Ce chapitre est évoqué dans le webin-R #07 (régression logistique partie 2) sur YouTube.

Dans une régression, la multicolinéarité est un problème qui survient lorsque certaines variables de prévision du modèle mesurent le même phénomène. Une multicolinéarité prononcée s’avère problématique, car elle peut augmenter la variance des coefficients de régression et les rendre instables et difficiles à interpréter. Les conséquences de coefficients instables peuvent être les suivantes :

  • les coefficients peuvent sembler non significatifs, même lorsqu’une relation significative existe entre le prédicteur et la réponse ;
  • les coefficients de prédicteurs fortement corrélés varieront considérablement d’un échantillon à un autre ;
  • lorsque des termes d’un modèle sont fortement corrélés, la suppression de l’un de ces termes aura une incidence considérable sur les coefficients estimés des autres. Les coefficients des termes fortement corrélés peuvent même présenter le mauvais signe.

La multicolinéarité n’a aucune incidence sur l’adéquation de l’ajustement, ni sur la qualité de la prévision. Cependant, les coefficients individuels associés à chaque variable explicative ne peuvent pas être interprétés de façon fiable.

Définition

Au sens strict, on parle de multicolinéarité parfaite lorsqu’une des variables explicatives d’un modèle est une combinaison linéraire d’une ou plusieurs autres variables explicatives introduites dans le même modèle. L’absence de multicolinéarité parfaite est une des conditions requises pour pouvoir estimer un modèle linéaire et, par extension, un modèle linéaire généralisé (dont les modèles de régression logistique).

Dans les faits, une multicolinéarité parfaite n’est quasiment jamais observée. Mais une forte multicolinéarité entre plusieurs variables peut poser problème dans l’estimation et l’interprétation d’un modèle.

Une erreur fréquente est de confondre multicolinéarité et corrélation. Si des variables colinéaires sont de facto fortement corrélées entre elles, deux variables corrélées ne sont pas forcément colinéaires. En termes non statistiques, il y a colinéarité lorsque deux ou plusieurs variables mesurent la même chose.

Prenons un exemple. Nous étudions les complications après l’accouchement dans différentes maternités d’un pays en développement. On souhaite mettre dans le modèle, à la fois le milieu de résidence (urbain ou rural) et le fait qu’il y ait ou non un médecin dans la clinique. Or, dans la zone d’enquête, les maternités rurales sont dirigées seulement par des sage-femmes tandis que l’on trouve un médecin dans toutes les maternités urbaines sauf une. Dès lors, dans ce contexte précis, le milieu de résidence prédit presque totalement la présence d’un médecin et on se retrouve face à une multicolinéarité (qui serait même parfaite s’il n’y avait pas une clinique urbaine sans médecin). On ne peut donc distinguer l’effet de la présence d’un médecin de celui du milieu de résidence et il ne faut mettre qu’une seule de ces deux variables dans le modèle, sachant que du point de vue de l’interprétation elle capturera à la fois l’effet de la présence d’un médecin et celui du milieu de résidence.

Par contre, si dans notre région d’étude, seule la moitié des maternités urbaines disposait d’un médecin, alors le milieu de résidence n’aurait pas été suffisant pour prédire la présence d’un médecin. Certes, les deux variables seraient corrélées mais pas colinéaires. Un autre exemple de corrélation sans colinéarité, c’est la relation entre milieu de résidence et niveau d’instruction. Il y a une corrélation entre ces deux variables, les personnes résidant en ville étant généralement plus instruites. Cependant, il existe également des personnes non instruites en ville et des personnes instruites en milieu rural. Le milieu de résidence n’est donc pas suffisant pour prédire le niveau d’instruction.

Mesure de la colinéarité

Il existe différentes mesures de la multicolinéarité. L’extension mctest en fournie plusieurs, mais elle n’est utilisable que si l’ensemble des variables explicatives sont de type numérique.

L’approche la plus classique consiste à examiner les facteurs d’inflation de la variance (FIV) ou variance inflation factor (VIF) en anglais. Les FIV estimenent de combien la variance d’un coefficient est augmentée en raison d’une relation linéaire avec d’autres prédicteurs. Ainsi, un FIV de 1,8 nous dit que la variance de ce coefficient particulier est supérieure de 80 % à la variance que l’on aurait dû observer si ce facteur n’est absolument pas corrélé aux autres prédicteurs.

Si tous les FIV sont égaux à 1, il n’existe pas de multicolinéarité, mais si certains FIV sont supérieurs à 1, les prédicteurs sont corrélés. Il n’y a pas de consensus sur la valeur au-delà de laquelle on doit considérer qu’il y a multicolinéarité. Certains auteurs, comme Paul Allison1, disent regarder plus en détail les variables avec un FIV supérieur à 2,5. D’autres ne s’inquiètent qu’à partir de 5. Il n’existe pas de test statistique qui permettrait de dire s’il y a colinéarité ou non2.

L’extension car fournit une fonction vif permettant de calculer les FIV à partir d’un modèle. Elle implémente même une version généralisée permettant de considérer des facteurs catégoriels et des modèles linéaires généralisés comme la régression logistique.

Reprenons, pour exemple, un modèle logistique que nous avons déjà abordé dans d’autres chapitres.

library(questionr)
data(hdv2003)
d <- hdv2003
d$sexe <- relevel(d$sexe, "Femme")
d$grpage <- cut(d$age, c(16, 25, 45, 65, 99), right = FALSE, include.lowest = TRUE)
d$etud <- d$nivetud
levels(d$etud) <- c(
  "Primaire", "Primaire", "Primaire", "Secondaire", "Secondaire",
  "Technique/Professionnel", "Technique/Professionnel", "Supérieur"
)
d$etud <- addNAstr(d$etud, "Manquant")
mod <- glm(sport ~ sexe + grpage + etud + heures.tv + relig, data = d, family = binomial())

Le calcul des FIV se fait simplement en passant le modèle à la fonction vif.

library(car)

Attachement du package : 'car'
L'objet suivant est masqué _par_ '.GlobalEnv':

    logit
L'objet suivant est masqué depuis 'package:purrr':

    some
L'objet suivant est masqué depuis 'package:dplyr':

    recode
vif(mod)
           GVIF Df GVIF^(1/(2*Df))
sexe      1.048  1           1.024
grpage    1.842  3           1.107
etud      1.848  4           1.080
heures.tv 1.062  1           1.031
relig     1.121  5           1.011

Dans notre exemple, tous les FIV sont proches de 1. Il n’y a donc pas de problème potentiel de colinéarité à explorer.

La multicolinéarité est-elle toujours un problème ?

Là encore, il n’y a pas de consensus sur cette question. Certains analystes considèrent que tout modèle où certains prédicteurs seraient colinéaires n’est pas valable. Dans un billet sur internet, Paul Allison évoque quant à lui des situations où la multicolinéarité peut être ignorée en toute sécurité. Le texte ci-dessous est une traduction du billet de Paul Allison.

1. Les variables avec des FIV élevés sont des variables de contrôle, et les variables d’intérêt n’ont pas de FIV élevés.

Voici le problème de la multicollinéarité : ce n’est un problème que pour les variables qui sont colinéaires. Il augmente les erreurs-types de leurs coefficients et peut rendre ces coefficients instables de plusieurs façons. Mais tant que les variables colinéaires ne sont utilisées que comme variables de contrôle, et qu’elles ne sont pas colinéaires avec vos variables d’intérêt, il n’y a pas de problème. Les coefficients des variables d’intérêt ne sont pas affectés et la performance des variables de contrôle n’est pas altérée.

Voici un exemple tiré de ces propres travaux : l’échantillon est constitué de collèges américains, la variable dépendante est le taux d’obtention de diplôme et la variable d’intérêt est un indicateur (factice) pour les secteurs public et privé. Deux variables de contrôle sont les scores moyens au SAT et les scores moyens à l’ACT pour l’entrée en première année. Ces deux variables ont une corrélation supérieure à ,9, ce qui correspond à des FIV d’au moins 5,26 pour chacune d’entre elles. Mais le FIV pour l’indicateur public/privé n’est que de 1,04. Il n’y a donc pas de problème à se préoccuper et il n’est pas nécessaire de supprimer l’un ou l’autre des deux contrôles, à condition que l’on ne cherche pas à interpréter ou comparer l’un par rapport à l’autre les coefficients de ces deux variables de contrôle.

2. Les FIV élevés sont causés par l’inclusion de puissances ou de produits d’autres variables.

Si vous spécifiez un modèle de régression avec x et x2, il y a de bonnes chances que ces deux variables soient fortement corrélées. De même, si votre modèle a x, z et xz, x et z sont susceptibles d’être fortement corrélés avec leur produit. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, car la valeur p de xz n’est pas affectée par la multicollinéarité. Ceci est facile à démontrer : vous pouvez réduire considérablement les corrélations en centrant les variables (c’est-à-dire en soustrayant leurs moyennes) avant de créer les puissances ou les produits. Mais la valeur p pour x2 ou pour xz sera exactement la même, que l’on centre ou non. Et tous les résultats pour les autres variables (y compris le R2 mais sans les termes d’ordre inférieur) seront les mêmes dans les deux cas. La multicollinéarité n’a donc pas de conséquences négatives.

3. Les variables avec des FIV élevés sont des variables indicatrices (factices) qui représentent une variable catégorielle avec trois catégories ou plus.

Si la proportion de cas dans la catégorie de référence est faible, les variables indicatrices auront nécessairement des FIV élevés, même si la variable catégorielle n’est pas associée à d’autres variables dans le modèle de régression.

Supposons, par exemple, qu’une variable de l’état matrimonial comporte trois catégories : actuellement marié, jamais marié et anciennement marié. Vous choisissez anciennement marié comme catégorie de référence, avec des variables d’indicateur pour les deux autres. Ce qui se passe, c’est que la corrélation entre ces deux indicateurs devient plus négative à mesure que la fraction de personnes dans la catégorie de référence diminue. Par exemple, si 45 % des personnes ne sont jamais mariées, 45 % sont mariées et 10 % sont anciennement mariées, les valeurs du FIV pour les personnes mariées et les personnes jamais mariées seront d’au moins 3,0.

Est-ce un problème ? Eh bien, cela signifie que les valeurs p des variables indicatrices peuvent être élevées. Mais le test global selon lequel tous les indicateurs ont des coefficients de zéro n’est pas affecté par des FIV élevés. Et rien d’autre dans la régression n’est affecté. Si vous voulez vraiment éviter des FIV élevés, il suffit de choisir une catégorie de référence avec une plus grande fraction des cas. Cela peut être souhaitable pour éviter les situations où aucun des indicateurs individuels n’est statistiquement significatif, même si l’ensemble des indicateurs est significatif.


  1. https://statisticalhorizons.com/multicollinearity↩︎

  2. Pour plus de détails, voir ce post de Davig Giles qui explique pourquoi ce n’est pas possible.↩︎