# C’est le moyen de toucher tout le monde ![Ma main](_i/2025-09-11-171614.webp) Ces derniers jours, à deux reprises, j’ai entendu : « C’est le moyen \[les réseaux sociaux algorithmiques et leurs services de collecte de données] de toucher tout le monde. » La première fois, quand je râle parce que les copains du club vélo ne cessent de créer des groupes WhatsApp. Je les menace de les quitter s’ils ne changent pas de messageries instantanées à brève échéance. La seconde fois, c’est à l’occasion du mouvement bloquons tout du 10 septembre, quand je vois les contestataires anticapitalistes, antilibéraux, antigouvernements, antiriches s’organiser avec les outils les plus invasifs et liberticides jamais inventés par le capitalisme, sous prétexte qu’ils sont les plus simples à utiliser. Je pourrais me contenter d’une réponse laconique : « La dictature, c’est aussi un moyen de toucher tout le monde. Personne ne peut échapper à son emprise, à sa surveillance, à ses manipulations d’opinion, à ses mensonges, à ses procès arbitraires… » C’est parce que certains services privés touchent tout le monde que c’est devenu un gros problème : des entreprises siphonnent nos données, étudient nos comportements, suivent nos déplacements, et pour la plupart nous continuons comme si de rien n’était. Aujourd’hui toutes ces données collectées servent à nous bombarder de publicités, mais aussi à façonner nos options en choisissant pour nous des contenus susceptibles de nous intéresser ou de nous faire réagir. Il s’agit ni plus ni moins d’un système de lavage de cerveau insidieux. Si ça ne vous dérange pas, moi ça me dérange que ça ne vous dérange pas. Parce que si vous devenez des zombies, vous voterez à tort et à travers, et je finirai par en pâtir. Ne vous croyez pas plus malin que les IA qui analysent vos données et recherchent les meilleures stratégies pour vous manipuler. Vous êtes leurs victimes. Toutes ces données amassées sur vous ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Si des régimes politiques déviants s’installent, et ils ont toutes les chances de le faire quand les options sont manipulées à grande échelle, vos anciennes opinions et pratiques pourront être retournées contre vous. Vous vous dites sans doute que vous n’avez rien à cacher ou à craindre, mais dans une dictature tout le monde a quelque chose à cacher. Vous croyez que ça vaut toujours la peine de pouvoir toucher tout le monde ? Vous ne voyez toujours pas les risques collectifs de ce jusqu’au-boutisme ? Perso, j’ai déjà trop ouvert ma gueule. Je ne cherche pas à me protéger, mais à défendre ce qui subsiste de liberté et de libre arbitre dans la société. Si vous sombrez tous, je sombrerai avec vous. Si nous ne sommes qu’une poignée à résister, les chemises brunes ou rouges nous imposeront leurs règles. Le cas du 10 septembre est symptomatique d’une grave crise. Comment croire s’opposer à un système, le capitalisme, en usant des outils les plus invasifs et liberticides jamais inventés par le capitalisme ? Est-ce raisonnable de penser, ne serait-ce qu’une seconde, qu’il est possible de changer quoi que ce soit de cette façon — ce dont étaient persuadés les manifestants du 10 de toute évidence ? Dans [une conversation lancée sur Mastodon](https://mamot.fr/@tcrouzet/115179829173868768), un réseau non algorithmique et non privatif, quelques réactions reprennent mon argument. [Ploum](https://mamot.fr/@ploum/115184350723536241) : « Se soumettre aux outils qui nous oppressent pour prétendre s’organiser contre l’oppression n’est qu’une illusion, un exutoire créé spécifiquement pour libérer les pulsions sans mettre en danger le système. C’est le syndrome du t-shirt Che Guevara made in China mais multiplié par mille. » [dbelveze](https://mamot.fr/@dbelveze/115184523957779810), cite [*Q comme Qomplot*](https://luxediteur.com/catalogue/q-comme-qomplot/) de Wu Ming : « L’utilisation prédominante de Facebook par une partie du mouvement \[de gauche] a provoqué une grave discontinuité. Au nom de la "facilité", non seulement on a renoncé à "rejeter" et à innover par rapport au mainstream, mais on s’est placés à la merci des diktats politiques, des caprices algorithmiques et des "conditions d’utilisation" de la plateforme. Une situation précaire et vulnérable au chantage. » Les services algorithmiques ne font que nous donner une illusion de puissance dans le but de mieux nous bourrer le crâne d’insanités, souvent mises en avant par les algorithmes non pour leur contenu politique mais parce qu’elles captent l’attention et génèrent du clic. En gros, quand un truc monte en mayonnaise sur les réseaux sociaux, il a souvent un caractère provocant, clivant, extrême… Jamais ses qualités propres ne le font émerger. C’est son pouvoir addictif immédiatement descellé dès les premiers frémissements qui importe. Croyez-vous changer le monde avec des mèmes aussi grossiers ? N’est-on pas en train de vous attirer vers la lumière comme des insectes ? J’ai bien peur que oui. On vous vend des solutions erronées (j’aimerais croire aux baguettes magiques). Voulez-vous encore toucher tout le monde et, par corollaire, être touché par tout le monde ? Voulez-vous continuer d’être manipulé ? Ça vous va ? Si vous commencez à douter, vous n’avez pas de gros sacrifices à faire. Il vous suffit de commencer par basculer sur des services non algorithmiques. [Khaled Gaiji](https://mamot.fr/@kgaiji@framapiaf.org) pose un point important : « Je ne pense pas qu’on lutte tou-tes avec le même capital culturel et la conscience de ça. Je pense que les gens luttent avec ce qu’iels connaissent et avec "l’éducation" qu’iels ont eu . Ça demande une démarche très active d’aller vers d’autres formes de pensées et nous ne partons pas toutes et tous du même point de départ. » On en revient toujours à la nécessité d’éducation, de formation, de vulgarisation. Voilà pourquoi depuis vingt ans je continue d’écrire ce genre de textes. C’est aussi parce que nos messages ne passent pas que rien ne change. Mais comment pourraient-ils passer ? À ce stade, c’est impossible. En résumé, si on ne commence pas par changer d’outils, on n’a aucune chance de changer quoi que ce soit. Changer le monde demande un effort, bien plus grand que manifester, brûler un bus, agiter des pancartes ou même déposer un bulletin dans une urne (j’écrivais déjà cela dans *Le Peuple des connecteurs en 2006*, puis dans *Ya Bsta* en 2011). À l’occasion de cette discussion, on m’a dit : « Changer d’outils ne va pas suffire. » Oui, pas tout de suite, mais déjà on sera moins exposés aux théories qui buzzent, aux solutions plaisantes mais trop simplistes et inefficaces. Changer d’outils revient à s’exposer à d’autres idées, plus diverses, moins consensuelles, moins séduisantes pour « tout le monde ». Nous avons besoin d’un éveil des consciences pas d’un panurgisme généralisé (ce à quoi se résume souvent une élection). Je n’ai pas de solution miracle. Je ne peux que répéter ce que j’ai entrepris depuis bien longtemps. 1. Changer d’outils (depuis 2011 je passe peu de temps sur les réseaux algorithmiques). 2. Changer de perspective (ce qui est une conséquence des nouveaux outils qui nous exposent à beaucoup plus de diversité). 3. Changer de vie (ce qui est le plus difficile, qui implique d’agir tout de suite). Ça coince souvent à cette troisième étape. Contre-argument : changer dans son coin n’aura aucun effet collectif. Mais non : parce que pour changer de vie, il faut se connecter à d’autres qui changent de vie. Ce n’est pas un truc solitaire, ce n’est pas se faire ermite. Changer de vie commence par changer de lecture, de regard, de plaisirs, d’amis, de philosophie à commencer par se demander ce que signifie pour nous réussir dans la vie. Changer de vie, ce n’est pas nécessairement radical. Mais ça implique toujours de renoncer à des propositions faciles, qui nous promettent des plaisirs ou des solutions immédiates. Genre : faisons tomber le gouvernement pour le remplacer par le même. [jcfrog](https://mamot.fr/@jcfrog) : « La politique, c’est aussi la confrontation au réel, et le réel c’est que la population n’a aucune éducation à l’émancipation numérique. Pour beaucoup Facebook c’est déjà compliqué. » [Réponse de Ploum](https://mamot.fr/@ploum/115185689347711336) : « "Facebook, c’est déjà compliqué". Cela sous-entend que Facebook est plus simple. Ce qui est complètement faux. C’est juste qu’on s’y habitue, qu’on a son petit confort. » Le réel est compliqué, c’est bien tout le problème. Refuser de l’admettre, c’est aller dans le mur. Affronter le compliqué ne sera jamais confortable. Ne pas faire comme tout le monde, ça fait mal, mais c’est la seule façon pour moi de me sentir vivre. [Lisez Ploum pour approfondir](https://ploum.net/) (et ce n’est pas parce que je suis un des personnages de son dernier roman). Il répète la même chose depuis des années. Il ne s’agit pas d’être parfait, mais au moins d’éviter les comportements potentiellement catastrophiques à moyen terme. ### Notes Sur Whatsapp Si on est d’accord pour se séparer de WhatsApp, il reste à choisir une autre messagerie. D’un point de vue des valeurs, [Signal](https://signal.org/fr/) l’emporte haut la main (notamment sur son direct concurrent [Telegram](https://telegram.org/)) : * Open Source de bout en bout (les serveurs Telegram sont fermés). * Chiffrement de bout en bout (sur Telegram, uniquement dans les chats secrets, les messages normaux étant chiffrés côté serveur mais déchiffrables par Telegram). * Détenu par la [fondation Signal](https://signalfoundation.org/fr/) qui vit des dons (Telegram société privée). * Reste centralisé (comme Telegram), ce qui implique une vulnérabilité potentielle. En parallèle de Signal, je continue d’utiliser Telegram pour sa fluidité et son API. Chez Signal, l’impossibilité de déchiffrer les données échangées interdit leur commercialisation. Telegram jure ne pas le faire mais rien ne les empêchera un jour de changer d’avis. Il existe des alternatives décentralisées comme [Element](https://element.io/fr), [Session](https://getsession.org/), [Berty](https://berty.tech/messenger), [Briar](https://briarproject.org/), [Skred](https://www.skred.app/), [Delta](https://delta.chat/fr/)… L’enjeu n’est pas de choisir les services les plus populaires mais d’éviter les plus dangereux pour nos libertés. Mais attention si les messageries instantanées aident à s’organiser, elles ne sont généralement pas un vecteur de viralité. La priorité : quitter les réseaux sociaux algorithmiques, ceux qui vont monter d’odieuses mayonnaises. #netculture #y2025 #2025-9-11-18h00