# Jacques le Fataliste et son maître (Denis Diderot) * Tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas est écrit là-haut. Savez-vous, monsieur, quelque moyen d’effacer cette écriture ? Puis-je n’être pas moi ? Et étant moi, puis-je faire autrement que moi ? Puis-je être moi en un autre ? Et depuis que je suis au monde, y a-t-il eu un seul instant où cela n’ait été vrai ? (loc. 107-109) * Ici Jacques s’embarrassa dans une métaphysique très subtile et peut-être très vraie. Il cherchait à faire concevoir à son maître que le mot douleur était sans idée, et qu’il ne commençait à signifier quelque chose qu’au moment où il rappelait à notre mémoire une sensation que nous avions éprouvée. (loc. 295-297) * — Êtes-vous riche ? — Non. — Êtes-vous pauvre ? — Très pauvre. — Et vous allez joindre à la pauvreté le ridicule de mauvais poète ; vous aurez perdu toute votre vie ; vous serez vieux. Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! (loc. 637-639) * JACQUES. Mais pourquoi est-ce qu’ils sont si méchants ? LE MAÎTRE. Je crois que c’est parce qu’ils sont moines… (loc. 776-778) * Dis la chose comme elle est !… Cela n’arrive peut-être pas deux fois en un jour dans toute une grande ville. Et celui qui vous écoute est-il mieux disposé que celui qui parle ? Non. D’où il doit arriver que deux fois à peine en un jour, dans toute une grande ville, on soit entendu comme on dit. (loc. 920-922) * Que diable, Jacques, voilà des maximes à proscrire l’usage de la langue et des oreilles, à ne rien dire, à ne rien écouter et à ne rien croire ! Cependant, dis comme toi, je t’écouterai comme moi, et je t’en croirai comme je pourrai. (loc. 923-925) * Rien de si difficile à pardonner que le mérite. (loc. 1143-1144) * Vous êtes quelquefois si profond et si sublime que je ne vous entends pas. (loc. 1283-1283) * Notre position a cela d’avantageux qu’elle nous prive de tout ce qui nuit à la santé : voyez son visage, voyez ses bras ; voilà ce qu’on doit à la vie frugale et réglée, au sommeil, au travail, à la bonne conscience ; et c’est quelque chose… (loc. 2328-2330) * Nos deux voyageurs, qui s’étaient couchés tard et la tête un peu chaude de vin, dormirent la grasse matinée ; Jacques à terre ou sur des chaises, selon la version que vous aurez préférée ; son maître plus à son aise dans son lit. (loc. 2876-2877) * Toutes nos querelles ne sont venues jusqu’à présent que parce que nous ne nous étions pas encore bien dit, vous, que vous vous appelleriez mon maître, et que c’est moi qui serais le vôtre. Mais voilà qui est entendu ; et nous n’avons plus qu’à cheminer en conséquence. (loc. 3092-3095) * Vous souriez, monsieur, qu’est-ce qu’il y a ? LE MAÎTRE. Rien. (loc. 3593-3594) * LE MAÎTRE. Il n’y avait donc pas loin de la commune au village ? JACQUES. Pas plus loin que du village à la commune. (loc. 3761-3763) * LE MAÎTRE. Comment ! avec ton mal de gorge tu as fait remplir ta gourde ? JACQUES. Oui, mais, de par tous les diables, c’est de tisane ; aussi je n’ai point d’idées, je suis bête ; et tant qu’il n’y aura dans la gourde que de la tisane, je serai bête. (loc. 4229-4232) * — Mais l’abbé Hudson est mort ? — Vous le croyez ? Avez-vous assisté à ses obsèques ? — Non. — Vous ne l’avez point vu mettre en terre ? — Non. — Il est donc mort ou vivant, comme il me plaira. (loc. 4245-4247) * Mais si vous êtes et si vous avez toujours été le maître de vouloir, que ne voulez-vous à présent aimer une guenon ; et que n’avez-vous cessé d’aimer Agathe toutes les fois que vous l’avez voulu ? Mon maître, on passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire. (loc. 4741-4744)