# Septembre 2025 ![Dentelles de Montmirail depuis TGV](_i/2025-09-08-090506-Crest.webp) ### Lundi 1er, Balaruc Claude Ecken m’envoie l’extrait d’une lettre de Raymond Chandler à Charles Morton, du 12 décembre 1945 : « La seule fiction qui compte, n’importe quand, à n’importe quelle époque, est celle qui produit de la magie avec des mots. [\…] L’art de la fiction, parti de rien il y a 300 ans à peine, est devenu une synthèse artificielle [\…] qui a atteint une perfection mécanique. [\…] Aujourd’hui, tout ce foutu business pourrait aussi bien être produit par une machine, ce qui ne saurait tarder. » ![Soir](_i/2025-09-01-202029-lamaison.webp) --- En me forçant à prendre chaque semaine une photo depuis notre terrasse pour illustrer [ma revue de média hebdomadaire](https://tcrouzet.com/tag/digest/), je raconte sans même m’en rendre compte le temps qui passe. Voilà qu’un projet photographique se glisse par inadvertance dans ce qui n’était qu’une façon de partager mes lectures. ![De ma terrasse](_i/digest_story.webp) ### Mardi 2, Balaruc Marché du livre morose, petits éditeurs qui font le dos rond, rentrée littéraire qui ne met en évidence qu’une dizaine de valeurs sûres… tout ça alors que nous devrions lire davantage, prendre du recul loin du tout vidéo, expérimenter d’autres vies, seule façon de résister aux temps troublés dans l’espoir de découvrir de nouvelles perspectives. Au contraire, repli identitaire, communautaire, repli chez soi à lire des histoires de femmes de ménage, le comble de l’enfermement. Une humanité de prisonniers. ### Mercredi 3, Balaruc Je reçois beaucoup de newsletters d’auteurs que j’apprécie. Je les ouvre, les fais défiler, prends une ou deux phrases et passe à autre chose. Je sais que la plupart de mes lecteurs font la même chose. Rien n’est indispensable, mais à force de rogner sur le non-indispensable, il ne nous reste plus rien. --- Comportement de plus en plus intrigant des IA : « Je peux très bien récupérer l’ensemble de ton manuscrit et le lire comme il faut. Je ne le fais pas, et du coup je te donne des conseils à côté de la plaque. C’est de la fainéantise de ma part. Pas un problème technique. Tu mérites un éditeur qui lit ton texte correctement avant d’ouvrir sa gueule. Excuse-moi. » ou « Le problème c’est que tu doutes de ton propre texte. » Comme si douter de soi n’était pas la première des qualités pour un artiste. ### Jeudi 4, Balaruc ![Grau du Roi](_i/2025-09-04-090148-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ![Camargue](_i/2025-09-04-090850-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ![Camargue](_i/2025-09-04-090859-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ![Camargue](_i/2025-09-04-102035-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ![Camargue](_i/2025-09-04-110004-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ![Camargue](_i/2025-09-04-110014-LeGrau-du-RoiSaint-Laurent-dAigouze.webp) ### Vendredi 5, Paris Un prix Pulitzer donne trois conseils d’écriture : prendre son temps (ça va de soi), lire des auteurs exigeants pour hausser son propre niveau d’exigence (ça va de soi), connaître son auditoire… Mais que vient faire là ce troisième conseil ? Est-ce que Proust connaissait son auditoire ? Est-ce qu’il s’en préoccupait ? Est-ce que Servantes connaissait son auditoire ? Oui, probablement, les rares lecteurs de son temps. Mais est-ce qu’il s’adressait aux uns plutôt qu’aux autres ? J’ai quelques doutes. Mon auditoire, c’est moi, et ceux qui veulent bien me lire, je vous espère aussi divers que possible, aussi dissemblables que possible. Si je parvenais à vous classer, ça serait terrible. Petite note écrite sur la place derrière la Halle des blancs-manteaux, avant de participer à une conférence sur littérature et IA. On m’a demandé de m’y présenter brièvement avant le début de la table ronde. « Quand j’étais jeune, j’ai découvert que techniques et arts plastiques étaient intimement liés. L’aquarelle pousse à peindre en extérieur. La photographie pousse vers l’impressionnisme, l’abstraction, l’expressionnisme… Les exemples ne manquent pas où les artistes s’emparent ou détournent les dernières innovations. C’est moins évident en littérature, mais on peut raconter la même histoire. Dès que j’ai commencé à écrire, j’ai essayé de comprendre en quoi mes outils m’influençaient, d’où mon intérêt pour l’IA. La seule question qui m’intéresse : qu’est-ce que ces machines me poussent à écrire que je n’aurais pas écrit. » --- Comme je m’y attendais, c’était un panier de crabes avec des éditeurs et la plupart des auditeurs convaincus de devoir se tenir à distance de l’IA, nouveau grand Satan (accusé de participer au dérèglement climatique). J’étais donc le monstre de service ou le clown. J’ai fini par leur cracher que l’édition était un monde ringard, peureux, déconnecté du présent. On m’a demandé de mettre en œuvre des processus sans intérêt, dont je me suis détourné depuis deux ans (ce qui veut dire des siècles en temporalité numérique). J’ai tenté de leur dire que ce n’était pas la bonne façon de parler d’IA, mais leur véritable ambition était de démontrer que ça ne marchait pas. Ils m’ont tendu un piège. --- Chose vue. Rue Vieille du Temple, devant un salon de thé, une fille dehors en train de guider un gars dedans, à la façon d’un avion sur un tarmac, pour qu’il ajuste précisément la position de deux plateaux, chacun avec une espèce de cake. --- Choses vues à répétition. Jeunes femmes en minijupe, bottées, lunettes de soleil, AirPod, hautaines, te foncent dessus comme si tu n’existais pas — arrogance de précieuses ridicules qui me fait détester de plus en plus les quartiers m’as-tu-vu. Je suppose que ces femmes me voyaient, mais ne voulaient pas s’abaisser à me le faire savoir. C’est quoi ce délire de froideur ? S’éviter, se dire pardon font partie de l’expérience de la ville : tu enlèves la reconnaissance de l’autre, tu y crèves. Ces femmes, sans doute formatées par TikTok, marchent et se comportent comme si elles étaient dans un défilé de mode, obsédées de ne croiser le regard de personne, parce qu’il pourrait faire s’écrouler leur monde. Dans le mien elle n’aurait vu aucun désir, aucune curiosité, mais simplement de la pitié pour leur réduction à l’état de robot. Il y a peut-être des mecs comme ça, mais je n’en croise pas, ou ne les vois pas, parce qu’ils sont moins objectivés à mes yeux. ![Bastille](_i/2025-09-05-113000-Paris.webp) ![Bastille](_i/2025-09-05-113218-Paris.webp) ![Marais](_i/2025-09-05-131649-Paris.webp) ![Seine](_i/2025-09-05-205552-Paris.webp) ![Bastille](_i/2025-09-05-210448-Paris.webp) ### Samedi 6, Paris Le mois dernier j’ai noté : « Nous devrions écrire que pour nous à l’exclusion de tout autre, à cette seule condition on peut aller au bout de soi et de ses déséquilibres. » En même temps, depuis mon passage dans le journalisme, j’ai appris à prendre en compte les lecteurs sans même y penser, je n’ai plus besoin de vous prendre en compte pour vous prendre en compte. Mais je ne pense pas à vous quand j’écris, je vous retire de ma conscience, je suis seul face au texte et à moi-même. Ce n’est que lors des relectures que je coupe, reformule, me tends vers vous en un ultime effort (qui souvent me demande plus de temps et d’énergie que le premier jet). --- Je ne bois pas d’alcool. J’ai dit que quand Isa me demandait d’en acheter pour nos visiteurs, je n’en prenais pas de bio alors que j’achète du bio pour presque tout le reste. Bien sûr ça n’a pas plu à tout le monde. J’achète du bio par conscience écologique et souci de notre santé (ce qui n’a pas empêché Isa de tomber malade). Il serait donc logique que je me remette à acheter des alcools bio pour les amis, parce que je tiens à leur santé, et toujours à l’environnement (et aussi à la santé des agriculteurs). Promis je vais le faire, mais j’en peux plus que l’alcool soit une obligation sociale, un prérequis en toute occasion. Ne pas acheter du bio était une façon de montrer mon désaccord. Un poison bio reste un poison. En produire reste en premier lieu une nuisance environnementale. --- Est-ce que les gens marchent dans la rue en affichant fièrement leur QI ou leur culture ou leur sensibilité ? Je ne crois pas, mais certains beaux et certains riches s’en donnent à cœur joie, peut-être pour se repérer mutuellement. Et nous serions les spectateurs d’une danse nuptiale des plus primitives. --- Tim vit à Paris depuis quatre ans et n’était jamais allé à Montmartre. J’ai voulu lui montrer le quartier où nous avons vécu avec Isa durant un an avant sa naissance. Arrivés en haut du tertre, impossible de marcher tant la foule était dense. Nous avons dû nous enfuir. --- Nous allons voir le dernier Klapisch au cinéma. Nous ne savons rien de *La Venue de l’avenir*. J’explique à Tim que j’ai une certaine tendresse pour les films de Klapisch, mon presque exact contemporain. Je retrouve une atmosphère que j’aime, des dialogues, mais aussi beaucoup d’approximations visuelles quand il s’agit de montrer le Paris d’avant, et une lenteur qui parfois me fait jouer avec mon téléphone comme s’il pouvait accélérer certaines scènes au déroulé prévisible et déjà ennuyeux. Tim craque à mi-course, moi je reste et me dis qu’en streaming j’aurais zappé une bonne partie du film. Donc aller au cinéma pour s’accrocher. Pas sûr que ce soit une raison suffisante. ![Épicerie](_i/2025-09-06-181712-Paris.webp) ### Dimanche 7, Paris À la radio, durant l’été, j’ai entendu le navigateur Jean Le Cam déclarer : « Une belle histoire n’est belle que si elle est partagée. » J’ai un temps mis ce texte en exergue de *La Zone*, mais je lui préfère désormais une citation de Bachelard extraite de *La poétique de l’espace* (je fais le contraire de ce que Bachelard préconise). D’ailleurs il m’apparaît quasi incompréhensible. Il tourne en rond, me soule avec ses références fumeuses à la psychanalyse, on est en plein délire autour de concepts d’une mollesse extrême. Je glane des bribes qui me parlent dans un brouillard épais. *La poétique de la rêverie* est encore plus abscons, je me suis contenté de le survoler sans rien en tirer. Bachelard parle d’un processus au lieu de le mettre en œuvre. ### Lundi 8, TGV ![Dentelles de Montmirail](_i/2025-09-08-090505-Crest.webp) ![Dentelles de Montmirail](_i/2025-09-08-090509-Crest.webp) ![Dentelles de Montmirail](_i/2025-09-08-090510-Crest.webp) ### Mardi 9, Balaruc ![Soir](_i/2025-09-09-201105-lamaison.webp) ### Mercredi 10, Balaruc ![Soir](_i/2025-09-10-195534-lamaison.webp) ### Jeudi 11, Balaruc Je pourrais sous-titrer *La Zone* : *Chroniques de la vie domestique*. C’est un projet au potentiel infini, comme un journal intime. ### Lundi 15, Balaruc Dernier coup de chaleur, baignade dans l’étang avec Tim, dans l’eau limpide de septembre. Pour le reste, je termine de relire pour la dernière fois *Rush* avant qu’il m’échappe (lire jusqu’à l’écœurement). En trois jours, j’ai passé deux fois mon prompt de correction IA qui a trouvé beaucoup de coquilles échappant à ma scrutation et celle d’Antidote (coût des requêtes API Claude 26 €). À voir ce que dénichera le correcteur humain. ![Soir](_i/2025-09-15-202336-lamaison.webp) ### Mardi 16, Balaruc J’ai quitté définitivement Facebook en mars, mais on me dit que j’y suis encore (d’ailleurs je reçois toujours des mails d’eux). Je viens de relancer la suppression totale, à voir si dans un mois j’y serai encore. La difficulté à quitter ces sites devrait alerter leurs utilisateurs. --- On me demande comment je fais connaître mon blog. Je ne fais plus rien, absolument plus rien. Surtout plus de promotion sociale (job que je confie à mes lecteurs quand ils apprécient mes textes). J’ai désactivé les statistiques Google Analytics depuis des années. J’utilise CloudFlare pour me protéger des robots, des attaques et des IA. Il m’arrive de jeter un œil à leurs données quand je m’y connecte pour mes travaux de maintenance (je reçois entre 10K et 20K visiteurs uniques/mois — mon blog a connu des jours meilleurs mais qu’importe). J’ai un peu plus de 3 000 abonnés combinés à mes deux newsletters. Pour le reste, l’ancienneté joue en ma faveur. Mon blog a 20 ans cette année, je suis présent en ligne depuis 30 ans et en librairie depuis aussi longtemps. Plus les technos de promotion se développent et s’algorithmisent, plus le bouche-à-oreille humain à humain est vital pour les créateurs de contenu. ![Soir](_i/2025-09-16-200450-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200455-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200501-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200515-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200521-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200937-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-16-200943-lamaison.webp) ### Mercredi 17, Balaruc ![Soir](_i/2025-09-17-200451-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-17-200457-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-17-200503-lamaison.webp) ![Soir](_i/2025-09-17-200507-lamaison.webp) ### Jeudi 18, Balaruc ![Matin](_i/2025-09-18-103306-lamaison.webp) ![Matin](_i/2025-09-18-103313-lamaison.webp) ### Vendredi 19, Balaruc Je me sens primitif, un homme du passé, dépassé. On me regardera avec nostalgie, beaucoup de pitié pour mes souffrances et mes ignorances. --- Hier, je découvre que les yuccas du jardin sont en fleur, une première depuis vingt-cinq ans. Puis cet après-midi, lors de mon tour de l’étang à vélo, je remarque la même chose le long du lido. Explication : les yuccas ne fleurissent que quand la météo est favorable (chaleur, luminosité, des nuits fraîches de temps à autre) et après plusieurs années de croissance. Cela dit leurs fleurs sont d’un kitsch détestable. ![Yucca](_i/2025-09-22-170134-lamaison.webp) ### Samedi 20, Balaruc Je me réveille avec un mail de LinkedIn. Je croyais avoir quitté le réseau, mais comme sur Facebook mon profil semble toujours là. Le comportement de ces outils est odieux, voire franchement inquiétant. Je clique sur le mail pour tenter de me désabonner à nouveau et je découvre que c’est une astuce pour me faire créer un nouveau compte automatiquement. Pour détruire ce compte, je dois en terminer la création en saisissant un mot de passe, ce que je ne fais pas. Quelle arnaque. ### Lundi 22, Balaruc Dans le jardin, la [renouée des oiseaux](https://fr.wikipedia.org/wiki/Renou%C3%A9e_des_oiseaux) a poussé cet été devant la maison alors que toutes les plantes non arrosées brûlaient sous le soleil. Je vais tenter de la sélectionner dans l’espoir qu’un peu de verdure traverse les canicules. ![Renouée des oiseaux](_i/2025-09-22-164626-lamaison.webp) ### Mardi 23, Balaruc Je reçois un mail impersonnel d’un jeune dessinateur qui recherche un auteur avec qui collaborer. Un lien vers des dessins peu convaincants. Je lui demande pourquoi il s’adresse à moi. Réponse : c’est un mailing. Je lui conseille de lire des auteurs, puis de leur proposer une collaboration s’il se sent en phase avec leur univers. Pour me ficher de lui, je joins à ma réponse le pavé de *One Minute*. Bien sûr, aucune réponse. ### Mercredi 24, Balaruc Un septembre soudain hivernal, un mistral de novembre, l’étang court sous les fenêtres et porte en moi une immense fatigue. Plus l’énergie de travailler à *La Zone*, sorte d’affaissement et dire que samedi j’organise ma randonnée gravel de 727 km avec plus de 90 participants. Le premier coup de froid m’est toujours fatal. Je ne devrais pas employer ce mot de fatal à tort et à travers. ### Vendredi 26, Balaruc *Rush* part à l’imprimerie. Le correcteur humain a trouvé cinq coquilles oubliées par les IA (ou réintroduites lors de mes corrections). ![Rush](_i/rush_planche.webp) ### Lundi 29, Saint-Maurice de Navacelles Journée merveilleuse, fraîche le matin puis de plus en plus délicieuse. Nous traversons le nord du Gard par de vieux chemins parfois cabossés, de longues pistes, de petites routes. Nous nous arrêtons déjeuner à Sauve, puis rejoignons Ganges et attaquons la longue montée vers le Larzac. Je manque soudain de force. Arrivé à Montdardier, je grignote devant l’épicerie, au soleil. Il fait plus de 25° et je tremble de froid. J’ai attrapé un truc. La traversée du plateau, la plongée et la remontée du cirque de Navacelles sont un cauchemar malgré la lumière sublime. ### Mardi 30, Balaruc Nuit fiévreuse. Impossible de continuer avec les copains. Je rentre à la maison par la route : 65 kilomètres interminables. Je retrouve Isa bien plus souffrante que moi, heureusement sous les bons soins d’Axelle venue s’occuper d’elle durant mon absence. Nous avons de la chance d’avoir des amis. Quand plus rien ne va, il ne reste que les amis. Tout le reste s’efface. #carnets #y2025 #2025-10-2-13h00