# Les Rêveries du promeneur solitaire (Jean-Jacques Rousseau) * L’habitude de rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j’appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous, et qu’il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouloir être heureux (p. 7) * Je me disais en soupirant : qu’ai-je fait ici-bas ? J’étais fait pour vivre, et je meurs sans avoir vécu. (p. 8) * Je la priai de n’en rien faire, et elle n’en fit rien. (p. 11) * C’est ainsi que la droiture et la franchise en toute chose sont des crimes affreux dans le monde, et je paraîtrais à mes contemporains méchant et féroce, quand je n’aurais à leurs yeux d’autre crime que de n’être pas faux et perfide comme eux. (p. 12) * La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer. (p. 14) * Est-il temps au moment qu’il faut mourir d’apprendre comment on aurait dû vivre ? (p. 14) * J’ai toujours cru qu’avant d’instruire les autres il fallait commencer par savoir assez pour soi, et de toutes les études que j’ai tâché de faire en ma vie au milieu des hommes il n’y en a guère que je n’eusse faite également seul dans une île déserte où j’aurais été confiné pour le reste de mes jours. (p. 15) * Quand ensuite les hommes m’ont réduit à vivre seul, j’ai trouvé qu’en me séquestrant pour me rendre misérable, ils avaient plus fait pour mon bonheur que je n’avais su faire moi-même. (p. 17) * Tout ce qui, contraire à la vérité, blesse la justice en quelque façon que ce soit, c’est mensonge. Voilà la limite exacte : mais tout ce qui, contraire à la vérité, n’intéresse la justice en aucune sorte, n’est que fiction. (p. 29) * Quand il faut nécessairement parler et que des vérités amusantes ne se présentent pas assez tôt à mon esprit je débite des fables pour ne pas demeurer muet ; mais dans l’invention de ces fables j’ai soin, tant que je puis, qu’elles ne soient pas des mensonges, c’est-à-dire qu’elles ne blessent ni la justice ni la vérité due, et qu’elles ne soient que des fictions indifférentes à tout le monde et à moi. (p. 30) * On ne m’a laissé passer guère que deux mois dans cette île, mais j’y aurais passé deux ans, deux siècles, et toute l’éternité sans m’y ennuyer un moment. (p. 37) * J’ai vu que pour bien faire avec plaisir il fallait que j’agisse librement, sans contrainte, et que pour m’ôter toute la douceur d’une bonne œuvre il suffisait qu’elle devînt un devoir pour moi. (p. 45) * Je n’ai jamais cru que la liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu’il ne veut pas, (p. 50) * C’est me venger de mes persécuteurs à ma manière, je ne saurais les punir plus cruellement que d’être heureux malgré eux. (p. 53) * J’ai pensé quelquefois assez profondément ; mais rarement avec plaisir, presque toujours contre mon gré et comme par force : la rêverie me délasse et m’amuse, la réflexion me fatigue et m’attriste ; penser fut toujours pour moi une occupation pénible et sans charme. Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements mon âme erre et plane dans l’univers sur les ailes de l’imagination, dans des extases qui passent toute autre jouissance. (p. 53) * C’est ainsi qu’un joueur dépité par ses pertes se met en fureur sans savoir contre qui. Il imagine un sort qui s’acharne à dessein sur lui pour le tourmenter, et trouvant un aliment à sa colère, il s’anime et s’enflamme contre l’ennemi qu’il s’est créé. L’homme sage, qui ne voit dans tous les malheurs qui lui arrivent que les coups de l’aveugle nécessité, n’a point ces agitations insensées ; il crie dans sa douleur mais sans emportement, sans colère ; il ne sent du mal dont il est la proie que l’atteinte matérielle, et les coups qu’il reçoit ont beau blesser sa personne, pas un n’arrive jusqu’à son cœur. (p. 66) * Pour moi j’ai beau savoir que je souffrirai demain, il me suffit de ne pas souffrir aujourd’hui pour être tranquille. Je ne m’affecte point du mal que je prévois mais seulement de celui que je sens, et cela le réduit à très peu de chose. (p. 68)