuse avec qui tu jouais, comme avec une poupée, dans son couvent, te devrait aujourd'hui ce délicieux quart-d'heure!

Le Commandeur. ( a )

Tu veux dire qu'on n'aurait pu deviner que ce petit ange, si contrarié, serait la bien-faitrice à qui je dois ce moment, l'un des plus heureux de ma vie.

Zaïre, avec un ardent baiser.

Comme il est galant!--L'y voilà pourtant ce formidable engin, à la vue duquel je jettais les hauts cris lorsque tu me le montrais, par l'ordre de ma tante, comme un instrument de supplice, quand on avait à me reprocher quelque petit tort! voilà donc l'emploi si doux de cette redoutable discipline, qu'Eulalie faisait semblant d'endurer par pénitence, lorsqu'elle s'avouait coupable de quelque péché...? Vous étiez de grands hypocrites & de francs-vauriens!

Le Commandeur.

Que veux-tu! c'est ainsi, ma petite amie, qu'on éleve la Jeunesse, au couvent sur-tout. Cependant ce petit conte & la peur qu'on te faisait n'étaient qu'afin que nous fussions plus à notre aise & pussions nous ébattre, toi présente, presque en t'édifiant. Tu sais maintenant comment passait son tems la brûlante Eulalie lorsque nous disparaissions, derriere le rideau de cette alcove, & procédions à ce prétendu châtiment qui faisait en effet pousser à ta tante d'équivoques soupirs dont tu avais l'enfance d'être touchée jusqu'aux larmes.

Zaïre.

Ah, mon cher! si j'avais su! j'aurais tout culbuté, tout brisé dans l'appartement, & je t'aurais bien forcé de me châtier tout de bon, au lieu de t'en tenir à la menace...

Le Commandeur, souriant.

A neuf ans, friponne!

Zaïre, gaiment.

Il me semble, mon bon ami, que je n'en serais pas morte... mais parlons-en encore... qui nous aurait dit qu'un jour... ( le baiser dont elle coupe cette phrase rend au Commandeur tous ses feux... il recommence à limer ) Ah, oui... oui, mon Toutou.. ( elle le seconde. ) Donnons nous-en bien pendant que nous y sommes.Réalisonsdeplusenplusce brûlant sacrifice que t'a déjà cent fois offert ma brulante imagination depuis que j'ai appris quel encens peut être agréable à ce Dieu qui me pénetre & dont tu me faisais autrefois un épouvantail.

Ce petit bavardage n'a pas empêché Zaïre de jouer des hanches à ravir. Ses douceurs ont encore excité l'ardeur de l'amoureux agent... ils sont bien près de la sublime crise.... Alors....

Le Commandeur, s'écrie :

Ah, Zaire! quel talent à ton âge!

Zaïre, après un baiser mordant.

Dieu du plaisir! acheve de me former.... tiens... tiens... ha! foutre ! ( des coups de reins terribles ) me trouveras-tu digne assez d'un Maître tel que toi!...

Le Commandeur, hors de lui.

O ravissement!.... modere-toi, ma petite Reine... ( ils ralentissent. )

Zaïre.

Oui; filons-nous le suprême bonheur.... foutons en Dieux...

Ils ne peuvent plus proférer que des accens confus mille fois plus éloquens que les plus beaux tours de force de l'esprit académique. Le filet de la sublime volupté les a lentement enveloppés & pêchés enfin hors de la sphere des Mortels pour les faire jouir d'un avant goût des délices surhumaines.--Après quelques momens de ce calme silencieux qui n'est pas la moins exquise maniere de jouir...

Le Commandeur, dit.

Mais par quel hasard, ma chere petite, te trouves-tu dans Paris? & parmi nous, ce qui me surprend bien davantage, quand tu n'es point mariée, & n'as pas l'âge requis pour qu'une célibataire soit admise à nos mystérieuses cérémonies? ( a )

Zaïre.

Je n'aurais pas le tems, mon cœur, de te faire ici mon Roman... ( En parlant Zaïre dégagée s'occupe encore du super be boutejoie toujours très éveillé ; dans sa distraction elle le traite si bien qu'il ne pourra gueres s'endormir. Ce geste, pendant le discours que pourra tenir la conteuse, est fort du goût de l'archi-libertin Commandeur. )

Le Commandeur.

Jette en gros un lopin à mon avide curiosité. J'apprendrai les détails chez toi, où sans doute tu voudras bien me permettre de te faire ma cour?

Zaïre.

Permettre! je te l'ordonne. Tu trouveras même bon que, dès ce moment, je t'inscrive au nombre de mes plus essenciels serviteurs... & ce Monsieur aussi... ( à ces mots elle abaisse un chaud baiser sur le couronnement de sa fiere amusette. )

Le Commandeur, à lui-même.

Y a-t-il rien d'aimable comme cette enfant-là!... ( Ils se baisent.--Un bras mutuellement passé sur l'épaule &, les bouches à deux doigts l'une de l'autre... )

Zaïre, poursuit.

Pour de bonnes raisons, disait-on, la Sœur Incarnation ( a ) était rentrée dans le monde; le Couvent se trouvait fort compromis, graces à tes folies & à celles de ma chere Tante; car votre bon exemple avait été généralement suivi. Eulalie ( a ) elle même n'avait gueres pu se soustraire aux suites inévitables que devait avoir tant de scandale: Mais ayant du caractere & sachant qu' une jolie femme peut tout lorsqu'elle est prête à se trousser en faveur de quiconque peut la servir, elle intrigua puissamment: bientôt elle obtint une meilleure Abbaye. Je l'y suivis. A douze ans elle cessa de me traiter en morveuse. Je fus son enfant-gâté dès qu'elle me jugea propre au doigt-de-cour. Je le faisais, on me le rendait & le reste: mais à seize ans, je n'avais pas encore eu la félicité de voir de près un homme. J'avais tout au plus deviné, mais très confusément, que s'il y avait entre vous & nous quelque différence, ce devait être par cet instrument de supplice duquel tu m'avais fait peur, & qui valait apparemment à votre sexe l'attribut connu d'avoir le droit du plus fort.

Le Commandeur.

Serviteur au calembour.

Zaïre, gaiment.

L'observation n'est pas juste: car, il me semble que ce que je tiens est incontestablement le droit de l'homme. ( un baiser ) On pressait pour que je prisse enfin le voile; cependant une belle nuit mon merveilleux frere, en faveur de qui la passion de ma Mere était de me déshériter, se fracassa la tête en versantavecunWisckidesplusextravagans où il avait la sottise de se laisser conduire par sa coquine au retour de certaine orgie... ( a ).Mevoilàdoncfilleunique.Ma méchante Mere survécut peu de tems à la perte d'un ingrat dont elle s'était cru exclusivement aimée, & qui l'avoit mise dans le cas d'éprouver tous les genres de repentir quand l'illusion de leur débauche seseraitévanouie.M. delaGaudissoniere,un Ex-fermier du haut-vol, & mon plus proche parent, se trouva devenir mon tuteur. Habile en affaires, il est tout au moins aussi débauché. J'allais être retirée du couvent. On me cherchait un mari. MaTante, qui pense à certains égards le mieux du monde, voulut préalablement me mettre bien au fait du pour & du contre de ce fameux sacrement qu'on croit être l' indispensable vernis d'une femme ; paradoxe à tout moment démenti, qui pourtant depuis tant de siecles ne cesse de faire des dupes...--Il paraît à ton état, mon cher, que cet avis est aussi le tien?

Le Commandeur.

Sans doute: puisque sans frere, ni sœur, & le dernier de ma race, je n'ai pas voulu quitter Malthe, & me suis engagé par des vœux...

Zaïre, agitant gaiment le boute joie.

Dont tu observes bien religieusement sur-tout celui de chasteté... ( Elle lui jette vivement un baiser pour le consoler de cette épigramme. )

Le Commandeur, gaiment.

On fait bien de m'appaiser. J'écoute.

Zaïre.

Tout bien considéré, je ne me sentis nullement capable de supporter le joug du mariage. = „Dans ce cas, me dit ma boune „Tante, il convient que tu t'empares de ton „Tuteur. Fais qu'il t'aime: une fois que tu l'auras subjugué, (je t'aiderai pour cela de mon expérience & de mes conseils) il ne pourra t'empêcher d'être ta maîtresse.„

Le Commandeur.

On ne peut mieux raisonner.

Zaïre.

La Gaudissonniere m'eut à peine vue que la tête lui tourna. Pour couper court, je te dirai que d'après l'excellente politique de ma peu scrupuleuse Tante, j'ai fait à mon Tuteur, au bout d'un tems convenable, l'intéressé sacrifice de mes premieres grosses faveurs, au prix que je serais désormais parfaitement libre; que, chez lui, je serais tout-à-fait chez moi; que j'aurais pleine jouissance du principal de mes biens, Fort-Connin & ses dépendances; & qu'il administrerait tout le reste à mon profit plutôt comme Intendant que comme Tuteur.

Le Commandeur.

Voilà ce qui s'appelle un pucelage bien placé.

Zaïre.

Vraiment, il fit bien de le prendre tout chaud au sortir de la grille, car j'avais déjà dans la tête que le premier coureur de cachet, ou coiffeur, ou.... que le premier porte-culotte, en un mot, m'apprît ce qu'il y avait de différence entre des jeux de Nones & ceux dont le Monde fournît les solides moyens.--Bref, mon arrangement avec la Gaudissonniere dure depuis près d'une année. Parfaitement honnête homme, il est incapable de me faire tort d'une pistole, & compte avec moi de-Clerc-à-Maître. Assez bien de figure, assez aimable pour ne me causer aucune répugnance, il est d'ailleurs si blasé que bien rarement il me prie de quelque complaisance pour certain petit nain de vit ( a ) dont à peine j'ai l'honneur de m'appercevoir. Sur ce pied, je suis parfaitement heureuse: ma liste est admirable tant en hommes qu'en femmes, car j'aime aussi ces dernieres à la fureur...

Le Commandeur ( se récriant. )

Tudieu! quelle luronne! Mais comment enfin as-tu percé jusques dans notre sanctuaire?

Zaïre.

Sans l'ombre d'une difficulté. J'ai pour ma meilleure amie la Marquise de Mélambert ( b ) (ta Lolotte, fripon.) Elle jouit dans l'ordre de la plus haute considération. Comme on s'y est un peu relaché maintenant sur la rigueur des anciens statuts, elle a obtenu tout d'une voix des dispenses, que sollicitait d'ailleurs l'apperçu de l'extrême utilité dont je pouvais devenir parmi vous. Depuis un mois je suis affiliée. Mes amis me flattent qu'on me nommera Membre & peut-être dignitaire à la premiere promotion. Je n'ai contre moi que les Jeudis, dont je n'ai pu encore me résoudre à mériter les suffrages.

Le Commandeur.

Oh bien: je veux te recommander pour cet objet à Culigny. C'est mon intime....

Zaïre.

A la bonne heure: mais c'est qu'il y a des formalités baroques.... sur lesquelles je n'ai pas encore pris tout-à-fait mon parti... Parlons d'autres choses.--Sais-tu que ma Tante faillit mourir de chagrin quand tu couchas sur le carreau son fier champion, M. Rolandin, qui croyait du moins te forcer à épouser une catin de sœur ( a ), s'il ne te faisait pas mordre la poussiere?

Le Commandeur.

Je me suis toujours douté qu'Eulalie m'avait suscité cette querelle.

Zaïre.

Je t'en réponds; & qu'elle avait payé le voyage: & qu'elle avait promis une forte somme au Rolandin, pour fuir après une victoire dont le fanfaron paraissait ne pas douter...

Le Commandeur.

Le bon petit cœur de femme!

Zaïre.

J'ai su tout cela, moi: car on ne se gênait gueres devant une morveuse de dix à onze ans que j'avais alors. Mais je dois ajouter, pour l'honneur de ma Tante, que bientôt détestant le crime de sa passion, & maudissant le vil escroc qui l'avait si violemment aigrie contre toi, elle ne cessa de gémir, de te regretter...

Le Commandeur.

Parce qu'elle n'avait plus personne...

Zaïre.

Tu te trompes: Elle avait ses laquais: surtout elle se creusait la tête pour deviner où tu pouvais t'être retiré après ton victorieux combat.

Le Commandeur.

Voulait elle m'adresser quelque nouveau Sacrogorgon! -- J'étais tout uniment à Malte. Depuis bien longtems j'ai reparu dans Paris. Je voulus d'abord y épouser la Veuve de mon très cher Oncle, ta bonne amie Mad. de Mélambert, riche de mes dépouilles; car, sans son fichu mariage, j'aurais hérité de tout le bien dont son vilain époux l'a mise en possession. Elle me refusa cruellement.

Zaïre.

Je sais qu'elle a le mariage en horreur.

Le Commandeur.

Au surplus, elle n'a cessé d'avoir à mon égard des procédés admirables. Je suis certain qu'elle me fait toucher, chaque année, plus de la moitié de son revenu.

Zaïre.

C'est ce qu'elle ne m'a jamais dit; ( a ) mais je lui connais l'ame la plus généreuse, & souvent elle m'assure que, sans t'accorder maintenant au cun sentiment de préférence, elle te conserve pourtant une éternelle tendresse.

Le Commandeur.

Je ne suis à Paris que depuis hier, & j'ai volé à son hôtel: mais elle est à la campagne.

Zaïre.

Je la crois de retour pour se trouver ici ce soir.--Et, tu viens, je gage, de ce maudit pays du Rhin?

Le Commandeur.

Je l'avoue: absent de Paris depuis un siecle, je ne suis plus au courant, & vais y avoir tout-à-fait l'air d'un débarqué du coche.

Zaïre.

Si cela se pouvait, tu serais à la mode. Des gens de l'autre monde tiennent le haut bout à présent: d'ailleurs, moins on a de manieres, moins il y a de dangers à courir. Ta seule coëffure donnant peut-être de l'humeur à quelque sans-culotte, il serait possible que, pour ce crime de leze-nation, on te coupât le cou fort proprement.--Mais est-il vrai, mon cœur, que, par là bas, il regne un désordre épouvantable? ici, l'on crie terriblement au scandale contre vous.

Le Commandeur.

Les scandaleux vous le rendent bien. Par tant quitte. Cependant la sphere où je me suis fixé n'est point celle contre laqu-elle on murmure à juste titre. Attaché, dès les premiers instans de la révolution, à ceux des B..... qui sont les protecteurs héréditaires de ma Province, je les suivis des premiers à Worms, & n'ai plus quitté cette respectable famille. Premier fanal autour duquel commença de se former un rassemblement, d'abord composé de vrais Chevaliers, mais bientôt encombré d'ambitieux, d'étourdis, d'aventuriers & de gens dont les périls de l'intérieur éprouvaient trop le courage équivoque, l'asile des C...és n'a pas cessé d'être ce qu'il fut dès les premiers jours, c'est-à-dire, la source des bienfaits & de cette affabilité noble qui leur donne encore plus de prix.

Zaïre.

Mon pere servit autrefois les C...és. J'aime à t'entendre faire leur éloge.

Le Commandeur.

Dès que, non loin de là, certain Météore s'éleva pompeusement au dessus de l'horison, les Gobemouches ne manquerent pas de le prendre pour un nouveau soleil. Alors on vit s'ébranler & défiler à petit bruit tous les valets de la faveur: aussitôt l'intrigue dressa ses treteaux à l'entour du nouveau Phénomene. Ce fut à qui aurait l'honneur de la voir de plus près; bientôt, à qui se fixerait au centre des prétendus honneurs, grandeurs & richesses. Tel, fut de bonne heure étouffé dans la cohue & foulé aux pieds: tel autre, en attendant les grandes faveurs de l'idole, eut la douceur de fouiller dans ses poches. Le prestige a peu duré: déjà l'édifice de carton menace ruine, &, chaque jour, le feu prenant quelque part, le tems & les soins suffisent à peine à l'éteindre. Que de foux auront enfin un pied de nez & ne sauront où cacher leur honte, où déplorer la plus sotte bévue dont jamais l'orgueil & l'égoïsme ayent pu donner le funeste conseil!--Assez heureux pour m'être fait de mon attachement pour les C...és un intérêt personnel, j'avais vu, sans être tenté, un essaim d'extravagans & d'ingrats prendre l'essor: content près de mes chevaleresques & modestes Bienfaiteurs, j'ai préferé leur obscurité volontaire, leur frugalité, leurs fatigues, à la cocagne éphémere des Théodores de Coblence. Il est vrai que dès longtems je suis désabusé sur le chapitre de l'émigration, la plus impolitique sottise par laqu-elle le diable pût nous induire à servir nos ennemis: mais je tiens par le cœur à mes Héros vraiment contrariés par le Destin. Ils luttent contre ses coups avec tant de courage que, même certain de périr avec eux, je ne me resoudrais point à m'en séparer.

Zaïre.

Te voici cependant à Paris, d'où j'espere bien que tu ne sortiras plus.

Le Commandeur.

Tu t'abuses, mon Amour. Dès que j'aurai mis en regle quelques affaires qui m'y amenent au péril de ma vie, je rejoindrai mes chers C...és. Je gagerais tout ce que je possede qu'envain essayera-t-on de dissoudre, comme on le publie, la masse des infortunés Emigrés: nos B......s, nos Bienfaiteurs, nos amis, demeureront encore entourés d'une élite qui ne voudra pas plus renoncer à leur mauvaise fortune qu'eux-mêmes ne voudraient abandonner ceux qui s'y sont attachés...

Dans ce moment un petard fort bruyant éclate: c'est l'avertissement de se réunir. Aussitôt le Commandeur est debout, mais Zaïre qui le tient toujours par le gouvernail, le force à se rasseoir & l'enfourchant, elle exige quelques minutes encore d'audience... = Dépêchons, dépêchons, dit en s'agitant sur lui comme un démon cette brulante Heroïne. Elle baise, elle mord, elle rit, chatouille & jure tour à tour. Leur poste est aussi bientôt courue... Ils se rajustent, volent & sont pourtant à-peu-près les derniers arrivés à la Rotonde, lieu du rendez-vous général.

ON JOUE DE SON RESTE. TROISIEME FRAGMENT.

Le Correspondant initié qui s'était chargé de nous fournir de suite des matériaux pour ces intéressans mélanges, vient de nous prévenir qu'il se préparait, pour l'ordre, une espece de révolution qui ne tarderait pas à se manifester & briserait probablement la riante chaine dont tant de brulans individus sont lié encore. Nous voilà donc dans le cas de craindre de ne pouvoir remplir l'objet que nous nous étions proposé d'abord, & qui comportait de pousser, avec le tems, jusqu'à cinquante ou soixante cahiers la collection des faits & gestes des Aphrodites. Or, s'il nous convient de borner, peut-être même dès maintenant, notre spéculation, il n'est plus à propos d'entrer dans de longs détails descriptifs, de lieux, de coutumes & de cérémonies dont nous ne pourrions plus fournir les applications. Ce sera donc très sommairement que nous parlerons tout-à-l'heure de la grande Rotonde & de ce qui doit s'y passer de grave relativement à l'ordre vénérable, avant qu'on ne procède à la résurrection de Zéphirine, espece de petite piece, dont il est convenu que seront suivies, ce jour-ci, les importantes délibérations pour lesquelles on a convoqué l'assemblée générale. Mais si nos apperçus sont justes, le schisme sera court; les Aphrodites qui survivront en état de corps à la dissolution de l'actuelle fraternité, ne tarderont pas à s'établir quelque part, où certains de leurs plus recommandables personnages leur ménagent un sûr & riant asile. L'essaim, pour lors épuré, de moins en moins mystique; moins opulent sans doute, mais plus libre; moins accablé de cérémonies, mais plus amusé, fournira sur nouveaux frais une ample matiere à la curiosité des Amateurs, & présentera surtout des exemples plus séduisans, plus faciles à suivre, dès qu'on se sera dépouillé, comme on se le propose, de ce cynisme qui caractérise bien plus le délire d'une secte de Maniaques enfievrés, que la voluptueuse ivresse d'une société d'Epicuriens aimables.

La grande Rotonde est une espece de temple sans aucune décoration apparente au dehors. Un corridor de neuf pieds de large, flanqué de deux petites nefs proportionnées, conduit, par une double file de douze colonnes doriques, du Péristile fort simple, à l'entrée principale. On se trouve alors dans une enceinte vaste formée d'un cercle de vingt-quatre colonnes de la plus belle proportion, composites, distantes, de centre à centre, de neuf pieds, elles supportent l'entablement convenable, que couronne une élégante balustrade. Derriere les colonnes, isolées, tourne un espace large de neuf pieds dans œuvre, du plinthe des bases au mur. Ce trottoir distribue dans différentes pieces. Nous aurions eu plus d'une occasion de parler de leurs objets variés, mais, si près d'être forcés à nous interrompre, nous devons épargner au Lecteur la sécheresse de ces détails. La coupole, hardie, qui couvre cet imposant édifice, est tellement ordonnée qu'elle représente au naturel le dôme d'un berceau d'arbres fort élevés dont les branches jettées avec art se bornent irrégulierement à quelque distance du point de centre pour former une ouverture vague & fermée de vitrage ( a ). Le feuillage est aussi partout crevassé, de maniere a laisser à la lumiere beaucoup d'accès; ce qui fait que l'édifice est aussi bien éclairé que s'il était construit au milieu de quelque place élaguée, dans une forêt véritable Ici l'art du peintre trompe tout-à-fait l'œil à cet égard, de sorte que d'abord on est tenté de se croire en plein air. Les colonnes sont censées élevées sur un haut socle, relativement à l'intérieur de la salle, tandis que leurs bases sont de niveau avec le trottoir.

Contre le socle, à l'intérieur, sont adossés deux rangs de gradins concentriques en amphithéâtre, & fixes, coupés en quatre endroits, pour qu'on puisse descendre ou se distribuer dans les gradins. L'espace du milieu, qui se trouve être une plate-forme de 60 pieds francs de diametre, suffit aux plus nombreuses assemblées, lorsqu'il s'agit de danses & de cérémonies qui exigent du développement; ce qui se passe alors dans cet intérieur est parfaitement vu des gradins & du trottoir qui les domine. Au besoin, on se resserre sur le centre par des cercles de banquettes mobiles.

Au moment dons nous rendons compte, il s'agit d'une séance à-peu près semblable à celle d'une académie. Autour d'une table circulaire placée au centre, sont assises douze personnes, six Dames & six Cavaliers ( a ). A quelque distance de ce cercle sont, sur des sieges ou debout, environ cent Aphrodites, qui veulent bien observer ici plus de recueillement & de silence que par fois on n'en accorde au grave tripot des Quarante. ( b ) C'est que, chez les Aphrodites, chacun a l'intérêt de son unique passion : c'est que tout ce qui s'y traite a pour objet ce qui convient à tous: c'est que personne n'y pérore en vue de faire briller à tort & à travers (comme au Louvre) ce qu'il a d'esprit, au hasard de beaucoup ennuyer une multitude bigarrée de jaloux, de froids ou de légers auditeurs.

M. de S. Longin, orateur perpétuel, ouvrit la séance par différentes annonces. Il apprit à l'assemblée: 1o. La mort glorieuse de Mad de Con-bannal (doyenne des vieilles) expirée dans les bras d'un huitieme Carme essayé ce jour fatal sur certain lit électrique ( c ) dont elle jouissait depuis quelques mois. C'était pour se faire servir sur ce bisarre, mais dangereux autel du Plaisir, qu'elle venait de rassembler à sa Terre vingt-quatre des plus renforcés ex-moines qu'on avait pu recruter pour elle sur le pavé de Paris, & de la part desquels, graces à la vivifiante machine, elle avait lieu d'espérer une bien riche récolte de jouissances. Elle venait au contraire d'y trouver la mort; mais tel est l'esprit de l'Ordre que, loin d'accorder un triste regret à ce trépas à peu près violent, on en témoigna son admiration par un applaudissement bruyant & général.--

2o. La nouvelle d'un autre deuil fit aussi-tôt parodie & fut à son tour honorée de rians applaudissemens. Il s'agissait d'un âne mort enfin de vieillesse. Ce respectable animal appartenait à la petite Comtesse de Mottenfeu, à notre prétendue Magicienne. Jadis elle l'avait violé ; c'est-à-dire qu'elle en avait arraché les dernieres faveurs. ( a ) Le grison n'était, à cette époque, qu'un obscur commensal dans l'écurie de certaine Marquise très amie de la petite Comtesse. Envain cette derniere, après sa passade, avait elle offert de l'âne-à bonne-fortune un prix fou; jamais la Marquise ne voulut le céder. Ces Dames furent même assez longtems en froid à cause de lui. Mais la propriétaire, sur le point de mourir, & désabusée pour lors des vanités de ce Monde, légua le Baudet à la Comtesse: celle-ci, reconnaissante envers le quadrupede, qu'avait annobli son caprice, l'a fait exister de la maniere la plus agréable jusqu'au dernier instant, quoique depuis longtems il ne fût plus bon à rien. La petite folle avait absolument voulu se donner le ridicule de faire mettre feu son âne sur le tapis, à la séance que nous décrivons.

3o. L'on publia les retraites volontaires de Mesd. de Vaginasse, de Con-fourbu, de la Babiniere & de Tout-en un; ces dames charit ablement averties qu'il était question de les déclarer invalides, avaient généreusement envoyé leurs démissions.

4o. On lut des avis par lesquels MM. de Bondoncourt & de Molengin ( a ) étaient priés de retirer leurs fonds & leurs personnes, l'Ordre féminin ayant témoigné que leur adoption, forcée dans le tems par la faveur, n'avait été justifiée par aucun service agréable: loin de là.

5o. On lut une circulaire qui signifiait à MM. de Fornicaud, Bandard, (frere du directeur de Mad. de Montchaud,) Long-garot, Paillardin, Conami, & quelques autres, que, malgré leur talent & le zele avec lequel l'Ordre ne disconvenait point d'avoir été servi de leur part, on les remboursait ( a ) & les priait de s'exclure, le parti sans-culotte qu'ils avaient embrassé dans les troubles, ne permettant pas qu'ils fussent désormais regardés comme freres parmi de vrais Français qui se piquaient du plus pur Royalisme. L'orateur fit à ce sujet un court & délicat éloge de Dom Ribaudin; cet officier national déjà cité, ce surprenant tapeur, qui, sous une forme détestée, déguisait les plus nobles sentimens: „Ce nouveau Frere Jean des Eutaumures, ce nouveau Pere Jean du Compere Matthieu, (disait l'orateur) est du petit nombre de ces hommes périlleusement courageux qui se sont mêlés aux ennemis de la cause Royale, exprès... afin de la mieux servir; afin de découvrir les secrets ressorts de l'infernale machine & de pouvoir combiner avec connaissance de cause les moyens de la briser. „On apprenait, en un mot, que D. Ribaudin, lorsqu'il était encore étranger à l'Ordre, l'avait prévenu d'un complot affreux, machiné par de perfides membres, Jacobins en secret & Andrins la plupart.--Ceux-ci sans doute avaient eu vent du projet de les retrancher de l'heureuse liste des Aphrodites. D. Ribaudin soutenant une si belle façon de penser de si puissans moyens de faire honneur à la fraternité; la force de son caractere & de son bras promettant d'ailleurs un appui si solide, il n'est pas étonnant que, malgré son effrayant uniforme, on l'eût d'emblée affilié. C'était à cette faveur qu'il avait dû l'accès libre dont il jouissait déjà dans l'hospice & le bonheur de faire faire à l'écureuil de la petite Sorciere, le déjeûner glouton dont nous avons enrichi notre galerie de tableaux lubriques.

6o. L'occasion était belle pour prendre en considération le travail du mitigé Culigny, concernant les Rétroactifs. Il avait frappé, dans un Mémoire plein de force, les abus de cette vicieuse superfétation de l'Ordre. Il démontrait que vingt-huit freres, presque tous Démocrates, manquant tous d'amabilité, stériles, ne devaient pas être ménagés, quand un nombre vingt fois plus grand (dont le Beau-sexe, outragé, faisait partie) était réellement dés honoré par ces vilains. ( a )Lalecturedel'excellentMémoiredura douze minutes; il était fortifié de 95 signatures provisoires: toutes les personnes présentes, qui n'avaient pas encore signé, crierent unanimement leur approbation. Il fut arrêté au bruit des applaudissemenslesplus vifs;1o.Que les vingthuitexcrémens de l'Ordre seraient remboursés & biffés des registres: 2o. que le local particulierement affecté à MM. les Jeudis, demeurerait fermé jusqu'à nouvel ordre; que par conséquent le prétendu service, fixé par les statuts au jour du grand Jupiter, serait suspendu & n'aurait lieu désormais qu'autant que des femmes daigneraient y concourir. 3o. Culigny fut prié de présider à cet objet de Police & d'inspecter les Freres de ce bord, de même que la grosse Présidente de Confessu aurait l'inspection des Sœurs, puisque malheureusement il y en avait beaucoup & même de fort aimables qui donnaient dans ce travers. Célestine, à qui convenait encore mieux l'emploi qu'on accordait à Mad. de Confessu, ( a ) ne pouvait en être gratifiée, vu celui, bien plus important, de premiere essayeuse, qui l'occupait beaucoup & dont elle s'acquittait avec la plus haute distinction.

7o. Comme lors de la précédente assemblée on avait recueilli les suffrages pour différentes promotions, l'orateur annonça qu'il allait déclarer la Grande-Maîtresse & le Grand-Maître donnés à l'Ordre, (la premiere, par les Freres, le second, par les Sœurs, c'est l'invariable usage.) „Grande Maîtresse, cria-t-il, la belle Eulalie, Mad. la Baronne de Wakifuth, à la majorité de 137 voix, contre 26 partagées entre Mesdames de Fieremotte & de Band'amoi.-- Grand-Maitre, tout d'une voix, sans aucune exception.... l'illustre Dom Martin, Christophe Ribaudin de la Couleuvrine, ci-devant Très Vénérable Abbé de l'ordre de Citeaux, actuellement militaire.... (acheva l'orateur en baissant le ton, comme s'il eût craint de dire une sottise.)

Le cas était unique. Ribaudin était un intrus. ( a ) Presque coup sur coup Affilié, Novice & Profès ; franchissant à grands sauts toutes les barrieres dont les grades étaient séparés, tout à coup il se plaçait fierement sur le trône des Aphrodites. Quelques prétentieux Freres pouvaient bien en murmurer tout bas: mais les Sœurs marquaient leur satisfaction avec ivresse. L'élévation de Ribaudin était leur glorieux ouvrage. Certaines actives cabaleuses avaient habilement accaparé les voix; les perfections multipliées du Personnage avaient fait le reste. Que ne peut pas sur l'excessive sensibilité d'un Sexe fin appréciateur du mérite, la réunion d'une ame élevée, d'un imperturbable courage & d'une santé rayonnante, aux beautés d'une stature gigantesque, quarrée, musculeuse; le tout couronné par l'heureux hasard d'un boute joie de dix pouces neuf lignes, brulant, infatigable, auquel plus des trois quarts des votantes avaient d'avance quelque obligation!

A la suite de cet important travail il y eut récréation pendant une heure. Je laisse ici libre carriere à l'imagination du lecteur.

Un grand concert rassembla de nouveau les assistans dans la Rotonde. Comme on ne peut gueres avoir la sensibilité rafinée des organes du plaisir de l'amour, sans avoir aussi la passion de la Musique, celle-ci fut avidement écoutée. Des freres, des sœurs qui chantaient ou jouaient des instrumens avec un talent rival de celui des virtuoses de profession, recueillirent un juste tribut d'admiration & de caresses: plus d'un éclair lancé de l'orchestre avait allumé des feux qu'il fallut courir éteindre au boudoir.

A neuf heures, réunis encore, on vit l'entrée des couples qui passaient ce jour-là de la classe des Affiliés à celle des Profès. ( a ) Zaïre, à son grand étonnement, était du nombre. On l'avait en vain cherchée partout, tandis qu'elle était si solitairement occupée avec le Commandeur de Larde-motte. Pour ajouter au piquant de la faveur de son adoption impromptu (& surtout hors de regle) on n'avait point voulu la prévenir. Mais, dès qu'elle avait reparu dans la Rotonde, on s'était emparé d'elle & tout de suite, en lui annonçant sa flatteuse promotion, on lui avait imposé l'agréable devoir de faire gagner les couronnes ( b ) au Parain, que le Sort venait de lui donner en partage. C'était le beau, l'aimable, le surprenant Plant'-amour. ( a ) Pendant trois heures qui s'écoulerent pour eux comme les momens d'un agréable songe, l'Adonis, sans aucuntourdeforce,méritad'êtreonze fois couronné. Onze fois! quel honneur, & pour lui-même, & pour celle qui l'avait secondé si bien! Le Parrain fit ainsi son entrée dans le Temple avec une espece de thiarre presque ridicule par sa hauteur,quemesuraitdesesregards, encorehumides de volupté, Zaïre involontairement fiere de son ouvrage.--Le plus décoré, à leur suite, n'avait pas plus de huit couronnes. C'était le ci devant Abbé de Conaise, dépossédé de ses bénéfices & d'une jolieplaceàlaCour,mais qui se croyaità-peu-près dédommagé puisqu'il avait eu le bonheur de percer chez les Aphrodites. Sa Marraine était la délicieuse Duchesse de Troumutin, la plus vive, la plus folle, la plus magique Etrangere qui sesoitjamaisfranciséeparminous.

Deux couples encore, avaient atteint l'ordinaire recommandation des sept couronnes. On ne les nomme point, ne devant jamais figurer dans cette expirante histoire. Un arrogant Capitaine de Dragons, en dépit de son beau nom de Bout-de-fer, n'avait pu gagner que six couronnes dans les bras de la charmante Pinejoie; celle-ci, distraite, soucieuse, semblait murmurer contre le Sort qui l'avait si médiocrement partagée. Quant au quadragenaire Baron de Fier-sec, portant ses cinq couronnes bien justes, il marchait la tête haute, avec une suffisance dont on eût à peine absous l'héroïque Plant'-amour. Comme la Marraine du Baron n'était que Mad. de Chaude-voie (médiocrement jolie,) mais archiluxurieuse & qui, en considération de ses infatigables travaux, était enfin parvenue à l'honneur d'être reçue Professe ) le fat de Fier-sec semblait rejetter sur elle l'exiguité de ses preuves & dire aux gens: je n'ai pas voulu me donner la peine d'en faire plus. --Un étrange & risible événement avait fait demeurer en arriere un sixieme couple qu'on s'étonna d'abord de ne point revoir. Deux désignés qui s'étaient accrochés avec la plus vive ardeur, venaient d'amasser déjà quatre couronnes; ils n'avaient point encore l'avantage de se connaître: s'étant par malheur interrogés pendant un entr'acte, il se découvre que l'un est le Neveu, l'autre la Veuve d'un opulent avare, mort en laissant un testament équivoque, qui met les gens dont nous parlons dans le cas de soutenir un procès, très animé, pour la succession. Soudain la haine glace chez eux le desir, & les r'allume de fureur. Ils se séparent après une longue kirielle de reproches, d'injures & de menaces. Cette rixe ayant causé quelque embarras, Mad. Durut, de peur que les projets pour ce jour de plaisir n'en souffrissent, avait pris sur elle de renvoyer de l'hospice les scandaleux plaideurs: ils dérogeaient aux premieres qualités requises, le parfait désintéressement & l'union des cœurs, jurée, dès qu'on avait ensemble les plus légers rapports d'Aphrodites.

Les choses s'étaient bien différemment passées entre les futurs Grand-Maître & Grande-Maîtresse, qui ne s'étaient aussi jamais vus. On les avait mis, sans affectation, ensemble pour tout le tems de la séance, où ils ne devaient ni entendre parler d'eux, ni gêner, par leur présence, l'impression que leur exaltation déclarée pouvait causer parmi les assistans. Ribaudin qui, non plus qu'Eulalie, n'était pas grand causeur, avait préféré de le mettre & remettre sans cesse à cette rare Beauté. Quand on vint les rappeller, ils en étaient, sans y avoir mis de prétention, à leur douzieme passade: on eut quelque peine à les faire revenir sitôt dans la Rotonde, éprouvant mutuellement qu'ils auraient bien encore quelque chose à se dire: Cependant, notre Samson ne fut pas faché, dans sa position imprévue, de sentir qu'il lui restait encore une petite portion de sa poudre à tirer, puisqu'il se voyait salué par cinq nouvelles Professes, auxqu-elles il croyait devoir une accolade plus galante que le simple baiser ( a ) d'obligation. L'indomptable les eut toutes, à commencer par la brulante Zaïre, (qui par parenthese ne s'en était pas mal donné ce jour-là.) Ribaudin trouva cette jouissance, quoique enfantine, si hors du pair, qu'en lui décochant le jet de son onction embrasante, il la nomma, selon son droit, seconde Assistante, ayant déjà disposé de la premiere place in petto. -- De son côté, la Grande-Maîtresse n'avait pas plus d'envie de faire les choses mes quinement. Elle s'était donc retirée dans un boudoir, pour y recevoir l'hommage d'étiquette que lui devaient les nouveaux Profès : s'ils pouvaient desirer de ne pas s'en tenir à la stricte regle, elle les attendait de pied ferme... Plant'amour, l'admirable Plant'amour qui n'avait jamais eu la félicité de posséder notre divine Eulalie, ne reçut pas l'éclair de son baiser sans se sentir soudain renaître: il la renversa pétulamment sur la fouteuse ( a ) & la servit en homme capable encore de gagner bien des couronnes. Son prétendu devoir accompli, le fortuné Profès refusa de se retirer; mais il se cacha, jurant que si ses collègues manquaient à s'acquitter de même qu'il venait de le faire, il payerait pour tous. L'Excellente Eulalie sourit de ce défi, bien loin de s'en offenser.--Chaque couronné parut à son tour, aucun n'osa franchir les bornes de la stérile étiquette. A mesure que l'un de ces éclopés se retirait, le fougueux Plant'amour s'élançait hors de sa retraite & dédommageait l'adorable Baronne. Le seul Fier-sec cut l'audace de tenter un effort... mais ce présomptueux échoua d'autant plus désagréablement que comme il abusait un peu de l'excessive complaisance de la Grande-Maîtresse, celle-ci vint à lui dire: „Eh, Monsieur! qui vous en priait. = A ce trait, le niché Plant'amour ne put réprimer un fol éclat de rire, dont Fier-sec fut pour le coup tout à-fait nullifié. Dans sa mauvaise humeur, il articula faiblement quelques expressions un peu légeres, mais Plant'amour avait bien un autre souci... c'était de venger à l'instant la céleste Eulalie: sans tenir aucun compte du mortifié Baron, il vint, à sa barbe, brûler un encens réel & copieux sur le charmant autel que l'avantageux n'avait enfumé qu'à peine. Ce dernier ne jugea pas à propos d'attendre la fin de la réparation. Eulalie, enfin seule avec l'étonnant Plant'amour, se mit, contre son usage, en frais d'éloges & lui fit compliment d'être si bien en fonds pour payer de la sorte à vue les dettes de tout le monde. = Il s'agirait (lui dit il galamment) d'acquitter avec vous l'univers, qu'un seul de vos regards me mettrait en état d'y suffire... = Un baiser à l'Eulalie & quelques moëlleux mouvemens, dont elle était, comme on sait, fingulierement avare, furent la récompense de ces douceurs. La Grande-Maîtresse enfin, (inspirée de même que l'avait été le reconnaissant Grand-Maître) nomma Plant'-amour son premier Assistant, ( a ) en consommant avec lui le dernier de leurs brulants sacrifices... Elle voulut encore ajouter à son bienfait une riche épingle de col que l'heureux Plant'amour, (n'ayant pu faire agréer sa résistance,) juradumoinsdeporterlereste de sa vie pour l'amour de celle qu'il faisait le vœu d'adorer jusqu'au dernier soupir.

Un banquet somptueux & surtout exquis rappella de nouveau dans la Rotonde les Freres & Sœurs ( b ) & les occupa jusqu'à deux heures du matin, moment fixé pour le dénouement des mystifications du Baronnet & pour la résurrection prétendue de son adorée Zéphirine.

VAUT-IL MIEUX ETRE SAGE! QUATRIEME FRAGMENT.

Dès que le prétendu suicide Sir Henri avait éprouvé l'effet de cette terrible potion qui devait l'anéantir pour quelques heures, un des Esculapes de l'hospice, vêtu en Magicien, s'était établi près de lui. Au plus fort du sommeil on avait emmaillotté le pauvre Baronnet en façon de trépassé, ne montrant à nud que le bas du visage, afin de pouvoir respirer; tout le reste était enveloppé de larges bandes de fine toile qui le serrant de toutes parts, collaient les mains aux cuisses, réunissaient les jambes & les pieds, mais laissaient à dessein une maligne lacune à l'endroit de certain objet.... sujet aux variations, & qui toutefois ne joue pas un rôle brillant chez les gens accablés de sommeil ou transis de peur. Les yeux, dont il s'agissait surtout d'interdire totalement l'usage à Sir Henri, jusqu'à nouvel ordre, étaient mollement bouchés d'un petit coussinet sous le mouchoir dont on lui avait ceint la tête. Dans ce mortuaire & gênant costume, notre homme (encaissé à peu près comme sa Momie adorée, mais avec moins de façons) avait été descendu dans le souterrain de la grande Rotonde, au parquet de laqu-elle il y avait pour lors un trou circulaire de douze pieds de diametre entouré de garde-foux. Dans cette occasion, le souterrain dont nous parlons, & qui a vingt pieds de profondeur, est décoré en caverne infernale, construite en apparence de blocs de roches irrégulierement entassées, & dont la voûte, à l'endroit où elle est crevée, semble menacer d'écraser dans son inévitable chûte ce qui peut se trouver perpendiculairement au-dessous. Plusieurs arcades inégales forment le pourtour, & fournissent autant de sombres entrées. Une mousse sèche & d'une triste couleur se mêle à des touffes de ronces & de menus arbustes résineux, pour tapisser les murs lugubres & la coupole de cet horrible local.

C'est là que, perclus dans son sépulchre, l'extravagant Baronnet se trouve couché sur le dos, ne pouvant rien voir, mais très bien entendre lorsqu'enfin il s'éveillera.--Vers une heure du matin, il donne quelques signes de vie; l'Esculape lui porte à l'instant sous le nez des esprits volatils qui doivent achever de dissiper les vapeurs causées par le breuvage. Et tout aussitôt l'assemblée, par un moyen muet dont on est convenu, se trouve avertie que le divertissement de la résurrection peut commencer.

Nul doute que la premiere idée du patient, quand il se trouve si gêné, ne soit: Oui : c'est tout de bon: je suis mort. L'horreur des ténebres.... du silence.... achevent de l'en persuader... Cependant son compte ne se trouve point encore à ce trépas si courageusement affronté... Qu'est il donc ? où est il ? & pourquoi n'a-t il pas déjà retrouvé celle qui lui a donné là haut un rendez vous si positif?--Tandis que ces pensées l'agitent, il entend en l'air l'entretien qui suit.

Une Voix.

Tu dis, John, que c'est le même fou qui promenait par l'Europe cette châsse dans laqu-elle était l'effigie d'une belle femme!... ( a )

John, parlant du nez & prononçant comme ceux qui ont un chancre au palais.

Oui, Milord C'est lui: c'est ce Sir Henri Arisson dont on se moquait si fort à Rome du tems où nous y étions: le même qu'un jeune Français se flattait d'avoir fait cocu récemment, à Paris, avec l'original très vivant de la copie inanimée, objet de tant d'amour & de regret. J'ai reconnu cette figure d'homme tout de suite. Braquez d'ici votre lorgnette, Milord, & prenez-bien garde de tomber dans le trou....

Milord, feignant une extrême attention.

Tu as ma foi raison. C'est lui!... c'est notre Baronnet en personne!--Encore un extravagant de plus parmi nous. Mais il n'est point défiguré!.... Quel genre de mort a-t-il donc choisi?

John.

Le poison, dans du vieux vin d'Hongrie.

Milord soupirant.

Il a été mieux avisé que moi qui me suis si gauchement brûlé la cervelle &, me vois condamné pour tous les siecles à repousser la Beauté par ma tragique laideur, tandis que l'heureux état où je me trouvais au moment du trépas, me force à brûler de la soif des faveurs du Beau-Sexe...

John.

Détournez ces idées, Milord.

Milord, avec douleur.

O ma petite Cléophile! je me suis tué pour toi par jalousie; la rage dans le cœur, mais le desir autre part! Tandis que tu me cocufies du matin au soir dans Paris, je bande vainement chez les Morts, poursuivant, sans jamais en atteindre aucune, des vierges folles, suicides à leur maniere, qui fuient dès que je parais à leurs yeux avec mon crâne démoli, sanglant & privé d'un œil... Que Lucifer confonde l'amour & toutes celles qui l'inspirent, aussi bien sur Terre que dans les Enfers!....

John.

Là, là, Milord, calmez-vous.

Milord.

Tu en parles bien à ton aise, heureux coquin, mort exprès de la vérole sublimée, que tu cherchas dans les coulisses du boulevard, afin de rejoindre ton maître par un détour, puisque tu n'avais pas eu le courage de prendre comme lui le plus court chemin. Ici du moins, tu peux t'en donner àcœur joye; rongé de toutes les vilenies qu'on ramasse en barbotant dans les cons ulcerés; distillant de ton bec-à-corbin cramoisi la verte & corrosive essence du virus, tu t'assortis ici, sans crainte de pis, avec des Damnées du Peuple & de la Cour aussi maléficiées que toi; tu jouis dans l' ordure, & moi j'enrage dans le sentiment : & nous en voilà, chacun dans notre genre, pour une toute petite éternité!

John.

J'avoue, mon cher maître, que pour un empire, je ne retournerais pas là haut, dussé-je y être aussi beau garçon & aussi riche que vous l'étiez de votre vivant. Je ne conçois point, par exemple, comment cette superbe créature qui fixe en ce moment l'attention de tout l'empire souterrain, a pu se résoudre à subir l'épreuve des enchantements de Nécrarque? on ne sait par quel mic-mac, tandisque l'angélique Zéphirine faisait des efforts pour remonter, son imbécile adorateur s'est si fort pressé de descendre; il y a du mal-entendu dans tout ceci.

Milord.

Idiot! ne te souviendras-tu jamais que Nécrarque & ces Adeptes du même genre qui ont le funeste secret d'agiter la Nature jusques même parmi nous, sont en horreur à toute la Hiérarchie infernale & n'entreprennent rien sans éprouver de la part de celle-ci les plus contrariantes oppositions?

John.

J'ai fait aussi peu de cas de ces bruits, que des fables dont on nous berçait sur la Terre.

Milord.

Ici, mon pauvre John, on ne plaisante point; tu verras aujourd'hui dans toute sa force & sa fureur la guerre des Enchanteurs de la Terre avec les Esprits chargés de la police des Enfers. Evoquer les Ombres, leur enlever la douceur du repos, (seul bien de celles à qui leur jugement l'a permis) c'est déjà mortifier bien sensiblement nos Puissances souterraines: mais prétendre arracher tout-à-fait de leurs domaines l'être qui y est descendu, c'est mettre le comble à l'outrage; & Bandamor, dont la béatitude consiste à éteindre ici bas les feux de toutes les Beautés de sa caste, décédées en état d'amoureuses, l'ardent Bandamor a la rage dans le cœur, se voyant maintenant menacé de restituer peut-être Zéphirine, la perle de ses Houris & la plus délicieuse de ses jouissances. D'énormes paris sont ouverts: les uns prétendent que Nécrarque, en dépit de son immense pouvoir, aura du dessous dans cette affaire. Par contre, les Esprits envieux du bonheur du trop favorisé Bandamor penchent à croire que l'infatigable Nécrarque sera la plus forte: il faut voir l'événement.

John.

God-dem! voilà bien du tintammare à propos de rien! car ces gens-là, s'ils retournaient là haut, n'y jetteront pas un beau coton. On assure, d'abord, que le bijou de nôces de la belle Morte fut tout-à fait désorganisé quand on l'embauma; & que d'ailleurs on ne pourra jamais réparer l'énorme brèche par où l'on arracha les parties sujettes à la corruption, avec lesquelles il était impossible de la conserver, & qui sont absolument détruites.

Milord.

Qu'à cela ne tienne; on a remis ici tout cela dans le meilleur état possible; si Bandamor est vaincu, il ne dépendra pas de lui de démolir l'admirable ouvrage de Conifex. ( a ) Mais c'est en faveur du malheureuxHenrilui-même,quetout l'art de la Magie ne pourra plus rien, puisque son pauvre engin est mort tout simplement sans aucune dégradation, après avoir été inconsidérément dépouillé de sa derniere étincelle électrique. Regarde en quel honteuxétatvoilàsatripeinutile,exprès livrée à la risée des Enfers. Qu'il remonte là haut, ou qu'il reste parmi nous, le pauvre diable est éteint, dans cet endroit là, pour l'infinité des siecles....

Vers la fin de cette insidieuse conversation, dont l'infortuné Baronnet n'a pas perdu une syllabe, il a été fort incommodé du bruit qu'ont fait autour de lui des gens qui semblaient arranger des bûches.... Un coup de tonnerre terrible part & fait trembler la caverne.... Fuyez, profanes, crie alors une voix dont le timbre & la gravité forcent à la terreur.... La même voix, qui semble être descendue dans le caveau, continue avec moins d'éclat: „Esclaves? hâtez-vous! je n'ai plus qu'une minute: allumez le bucher, c'en est fait si Nécrarque survient avant que leur dépouille mortelle soit consumée.--( On agit: le Baronnet sent qu'on le souleve... la voix continue ) Non; détruisons d'abord les élémens matériels de celle-ci... „-- ( On entend alors )

Zephirine, articulant faiblement.

Barbare! l'oseras-tu!... Est-ce là le prix de tant de sacrifices arrachés....

La Voix, avec véhémence.

Tu m'abandonnais... Brûle, perfide. Je te condamne au néant.--Esprits qui m'êtes soumis? obéissez.

Le Baronnet entend alors comme la chûte de la caisse de sa chere Momie sur une pile de bois, qui en serait même un peu dérangée. Il entend petiller comme des brins de fagots qui commenceraient à s'allumer: = Forcez le feu (crie la voix.) Alors, du papier & de la paille, dont on irrite la peu considérable flamme en la soufflant, font un bruit qui semble à l'Anglais être celui d'un subit & violent embrasement.--On a entendu parci, par-là, quelques gémissemens, censés ceux de la victimée Zéphirine. Il ne peut plus douter que ce soit de sa part, quand elle a crié deux fois avec sentiment: „ Adieu donc, Sir Henri : adieu pour l'éternité. „ Quant à lui, comme à son tour on le déplace & l'éleve, il commence à beugler de toute sa force... Peut-être l'outrance de cette épreuve le ferait-elle expirer, si soudain il ne se faisait.... en l'air, (relativement au Patient, enfoncé de vingt pieds) c'estàdire, s'il ne se faisait au niveau du sol de la Rotonde, un fort grand bruit d'applaudissemens & de cris de joie mêlés de „ Vive, Nécrarque.... ils sont sauvés: vive, vive Nécrarque. „C'est toute la Société joyeuse qui a la complaisance de se prêter à ce nouveau coup de théâtre.

Pour lors, tout près de l'oreille du juché Baronnet (qui s'attend à chaque seconde à sentir l'ardeur du bûcher sur lequel il se croit étendu) la grosse voix de Bandamor (car quel autre pourrait-ce être que ce mauvais Génie!) Bandamor, disons-nous, profère d'un son étouffé: „Puissance du Ciel! Nécrarque! & l'on m'abandonne... serais-je donc vaincu...! „De l'eau versée d'en haut à grands flots, & qui fait mugir les matieres enflammées, distrait le pauvre Baronnet d'autant plus désagréablement qu'il reçoit sa bonne part de cet officieux déluge.... Mais si la fraicheur salutaire du fluide ranime ses esprits près de l'abandonner, il est, au moral, encore bien mieux r'avivé quand il reconnaît la voix de sa prétendue Protectrice qui, supposée fondre d'en haut dans le souterrain, prononce avec une emphatique vigueur... „C'est moi... „( le tonnerre qui gronde sour dement accompagne les paroles suivantes ) „Tu te flattais donc, Esprit impur, de balancer mon suprême pouvoir!... tu vas apprendre à connaître Nécrarque.„

A ces mots commence un fracas horrible: la foudre fait retentir de ses éclats le souterrain: dans le haut, on applaudit avec tumulte en exaltant le pouvoir de Nécrarque. Un bruit affreux d'Esprits.... (apparemment) hurlant & traînant après eux des chaines, annonce le châtiment de l'audacieux & vaincu Bandamor. = Ministres de mes vengeances, (poursuit la Fée, du ton du triomphe) chargez de fer cet Esprit rebelle, en attendant que j'ordonne de son sort = Tandis que le bruit qui se fait semble confirmer qu'on exécute cet arrêt, la Fée, polissonne, & plus qu'espiegle en ce moment, s'est postée jambe de çà, jambe de là, au dessus de la face du mystifié Sir Henri, & l'arrosant de sa brûlante urine, ( a ) elle articule d'un ton mystique: „Loin de mon Protégé les funestes influences des maléfices: & que cette eau lustrale le purge du venin de tous les enchantemens du perfide Bandamor. „Puis elle détache le bandeau funebre dont les yeux du compissé ( b ) Baronnet étaient bouchés. Il voit pour lors la Fée remonter sur une espece de nuage. Il est frappé de l'horreur qui l'entoure... il frémit à la vue de cette affreuse caverne dont les murs &lavoûtecroulantesontfaiblementéclairés par quelques rares lampions à l'esprit de vin. Il mesure toute l'étendue de ses périls, voyant éparses autour de lui les pieces de ce bûcher dans lequel apparemment il devait être réduit en cendres. Cependant il remonte lui-même insensiblement, avec sa caisse, vers cette ouverture lumineuse par laqu-elle la tout-epuissante Nécrarque a pris son essor.... A mesure que l'angle visuel s'élargit pour le Baronnet, la scene change & s'embellit. Alors se développe à ses regards l'imposante architecture de la Rotonde: il y voit circuler la plus brillante Jeunesse des deux fexes, élevant les mains & la voix vers la Fée qui semble planer au-dessus d'eux dans son nuage. Cette foule d'êtres charmans est revêtue, par dessus ses habits, de longues draperies blanches de gaze ou de mousseline, descendant du haut de la tête où elles sont fixées par des couronnes de fleurs: c'est ainsi qu'on a eu l'intention de représenter un ravissant essaim d'Ombres heureuses. Elles ont l'air aussi de prêter à l'ascension du Baronnet le plus obligeant intérêt & de lui témoigner toute la joie qu'inspire à de belles ames la délivrance d'un innocentopprimé. C'est du moins ainsi que l'Anglais, dans sa crise qui l'égare, interprête les ris & les mouvemens convulsifs qu'occasionne dans le Temple la ridicule apparition d'un sot, emmailloté, la face mouillée d'une ablution qui fume encore; mais du reste, transi dans ses langes humides. Dès qu'il est au niveau de la plate-forme, (d'où les garde-foux ont déjà disparu) l'ouverture se referme & la caisse sépulchrale se trouve reposer sur une estrade, exhaussée de quelques marches, qui ne ressemblerait pas mal à un petit catafalque, si le tapis de velours qui la recouvre était noir & bordé de cierges, au lieu d'être vert & garni, le long des marches, de deux rangs de coussins de satin-lilas. Cependant notre prétendu Mort (qui n'est pas encore trop sûr de ne pas l'être & qui du moins se croit tout de bon au sombre séjour, où, du Tenare, il vient, apparemment, de passer dans l'Elysée) Sir Henri, disons-nous, cherche des yeux parmi la troupe folâtre sa chere Zéphirine & ne jouit point encore du bonheur de la revoir. Mais il doit préalablement avoir un moment d'entretien avec Nécrarque qui descend en sa faveur de son char aërien. Elle est vêtue à la Grecque, du plus fin linon blanc parsemé de paillons & bordé de riches franges d'or. Un plastron, quarré, rayonnant de pierres précieuses décore son buste: sur sa tête elle porte une toque de Déesse, où brillent sept étoiles de diamans surmontées d'un panache de fleurs. La troupe des Ombres heureuses trace autour d'elle, à quelques pas, un demi-cercle, dans lequel se sont avancées seulement deux Nymphes à ses côtés, &, par derriere, deux petits êtres masculins, en guise de Pages, (ce sont des camillons de l'hospice) qui supportent de loin l'immense queue d'une mante verte richement brodée d'or. = Eh bien, Sir Henri? (dit alors la Fée d'un ton naturel & gai sans déroger à la dignité) nous nous retrouvons encore...--Le pauvre-diable interdit ne sait trop que repliquer.--Rassure-toi, poursuit elle. Tes malheurs touchaient à leur comble. Mon art t'en a délivré. Ta Zéphirine te fera rendue: mais parle: où veux-tu désormais fixer avec elle ton séjour. Tu te trouves parmi les Ombres; tu peux y demeurer; mais je ne saurais m'occuper de tes intérêts avec assez de suite, pour que tu fusses constamment garanti des maléfices que ne cesserait d'essayer contre toi le vindicatif & frustré Bandamor, dont la punition ne peut être éternelle. Veux-tu plutôt que, te donnant une nouvelle preuve de mon pouvoir infini, je te replace sur la Terre. Mais Zéphirine, alors, pourrait ne plus vouloir t'y accompagner. Renoncer à la félicité de l'Elysée; se soumettre à souffrir sur nouveaux frais de la rigueur des grossiers élémens qui ravageront en peu d'années sa beauté, contre laqu-elle au contraire le Tems ne peut plus rien ici bas; c'est un sacrifice dont il est inoui qu'une amante ait été capable: Euridice elle-même, à moitié chemin, se ravisa. Parle, Sir Henri, que choisis-tu?--Hélas! repliqua grelotant le pauvre Baronnet, s'il se pouvait, Grande Fée, que préalablement je fusse délivré de ces enveloppes où j'étouffe; si l'on daignait essuyer cette eau salée qui s'insinue dans mes yeux & me fait craindre d'ouvrir la bouche, il me serait plus facile de répondre à votre obligeante invitation. = D'un signe alors Nécrarque permit que le déconfit Sir Henri recouvrât l'usage de ses membres. Il fut essuyé, lavé, seché, non sans divertir extrêmement les espiègles témoins de sa froide toilette. Il est enfin affublé d'une simarre fourrée, & coiffé d'un ridicule bonnet qui lui donne tout-à-fait l'air d'un échappé des Petites-Maisons. Un soin, non moins essenciel que celui de la purification, venait d'être pris par certain Maître de cérémonies, (le Docteur Magicien,) qui n'avait cessé de se tenir à portée. Cet homme avait fait avaler au Baronnet un petit verre d'on ne sait quelle liqueur verte, odorante, suave, exquise, mais d'une force à peine supportable. N'est-il pas tout simple que, dans l'autre Monde, on ait d'autres liqueurs que nos huiles & nos crêmes de Phalzbourg! Une vivifiante chaleur fut en vain le prompt effet de ce merveilleux breuvage; il ne faisait encore du bien qu'à l'estomac, & cependant le Baronnet continuait de chercher des yeux, dans la foule, l'objet adoré pour lequel il avait consenti à courir tant de hasards & subi de si cruelles épreuves....--Je te comprends, (dit au Baronnet la fausse Nécrarque riant sous cape, de même que le troupeau malin qui l'entourait). Tu demandes Zéphirine? mais le charme qui doit te remettre en possession de cette Beauté, ne s'accomplit point encore... Ton aimant est mort... il n'est pas en mon pouvoir de le ressusciter seule. Cependant, Phallarque ( a ) est mon amie. Je vais l'invoquer, & j'aurais lieu de tout espérer si, parmi ces Ombres aimables, il en était d'assez généreuses pour lui offrir, à ton intention, le sacrifice ordinaire par lequel on implore sa faveur.... = Nous... nous... nous... crient aussitôt de différens côtés douze couples qui s'avancent & viennent se ranger sur les piles des coussins distribués autour de l'estrade... Alors, sur un fauteuil qui a remplacé la caisse disparue, on poste Sir Henri de nouveau surpris par cette cérémonie dont il ne sait quel doit être le dénouement. Ensuite les deux accolytes de Nécrarque viennent, en souriant à-peu-près épigrammatiquement, attacher de leurs jolis doigts douze brins de soie verte au réfrogné bigarreau de l'engin du Baronnet.--Qu'il a de honte de faire, au milieu d'un Public si nombreux, la plus ridicule figure! à l'autre extrémité des brins tiennent douze anneaux d'ivoire, de fort calibre, à travers chacun desquels une Ombre masculine passe son vigoureux bontejoie, qui tout aussitôt se plante chez une Beauté, de moitié du délicieux holocauste. Ces sacrificateurs volontaires & pénétrés d'une sainte ferveur, sont MM. de Beauguindal, de Durengin, de Long-vit, de Fierepine, de Fout-en-ville, de Beaudard, de Vitaimé, de Pousse-à-fond, de Pinange, les Comte, Vicomte & Chevalier de Limefort; ( a )surMesdamesdeCognefort,deFieremotte, de la Rigoliere, de Polimone, de Troumutin, de Mignonval, de l'Andouillée, de Conchaud, de l'Enginiere, de Vadouze, de Frais-Sillon & de Mattepine, (la plupart déjà connues du Lecteur.) En même tems,Nécrarqueagiteenl'air salonguebaguette, élevant ses regards vers le ciel & marmotant des paroles, tandis que le reste de l'assemblée, un genou en terre, rit, s'embrasse, ou fait d'autres agaceries; ou parodie tout de bon le sacrifice solemnel, le tout, selon le degré de zele ou de folie dont chacun se trouve inspiré.

C'est pour le coup que l'émerveillé Sir Henri ne doute plus d'être un fortuné citoyen de l'Elysée. Or, quand il vient de prendre le plus terrible stimulant que puisse fournir l'art chymique; quand sous ses yeux se passe la plus pétulante mêlée où la fougue des desirs puisse prêter son fard aux belles formes, à la fraicheur, aux graces de la Jennesse; quand l'air qu'il respire est embrasé des soupirs & des accens d'un cercle qui sacrifie si passionément autour de lui; peut il ne pas renaître tout entier! & Phallarque aura-t-elle été sourde à des sollicitations si pressantes! L'œil de Sir Henri s'anime; son visage se colore; son cœur palpite; & son médiocre aimant enfin ne fut jamais aussi glorieusement ressuscité... Tout le monde se leve aussitôt; la voûte feuillée du Temple retentit de nouveaux applaudissemens; les noms de Nécrarque & de Phallarque sont célébrés à grands cris; un peloton s'avance, s'entrouvre & laisse voir enfin à l'éperdu Baronnet sa chere, sa belle, &, pour comble de bonheur, sa très existante Zéphirine...

Peigne qui pourra le délicieux instant dont jouit alors un homme dont tout le ridicule n'eut pour cause que son excessive sensibilité. Qui vit sa joie, qui vit avec quelle crainte mêlée d'extravagans transports il interrogea, de sa main tremblante, guidée par Nécrarque, le cœur de celle dont il pleura si longtems le malheur d'être séparé; qui fut sensible, en un mot, lui pardonna soudain toute sa bisarrerie. La petite Comtesse elle même attendrie jusqu'au fond de l'ame, se reprocha de n'avoir envisagé que du côté ridicule un mortel extraordinaire qu'il convenait au contraire de beaucoup estimer. Cependant, il fallait entretenir encore pendant quelques instans l'honorable erreur du Baronnet & tirer un dernier parti de la tortueuse manœuvre. Dejà la pauvre Zéphirine était douloureusement avertie que son fatal moment arrivait. Elle n'avait plus que quelques instans pour achever son rôle. Voici ce que, pour sa derniere scene, on lui avait dicté: = O sublime Bienfaitrice! (dit-elle en tombant, avec précaution, aux pieds de la prétendue libératrice) définissez-moi donc mon état. Examinez-moi: d'où vient cette enflure? d'où vient que je souffre un si cruel déchirement? se pourrait il que mille fois victime des odieux transports du tyrannique Bandamor, je portasse dans mes flancs... --Rassure-toi, ma fille, interrompit avec bonté la rusée Magicienne: Il est vrai que tu touches au moment d'être mere; mais tu n'as rien à te reprocher. La faute en est à moi seule: sachant par quel terrible ennemi j'allais être contrariée à ton sujet, & combien était douteux le succès du prodige de te rappeller sur la Terre, j'ai voulu fortifier tes principes de vie, ou plutôt les suppléer, par des principes absolument sympathiques empruntés de celui qui n'était qu'une moitié de toi-même survivante à celle qui ne respirait plus. Me défiant trop de la supériorité de notre art, j'ai fait la bévue d'outrer la force de mes enchantemens, & cette essence dérobée que j'ai fait pénétrer dans les ruines de ton individu matériel, au lieu de s'y subordonner à la marche lente de la Nature, a précipité le développement de sa fécondité: nouveau prodige qui me prouve qu'au bout de cinquante-quatre siecles d'expérience, il me restait encore quelque chose à savoir. Dans un moment tu seras Mere: mais, encore une fois, rassure-toi, Zéphirine; tu n'as outragé ni la Nature, ni l'Amour: & surtout l'exécrable Bandamor, pour qui je suis de moitié de ta bien juste haine, n'offensa jamais que l'Ombre de cette Belle, dont le fortuné Sir Henri va recouvrer la très réelle possession. „= Zéphirine alors s'abaissant jusqu'aux pieds de la consolante Fée, l'ébahi Baronnet crut machinalement devoir imiter ce religieux transport de respect & de reconnaissance...

Il était tems que finît cette scene magicoburlesque. Les trois quarts des assistans, bien las de se contraindre, pouvaient tout gâter par quelque subite explosion de fourire. La Déesse elle-même avait failli dix fois éclater. Mais, par bonheur, Zéphirine, que ses mouches émoustillaient de plus en plus vivement, faisait diversion; elle inspirait un intérêt général. On oublia le reste pour faire des vœux en sa faveur. Elle disparur. Quant au Baronnet, qu'on retenait sous prétexte de le féliciter de son heureuse fortune, le topique verd l'avait tellement allumé & presque enfievré que (son bienfait devenant inutile, vu la position de la Moitiéchérie ) l'Esculape crut à propos d'opposer à cet effet violent celui d'une collation légere suivie d'un calmant qui ne manquerait pas d'amener un assoupissement naturel, bien différent de celui qui avait favorisé la prétendue descente du Patient au Royaume des Ombres. Sir Henri n'ayant pas encore une idée; ne sachant s'il était Esprit ou corps; s'il avait éprouvé quelque chose; si tout ce dont il se souvenait était réel, ou n'était pas plutôt un de ces songes pendant lesquels on se dit: je dors : Dans cet état, Sir Henri fit tout ce qu'on voulut, suivit, long-tems dans les ténebres, l'Esculape & deux Ombres qui le soutenaient sous les bras; réfléchit; n'osa reparler de Zéphirine; soupa, but & dormit. Mais tout cela s'était passé dans un local absolument inconnu: N'importe, il ne lui en coûtait plus rien de passer d'illusion en illusion, de prodige en prodige.

Le lendemain, ce ne fut pas un prestige quand on le conduisit, refait, sain de corps & d'esprit, à certain petit pavillon qu'il reconnut pour sa demeure ordinaire, & dans lequel, à la même place que ci-devant occupait la châsse lugubre, était un beau lit où respirait la chere Zéphirine, entourée de Mad. Durut, de Célestine, d'une Garde & d'une nourrice donnant ses soins à un Marmot tout-à-fait bien venu. C'est pour le coup que notre homme faillit devenir encore plus fou que la veille, & qu'il fit jouir le petit nombre, qui se trouvait là, de la vraiment excellente comédie. Mais l'état de la ressuscitée ne permettait pas que cette scène durât plus d'un moment: on conduisit l'émerveillé, riant, pleurant, criant, sautant & délirant Baronnet dans une piece un peu reculée, où, veillé de près par Célestine & Mad. Durut, il put donner un libre cours à ses superlatives extravagances.

Il est inutile d'apprendre au Lecteur comment finit, pour l'assemblée de la Rotonde, une fête dont la farce infernale de la résurrection était le dernier acte. Chacun retourna chez soi, riche de plus ou de moins de plaisir & de gloire. Heureux, en pareil cas, celui qui ne s'est pas piqué de voir tout-à-fait le fond du sac!

A bon compte, le délicat Sir Henri tint exactement toutes les paroles qu'il avait données; & fit même encore au-delà, surtout en faveur de la belle Célestine, pour laqu-elle il n'avait rien promis d'abord. Certain d'avoir été mystifié, jamais il n'en a fait à qui que ce soit le moindre reproche. Jamais il n'a fait à Zéphirine une question dont elle pût être humiliée. Il l'aime, il la possede, il chérit l'enfant auquel elle a donné le jour. Il a fait, de la petite Comtesse, une véritable amie, & ne l'a pas un instant boudée pour avoir été si méchamment compissé par elle dans l'infernal caveau. Loin de là: peu de tems après cet exercice abusif de sa toute-puissance magique, elle se trouva gratifiée d'un superbe service complet en argenterie, du dernier goût, que jamais le noble Sir Henri n'a voulu convenir d'avoir fait porter chez elle ... De tels procédés & toute la conduide cet homme singulier demandent bien grace sans doute pour ce que sa passion lui a fait montrer de ridicule folie....

Fin du huitième & dernier Numére.
POSTFACE DES EDITEURS.

Dès la fin de 91, les Aphrodites de Paris & de la Province se préparaient à se dissoudre. Quantité d'individus, des deux sexes, s'étaient d'avance expatriés. De ce nombre, le Prince Edmont, que des circonstances infiniment heureuses avaient rappellé dans son Pays, & la nouvelle Grande-Maîtresse Eulalie qui, par des convenances inutiles à déduire, se trouvait dans le cas d'accepter enfin, sans manquer à la délicatesse, le riche legs que le malheureux Comte de Schimpfreich lui avoit destiné; cette Dame, disons-nous, & le Prince s'étaient passionnément occupés de préparer à ceux des Aphrodites, qui étaient dignes de survivre à la fraternité de Paris, un asile en Pays étranger & les moyens de placer avec avantage ce que l'Ordre conserverait encore de richesses après que tous les Frères (soit volontairement dégagés, soit congédiés) seraient remboursés. Les comptes scrupuleusement apurés, par des Frères-financiers d'une probité à toute épreuve, l'Ordre survivant se trouva riche encore de 4, 558, 923 livres, que des Frères Banquiers trouverent moyen de faire sortir adroitement du Royaume. -- L'industrieux M. Du Bossage s'était chargé de plus loin de dénaturer, en fait de construction, tout ce qui caractérisait l'Ordre & ses divers objets; de même que de faire parvenir à la nouvelle destination tous les détails transportables de décerations & d'ornemens. Comme presque rien n'était réel que les machines, surtout difficiles à renouveller en Pays étranger, l'entreprise du transport était moins difficile que minucieuse; son utilité infinie l'emportait d'ailleurs sur toute espece de considération. Mad. Durut, Célestine, Fringante, & quelques Camillons des deux sexes suivirent à la file les fréquens convois. Dom Ribaudin signala, dans la conduite secrete de cette partie de l'opération, son excellente tête, sa présence d'esprit, sa vigueur de caractere, & justisia parfaitement l'honneur précoce qu'on lui avait fait, en se rangeant unanimement sous sa loi. Quand tout l'Ordre fut écoulé, corps & biens, sa feue Révérence sortit la derniere; Elle porte aujourd'hui le nom de Martinfort, & continue à prouver qu'on peut être de très nouvelle Noblesse, avoir porté par systême un uniforme odieux, avoir même précédemment été Moine, sans être, comme certains dédaigneux le pensent, un homme vil, parce qu'on n'aurait pas été fait pour monter dans les carrosses du Roi.

La journée funeste du 10 août 92 suivit de bien près le départ de l'héroïque Martinfort. Plusieurs Aphrodites réformés périrent dans cette bagarre: un plus grand nombre d'eux encore, dont même quelques Dames, subirent les horreurs du 3 Septembre suivant; mais par bonheur nuls Freres, nulles Sœurs, de ceux & celles que nos cahiers ont fait connaître, ne furent du nombre des victimes. En général, aucun de nos acteurs n'a mal tourné, sinon, le pauvre Trottignac: son mauvais ton; quelques propos hardis en faveur de cette Liberté, qui promet tant aux gens sans élévation d'ame & sans fortune, ayant déplu, sur les bords du Rhin, à quelques fougueux Emigrés, envieux d'ailleurs du sort d'un pied plat, étalon de quatre jolies femmes: ces Messieurs, disons-nous, se persuaderent que l'Ecuyer Trottignac était un Propagant. En conséquence, ils le jetterent, pour le laver, dans le fleuve; il s'y noya. On les blâma fort: tant de zèle étoit diamétralement au rebours des vues d'union & d'humanité, qu'avaient les Chefs de l'émigration, & dont ils n'ont cessé de recommander l'observation à leurs nobles cohortes: mais il y avait bien d'autres abus, on n'y remédiait point: & Trottignac, à bon compte, était ad Patres, pour la plus grande gloire de la contre-révolution.

Les Aphrodites rénovés ont maintenant, dans un Pays que nous ne pouvons nommer, un asile délicieux, des statuts épurés, & des sujets d'élite. On nous a flattés d'une prochaine concession de matériaux pour la suite de notre Histoire, ou plutôt pour une Histoire tout-à-fait nouvelle. Nous comptons d'autant plus sur la solidité de cet engagement que M. Visard notre ami particulier conserve, en partage avec un Homme-de-Letttres du pays, aussi de nos amis, son précieux emploi d'historiographe.

FIN. ERRATA.

[(*) De deux mots grecs, dont l'un signifie Folie, & l'autre, Sagesse. Ainsi les Morosophes sont des gens dont la sagesse est d'être foux à leur manière. Insanire juvat.]

[( a ) 1o. Le Mélange du Dialogue au récit nous a paru plus propre que l'un ou l'autre exclusivement, à peindre dans ce genre-ci. -- 2o. Comme le simple nom d'un personnage qu'on introduitsurlaScène,n'apprendrienau Lecteur; afin que l'imagination n'ait aucune peine & ne se mette point en fraix de fausses idées, nous définirons exactement chaque Acteur au moment où il sera fait mention de lui. -- En conséquence: Le Chevalier -- 20 ans: charmant jeune homme fait à ravir. Une de ces physionomies si rares qui allient à la noblesse, la douceur, l'expression & la vivacité. -- Il revient de Malthe, ayant fait ses caravanes: absent de France depuis quelques années, il a tout le savoir-vivre, toute la candeur dont ses pareils, surtout ceux de la défunte Cour, ont eu, depuis ce tems à peu-près, l'affectation de se dispenser.]

[(a) Cette combinaison de deux Portiers dont chacun est privé d'un sens fort nécessaire, fut imaginée par les anciens Aphrodites, & les vieux serviteurs ont été conservés. La plupart des choses qu'on voudrait tenir secretes sont ébruitées par les valets, s'il y en a dans la confidence. Comment pourrait-il transpirer au dehors que Madame une telle, Monsieur un tel sont venus ; si, de deux personnes nécessaires à leur introduction, la premiere ne voit point, & si la seconde, fixée dans l'intérieur, ne peut recevoir, ni faire aucun rapport!

(b) Mad. Durut. 36. ans. -- Brune - blanche. dodue, irrégulièrement jolie, très-bien conservée & fort piquante encore. -- Fille d'une femmedecharge, elle fut nourrie dans la Maison du pere du Chevalier. Non-seulement elle a soigné l'enfance de celuici, mais elle s'est faite son Précepteur d'Amour, & quand il a eu seize ans, elle lui a ravi ses désirables prémices. -- Mad. Durut est bonne, vive, étonnamment active, non moins intriguante, & dominée par un indomptable tempérament qui a décidé de sa vocation quand elle a brigué le pénible, mais amusant & lucratif emploi de Concierge de l'hospice des Aphrodites.]

[(a) Messieurs les Roués pourront se moquer de cet attendrissement de la part d'un agréable de 20 ans pour une femme de 36? mais patience: on verra qu' un bienfait (comme dit la vieille chanson) fait toujours un bon effet.

(a ) On s'engage avec le Lecteur à lui épargner dans le récit toute expression incongruë; mais on ne peut lui promettre de faire parler un acteur autrement que le comporte, soit son éducation, soit le délire dans lequel une situation violente peut le jetter. Mad. Durut, par exemple, n'est pas femme à user de périphrases, &, dans un emportement de colère ou de joie, elle lâche fort bien un F...., un B....., ou nomme quelque chose d'indécent par son véritable & vilain nom.

( b ) Voilà un de ces traits malheureux pour lesquels le Rédacteur lui-même n'a pas moins d'aversion que le Lecteur. Mais comment se résoudre à désigurer le caractère prononcéd'unefemmequ'onverracontinuellementsur la Scène! Après tout, ceux qui liront ces feuilles verront bien qu'elles ne sont ni des Sermons ni des Pieces académiques.]

[(a) Il n'est alors qu'onze heures du matin.]

[( a ) La Duchesse de l'Enginière: très-grande femme, proportions fortes sans épaisseur & sans mollesse. Traits & caractère de Junon. Grands airs, principes hardis, conduite imprudente. -- Belle peau, belles dents, superbes cheveux chatains-bruns. Tempérament moins ardent qu'exigeant & capricieux. En tout, une femme infiniment agréable pour ses favoris & pour les femmes dont le goût est de s'écrire sur la liste des amans; mais peu goûtée des hommes qu'elle traite moins bien, & cordialement détestée de tout le reste de son sexe. -- L'âge? --à peu-près 23 ans, dont on avoue 19.]

[( a ) Le Joquey. -- Ebauche d'un joli subalterne: timidité; petits moyens. -- Chez Mad. Durut, quiconque fait le service domestique, est tenu à d'autres complaisances encore. On en avertitunefoispourtoutesleLecteur, afin qu'il accorde à ces êtres en sous-ordre un peu d'intérêt.]

[( a ) Mad. Durut prend à ce Loulou un intérêt particulier, &, le gardant pour elle jusqu'à nouvel ordre, elle n'a garde de s'offenser des reproches que va lui faire la Duchesse d'avoirunbalourdquinedevinepas les caprices des belles Dames, à demimot.]

[( a ) 1790 Ce fut la nuit de ce fameux jour qu'une poignée d'ivrognes biffa, sans retour, toute la noblesse passée, présente & à venir! Quel immortel service!]

[( a ) Il est bon de rappeller aux minutieux que, maintenant, les affaires de plaisir se traitent en très petits caractères tracés avec des plumes de corbeau: ainsi, l'avis de Mad. Durut a pu tenir tout entier sur une carte.]

[( a ) Le Comte; -- Ce que cet homme a de plus remarquable est son extrême suffisance; il n'est d'ailleurs ni bien, ni mal: mais il était ci-devant de la Cour, & d'une liste dans laqu-elle les femmes, telles que la Duchesse, choisissent volontiers leurs amis de boudoir.]

[( a ) Membre de cette fameuse Assemblée qui s'est orgueilleu sement chargée d'une besogne fort au dessus de ses forces, le Comte est tellement indifférent pour la chose publique, qu'il n'a pas été un seul moment tenté de jouer un rôle. Borné d'ailleurs ( moins faute de quelqu'esprit, que faute d'instruction) il a vainement été frappé sans cesse; jamais il n'est jailli de lui la moindre étincelle. Par ton pourtant, il est du côté droit: au surplus, homme à femmes, & même libertin; car enfin, il faut bien être quelque chose.]

[( a ) Célestine, ( à peine 20 ans ). Grande & belle blonde au plus frais embonpoint, richement pourvue de toutes les rondeurs & potelures que peuvent désirer tous les genres d'amateurs. -- Célestine a de grands yeux bleus plus animés que ne le sont ordinairement ceux de cette couleur, & qui semblent demander à tout le monde l' amoureuse merci. Sa bouche riante, ses lèvres légérement humides ont le mouvement habituel du baiser. Cette fille est, parmi les femmes, ce qu'est, parmi les fruits, une belle poire de doyenné, tendre & fondante. -- Célestine, désirée de tout le monde, aime tout le monde aussi. Jamais cette bien-faisante créature ne sut répondre non, à quelque proposition qu'on ait eu le caprice de lui faire. Elle a de plus la gloire d'avoir emporté, au concours, la place de premiere essayeuse. On rendra compte, en tems & lieu, des fonctions & prérogatives de cet important emploi.]

[( a ) Pardon, cher Lecteur.]

[( a ) On saura par la suite pourquoi ce jour était particuliérement celui des grandes cérémonies des Aphrodites: ou plutôt on devine déjà que ce choix était un hommage à Venus.]

[( a ) Et les Duchesses aussi, par fois, ont de ces gaîtés; j'en appelle aux Lecteurs qui peuvent en avoir l'expérience.]

[( a ) L'univers sait que l'équivoque du Marquis de Villette est le Président perpétuel du formidable district des citoyens rétroactifs, partant zèlé partisan de la Constitution, où tout est Sans devant dertière.]

[( a ) Ce mensonge a pour but à la fois, & de vexer le Comte & de prévenir une affaire d'honneur.]

[( a ) Le Comte a raison. -- Cette salle existe en original chez une Dame fort célèbre, que les deux sexes déchirent également; les femmes par hypocrisie, car elles ont son amour &luiprodiguentleleur;leshommes par un sot amour-propre, car près d'elle ils sont rarement heureux. Mais qui peut juger sans passion cette Sapho moderne, ne peut s'empêcher de l'admirer & de l'aimer, & s'étonne de lui voir concilier, de la manière la plus naturelle, les goûts & les habitudes de la femme à la fois la plus légere & la plus réfléchie, la plus frivole & la plus essentielle; la plus capricieuse en fait de plaisirs, & la plus invariable en fait de sentimens.]

[( a ) C'est ainsi que Célestine trahit son goût bisarre, & fait sentir au Comte qu'il a perdu, le matin, une belle occasion.]

[(a) Entre sœurs, on ne se gène pas.]

[(a) Chez les Aphrodites on nomme Jeudis ces Messieurs qui, tout au moins partagés entre l' œillet & la boutonnière (c'est-à-dire, une fois pour toutes, le cû & le con) avaient pour jour de solemnité le Jeudi, en l'honneur de Jupiter, le Villette de l'Olimpe, comme tout le monde sait. Les femmes qui avaient la complaisance de se prêter au goût de Messieurs les Jeudis, étaient connues sous le nom de Janettes (de Janus ) à cause de leur double maniere de faire des heureux. Les amateurs de ces sortes de femmes se nommaient, en conséquence, Janicoles. Les Andrins, en très petit nombre, étaient ceux qui, ne faisant cas d'aucun charme féminin, ne fêtaient que des Ganimèdes.]

[( a ) Un Statut de la dernière rigueur supprimait les mauvais payeurs. Les délais étaient très courts.]

[( a ) Elle est un peu friponne, cette Mad. Durut.]

[(a) Zoé, la Négrillonne dont il est parlé au premier Numéro. Le plus piquant museau qu'ayent jamais fourni les moules camus de la Côte-d'Or. -- Noir d'ébène, œil phosphorique, dents admirables: taille non formée encore, mais svelte & pleine de grace. De la sensibilité, des desirs & de l'espiéglerie. Zoé, déjà depuis six ans en France, & bien élevée, n'a plus le jargon de ses semblables. -- On connait Loulou.]

[(a) Allusion peu respectueuse à certaines particularités qui avoient lieu par fois entr'eux.]

[( a ) Le portier sourd était l'inexorable exécuteur de toutes les fessées que Mad. Durut se croyait en droit de faire appliquer à sa marmaille domestique.]

[(a) La Marquise de Fièremotte: 21 ans: Brune, grande, svelte. Taille de Minerve, traits gracieux & fins, aux yeux près qui sont longs, à fleur de tête & décorés de prunelles brûlantes, si grandes, qu'on n'en voit jamais que les deux tiers dans les momens de la plus pétulante vivacité. Le nez fin, bien dessiné, n'est ni aquilin, ni en l'air; un méplat piquant le termine. Certain duvet noirâtre à la lèvre supérieure donne à cette physionomie un air de guerre amoureuse qui n'est point menteur. Jolis pieds, jolies mains: beaucoup de cheveux, peu de gorge, & tout juste le dégré d'embonpoint qui précéde la maigreur. -- La marquise est d'ailleurs petite maîtresse sans le savoir. Exigeante, mais bonne, très-fière avec les gens qu'elle ne connait pas; excessivement familiere, quand elle a fait connaissance & qu'on a le bonheur de lui plaire.]

[(a) Ce cousin est apparemment quelque fameux maître d'escrime que nous n'avons pas l'honneur de connaître.]

[( a ) Non pas un Dominicain, mais un de ces Jacques Clément (fort inclémens) du manège.]

[(a) C'est le mot d'étiquette, afin que le petit serviteur se prête à tout ce qu'on pourra lui prescrire.]

[(a) Limecœur, belle figure dans le genre robuste & prononcé. Traits mâles sans dureté, physionomie grave sans tristesse, adoucie par le caractère sensible des yeux & spirituel du sourire. Jambe musculeuse, mais déliée du bas. Poitrine élevée. En tout une tournure plus voisine de celle des gens de la Cour que de celle des piliers de garnison. -- 25 ans.]

[(a) Nous sommes convenus une fois pour toutes avec le Lecteur que Mad. Durut a son franc parler.]

[(a) Limecœur, belle figure dans le genre robuste & prononcé. Traits mâles sans dureté, physionomie grave sans tristesse, adoucie par le caractère sensible des yeux & spirituel du sourire. Jambe musculeuse, mais déliée du bas. Poitrine élevée. En tout une tournure plus voisine de celle des gens de la Cour que de celle des piliers de garnison. -- 25 ans.]

[(a) Le masque aveugle n'est qu'un quart de masque de cire, noir, qui, portant sur la saillie du nez, les pommettes des joues, & les temples, laisse voir d'ailleurs la naissance des cheveux, l'ovale du visage, la forme du nez & la bouche en entier: mais à l'endroît des yeux il n'a point d'ouverture. C'est proprement pour priver de la vue, sans défigurer ni gêner, comme le fait un mouchoir, que ce masque fut imaginé. On l'applique à toute personne, n'importe de quel sexe, qui doit subir un examen. Il est à ressort comme les porte-feuilles, & organisé de manière qu'on ne peut soi-même s'en délivrer. Il faut une clef, que Mad. Durut, feule en possession de poser cette sorte de masque, a soin de remettre à qui il convient, afin que, selon le jugement, la personne examinée puisse recouvrer l'usage des yeux, ou soit renvoyée sans en avoir joui. -- Les examinateurs usent aussi, selon l'occasion, d'une espece de masque, à leur disposition, plus ou moins trompeur, à proportion de l'intérêt qu'ils peuvent avoir à se rendre indéchiffrables. -- La Marquise dans cette aventure-ci prend elle-même un masque, mais fort découpé (pour que ses beaux yeux puissent, au besoin, jouer avec tout leur charme) & qui laisse la bouche absolument libre: un masque moins commode nuirait à ses vues du moment.]

[( a ) L'objet de ce curieux ouvrage étant de faire connaître à fond les usages des Aphrodites, il faut que le Lecteur ait un peu d'indulgence pour les détails purement descriptifs. Le rédacteurapromisdenerevenirnulle part sur ce qu'il aura une fois défini. Note de l'Editeur.]

[(a) On ne sait souvent où une langue va puiser ses richesses! j'ai vu bien des Français se creuser la tête pour trouver l'origine du mot gamahucher, & dire ensuite qu'il était de pure fantaisie. -- Point du tout, Messieurs, il existe, au fond de l'Egypte, une secte de bonnes gens qui rendent un culte à l'ami de Priape, aussi Dieu, ou qui le fut du moins pour d'autres peuples. Je ne cite ni l'ouvrage où j'ai trouvé ce renseignement important, ni l'auteur trop grave & trop national, pour ne pas se courroucer, s'il se voyait nommé dans des écrits bouffons qui décelent évidemment la futilité d'un esprit aristocratique. Je prie donc le Lecteur de m'en croire sur ma parole, comme j'ai cru le voyageur sur la sienne.. Or, il me semble que le mot Qadmousié, apporté d'Egypte en France, peut fort bien s'être altéré pendant la traversée. L'essentiel est que le culte lui-même se soit exactement transmis & sans doute perfectionné parmi nous. Quant à la racine de l'expression, elle peut bien être adoptée sans difficulté par une nation qui de Rawensberg a fait Ratisbonne; Liège de Luttick; La Haye de Grawenhague &c., & qui d'après ses conventions alphabétiques nomme Chakespéar, le Génie que nos voisins, d'après les leurs, nomment Chekspir. Il convient, dis-je, que cette nation reconnaisse Qadmousié dans gamahucher, & me sache gré de cette savante étymologie. Je réclame de plus contre l'innovation de l'ignare abbé Suçonet qui ne fait dériver son terme que du grec, tandis que les Grecs auxquels il fait honneur de l'invention (V. p. 8.) même, pourraient fort bien n'avoir fait qu'emprunter des Orientaux une pratique qui ne pouvait au surplus être connue nulle part sans y être adoptée & maintenue avec ferveur. ( Note du Censeur, membre de la Société des Antiquités de C........]

[( a ) Comment donc est entrée Zoé dans cette pièce, où l'on ne voit aucune apparence de porte! car on nous à promis une histoire & non pas des Contes de Fées? -- Pointilleux observateurs; Zoé, comme tout le monde, a passé par une porte... --Encore? -- Laissez donc parler les gens. -- Une glace (de six pieds de haut, jusqu'à l'imposte d'une arcade, dont le cintre est un autre morceau de glace) tient lieu de porte, glissant au moindre effort sur l'un des côtés. Qui n'a pas vu l'espace ouvert, ne peut imaginer que la glace soit là pour autre objet que celui de procurer aux gens le plaisir de se voir des pieds à la tête. La niche du lit est en face de cette ouverture déguisée. Si vous m'interrompez encore par de pareilles questions, je vous renverrai tout uniment à l'architecte.]

[( a ) Ici, Mad. Durut tutoye! elle est naturellement familière; mais dans cette occasion-ci elle ruse. Il s'agit d'attraper Limecœur; elle affecte à dessein d'outrer l'amitié.]

[( a ) Il y a douze de ces boudoirs progressivement galants ou riches, & tous d'un goût original. -- Nous les connaissons. L'occasion naîtra d'en décrire quelques-uns, ainsi que les principaux lieux destinés aux grandes cérémonies.]

[( a ) Trottignac. 30 ans. Traits marqués. --Brun. -- Bazané. Larges sourcils, barbe bleue: --Taille moyenne, épaules énormes, corps musculeux, jambe de coureur. -- Un grand chapeau à la vieille mode militaire, avec les restes d'un plumet noir rougi par les ans. Mauvais uniforme des anciennes milices. Rapière de bretteur. Chaussure ignoble. -- Mais Trottignac décrassé, façonné, ne sera pas sans prix.]

[(a) Cette lettre est bonne à lire pour avoir une idée du profond mépris que certains nobles du haut vol ont pour ceux qui, manquant de fortune, demeurent confondus dans leurs obscurs foyers avec ce que les mêmes demi-dieux nomment des Manants. N'en déplaise à l'insolent Vicomte, peu de Houbereaux d'aucun pays de France s'accro cheraient, comme Trottignac, à la plus vile ressource, & justifieraient ce que dit cette lettre, de sa très-dérogeante docilité. ( Note de l'Editeur. )]

[(a) Mad. Durut a bien voulu nous mettre à même de satisfaire plus amplement la curiosité du Lecteur à propos de l'anecdote dont elle vient de toucher un mot en passant. -- Certain jour de carnaval (au tems où chez le peuple, on se masquait pendant quelques jours pour s'amuser, comme maintenant on est déguisé toute l'année pour commettre des crimes;) certaine nuit, disons-nous, Mad. Durut s'étant fourvoyée à la Courtille, elle eut le malheur, ou le bonheur de tomber sous la main de six Chie-en-lits, qui s'étaient défiés, trois contre trois, à qui le ferait en somme le plus de fois à une femme. Mad. Durut rechigna bien d'abord un peu contre son élection forcée. Cependant de peur d'essuyer quelque insulte, elle se soumit; bientôt elle prit goût à la chose, & servit les deux partis avec une chaleur, une égalité qui font tout l'honneur possible à son caractère. Il se trouva que trois de ces Messieurs, qui n'étaient que des Dragons, l' eurent folidairement dix-sept fois: mais, les trois autres, plus importuns, la mirent vingt-deux fois en tout à la même épreuve: ceux-ci étaient de jeunes Carmes échappés du Noviciat, & qui le lendemain devaient prendre la cocarde. Toute cette débacle (tant Mad. Durut s'évertua pour sortir plus vîte d'assaire) ne dura que d'onze heures du soir jusqu'à sept du matin. Mad. Durut avoue qu'elle rentra chez elle un peu fatiguée, cependant elle observe qu'elle l'eût peut-être été davantage, si elle n'eût fait que danser avec la fureur qu'elle mettait alors à cet exercice. An surplus elle ne parle de cette aventure que comme d' une erreur du moment, mettant, comme toutes les femmes délicates, la qualité dans ce genre fort au dessus de la quantité. (Note de l'Editeur.)]

[( a ) Il fallait ou priver le Lecteur de cette scène ou défigurer Mad. Durut. -- On n'a pu s'y résoudre. Il faut aimer ses amis avec leurs défauts. A 36 ans, la jureuse Durut n'est plus corrigible.]

[( a ) C'est ici l'occasion de faire observer à quel dégré Mad. Durut a su établir l'ordre & le secret dans l'hospice des Aphrodites: plusieurs domestiques employés, tant au souper qu'à la toilette, savaient fort bien qu'elle était en ribotte. Ils ont entendu murmurer, conjecturer, aucun n'a dit un mot, pas même à Célestine! Née homme, cette Mad. Durut aurait pu devenir un grand Général, un habile Ministre, ( Note de l'Editeur. )]

[(a) Voyez la fin d'une note, page 42 du premier Numéro.]

[( a ) Voyez page 44 du second Numéro.]

[( a ) On a eu l'honneur de le présenter au Lecteur, page 24 du second Numéro.]

[(a) Fille émérite qui s'est attachée à l'établissement, & y sert sans gages. L'universalité de ses infatigables services, qu'elle rend par goût, & dont elle se plaint toujours qu'on ne fait pas assez d'usage, lui a valu le ridicule sobriquet qu'on vient de citer. On regrette que Mad. Durut, ayant d'ailleurs de si bonnes qualités & une excellente politique, tolère une impertinente qualification qui dégrade un sujet essentiel auquel il semble qu'elle devrait au contraire beaucoup d'égards & de reconnaissance. ( Réflexion de l'Editeur. )]

[( a ) Mad. Durut avait, pour son compte, au-delà des jardins un pavillon où elle tenait quelques pensionnaires. C'était à Paris que se faisaient les arrangemens. On était transporté denuitdansunevoituresansglaces & scrupuleusement fermée où l'air était renouvellé par un ventilateur. Arrivé, l'on se trouvait dans un lieu fort agréable, mais d'où l'on ne découvrait ni Paris, ni le moindre village. Le pensionnaire jouissait làdetoutcequ'onpeutsouhaiter au monde, excepté de la liberté. Il payait comme on voit par jour, à proportion de ce qu'il pouvait avoir exigé lors de sa convention. Dès qu'il voulait retourner, on le renvoyait avec les mêmes précautions.Onusaitdesnarcotiquesdans lecas d'une retraite involontaire. Sur ce pied, le Baron, d'ailleurs amené dans un moment d'ivresse, devait se retrouver à Paris chez lui, sans qu'il lui fût possible de savoir par quel chemin il y aurait moyen de reveniràlapensionfortunée.Il yétait seul pour lors, la Chanoinesse avec laqu-elle il en avait décousu la veille, n'était qu'une promeneuse aspirante, mais non encore Aphrodite.]

[( a ) Coblence n'est point cité, parce que ce fameux soyer n'existait alors que depuis quelques semaines.]

[(a) A ce serment sacré, on recounait que Mad. Durut étoit inspirée: il n'est pas étonnant qu'elle ait prophêtisé.]

[(a) Qui ne connait pas l'excellent mot de Ninon faisant cocu le bien-aimé Lachâtre!

( b ) On saura dans le tems ce que c'est que l'hermitage.]

[( a ) En cas d'oubli, voyez page 7 du premier Numéro, la note concernant Mad. Durut.]

[( a ) Je déteste (comme sans doute tous les Lecteurs délicats) ces malheureux momens où des femmes, dont on a la meilleure opinion & qui ont été bien élevées, s'abaissent aux indécences, à la brutalité du plus ignoble vulgaire... Je prie les gens d'esprit & ceux qui auront l'expérience de ces sortes de conjonctures, de m'adresser quelques tournures du bon ton, quelques jolies phrases qui, sans affaiblir les situations, puissent suppléer des obscénités, véritables taches dans cet historique & très-moral ouvrage. Nous avions essayé de triomphez donc... d' achevez ma défaite... de faites-moi mourir. &c. Tout cela ne nous a pas paru valoir cet énergique Foutre! mets-le donc.. Quel dommage qu'on ne puisse accommoder la bienséance qu'aux dépens de l'expression & de la vérité! -- ( Note de l'Editeur. )]

[( a ) Voyez page 18 du troisieme Numéro.

( b ) On ne donne point ici leur signalement, parce qu'ils n'ont, dans ce Fragment, qu'un rôle à peu-près passif.]

[( a ) Voyez Numéro premier page 8.]

[( a ) Il y a écrit sur la liste Wakifuth.]

[( a ) Pardon pour Mad. Durut, cher Lecteur.]

[(a) Tout ce qui était affaire, spéculation, comptes, commerce, pari, par conséquent, se faisait, chez les Aphrodites, le mercredi, à cause de Mercure qui gouverne ce jour de la semaine.

(b) La différence qu'il y a, chez les Aphrodites, entre les Intimes & les Auxiliaires, est à peu près la même que, chez les Francs-Maçons, entre les Maîtres & les Servants.]

[( a ) C'est à regret que nous allons excéder peut-être le Lecteur de détails descriptifs; mais, sans eux, il lui serait impossible de se représenter fidelement lascênearchi-priapiquequenousentreprenonsd'esquisser. L'être peu sensible aux effets des Arts, à ce résultat harmonieux qu'on nomme leur magie; cet être frivole qui ne lit nos feuilles que pour courir après quelques gaillardises de fait ou de mots, peut franchir ici tout ce qui menacera de l'ennuyer. D'autres Lecteurs aiment à se rendre compte de ce qui sollicite leur attention: il est bon que ceux ci ne trouvent rien d'obscur dans une orgie compliquée, dont le seul piquant n'est assurément pas de mettre brutalement sept étalons à deux pieds aux prises avec sept insatiables Messalines. Nous devons des ménagemens aux personnes délicates qui, susceptibles d'indulgence pour toutes les folies que la séduction des circonstances peut justifier, s'effarouchent, avec raison, des cochonneries dont on peut les assaillir à brûlepourpoint. -- Nous rappellerons à tout le monde que les Aphrodites ou Morosophes, font profession d'être foux à leur manière; que, par conséquent, leur histoire est celle d'une secte de foux, mais ce ne sont pas des Brutes ; il convient donc d'établir avec soin tout ce qui milite en leur faveur, & peut donner un sens à leur bisarre mais délicieux délire. ( Note du Censeurréviseur des feuilles. )]

[( a ) M. Visard, fils & petit - fils d'Historiographes des Aphrodites, était en fonctions depuis très-peu de tems. ( Le Censeur. )

(b) Je répete ici les paroles de l'architecte; puisseton les entendre mieux que moi. ( l'historiographe. )]

[(a) Il faut avouer que ce M. du Bossage est un cruel homme avec ses mesures & ses termes de l'art! ( Note du Lecteur. )]

[(a) Le même local, (susceptible comme l'on voit d'être combiné de bien des manières) devant être le théâtre de plus d'une des scenes dont parleront nos feuilles, la corvée du Lecteur est faite, il n'entendra plus parler, du moins quant à ce lieu-ci, de hauteur, largeur, parois & diamêtre.]

[(a) Pourquoi pas frictif de friction : comme accusatif d' accusation ; justificatif de justification, fiatif de fiction, &c.?]

[( a ) Fin de l'Extrait.]

[(a) Il n'a été que nommé; mais comme il prend maintenant un rôle actif, son signalement devient nécessaire. -- Belamour acheve sa seizieme année. Quand la Marquise l'a traité de brunet, elle n'a voulu parler que des cheveux & des sourcils, qui sont d'un noir d'ébène; mais il a la peau d'une blancheur éblouissante. -- Grands yeux bruns: joli front, nez carré; bouche riante: dents blanches & courtes, des fossettes au menton & aux joues: les plus vives couleurs. -- Taille qui promet beaucoup, ensemble charmant: petit pied (tant de perfection n'a rien d'étonnant quand on sait qu'il est le fruit du caprice d'une jeune Demoiselle, amateur de peinture, pour un de ses modeles.) Belamour est cependant menacé d'avoir un jour quelque chose de monstrueux, puisque, si jeune, il est déjà porteur d'un gros Boutejoye, long de cinq pouces 10 lignes. Mad. Durut ignorait parfaitement cette difformité, lorsque, Loulou chassé, Belamour ambitieux, & qui convoitait la survivance, vint décliner sa prétention & son titre. Mais Mad. Durut, qui pense bien, n'y eût point égard, trouvant le trait ingrat envers Célestine, quand celle-ci s'est donnée tant de peine pour l'éducation de ce blanc-bec.]

[(a) Le beau sexe est nommé le premier comme de raison. -- Le plus âgé des garçons n'a pas 16 ans: le plus jeune en a 14. La plus âgée des filles touche à 13; la plus jeune en a 11. -- On ne donne point ici le signalement de tous ces petits êtres, de peur d'ajouter à l'ennui de tant de détails.]

[( a ) Nous pouvons d'autant moins nous dispenser ici de dire un mot à propos de chacun de ces personnages, qu'ils reparaitront de tems en tems dans le cours de cette précieuse histoire.

( b ) La Comtesse de Troubouillant. 23 ans. Brune colorée: nez en l'air, œil brûlant, sourcil impérieux, bouche un peu grande, mais étonnamment fraiche, agréable & spirituelle. Formes rondes, dodues & fermes. Beaucoup de tetons & de cû. Le pied, la main charmants. Une forêt de cheveux noirs & crépus: jugez du reste.

( c ) Le Chevalier de Limefort. 31 ans. Beau, grand, musculeux, pectoré Chevalier de Malthe. Traits romains, port noble, jambe à étudier pour un artiste. Limefort met peu du sien dans les sociétés où l'on se pique de fine galanterie ou de bel esprit, mais il est si parfaitement l'homme qu'il faut au boudoir, qu'on lui pardonne, ou plutôt qu'on lui sait gré de n'être bon à rien hors de là. Il ne faut pas le confondre avec des parens du même nom plus aimables, mais qui n'approchent pas à beaucoup près de son mérite. -- 8 pouces 10 l. ( entende qui pourra. )]

[( a ) La Vidame de Cognefort. 21 ans. Beauté du diable: ni brune, ni blonde: ni jolie, ni laide; ni grande, ni petite. Yeux pers. Belles dents. Grassayement qui donne à cette femme l'air de niaiserie le plus trompeur: luxure d'enfer. Talent de l'Opéra: santé tuante. On la connait chez les Aphrodites sous le surnom de Madame Encore. Elle est au surplus si bonne jouissance que ses amants n'en ont jamais assez.

( b ) Le Chevalier de Bout'avant. 24 ans. Grand flandrin, bien tourné, que le hasard de son heureuse conformation a mis à la mode. Cet homme est un sans-souci qu'on épaule à son insçu, & dont les femmes veulent faire tôt ou tard un personnage. A son régiment, (qu'il a quitté, ne voulant pas jurer) on le nommait Gimblette ou Croquignole, parce qu'il ne marchait jamais sans une provision de ces fragiles anneaux, faits à sa mesure. Il est plaisant de lui entendre conter comment pas une des femmes qui ont exigé par fois qu'il s'en mit cinq à six, n'a fini sans les avoir toutes cassées, fut-ce sans y mettre le doigt. C'est ainsi que, dans le genre du Chevalier, les monstres font toujours à ces Dames plus de peur que de mal. -- 10 pouces 11 lignes! ( tout autant ) -- sur 6 pouces 2 lignes.

(c) La Marquise de Band'a moi: -- Superbe femme: sœur cadette d'un an de la Duchesse de l'Enginière, & lui ressemblant si parfaitement qu'on les prend souvent l'une pour l'autre. Mais la Marquise a moins de caprices, & se met plus volontiers en fraix d'amabilité. Il est vrai qu'elle vit depuis bien peu de tems dans le tourbillon où se gâtent les femmes. Elle avait suivi bourgeoisement son époux à une Cour étrangere où il était Envoyé. Ce galant homme est mort du chagrin de l'atteinte qu' un nouvel ordre de choses portait à la considération dont jouissait ci devant le Corps-diplomatique. La veuve se ' console comme elle peut dans le sein des Aphrodites, le seul asyle qu'il y ait peut-être encore en France pour le bonheur.]

[( a ) Le Marquis de Bellemontre. 27 ans. L'un des plus aimables débauchés de Paris. Haute stature: physionomie douce, spirituelle & gaie. Teint de jolie femme: tournure d'Apollon. Cheveux d'un agréable chatain-clair: de l'enjouement, de la galanterie, du faste & tout ce qui s'ensuit, comme l'inconduite, les dettes &c. Mais le Marquis tient à tout, ce qui, par malheur, est aujourd'hui ne tenir à rien. -- 8 pouces 4 lignes. -- Quelques Dames Aphrodites ont eu la cruauté de lui reprocher que son beau nom n'est pas assez dignement soutenu: mais, dans un monde ordinaire, cette idée n'est venue à l'esprit de personne.

( b ) La Duchesse de Confriand. 19 ans. ′Jolie petite poupée, blonde, mais ayant tout l'aimant, toute la vivacité d'une brune. Le Duc, son époux (qui, sur ses vieux jours avait pris, par air, un s entre les deux syllabes de son nom) avait épousé cette enfant de la Robe par une passion folle.]

[Elle n'a duré que six mois, attendu qu'il en est mort. La prévoyante Duchesse avait, même du vivant du cher Duc, essayé de plusieurs de nos aimables, espérant d'en trouver enfin un qui fût digne de succéder au moribond; mais rien n'ayant pu la fixer, elle a pris le parti d'épouser l' Ordre des Aphrodites, &, telle qu'Alexandre, elle y fait voir que dans un petit corps la nature s'amuse par fois à renfermer un grand courage.

( a ) Le Marquis de Fout'en-cour. 30 ans. Né pour être aimable, le vent de la cour verreuse l'a gâté. C'est maintenant un Comte de Tufière, aussi vain, aussi mal partagé du côté de la fortune: on ne sait ce que peut devenir un homme aussi démonté par les orages du tems qui court. Il lui reste de l'impudence, une belle figure, & 9 pouces 2 lignes.

( b ) La Vicomtesse de Pillengins. 27 ans. Brune, aussi grande qu'il est possible de l'être sans ridicule; marche & maintien d'un Cavalier doué de graces. Goût, (rare chez les femmes) pour les plus violens exercices de corps. Il faut la voir de bien près pour reconnaître qu'elle a mille beautés féminines qui n'empêchent cependant pas nombre d'amateurs de se méprendre avec elle, tant elle fleure le beau garçon. La Vicomtesse traite la douce affaire comme la chasse & l'équitation; elle y est infatigable. Son allure lui a fait donner chez les Aphrodites le sobriquet de l'escarpolette, à cause des grands balancements qu'elle fait éprouver à ceux qui ont l'honneur de la servir.

( c ) Le Baron de Malejeu. 23 ans. Le premier homme peut-être qui ait imaginé d'avoir un album amicarum. (Dans certains pays on nomme album amicorum un livre à feuillets blancs où l'on recueille des témoignages d'amitié, offerts ou accordés par les amis & les connaissances. C'est ordinairement une sentence, une strophe, ou un emblême dessiné; avec la signature des gens. Le Baron a eu l'adresse de se faire donner de ces sortes de certificats par une infinité de femmes, dont plusieurs sont très en crédit dans le genre dont les Aphrodites font estime. A la vue de 114 noms révérés, (qui tous attestent que le Baron ne parle que par huit... neuf... dix...) il a été reçu Aphrodite (comme je l'ai dit ailleurs) par acclamation. (Voyez Numéro 3 p. 78) Ces prouesses sont le passeport d'une figure assez ordinaire, dont neuf pouces huit lignes sont le seul trait qui mérite un détail.]

[( a ) Miladi Beau-Déduit. 24 ans. On a déjà parlé d'elle, Numéro 3 p. 76. Mais on doit y ajouter que jamais femme ne mérita mieux qu'on lui appliquât ce vers de la Pucelle „ Et sur son rang son esprit s'est monté. „ Miladi, réguliérement belle, est de plus très jolie: sa peau est d'une finesse délectable. Elle a tout le maintien, la grace, & quand elle veut, les tons & les caprices d'une Dame de Cour.

( b ) Le Vicomte de Durengin. 22 ans. Ayant reçu une éducation assez austere, & destiné à l'état ecclésiastique, à 20 ans il ignorait encore à quel objet pouvait être employée certaine partie de lui-même, dont il n'était qu'incommodé, & avec laqu-elle ses supérieurs (mis dans le secret) avaient terriblement brouillé sa conscience. Mais Lucifer, sous la forme d'une blanchisseuse de rabats, vint enfin éclairer un beau jour le brûlant séminariste. Dès lors celui-ci crut avoir deviné les véritables vues que la nature avait sur lui, il quitta donc brusquement le petit collet & se jetta dans le tourbillon avec toute la fureur à laqu-elle les gens passionnés sont sujets. Au bout de deux ans, on n'apperçoit chez Durengin presque plus aucune trace du théologien ni du caffard. Aphrodite depuis trois mois, les régistres font foi qu'il a fait, lui seul, la besogne de quatre freres. Cet homme est mieux que mal, frais, assez étoffé sans graisse, toujours riant, bon buveur, & constamment en arrêt, quoiqu'il en porte un de neuf pouces cinq lignes.]

[( a ) La Baronne de Vaquifout. -- On orthohraphie ici ce nom (pour la commodité du Lecteur) comme on sait qu'il doit être prononcé. -- La Baronne est une superbe Allemande qui, n'en déplaise aux six autres Dames, a plus de charmes qu'aucune d'elles, mais il lui manque leur pétillante vivacité. Cette femme est un modele dans le goût de ceux dont Rubens aimait à occuper ses pinceaux, On ne vit jamais une plus belle tête. Des cheveux d'une rare longueur & épais à proportion, seraient plus admirés en France, si l'on n'y avait pas en général une sotte prévention contre le blond un peu vif. Celui de la Baronne est justement à la derniere teinte possible avant le roux. Comme jouissance, la Baronne est d'abord alarmante par sa distraite inaction; mais bientôt on est agréablement rassuré, lorsqu'on sent que son aimant intérieur supplée à tout, & que dans ses bras on se trouve plus souvent & plus longtems homme qu'avec nos sauteuses-en-liberté. On voudrait seulement qu'elle réformât la mauvaise habitude qu'elle a de fermer ses superbes yeux, dans les instans décisifs. C'est trop de privation pour ses amans. Quelques uns s'en sont effrayés, croyant qu'elle mourait tout de bon, mais les amis particuliers de la Baronne sont complettement tranquilles sur cet accident qui peut lui arriver, sans le moindre danger, quinze ou vingt fois par jour.]

[( a ) Le Chevalier de Pine-Fiere. 19 ans. --Mis au monde & dans le monde par la plus adorable petite maîtresse de Paris, le fripon lui a dérobé tou es ses graces; son esprit, son charme & son délicieux libertinage. Pine Fière est blond comme sa mere, mais il n'en est pas moins vif jusqu'à la pétulance, & ardent comme le feu. Une malheureuse aventure, à Malthe, l'ayant fait surnommer le Chevalier M... (1), il quitta la croix & se proposa de se marier. Mais lancé parmi les Aphrodites, chez qui sa mere tient un rang distingué, il renonça bientôt au projet de prendre aucune espèce de chaines. Il est tout simplement homme à bonnes fortunes en attendant de faire une fin; beau, joli, fait au tour, il faut que les yeux voyent absolument tout, pour être sûrs qu'il n'est point une femme: mais on ne doute plus quand il a montré 7 pouces 9 lignes.

(1) Ici était nommé un charmant acteur, peut-êre injustement accusé de quelque chose dont tout le monde ne rit pas; nous avons supprimé ce nom.]

[( a ) Fringante. Fille aussi magique dans le genre de la brune que Célestine dans celui de la blonde; Fringante a 19 ans: elle a figuré quelque tems à l'opéra, mais elle s'est dégoûtée de ce tripot, parce qu'elle est sans intrigue & dominée par un vorace tempérament qui lui gâtait toutes ces affaires d'intérêt. Assez heureusement née pour ne priser dans l' homme que sa virilité ; inaccessible à ces petites répugnances qui ne font grace ni aux années, ni à la laideur; ayant d'ailleurs dans les yeux on ne sait quel charme qui produit des miracles sur certains individus jusques-là condamnés à ne plus se sentir renaître ; cette étonnante créature a été une trouvaille pour Mad. Durut. Fringante n'a pas, à beaucoup près l' intelligence & le lient de Célestine, mais elle répare ce désavantage par un zele qui se conçoit à peine, & dont chaque jour Mad. Durut entend répéter l'éloge. Fringante, un peu moins en chair que Célestine, est aussi un peu plus grande. Ces dignes collègues s'aiment avec tendresse, & s'évertuent à l'envi pour la plus grande prospérité de l'établissement.

( b ) Ici ces qualifications sont une plaisanterie: on désigne chez Mad. Durut cette jeunesse domestique par le nom de Camilles. -- Les garçons sont Camillions; les filles Camillionnes. Les gens instruits savent que ces dénominations ne sont pas de pure fantaisie.]

[( a ) Un très-recommandable Ex-Abbé (de l'Ordre de Citeaux) à qui la révolution a tout fait perdre, excepté son terrible mérite avec lequel il se console où il peut des étranges malheurs arrivés à ces bons descendans de St Bernard.]

[( a ) On se souvient qu'ils l'ont à leurs cheveux?]

[( a ) Honni soit qui mal y pense. Nous citons.

( b ) On n'a pas parlé de ces sortes d'exclamations de la part des autres personnages, mais c'est que cela va sans dire. Le trait n'est singulier que vu l'individu cité, dont par nature, l'excessive sensibilité était jusques-là demeurée concentrée dans l'intérieur. Que le poëte charlatan, ne manque pas de bigarrer ses récits de batailles, des cris de la fureur, des douloureux accens de la mort, du hennissement des chevaux, de la fière sonnerie des trompettes, du tonnerre de l'artillerie &c., ce bavard fait son métier. Le devoir de l'historien est de se borner au simple fait, sans courir après la ressource des insidieux ornemens. Mais aussi, doit-il ne pas négliger, quelque minutieux qu'elle puisse paraître, une circonstance de caractere ; en un mot, il doit parler de tout ce qui, faisant événement, (comme ici) donne, dans ses fastes, plus de for ce aux couleurs de la vérité. ( Note du Censeur. )]

[( a ) Nous espérons qu'aucun de nos Lecteurs ne s'étonnera des hauts faits que nous venons de raconter? nous leur souhaitons au contraire à tous d'être capables des mêmes prouesses.Ques'ilplaisaitàquelqueincrédule (dans le goût du Comte parieur) de nous chicaner ici sur la vraisemblance (en dépit de ce beau vers:

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable ) nous faisons d'abord des vœux pour que sa femme, ou qui pis est sa maitresse, lui donne (comme la Baronne à son jaloux) une preuve pleinement démonstrative de l'existence de ces Messieurs pour qui sept & huit ne sont qu'un badinage. Ensuite pour notre justification personnelle nous citerons le véridique Brantome qui assure que Mahomet, époux de 11 femmes, ne mettait qu'une heure à les bistoquer toutes. Comparés avec le Prophête, nos héros sont encore de bien petis garçons.]

[( a ) C'est le nom de notre parieur-perdant. Le Comte est un petit maigre & mince élégant-blondin, conservant un léger goût de terroir. -- Traits passables, mais qui ne composent point une physionomie. Quant au mérite essentiellement estimé chez les Aphrodites, on doit en supposer peu pourvu un homme qui croit dissicilement à certain degré de talent, & choisit si mal quand il parie.]

[( a ) Le Chevalier de Tireneuf. GardeduRoi, du tems qu'il y en avait. Cinq pieds dix pouces de haut. -- L'hercule de Farnèse à 24 ans & francisé. -- Les femmes & le jeu mettent cet enfant de Paris au pair avec un ordre de gens dont son peu de fortune voudrait le séparer. Il est, a t-on dit, grand Causeur : voici comment. -- Ses discours sont pour l'ordinaire divisés en 9, 10 ou plus de points: cependant ils n'ennuyent jamais ces Dames; -- C'est l'effet de la magie de l' organe-oratoire, du style & du geste à la beauté desquels prêtent beaucoup 10 pouces forts.]

[(a) Maison où l'on enferme les foux à Londres.]

[( a ) Le Prince: 29 ans: cette fois la nature n'a point fait de qui pro quo. C'est bien l'ame d'un Prince qu'elle a placée dans une enveloppe du plus noble modele. Edmond est à la fois brave, galant, affable & généreux. Plein d'esprit, il est peu jaloux de briller: cependant il entraîne tous les suffrages. Persuadé qu'un seul ami console de vingt ingrats, il sert, il oblige avec un zele infatigable. -- Heureux avec beaucoup de femmes, jamais aucune n'eut à se plaindre de lui. C'est completter son éloge dans un siecle affreux où la clique des hommes à bonnes fortunes semblent exercer cette profession moins pour leur propre agrément, que pour le supplice des malheureuses qui les ont bien traités. Sexe charmant! Puissent les Furies, détruisant jusqu'au dernier de ces monstres, faire place enfin à des hommes dignes de toi, qui sachent cultiver au lieu de l'abattre ce bel arbre, dont il est si doux de manger le fruit!]

[( a ) C'était le même que le Comte se souvenait d'avoir vu.]

[( a ) Son idée est que gagnant ainsi du tems, elle saura bien au bout de l'année trouver quelque nouveau moyen d'éviter un homme qui lui est froidement odieux.]

[(a) Chez les Aphrodites on nomme vieille toute femme qui passe quarante ans. Mais ces Dames ont droit d'assistance jusqu'à ce qu'elle ne marquent plus. Alors, à moins d'un relief, elles perdent leurs entrées, excepté le jeudi pour le service de ces Messieurs dont il est fait mention dans une note du numéro 2, au bas de la quatrieme page, & le samedi pour des raisons que l'occasion naitra de déduire ailleurs. -- Mad de la Bistoquiere: brune grisonante, a de beaux & grands restes assez bien conservés, à l'entretien desquels elle n'épargne ni ses soins, ni sa bourse. Elle a pour réparateurs 5 à 6 affidés maçons de la force de Tireneuf.]

[(a) Synonime diminutif d' escroe.

( b ) Le Commandeur de Concraignant; 37 ans. Charmant petit-maître à ruban vert: les plus délicieuses fortunes de la cour l'ayant successivement accommodé pis que ne l'auraient fait celles des coulisses, par un beau jour il proféra le terrible serment de ne plus s'exposer à de si cuisants repentirs, Dès-lors, ayant du caractere, & ses modestes six pouces & demi ne l'ayant pas mis dans le cas d'être réclamé du Souverain oriental, il sert l'occidental avec autant de constance que de zele. Là se borne son hérésie, car où l'objet de sa terreur (non de sa haine) ne se trouve pas, il n'y a point de plaisir pour ce galant homme.]

[( a ) Puisse-t-on, hélas! ne pas dire bientôt la dernière.]

[( a ) Les douze enfans de chaque sexe qu'on sait être attachés à l'établissement, étaient seuls employés au service, les filles fixes en dedans du fer à cheval; les garçons errans autour delatable.L'une,oudeMad. Durut, ou de Célestine ou de Fringante, tour-à-tour présidait aux fonctions: il y regnait un ordre admirable. -- Bien entendu qu'on soupait au bruit des instrumens d'harmonie.]

[Leurs portraits arriveront à mesure qu'elles figureront dans des scènes particulieres.]

[(a) Ceux qui savent le grec comprennent à merveille que cela veut dire: Académie où l'on travaille du con, du cu, du vit & de la langue. On est bien malheureux d'être obligé, sous peine de passer pour ignare, à donner de semblables explications. C'est un soin que les écrivains eux mêmes devraient bien épargner aux Editeurs.]

[( a ) Plant'amour était agréé depuis six mois, mais non reçu ; son grand air de jeunesse & sa proportion qui n'excédait pas 7 pouces 9 lignes, ayant fait naître quelques difficultés.

[(a) Mad. de Mont-chaud. 24 ans. Ni grande ni petite: d'ailleurs grosse & succulente Dondon aux cheveux chatains-blonds en énorme quantité. Cette Dame commence à être un peu molle; mais ses traits ont beaucoup d'agrémens. Elle a conservé quelque chose de béat dans le maintien, on saura pourquoi. Ses yeux, un peu petits, étincellent de luxure. Son sourire est charmant: la main & le pied sont ce qu'elle a de mieux.

(b) Mad. de Valcreux: d'un an plus jeune. Cousine maternelle de l'autre, elle lui ressemble un peu, mais Mad. de Valcreux est brune & plus ferme: sa physionomie a plus de caractère. Elle a aussi plus de couleur; la peau plus fine, & toute la blancheur que peut comporter le brun très foncé des cheveux. La pauvre femme a un bien grand défaut; c'est d'être si vaste.... si profonde! cela fait pitié. Et cependant on la verra se moquer de ses semblables! on ne se connaît pas. -- Ces Dames n'ont pu devenir qu' Assistantes chez les Aphrodites : on saura ce que c'est.]

[( a ) Pénible confidence qui s'échappe comme la fumée à travers une brûlante éruption d'amitié!]

[( a ) Nous avons vu la description d'une machine à peu-près pareille dans un manuscrit du fameux Docteur Cazzoné qui, de son vivant, avait le diable au corps. -- On ne sait pas à propos de quoi ses héritiers, au bout de trois ans, n'ont pas encore accompli ses dernieres volontés, qui étaient que tout de suite après sa mort on imprimât ses intéressans ouvrages. ( Note de l'Editeur. )]

[( a ) Dorothée était le nom de Demoiselle de Mad. de Mont-chaud.]

[( a ) L'une des plus actives héroïnes qu'a célébrées, dans son immortel ouvrage, le Docteur dont fait mention la note qu'on lit à la page 20 de ce numéro.]

[( a ) Autre héroïne du Diable au corps.]

[( a ) La même dont il est parlé page 76 du quatrieme cahier.]

[( a ) Il se nommait à Paris Weldt - Fäger. C'est celui dont on a commencé de parler page 62 du troisieme cahier, & qui est continuellement en scene dans le quatrieme. En un mot l'infortuné témoin des ébats de son Eulalie.]

[( a ) Celui-ci (sans doute on s'en souvient) est ce fieffé buveur que Mad. Durut renvoya de la pension pour avoir brutalement mis à mal de petits servans de l'hospice.

( b ) C'est-à-dire en état de prouver à la rigueur seize quartiers de chaque Chef. En Allemagne la moindre mésaillance rompt la chaîne de la noblesse, exclut des chapitres, de certains emplois, & par fois même de certaines amitiés.]

[( a ) Autrefois il était honteux à un gentilhomme de marcher sans la marque distinctive de son état: depuis quelques années, il est ridicule de se distinguer, par le port-d'armes, d'un courtaud de boutique ou d'un coëffeur.]

[( a ) La note précédente établit la cause dont voici l' effet. Philosophique désarmement! De quelles nobles ressources nous offres-tu le pis-aller?]

[( a ) Voyez Numéro 3. page 73.]

[( a ) Page 14 du premier cahier du premier volume.

( b ) Si ce n'est pas à Lesbos que fut imaginé le jeu piquant auquel Durut s'amuse, c'est du moins à cette Isle heureuse que l'histoire du plaisir accorde l'honneur de cette invention.]

[( a ) C'est une fort jolie répétition émaillée & bordée de perles.]

[(a) Jolie petite rousse dont il est déjà parlé p. 15 de ce premier Numéro, & dont le portrait est dans le Diable au corps, ouvrage que celui-ci ne doit pas copier. ( Note de l'Editeur. )]

[(a) Mad. la Comtesse ne se piquait pas de purisme, & forgeait un mot au besoin sans songer s'il serait un jour sanctionné ou proscrit par les quarante.]

[( a ) On ne fait où Mad. Durut a pêché cette version de ce vers si connu: Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.]

[( a ) Fameux personnage du Diable au corps.]

[( a ) Les Cyclopes ont la réputation d'être fort laids, mais celui de la Comtesse, quoiqu'il fût très-jouflu, qu'il eût l'œil renfoncé, & la gueule perpendiculaire, au lieudel'avoirhorizontale,étaitpourtantfort joli, & faisait des conquêtes, au bout de vingt ans de service, aussi facilement que le premier jour.]

[(a) Uno avulso non deficit alter.]

[( a ) On connait sans doute la fable ingénieuse dont voici l'extrait en deux lignes? Vénus, au désespoir, enterra le plus précieux fragment de son cher Adonis au pied d'un cérisier. Delà, les truffes & leur stimulante propriété : delà cette forme intéressante & fidele de la cerise ; fruit charmant que j'ai vu plusieurs de nos jolies naturalistes ne pouvoir porter à la bouche, les unes sans sourire, les autres sans rougir... ( Le Rédacteur. )]

[(a) Le Vicomte de Culigny. 42 ans. Grand, svelte, on ne peut mieux fait, mais dont la petite vérole a fait du plus joli homme, le plus laid aux yeux de certaines femmes qui comptent pour peu de chose l'ineffaçable beauté de la physionomie. Le Vicomte, galant, aimable, enjoué, fut longtems à la mode en dépit d'un joujou d'amour assez médiocre. Son affreuse maladie lui fit perdre la vogue. Outré de voir que ses succès n'avaient tenu qu'à un visage; tourmenté du triomphe de certains rivaux qui ne lui semblaient pas faits pour devoir l'éclipser, irrité contre un sexe qu'il jugeait dès-lors ingrat & peu connaisseur, il abjura, mais avec tolérance, & demeurant au point de certains Rénegats par spéculation, qui sont encore plus près d'adorer la croix que de la fouler aux pieds. -- Le dégré d'hérésie du Vicomte sera bientôt mieux connu par sa confession & sa conduite.

( b ) Deux vers d'une ariette d'Iphigénie.]

[(a) On ne saurait enrichir assez la si stérile nomenclature de l' art du plaisir.

( b ) Camillon, synonime de servant, on l'a déjà dit quelque part.]

[( a ) Cette derniere période n'a pas laissé d'embarrasser le compositeur. Elle était au crayon à la marge du manuscrit avec un renvoi. -- Pourtant ce n'est pas une note? d'un autre côté, l'exaltation qu'on y remarque, n'est ni du ton, ni à à propos ? Cette invocation, dans une circonstance aussi burlesque, est-elle sérieuse? est-elle une plaisanterie? on s'y perd. -- ( Note de l'Editeur. )

( b ) C'est pour l'ordinaire aux Enfans-trouvés que Mad. Durut fait sa recrue de petits domestiques des deux sexes. Elle ne parait jamais: un Caffard, (sournois affilié) se charge d'arranger toutes choses. Il répond des petits êtres qu'on abandonne à sa bien-faisante protection. Les enfans, au sortir de cet hôpital, où ce Caffard est en grand crédit, sont encore tout imbus de la piété dans laqu-elle on y éleve cette jeunesse. Autres lieux, autres idées. ( Note du Censeur. )]

[( a ) Les trois descriptions qu'on vient de lire, sont copiées mot à mot du Journal courant de M. Visard. ( Note du Censeur. )]

[(a) Cette dissertation est d'un bout à l'autre une satyre amere de l'horrible goût des Andrins. Culigny, quoique mitigé, Janicole en un mot, n'est pas moins ridicule. -- On pourrait dire que les vilains Andrins sont les Jacobins de la galanterie; que les Janicoles en sont les Monarchiens démocrates ; les francs adorateurs du beau-sexe sont conséquemment les Royalistes de Cithère. Vivent ceux-ci. Puissent les seconds rentrer dans la bonne voie; périssent les Sans-culottes & ceux qui les font aller cu nud!

(b) Détestables paradoxes d'un bout à l'autre de la tirade.]

[(a) On observera que ces Jeudis sont à nous ce que sont les Indiens aux Européens. Ceux-ci font le diable noir parce qu'ils sont blancs; ceux-là le font blanc parce qu'ils sont noirs. C'est ainsi que l'apostat Vicomte appelle revers ce qui pour nous est l' endroit, & réciproquement.]

[( a ) Voilà le Vicomte pleinement justisié du soupçon intérieur de Célestine.]

[(a) Il en parlé dès les premiers Numéros du premier volume.]

[(a) Voyez le second numéro du premier volume.]

[(b) Languayage doit passer, si l'on reçoit languayer & lauguayeur.]

[( a ) C'est ce que pensent avec bien du bon sens, les trois quarts des femmes, quand on les a tourmentées pour choses qui d'ailleurs ont de quoi les amuser.]

[( a ) Voyez ce qui est dit à ce sujet dans le premier Numéro de ce second volume.]

[(a) Quoiqu'en général un peu plus circonspecte que sa sœur, Célestine cependant s'oublie par fois: il faut le lui pardonner.]

[(a) Utile & peu difficile personne dont il est parlé page 17 du troisieme numéro du premier volume.]

[( a ) Ce principe est un peu dur, & Mademoiselle Fringante nous y donne l'idée d'une étrange espece d' égoism e.

(b) On se souvient que Fringante est pour cet objet en partage avec Célestine.]

[(a) Ici, cela veut dire passer au scrutin.]

[(a) Mad. de l'Enginière avait tenu parole, comme on voit. Dès qu'elle se fut soumise aux réglemens contre lesquels sa hauteur avait d'abord regimbé, (Voyez le premier numéro du premier volume) on la recut avec transport, & la voilà déjà chargée des commissions de confiance. Cette belle Duchesse avait bien été devant son jour!]

[(a) Tout récipiendaire au dessous de 30 ans est obligé de couler à fond la premiere classe, c'est-à-dire celles des vieilles. A l'époque de cette réception dont on parle, il y avait dix-neuf quadragénaires, dont la doyenne est encore Mad. la Présidente de Con-bannal, âgée de 51 ans: la plus jeune, Mad. de Restezy, venait alors de completter son huitième lustre. -- A ces deux extrêmes de la liste, le nouveau reçu doit tous les devoirs à discrétion, mais pendant un seul jour, pour chacune; avec les autres, il en est quitte pour un seul hommage au choix de la Dame. Une condition plus dure est de passer parmi les Villettes, les 4 jeudis du premier mois de son existence dans l'Ordre, mais il s'en trouve dispensé, si quelque Dame, de son propre mouvement, daigne l'occuper ces jours là, ce qui arrive toujours pour peu que le personnage intéresse. Au surplus, s'il se trouve convaincu, soit d'avoir sollicité, soit d'avoir, par quelque manœuvre, éludé l'invitation d'une Dame moins agréable, pour se faire inviter ailleurs, non-seulement le frere intrigant n'est plus rachetable par les femmes, mais il tombe aux parties casuelles, c'est-à-dire (chez les Aphrodites ) qu'il est, pour tous les jeudis de sa premiere année, dévolu aux Andrins : or, presque tous ces exécuteurs de la moyenne justice de l'Ordre, se piquent d'être inexorables. Pour lors, il n'y a plus qu'une ressource, c'est de recourir à MM de Ribaudaise, Trougalant, abbés Cudouillet, du Fauxcon & autres jeunes habitués, qui, moyennant une modique gratification, se sacrifient pour le pauvre condamné. -- On trouvera sans doute fort sages ces réglemens qui pourvoyent pour & contre à des intérêts qu'il était dissicile de concilier.]

[(a) Le Prélat. 34 ans: brunet appétissant, jolis traits, formes rondes, santé fleurie, petites manieres pleines de graces féminines: grasseyement peut-être plus étudié que naturel: ton béat qui résulte du facile amalgame d'une indomptable luxure avec une indispensable hypocrisie. ( à peine 7 pouces. )

(b) Dard'amour. 27 ans. Moins matériel que le Prélat: reste de manieres militaires, car le personnage a commencé par servir. Il n'est pas moins luxurieux que Sa Grandeur, mais il n'a pas encore assez l' esprit de son état pour sentir la nécessité de jouer l'hypocrite. (8 pouces forts & de bonne qualité. )

( a ) Le Marquis de Fessange (le même qu'on a nommé page 76 du quatrieme numéro du premier volume.) Jeune blondin de la plus jolie figure, sans caractere, capable de tout, faute de principes & par faiblesse. Manquant de fortune, il est commensal du Prélat à titre de neveu à la mode de Bretagne. Il est encore, sous un autre rapport, l'allié de Sa Grandeur, & de Dard'amour au même degré.]

[( a ) Voyez la page 76 du quatrieme numéro de premier volume.]

[( a ) Mais non pas sans doute pour le Lecteur?

(b) Phrase proverbiale que tout le monde ne connait peut-être pas; mais on n'y perd rien.]

[( a ) Voyez page 41 du premier numéro de ce second volume.]

[(a) L'aristocratie se sert au besoin de quelques nouveaux termes, & qui pis est, de quelques unes des manieres de son ennemie mortelle. -- On pourra s'en repentir.]

[(a) Refrain du Vaudeville du Maréchal, opéra comique de Philidor.]

[(a) Le Marquis de Limefort: --- On a parlé, page 13 du dernier numéro du premier volume, de certains parens qu'a le Chevalier de Limefort. Le Marquis est cousin germain. -- Celui-ci est un grand brunet de 32 ans qui plait sans régularité; fait à peindre; à l'air noble; à la physionomie chevaleresque; vraiment homme-de-cour, quoique sans morgue & détestant toute espece d'intrigue: plus voluptueux que tendre; vrai sybarite: malgré cela bon militaire. Brûlant pour ses Maîtres; mais avec jugement, il n'a pas laissé dégénérer en aveuglement son enthousiasme pour leur Cause sacrée. Il a donc eu le bon esprit de ne pas se laisser ensiévrer par les charlatans & les bas valets qui lui semblent mener & gâter les affaires d'Outre Rhin. Comme Aphrodite, le Marquis est fort ordinaire, car il ne porte que 7 pouces, mais d'excellente qualité.]

[( a ) Endroit où il y a des bains chauds, à quelque distance de Coblence: on y joue comme à Spa, Aix, & autres coupe-gorges.

( b ) Ce sont ceux des onze Camillonnes qui composent, avec Zoé leur chef, la douzaine qu'entretient de fondation Mad. Durut.]

[( a ) L'Ordre avait le bonheur alors de posséder fix Frères de ce nom, qui presque tous étaient dignes de le porter.]

[(a) Violette. -- Délicieuse brune. Elle est coëffée à l'enfant avec un ruban verd autour de ses cheveux à peine poudrés, & vêtue d'un simple peignoirgarni, de mousseline rayée pardessus une courte chemise de toile d'Hollande. -- Tendron pétillant de fraicheur & de santé; petit front à sept pointes: yeux médiocrement grands, mais volcaniques; larges prunelles noires; sourcils tracés comme au pinceau. Fossettes aux joues & au menton: couleurs d'une extrême vivacité: joli méplat au bout d'un petit nez en l'air. Dents courtes merveilleusement rangées & de l'émail le plus sain. Légere dose d'embonpoint. Gorge naissante, fiere & boudeuse, de neige sillonnée d'azur; fossettes rosées partout où il est joli d'en avoir; pettons & mainottes du plus agréable modele; motte relevée, déjà duvetée de filets d'ébène, mais rares & doux; ce qu'on ne peut appercevoir qu'après avoir démuselé la plus mutine de toutes les moniches de l'hospice. Cette cérémonie n'aura lieu qu'à propos; mais on ne veut pas faire languir le Lecteur.]

[( a ) Reste des idées premieres.]

[( a ) Deux camarades de Violette. Bellotte est celle qui priait à l'hermitage.]

[(a) Mademoiselle Serrepine: -- 27 ans.]

[Haute & mince haridelle que la petite Comtesse a ramassée sur le pavé de Londres, où cette Demoiselle a fait quelques éducations. -- Elle est née au pays de Vaud, contrée fort sentimentale qui fournit à une partie de l'Europe des Mentors philosophes à l'usage de l'adolescence des deux sexes. L'essentielle qualité de Mlle Serrepine est d'être adulatrice au superlatif. L'hypocrisie du crû marche ensuite. Serrepine a de l'esprit, sans jugement ; de la culture, sans savoir ; de la taille, sans graces ; des traits, sans charme. Il n'y a qu'heur & malheur dans ce bas monde. Si Mlle Serrepine, au lieu de se marier au jour, à l'heure, s'était fait solidement l'épouse de quelque industrieux courtier, que sait-on! peut-être jouerait-elle, comme une autre, un certain rôle aujourd'hui. Mais elle adule, au lieu d'être adulée: vile complaisante du premier être qu'elle peut empaumer, elle est toute dévouée aux vices, aux caprices de quiconque peut ajouter quelque chose aux 100 livres sterling de pension qu'on lui a composées à la suite de sa carrière pédagogique, glorieusement conduite d'après les excellens traités de la célebre & très morale C... de G....]

[( a ) Du sieur Curtius qui réunit chez lui si brillante & belle compagnie de mannequins.]

[(a) Un autre endroit encore que l'hermitage, & qui en fait partie, mais très séparé du district des pensionnaires.]

[( a ) Non pas du célebre réformateur, l'introducteur des coups de bâton aux soldats (pour obtenir une excellente discipline militaire qu'il était si intéressant de subroger à l' honneur français, afin qu'un jour il pût y avoir une bonne défection presque totale de l'armée en faveur des Sans-culottes... ) mais du célebre Adepte, contemporain de Jesus-Christ, & qui lui avait prédit qu' il finirait mal, quoique fils de Dieu. -- Ce grand St Germain a fini lui-même avec très-peu de lustre dans un petit coin du Nord de l'Allemagne, sans avoir laissé d'éleves ou de Sectaires plus forts que Cagliostro, perpétuel aussi, ressuscitant les morts, évoquant les ombres, mais qui s'étant laissé mettre comme un sot au Château St Ange, y a, dit-on, fini de sa belle mort, quoiqu'il fût, sans contredit, très digne de mourir autrement.]

[(Les vers cités sont du rôle de Crispin dans les Folies amoureuses de Régnard. ( l'Editeur. )]

[( a ) Sir Henri: 33 ans: Grand, mince, efflanqué, maigre, brun - mélancolique. Assez de noblesse dans les traits & le maintien. Physionomie qui a pris le caractere de la tristesse. Moyens physiques très médiocres: quelque imagination & de l'opiniâtreté. Léger accent anglais, quoique parlant très bien notre langue.]

[( a ) La petite Comtesse était ainsi brouillée avec le renom de l'illustre réformateur, parce que, pour la plus grande gloire du royaume, il avait fait, en supprimant la maison du Roi, le malheur d'une cinquantaine d'individus que cette Dame avait alors sur sa liste favorite; mais un Grand-homme n'y regatde pas de si près, quand il est sûr de faire le bien.]

[( a ) Elle n'avait pensé d'abord qu'à se dire éleve, mais sujette à des idées bisarres, elle a trouvé tout d'un coup plus amusant de se forger d'autres rapports. Et c'est bien voir : ce qui n'est absurde qu'à moitié ne réussit pas, à beaucoup près, aussi bien que ce qui l'est au superlatif.]

[( a ) On se rappelle que c'est une ancienne servante de l'hospice.]

[( a ) Voyez page 67 du précédent Numero.]

[( a ) Zephirine: à peine 21 ans. --- Grande & belle brune claire d'une extrême blancheur. Traits réguliers & piquans en même tems; beaux yeux bleus, sourcil noir, nez de la plus jolie forme féminine, & qui n'est ni aquilin, ni en l'air. Petite bouche gracieuse, dents courtes, d'un bel émail, nettes & dans un ordre admirable. On voit que, n'étant pas grosse, cette Beauté doit avoir une tournure distinguée, dans le demi embonpoint: les mains & les pieds sont étonnans par leur délicatesse & leur perfection. --- Motte relevée & tapissée avec luxe.]

[( a ) Elle veut parler de cette magnifique orange qu'on se souvient sans doute que Célestine avait présentée à la Comtesse? ( Voyez page 8 de ce Numéro. ) La prétendue sorciere, cinq jours plus tard, se promenant au jardin avec le Baronnet, avait mis, comme par caprice, ce fruit dans la terre d'un pot à fleurs vuide, & avait fait semblant de lâcher par dessus un jet d'urine, en observant de bien arrondir les jupes à l'entour. En même tems, à ce pot dextrement escamoté, Gervais, à travers une charmille, substituait un pot absolument pareil, & que l'Anglais, qui se tenait à deux pas, le doc tourné, par décence, ne pouvait manquer de prendre pour le même qu'il venait de voir. Mais pour le coup, il voit de plus un jeune oranger de la plus fraiche verdure. La Comtesse lui ordonne d'arracher cette faible plante. Il obéit: sous la racine quelque chose brille... c'est un médaillon en or; à l'ouverture, l'émerveillé Protégé de la Fée est frappé de la plus fraîche image de sa Zéphirine si chérie... En pareil cas ne vaut-il pas mieux lâcher la bride à toute la folie d'une absurde superstition, que de s'alembiquer l'esprit pour arriver enfin très sensément à se dire que tant de plaisir ne se doit qu'à un tour de main?]

[( a ) C'est le nom du Baronnet.]

[( a ) Un proche parent de certain mauvais sujet qui brille dans le Diableau-Corps. --- Bon sang ne peut mentir.]

[( a ) Plaisanterie familiere à la petite Comtesse, qu'on sait être rousse, & qui n'en rougit pas.]

[( a ) La Marquise de Limefort était une hollandaise plus âgée que son époux, & qui, lorsque les hollandais commencerent à se désunir, avait transporté chez nous plus des troisquartsd'unegrandefortuneréaliséeen excellent papier, en diamans & en ducats. Galante, cette Dame avait accroché le Marquis, serviteur essenciel, honnête ami, pauvre & méritant un meilleur sort. Elle l'avait épousé, non pour possédercethommeexclusivement& leconvertir enmari fidele, mais pour jetter sur ses propres frédaines un voile décent. Sur ce pied le couple vivait dans une union parfaite; Mad. de Limefort d'une pétulance étonnante chez une femme de son pays, abusaitunpeutrop de sonesprit-fort,de saconstitution robuste & du genre de vie masculin, qu'elle préférait à celui qui sied mieux à son sexe. Au retour d'une partie de chasse fort vive, où elle s'était considérablement échauffée, (les malins ajoutent de plusieurs manieres ) elle eut le malheur de se refroidir: une fluxion de poitrine survint qui lui fit plier bagage au bout de quatre jours. --- Avis à nos aimables folles.]

[( a ) Mad. Durut sait très bien que Limefort a eu le bon sens & l'adresse d'échapper de cette toile d'araignée où tant de nobles moucherons se sont désastreusement empêtrés: mais elleveutavoirletemsdeconsulter le Marquis avant de l'aboucher avec cet être auquel elle ne se fie point encore. Elle ment pour avoir de la marge, & faire tout pour le mieux.]

[(*) C'est bien ainsi que sont en droit de définir leurs maussades peres, ces Aimables qui ne peuvent obtenit, à compte du bien qu'ils savent d'avance être le leur, de quoi jouer un jeu d'enfer, entretenir des filles, parier aux courses des chevaux &c. toutes choses si nécessaires afin que la Jeunesse du tems qui court existe un peu décemment. (Note de l'Editeur.)]

[( a ) Nom de société.

( b ) La mere: son époux originaire d'Irlande se nommait ainsi.]

[( a ) Un talent appelle le secours de l'autre, & l'aide à son our amicalement. (Version littérale de ce passage de l'Art poétique d' Horace. ) Note de l'Editeur.]

[( a ) On s'apperçoit en imprimant ceci qu'au portrait du Marquis page 38 du sixieme No. on ne lui a donné que 32 ans. C'est une faute typographique bien essencielle à corriger. Il a 38 ans. Un chiffre mal formé dans le manuscrit a causé cette erreur. ( Note de l'Editeur. )]

[( a ) Limefort qui connaissait très bien, de nom, Belamour, & l'avait même vu à la volée avant d'émigrer, ne pouvait le reconnaître au bout de six mois, le bambin ayant grandi de deux pouces, & l'habit féminin l'exhaussant encore davantage.]

[( a ) Nom supposé que l'Etrangere avait pris.]

[(*) Vand'hour: il revient au lecteur le portrait de cet amphibie qu'il ne convenait pas d'esquisser plus tôt de peur de gâter la scene d'équivoque, premiere du troisieme fragment de ce Numéro. Vand'hour, le même que l'étranger, petit en homme, est une assez grande femme, brune des cheveux, mais blanche de peau. Elle est un peu pâle: mais les yeux sont vifs, exigeants; les levres fraiches; les dents complettes & blanches: & le mannequln plus dodu que maigre aurait de la tournure sous un costume qui ne serait pas le masculin, d'une coupe étrangere, ample à dessein, couleur d'olive & décoré d'un large galon d'or. Le chapeau retappé à la vieille mode & la perruque noire à l'anglaise achevent de composer l'apparence d'un homme sur le retour. En dépit de tout cela, Mlle Fleur d'autrefois, en femme, serait encore digne qu'on fît sa partie avec quelque intérêt, Belamour, au plus bel âge l'a fait, d'abord par devoir, ensuite aussi par besoin ; car, à 16 ans, ou le mettrait au Diable lui-même s'il montrait un con en belle humeur.]

[(*) C'est une consolation pour les Matrones que d'imaginer qu'elles doivent, à raison de leur habile expérience & de la multitude de leurs exploits, éclipser ces novices qui n'en sont qu'à l'a, b, c, du métîer de Catin. Les Barbons ont aussi la prétention de se croire plus propres à donner aux connaisseuses des plaisirs dont, à la vérité, ils ne peuvent autant multiplier le procédé que le fait, en se jouant, la brûlante adolescence: mais la qualité ! c'est sur ce point important que s'échaffaude l'orgueil risible des presqu'invalides Cardinaux du clergé de Vénus. O folie!]

[(*) Toutes vérités ne sont pas bonnes à dire, (va peut être objecter ici quelque Marquis, jettant le gant pour l'honneur de ses pairs.) A quoi bon, en révélant ce sot mariage avec une manipulatrice des Tuileries, dégrader un galant homme pour qui vous nous aviez d'abord inspiré quelque estime? ---Pas un mot à vous repliquer, pointilleux Seigneur, pourvu que vous n'ayiez vous-même ni agioté, ni prêté sur gages, ni fait banqueroute, ou disseminé de faux billets, ou filé la carte, comme l'ont fait, de nos jours, tant d'illustres, que nous ne nommerons point, plus titrés encore que l'honnête libertin dont la dérogeance vous courrouce.

Fin du septième Numéro.]

[( a ) Entre amies aussi intimes que ces interlocutrices, il n'y a point de façons, & chaque chose est tout uniment nommée.]

[( a ) Voyez Page 21 du précédent Numéro.]

[( a ) Voyez Page 34 du précédent Numéro.]

[( a ) Nécrarque: Nom que la Comtesse se donnait dans sa Comédie. Il dérive du Grec & signisie qui regne sur les Morts.]

[( a ) On avait arraché au Baronnet l'aveu d'avoir, en différens lieux, satisfait les mêmes caprices qu'on sait le distraire dans son séjour actuel: mais le tout en dirigeant constamment ses intentions vers l'adorée Momie. Il avait même essayé, par occasion, en Italie, d'un culte absolument étranger & qui lui semblait devoir caractériser encore mieux son exclusive passion pour l'objet si tendrement regretté. Mais cette grossiere erreur ne l'avait féduit qu'un moment: pouvait-elle gangrener un cœur susceptible d' amour vérit able dont l'immuable base est la simple nature, sans aucune modification!]

[( a ) C'est en un mot une mendiante des environs, presque centenaire, qui joue, pour quelques écus, ce personnage, & doit représenter Nécrarque, dans l'état de crise dont Célestine a parlé.]

[( a ) J'entends les plus sensés des foux qui liront ces sottises, me dire: = Ces moyens ne sont pas fort subtils. = D'accord: mais qu'on demande à Messieurs les Martinistes, Mesméristes, illuminés, Macons Egyptiens, &c. si les leurs sont beaucoup plus fins. Quand il s'agit de mystifier des gens de bonne étoffe, les trois quarts de l'ouvrage sont faits d'avance dans leurs cervelles creuses; avec nn peu de jargon & d'adresse le mystificateur a bientôt fait le reste: car au bout du compte qui que ce soit n'est sorcier. N'importe: on voudra sans fin lire dans l'avenir, vivre des siecles, faire de l'or, &c. &c. &c.]

[( a ) Zaïre de Fortconnin: 17 ans: chef-d'œuvre en miniature: Brune assassine, ayant tout le coloris & la fermeté de la plus fraiche adolescence. Traits chiffonés, enchanteurs, auxquels un heureux accord & de grands yeux volcaniques donnent un air de perfection très bien soutenu par les formes merveilleuses du reste de la personne: ---Zaïre est la Niece de certaine Eulalie, ci-devant Abbesse d'un couvent de Bernardines, & qu'on connaîtra si l'on a lu Mon Noviciat, ou les Joies de Lolotte, très instructif & surtout très veridique ouvrage.]

[( a ) Le Commandeur de Lardemotte: de Malte, ci-devant le Chevalier de Francheville, l'un des personnages principaux de ce Noviciat qu'on vient de citer. Le Commandeur atteint à peine sa vingt-septieme année. Il est parfaitement beau, bien fait; & libertin à proportion de la vogue que doit avoir dans le monde un aussi surprenant mérite. Il a pourtant le malheur d'être porteur d'un des plus effrayans boutejoies de l'Ordre. N'importe: ce défaut ne l'empêche pas de s'accrocher à des Novices à peine formées qui par bonheur ont, du tems qui court, une intrépidité dont ne se piquaient pas autrefois les plus aguéries Professes. Ce sont peut-être les anciens succès de Francheville avec Lolotte qui l'ont rendu sans pitié pour la fragilité d'organes des précoces Laïs, telle que celle dont il a dans ce moment la joie d'être possesseur.]

[( a ) Il fallait qu'une Demoiselle eût 21 ans & fût autorisée par un proche parent, membre de la société, tout au moins par un dignitaire ami de la famille.]

[( a ) Ce fut sous ce nom que le Chevalier de Francheville (le Commandeur écoutant) prit le voile dans une communauté dont l'Abbesse était alore folle de lui. Ils se brouillerent. --- Les détails de ces amours & de la rupture se trouvent dans l'histoire plus vraie qu'exemplaire, qui a pour titre, mon Noviciat, ou les Joies de Lolotte.]

[( a ) L'Abbesse. --- Une de nos Dames Aphrodites aussi se nomme Eulalie; mais plusieurs personnes peuvent porter le même nom. L'ordre avait de même une Mad. & une Dile de Fortconnin, qui n'étaient point parentes.]

[( a ) Cette catastrophe est réellement arrivée.]

[( a ) Léger écart qu'on prie le lecteur de pardonner à la familiarité de l'entretien. D'ailleurs, on assure que Mile Zaïre est de très bonne compagnie.

( b ) On suppose que nos lecteurs ont lu ou liront les joies de Lolotte. On y voit que Mad. de Mélambert, épouse d'un Robin, n'est point Marquise, mais Mélambert était un Marquisat. Elle est veuve, & fille d'un Marquis. Elle a donc voulu se donner un titre. Etait-on sans cela quelque chose dans le monde, avant la Révolution?]

[( a ) Quand même on n'aurait aucune connaissance du Roman auquel se rapporte ce fait, il est toujours bon de le conserver, afin que le lecteur sache quels différens sentimens peuvent succéder, dans le cœur des femmes, à cette fievre qu'on nomme amour, & quelles peuvent être, au contraire, les simples vertus de celles qui n'ont que du tempérament.]

[( a ) Ce trait seul établirait la différence qu'il y a entre la passionement amoureuse Abbesse, Tante de celle qui parle, & la simple libertine de Lolotte Mad. de Mélambert.]

[( a ) C'est, en grand & dans un autre genre, la même conception que celle de la salle à manger décrite page 68 du premier cahier.]

[( a ) Ce sont des Dignitaires.

( b ) Messieurs les Etrangers? cela veut dire l'academie française, à qui trop souvent le Beau Sexe & les Aimables-étourdis manquent de respect dans leur auguste sanctuaire.

( c ) Imitation en petit du fastueux lit du Docteur Graham dont parle, presque dès le début, certaine édition de la Chronique scandalense. Que n'est elle toute composée d'articles aussi intéressans?]

[( a ) Permets, ô grand Voltaire, que pour un moment ce galimathias prenne par le bras ton intrépide Pucelle, afin de résister au choc redoutable du courroux des Rigoristes &desZoïles.Ledifficilearrangementde la Comtesse avec le baudet est décrit à la fin de la premiere partie du Diable au Corps. On renvoie donc, pour les détails, à cet ouvrage.]

[( a ) Frere cadet du Vicomte cité dans le Diable au Corps : il chassait de race.]

[( a ) Chaque membre, lors de sa réception, faisait à l'ordre un don selon sa fortune. Il déposait en outre dix mille livres pour lui-même & cinq mille pour la Dame reçue avec lui,(carlesDamesnepayaientrien.) L'ordre tenait compte au frere de l'intérêt de ses fonds sur le pied de cinq pour cent. Ce revenu demeurait à la caisse, à compte de la dépense de chacun. L'ordre héritait de ces capitaux, à moins qu'il n'eûtrejettéquelqu'undecesespecesd'actionnaires, que pour lors il remboursait exactement de dix mille livres. Le contingent féminin n'était jamais rendu.]

[( a ) Au manuscrit, il y avait Villettes: on a cru devoir rectifier cette erreur. ( Le Correcteur d'épreuves. )]

[( a ) Chacun des trois enfans qu'avait faits Mad. de Confessu, avait failli lui coûter la vie: ses deux meilleures amies, sages, susceptibles d'un grandamour, avaient péri de la vérole, après avoir favorisé deux héros de Roman contre lesquels elles avaient fait pendant six jours la plus vertueuse résistance. On peut, à moins, se frapper l'imagination. Mad. de Confessu jura donc qu'on ne lui ferait plus d'enfans: mais à tout hasard elle céda, par amour-propre, à la séduction des Jeudis, ensorcelés pour elle, à cause d'une Mappemonde unique dont la Vénus Callipyge elle-même aurait pu concevoir du dépit.]

[( a ) Et dans la Prélature aussi; car il était né de parens très obscurs, & n'eût été toute sa vie qu'un Moinillon, sans les prodigieux titres de noblesse naturelle dont le bisarre Destin l'avait gratifié.]

[( a ) On affiliait, un à un : mais on n' engageait jamais que deux à deux. Chaque individu d'un couple de Profès était respectivement, pendant un an, Parain & Maraine. Des soins approchant de ceux du Cicisbéisme d'Italie étaient attachés à cette plus particuliere assinité.

( b ) Il était de regle que pendant trois heures, entre Parain & Maraine, on fît ce qu'on pouvait ! le nombre des couronnes ren dait compte de ce qui s'était passé. On avait une assez mince opinion du nouveau Profès qui n'était pas sept fois couronné. Qui n'avait pu atteindre la cinquieme couronne était remis. (Ce nombre était de rigueur.) Après un second essai, de même malheureux, le Frere était exclus de la Profession & restait désormais simple Affilié. Nul moyen de frauder: un incorruptible dignitaire, à portée, ne délivrait chaque couronne qu'après s'être bien assuré qu'on venait de la gagner légitimement.]

[( a ) Voyez ce qui est dit, de lui, aux deux dernieres pages du quatrieme Numéro.]

[( a ) Il était commun, aux deux sexes, sur les yeux & la bouche. --- Ensuite chaque Profès baisait les boutons du sein de la Grande-Maîtresse &, ployant les genoux, rendait plus baslemêmehommage.---Cedernier baiser était dévolu seul au Grand-Maître, qui pour épargner aux Dames l'humilité de la génuflexion, s'élevait volontiers à leur portée. --- On conçoit qu'en pareil cas la galanterie du Particulier peutsepiquerd'acquitter,parquelqueagréable supplément, la dette du Dignitaire,]

[( a ) On se souvient que c'est un meuble de boudoir.]

[( a ) Le Grand Maître avait deux Assistantes ; la Grande-Maîtresse, deux Assistans. Ces quatre Dignitaires étaient les seconds personnages de l'Ordre, & jouissaient de bien des prérogatives dont il n'est plus tems d'entretenir nos Lecteurs.

( b ) On observera qu'indépendamment de ces préliminaires voluptueux auxquels la simple déclaration des Promus donnait lieu, il y avait encore, à leur sujet, (lors de l'entrée en exercice,) une assemblée bien autrement solemnelle. Elle était fixée au premier vendredi de Mai. C'est alors seulement que les Dignitaires de l'année courante cessaient leurs fonctions & rentraient dans la foule. Cependant ils conservaient avec quelques attributions flatteuses le Cygne d'émail entouré d'une couronne imitant le myrthe mêlé de roses, décoration qui se portait, avec un ruban verd liséré de ponceau, par les Retirés, en petit ordre, par les Dignitaires effectifs, au col; par les seuls Grand-Maître & Grande-Maîtresse, en grand cordon. Ces derniers, exclusivement, étaient ornés encore, la Grande-Maîtresse du signe de la planète de Venus, brodé en argent sur un rond de satin ou paillon verd-clair; le Grand-Maître, du signe de la planète de Mars, brodé sur un rond de satin ou paillon ponceau. Autour de ces deux plaques, d'ailleurs égales, brillait une riche auréole à huit pointes, de rayons de diamans, de rubis & d'éméraudes, placée sur le cœur. Le bijou d'Ordre du Grand-Maître & de la Grande-Maîtresse étaient aussi les seuls enrichis.]

[( a ) Ces postiches Messieurs vont parler Anglais. Mais comme probablement la plupart de nos Lecteurs seront Français, nous allons traduire cette scene dans notre langue.]

[( a ) On supposait apparemment au Baronnet assez d'intelligence pour se représenter, d'après cette conversation, un Conifex raccommodeur de moules, & un Bandamor habile à y couler.]

[( a ) Chez plus d'un Peuple les déjections des souverains Pontifes jouent un grand rôle dans les cérémonies du culte. Mais il serait ridicule de citer doctement dans un ouvrage tel que celui-ci. L'urine (& pis encore) n'est pas non plus dédaignée de ces Sages qui se disent Alchymistes & font.... (à coup sûr, comme on sait) de l'or.

( a ) Tu m'as tout compissé, pisseuse abominable, fait dire, sur le théâtre, Scarron, qui ne fut gueres plus burlesque dans son genre que notre auteur dans le sien. ( Note de l'Editeur. )]

[( a ) Phallarque: du Grec. C'est, en français, Reine, ou Surintendante des boute-joies: comme Conifex, pour l'autre département.]

[( a ) On se souvient que l'Ordre en possède six?]