# Voyage au bout de la nuit (Céline) * L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches. (p. 8) * On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir avant d'entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? À présent, j'étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu... Ça venait des profondeurs et c'était arrivé. (p. 14) * De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c'est des mots. (p. 15) * Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. (p. 18) * Quand on a pas d'imagination, mourir c'est peu de chose, quand on en a, mourir c'est trop. (p. 19) * C'était comme si on avait essayé en m'engueulant très fort de me donner l'envie d'aller me suicider. (p. 23) * Dans ce métier d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge. (p. 34) * C'est à cause de ça que les guerres peuvent durer. Même ceux qui la font, en train de la faire, ne l'imaginent pas. (p. 36) * La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent et s'y prennent vingt ans d'avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre. (p. 36) * Tout ce qui est intéressant se passe dans l'ombre, décidément. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes. (p. 64) * Ce monde n'est je vous l'assure qu'une immense entreprise à se foutre du monde ! (p. 68) * La religion drapeautique remplaça promptement la céleste, vieux nuage déjà dégonflé par la Réforme et condensé depuis longtemps en tirelires épiscopales. (p. 70) * Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses l'embrouillaient. (p. 71) * On se défend, on s'entretient, on repasse sa vie au bipède du siècle suivant, avec frénésie, à tout prix, comme si c'était formidablement agréable de se continuer, comme si ça allait nous rendre, au bout du compte, éternels. Envie de s'embrasser malgré tout, comme on se gratte. (p. 72) * Les gens sont si méchants, c'est peut-être seulement parce qu'ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs. (p. 74) * L'amour c'est comme l'alcool, plus on est impuissant et soûl et plus on se croit fort et malin, et sûr de ses droits. (p. 78) * Il existe certains coins comme ça dans les villes, si stupidement laids qu'on y est presque toujours seul. (p. 79) * Moi aussi bien sûr j'y songeais à mon avenir, mais dans une sorte de délire, parce que j'avais tout le temps, en sourdine, la crainte d'être tué dans la guerre et la peur aussi de crever de faim dans la paix. (p. 81) * Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue. (p. 82) * Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls. (p. 117) * Il dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants. (p. 160) * Il y a, c'est exact, beaucoup de folie à s'occuper d'autre chose que de ce qu'on voit. (p. 171) * Elle n'en ratait jamais une ma mère pour essayer de me faire croire que le monde était bénin et qu'elle avait bien fait de me concevoir. C'est le grand subterfuge de l'incurie maternelle, cette Providence supposée. (p. 172) * Ainsi passèrent des jours et des jours, je reprenais un peu de santé, mais au fur et à mesure que je perdais mon délire et ma fièvre dans ce confort, le goût de l'aventure et des nouvelles imprudences me revint impérieux. À 37° tout devient banal. (p. 190) * C'est l'âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu'on a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi. (p. 200) * En Afrique, j'avais certes connu un genre de solitude assez brutale, mais l'isolement dans cette fourmilière américaine prenait une tournure plus accablante encore. (p. 203) * Dans ce milieu trop différent de celui où j'avais de mesquines habitudes, je m'étais à l'instant comme dissous. Je me sentais bien près de ne plus exister, tout simplement. Ainsi, je le découvrais, dès qu'on avait cessé de me parler des choses familières, plus rien ne m'empêchait de sombrer dans une sorte d'irrésistible ennui, dans une manière de doucereuse, d'effroyable catastrophe d'âme. Une dégoûtation. (p. 203) * On n'échappe pas au commerce américain. (p. 207) * C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir. (p. 236) * Ce n'est pas le tout de se dire « Je suis malheureux ». Il faut encore se le prouver, se convaincre sans appel. (p. 250) * On n'est jamais très mécontent qu'un adulte s'en aille, ça fait toujours une vache de moins sur la terre, qu'on se dit, tandis que pour un enfant, c'est tout de même moins sûr. Il y a l'avenir. (p. 283) * Déjà on en est moins fier d'elle de sa jeunesse, on ose pas encore l'avouer en public que ce n'est peut-être que cela sa jeunesse, de l'entrain à vieillir. (p. 287) * Les riches n'ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer. Ils les font travailler les gens comme ils disent. Ils ne font pas le mal eux-mêmes, les riches. Ils payent. On fait tout pour leur plaire et tout le monde est bien content. (p. 332) * Les gens riches sont soûls dans un autre genre et ne peuvent arriver à comprendre ces frénésies de sécurité. Être riche, c'est une autre ivresse, c'est oublier. C'est même pour ça qu'on devient riche, pour oublier. (p. 334) * Elles veulent aller se perdre nos molécules, au plus vite, parmi l'univers ces mignonnes ! Elles souffrent d'être seulement « nous », cocus d'infini. (p. 337) * C'était un homme qui mangeait trop vite et qui buvait du vin blanc. (p. 339) * La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. (p. 340) * Mais c'est bien trop tard... C'est fini !... Personne ne sait plus rien d'eux. Il faut alors continuer sa route tout seul, dans la nuit. On a perdu ses vrais compagnons. On leur a pas seulement posé la bonne question, la vraie, quand il était temps. À côté d'eux on ne savait pas. Homme perdu. On est toujours en retard d'abord. (p. 378) * Être seul c'est s'entraîner à la mort. (p. 380) * C'est bon les villes inconnues ! C'est le moment et l'endroit où on peut supposer que les gens qu'on rencontre sont tous gentils. (p. 382) * Ils en ont des pitiés les gens, pour les invalides et les aveugles et on peut dire qu'ils en ont de l'amour en réserve. Je l'avais bien senti, bien des fois, l'amour en réserve. Y en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ça ne sort pas, voilà tout. (p. 395) * Des dialogues d'amour les plus plats, c'est toujours tout de même un peu drôle quand on connaît les gens. (p. 408) * La grande fatigue de l'existence n'est peut-être en somme que cet énorme mal qu'on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c'est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d'avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu'on nous a donné. (p. 418) * Ne croyez donc jamais d'emblée au malheur des hommes. Demandez-leur seulement s'ils peuvent dormir encore ?... Si oui, tout va bien. Ça suffit. (p. 429) * On a beau dire et prétendre, le monde nous quitte bien avant qu'on s'en aille pour de bon. (p. 458)